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Vies consacrées, 79 (2007-1), 41-53
Vi e c on sa cr é e e t é v an ge l i sa t i on
da ns l ’ Egl i s e F am i l l e d e D i e u
en République Démocratique du Congo (RDC)
Le 2 février 2005, jour symbolique pour la Vie consacrée, la
conférence nationale épiscopale de la République Démocratique du Congo (CENCO) rendit public son Exhortation adressée aux Consacrés vivant dans ce pays : Frères et sœurs consacrés,
réveillez-vous ! Avancez au large ! (Cf. Ap 3, 2 ; Lc 5, 4) 1. L’Eglise
en RDC, tout comme ailleurs dans les anciens pays de mission,
est consciente d’avoir beaucoup reçu des consacrés. La plupart
des missionnaires qui ont apporté le message évangélique à la
nation congolaise étaient membres d’Instituts religieux, d’Instituts séculiers ou de Sociétés de vie apostolique. Plus d’une
œuvre sociale de l’Eglise Famille de Dieu au Congo furent fondée par les consacrés. Au lendemain de l’Indépendance (1960),
plusieurs diocèses congolais étaient encore sous la responsabilité directe des consacrés. Notre survol de l’histoire de l’évangélisation de ce pays au centre de l’Afrique a deux objectifs : comprendre le rôle de la vie consacrée dans l’Eglise du Congo et situer l’Exhortation des évêques congolais dans l’évolution du
christianisme en RDC.
Les consacrés dans les phases de l’évangélisation de la RDC
Le contact du Congo avec le christianisme s’est réalisé en deux
phases principales. La première évangélisation eut lieu de 1482
à 1835 dans la partie occidentale du pays qui faisait partie du
Royaume Kongo ; celui-ci s’étendait jusqu’aux actuels territoires
1. CENCO, Exhortation aux consacrés : Frères et sœurs consacrés, réveillez-vous ! avancez au large ! (cf. Ap 3, 2 ; Lc 5, 4), Ed. Secrétariat général de la CENCO, Kinshasa 2005.
(Désormais cité dans ce texte sous l’abréviation Exhortation).
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Léon Ngoy Kalumba, s.j.
de l’Angola, de Cabinda, du Congo-Brazza. Les promoteurs de
cette première évangélisation furent principalement les missionnaires capucins et jésuites italiens, espagnols et portugais. On
peut signaler quelques faits remarquables de cette première évangélisation : le baptême du prince Mvemba a Nzinga qui succédera
à son père, le roi Nzinga Nkumu, en 1506 en prenant le nom d’Affonso Ier ; l’ordination épiscopale de Don Henrique, fils d’Affonso
Ier, premier évêque noir d’Afrique ; il reçut l’invitation du SaintSiège à se rendre au Concile de Trente mais mourut avant la tenue
du Concile ; l’érection par le pape Clément VIII du diocèse de San
Salvador de Kongo ; le roi du Kongo nomme un ambassadeur permanent près le Saint-Siège (le premier ambassadeur est enterré à
Rome dans la basilique Sainte-Marie-Majeure) ; l’édition du premier catéchisme bilingue portugais-kikongo écrit par les pères jésuites ; la création par la Propaganda fide de la Préfecture apostolique du Kongo 2. Parmi les raisons à la base de l’interruption de
cette évangélisation, on peut signaler le manque de relève des
missionnaires et la rigueur des conditions climatiques.
La deuxième évangélisation va de 1880 à nos jours. Elle s’est
progressivement étendue sur tout le territoire de l’actuelle RDC
grâce notamment à l’arrivée successive de nombreux Ordres et
Congrégations : Pères du Saint-Esprit (1880), Pères Missionnaires
d’Afrique, appelés Pères blancs (1880), les Missionnaires du Cœur
Immaculé de Marie (Pères de Scheut) (1888), les Sœurs de la Charité de Jésus et Marie (1892), les Jésuites (1893), les Sœurs de NotreDame (1894), les Sœurs Missionnaires d’Afrique, dites Sœurs
Blanches (1895), les Franciscaines Missionnaires de Marie (1896),
les Prêtres du Sacré-Cœur (1897), les Rédemptoristes (1897), etc.
L’extension de ces Instituts ainsi que l’arrivée des nouvelles
congrégations se poursuivent à grand pas pratiquement jusqu’aux
2. Conférence nationale du Zaïre (CEZ), Année du Centenaire, 3 juin 1979 — 29 juin
1980. Célébration, Ed. du Secrétariat général, Kinshasa, 1979, p. 5-6 ; M. STORME, « Engagement de la Propagande pour l’Organisation territoriale des Missions au Congo »
in Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria Rerum, Vol. III/1, Rome/Fribourg-en-Bresgau, 1975, p. 256-294 ; F. BONTINCK, « Ndoadidiki ne Kinu a Mubemba,
premier évêque Kongo (1495-1531) » in RAT 6 (1979) ; Marcos IORGE, M. CARDOSO, Doutrina christaa, Gerardo da Vinha, Lisboa, 1624 ; F. BONTINCK, Le catéchisme kikongo de
1924, Réédition critique, Coll. « Mémoire de l’Académie royale d’Outre-mer »,
Bruxelles, 1978.
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Vie consacrée et évangelisation dans l’Eglise Famille de Dieu en RDC
années 1950 et de façon moins soutenue jusqu’à nos jours. Pendant ce temps, on assiste à la naissance des familles religieuses autochtones encouragée sûrement par l’esprit de l’Encyclique Rerum
ecclesiae de Pie XI portant, entre autres, sur la promotion du clergé
et des congrégations indigènes.
Les Instituts de Vie consacrée autochtones
Lors de leur première conférence plénière, les Ordinaires du
Congo affirment ce qui suit :
Dans l’intérêt de nos Eglises, nous croyons qu’il serait préférable de ne pas favoriser l’entrée des indigènes dans les
Congrégations européennes. Nos petites congrégations naissantes restent notre espoir, même et surtout pour l’avenir, et
elles méritent qu’on les aime, qu’on les aide, qu’on leur fasse
confiance, pourvu qu’on les forme sérieusement à la vie religieuse, les établissant dans l’humilité et la charité surnaturelle opposée à l’égoïsme et à l’orgueil du paganisme 3.
En réalité, les pasteurs congolais, attentifs à la tradition de
l’Eglise, ne vont empêcher ni l’implantation des familles religieuses
d’origine étrangère en terre congolaise, ni l’entrée des autochtones
dans ces Instituts ; leurs efforts iront plutôt dans le sens de poursuivre l’évangélisation en profondeur de l’homme et de sa culture ;
ceci suppose entre autres, la promotion des diverses formes de vie
évangélique dans l’écoute de l’Esprit et le discernement de ses
dons. Ils soutiennent que « la vie religieuse qui surgit au sein de nos
Eglises locales est accueillie comme un don de Dieu et est appelée
à s’organiser, selon son charisme, dans le cadre organique de ces
mêmes Eglises dont elle est et sera le témoin dans le monde 4 ».
3. Première Conférