FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES
HIVER 2014
Département de sociologie
Olivier Clain
SOC 2200
Théorie sociologique : La sociologie compréhensive
PRÉSENTATION DU COURS
Dans la philosophie de Kant l'homme semble devoir appartenir à deux mondes distincts,
d'un côté, au monde phénoménal des objets sensibles, de l'autre, au monde des intelligibles, des
réalités dites par lui nouménales. Si d’un côté il agit et que son action s'inscrit dans les séries
causales du monde phénoménal, de l'autre il agit mais son action ne dépend de rien d'autre que
de de sa volonté libre. D'un côté si l'objet suscite l'action parce qu'il est objet immédiat du besoin
ou si l'action est fixée par une réflexion théorique comme élément d'une série de moyens à
utiliser en vue de réaliser une fin c'est que la signification et la finalité de l'action instrumentale
sont liées à une autre réalité que la leur propre. De l'autre, si l'homme est libre en suivant sa
conscience morale, c'est que ce faisant il ne fait qu'obéir à un impératif qui est exigence d'action
en vue de la liberté. Certes Kant cherchera à dépasser ce dualisme. Mais il ne parviendra pas à
rendre compte de façon satisfaisante de l'effectivité de l'unité de la Raison théorique et de la
Raison pratique dans l’action significative. Ainsi, la loi morale devra être à la fois considérée
comme un fait dont on part dans l'analyse et comme un acte libre de la Raison pratique. Mais
comment comprendre un acte libre comme un fait ? Comment comprendre l'émergence de la loi
morale puisque pour Kant la causalité ne peut être pensée que dans l'ordre phénoménal et que la
loi morale est de l'ordre de l'intelligible ? C'est à la solution de ces problèmes demeurés en
suspens que l'idéalisme allemand allait travailler. Dans la partie introductive du cours on
s’attachera en particulier à comprendre comment avec la dissolution de l’idéalisme allemand ce
questionnement s’est transformé pour devenir un questionnement à propos de l’objectivité du
jugement historique qui a traversé ce qu’on a appelé « la querelle de la méthode » qui a eu lieu
dans l’université allemande de la seconde moitié du 19e siècle et qui a fourni un fondement
philosophique et épistémologique aux théoriciens de la sociologie compréhensive.
Même si on remontera par moments jusqu’à Kant et à l’idéalisme allemand pour
comprendre la manière dont le questionnement philosophique dont ils se font les porteurs a
compté dans la naissance de la tradition de la sociologie compréhensive et même si on
s’intéressera aux prolongements plus récents de cette même tradition aux États-Unis, dans ce
cours d’introduction on accordera une place de choix à l’examen des sociologies de Simmel et de
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Weber. Pour Simmel et Weber une action peut être subjectivement significative sans être pour
autant sociale. C’est que la signification et le sens, quelles que soit l’importance des codes
sociaux qui les traversent, sont toujours pour eux le produit d’un jugement singulier
d’interprétation. Autrement dit l’un et l’autre récusent l’identification du social à la signification
et donc aussi bien à l’universel. Ils ne présupposent pas d’autre part que les conséquences des
actions soient maîtrisées par les individus et le sociologue doit selon eux s’intéresser justement
aux conséquences non voulues des actions, aux prolongements inattendus des choix éthiques ou
des croyances qui sont à leur origine, voire des affects qu’elles mobilisent.
Simmel a pu définir l’objet de la sociologie et de sa philosophie sociale comme l’étude
« des actions réciproques des individus ». Par il s’opposait à toute affirmation du primat de
« la » société et affirmait au contraire la primauté du rapport social qui naît de la rencontre des
individus, ces derniers lui apparaissant comme les totalités signifiantes les plus concrètes mais
aussi comme des totalités nécessairement ouvertes les unes sur les autres. Le concept de socialité
qu’il construisait sur cette base lui permettait de distinguer un contenu de socialisation, qui
renvoie à tout ce qu’un individu peut modifier en l’autre, et des forme de socialisation, qui
naissent à la fois de l’objectivation spontanée des rapports entre individus ici et maintenant et des
cristallisations des rapports antérieurs qui sont transmises par la culture. La sociologie de Simmel
est une sociologie des « formes » de la vie sociale. Les formes sociales anciennes et nouvelles
s’entrechoquent et c’est de leur inépuisable dialectique que naissent le tragique de la culture et
les conflits qui sont, au même titre que la coopération, partie prenante de la vie sociale. Ici on
s’attache à analyser des configurations ou des constellations diverses comme l’argent, l’étranger,
la ville, la culture, le secret, la féminité, etc., en cherchant à repérer le partage qui s’opère en
chacune entre la répétition et l’imitation de formes anciennes et l’innovation et l’invention de
nouvelles.
C’est plutôt à la « forme régulière des relations entre individus » que s’attacha quant à lui
Weber, ces relations étant elles-mêmes pensées à partir des unités élémentaires que constituent
les quatre types de l’action significative. Il définit la sociologie comme la science « qui veut
comprendre par interprétation l’activité sociale et par là expliquer causalement son déroulement
et ses effets ». Il entend alors mettre en relief l’individualité de la configuration du réel social
qu’il étudie à chaque fois. Ce qui est alors mis au premier plan c’est l’analyse comparative qui
permet de cerner le caractère unique et l’individualité des configurations historiques de la
socialité humaine : le capitalisme occidental, le droit rationnel, l’éthique protestante, le
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bouddhisme ou la ville occidentale, forment des individualités historiques dont la connaissance
procède par interprétation de contenu, par sélection de traits différentiels, par constructions
idéaltypiques, qui évitent le détour par l’énoncé de lois comme dans le modèle de l’explication
nomologique-déductive. La construction idéaltypique ouvre alors à l’analyse régressive des
conditions historiques d’apparition de tel ou tel élément de l’idéaltype. On constatera ainsi que la
sociologie de Weber tend à dépasser l’opposition trop tranchée entre compréhension et
explication et qu’elle se donne de cette dernière unefinition qui respecte la contingence
historique. Autrement dit, l’explication ne se donne moins comme explication des causes que
comme explication des conditions d’apparition. Du point de vue de son contenu, c’est d’abord à
la sociologie des religions qu'il convient de rattacher le nom de Weber. En effet, c'est par elle
qu'il cherche à saisir et comprendre les relations entre les convictions morales, le sens donné à
l’existence et les actions économiques. L'œuvre de Weber a influencé la réflexion sociologique
aussi bien aux États-Unis qu'en Allemagne même, où, dès les années trente, l'École de Francfort
synthétise les préoccupations de la sociologie compréhensive et de la problématique dialectique.
Dans ce cours nous suivrons tout particulièrement ses prolongements aux États-Unis, où, sous
l'influence de Schutz, se prépare une critique de la sociologie fonctionnaliste et positive. C’est
ainsi que l'école phénoménologique, l'interactionnisme symbolique et l'ethnométhodologie vont
perpétuer la tradition de la sociologie compréhensive. C'est à ces trois courants que nous
consacrerons la dernière partie du cours.
Démarche pédagogique
L'étudiant devra lire huit extraits de textes, disponibles sous forme de polycopies. Il
remettra, en cours de session, deux résumés en ayant le choix des deux textes qu’il
résumera
Un travail de session portant sur une question choisie parmi trois proposées sera remis par
l'étudiant au dernier cours.
La note finale sera calculée à partir de la note moyenne des trois résumés et de la note du
travail final.
Plan de cours
I) Introduction théorique et historique à la tradition de la sociologie compréhensive
1) Expliquer, Interpréter, Comprendre.
L’explication et la compréhension.
Signification, Valeur, Sens, Motivation dans l’expérience
La compréhension comme expérience toujours déjà donnée. Le cercle herméneutique.
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2) Les origines allemandes de la sociologie compréhensive (1)
Aperçu sur l’histoire de l’Allemagne au 19e siècle.
Aperçu sur la philosophie de Kant et l’idéalisme allemand
Aperçu sur le Romantisme allemand
3) Les origines allemandes de la sociologie compréhensive (2)
La « Querelle de la Méthode » dans l’université allemande.
La réinterprétation de tradition herméneutique chez Dilthey.
Expérience vécue et compréhension dans la critique de la raison historique.
II La sociologie de Simmel
4) Épistémologie et sociologie
La philosophie sociale de Simmel
La sociologie des formes des relations et de l’expérience
La question de la culture
5) La philosophie de l’argent
La philosophie de l’échange et de la réciprocité
Le rapport de Simmel à Marx
L’économie monétaire et la civilisation occidentale
III La sociologie de Weber
6) Les principes épistémologiques
Interprétation et explication dans la sociologie compréhensive de Max Weber.
Le concept d'idéaltype et les problèmes d'une typologie historique; l'idéaltype et le
problème du rapport entre catégories construites et catégories de l'objet.
La théorie wébérienne de l'action et de la compréhension.
7) Économie, politique et société
Types de domination (légale, traditionnelle, charismatique). L'analyse wérienne de la
bureaucratie et l'anticipation de la postmodernité.
Communautés et activité économiques; statuts et classes sociales.
• La sociologie générale de Weber dans « Économie et Société ».
8) Sociétés et religions (1)
Aspects généraux de la sociologie de la religion. Buts et méthodes d'analyse.
Le cas de l'ancienne Chine. Éléments d'histoire sociale.
La naissance du Confucianisme et du Taoïsme. La signification historique du
Confucianisme selon Weber.
9) Sociétés et religions (2)
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Le cas de l'Inde. Éléments d'histoire sociale. Le système de castes et l'hindouisme.
La naissance du Jaïnisme et du Bouddhisme.
Le bouddhisme selon Weber.
10) Sociétés et religions (3)
Aspects historiques et sociaux de la Réforme.
Présentation de l'analyse de Weber dans L'Éthique protestante et l'Esprit du
capitalisme.
Protestantisme et Capitalisme : éléments d'un débat Marx/Weber.
III La sociologie compréhensive aux États-Unis
11) La sociologie phénoménologique d’Alfred Schütz
Schütz : la synthèse de la phénoménologie husserlienne et de l'approche wébérienne.
L’analyse phénoménologique du quotidien et du sens commun chez Alfred Schütz
La sociologie de la connaissance et le constructivisme de l'école phénoménologique.
12) L'interactionnisme symbolique de Goffman
Blumer. Les principes de l'interactionnisme symbolique.
•La mise en scène de la vie quotidienne chez Goffman.
•Stigmates et la notion d’Institution totale
13) L'ethnométhodologie
Les principes de l'ethnométhodologie chez Garfinkel et Cicourel : la sociologie
spontanée des acteurs.
Les recherches empiriques de l'ethnométhodologie; exemples.
Critique de l'ethnométhodologie : les paradoxes de la scientificité.
Bibliographie (première partie)
I- Sur la tradition allemande et la Sociologie Compréhensive en général
Aron, R., La philosophie critique de l'histoire, Paris1969.
Les étapes de la pensée sociologique, Paris1967.
La sociologie Allemande contemporaine, Paris1960.
Beetham, D., Max Weber and the Theory of Modern Politics, Londres, 1974.
Beguin, A. Le Romantisme Allemand Cahiers du Sud, Paris, 1949.
Bendix, R. Max Weber: an Intellectual Portrait, Berkeley, 1977.
Berger, P. et Kellner, H., Sociology Reinterpreted. An Essay on Method and Vocation, New
York. 1981
Birnbaun et Chazel (ed.), Théorie sociologique, Paris, 1975.
Blin, T., Phénoménologie et sociologie compréhensive. Sur Alfred Schütz, 1973
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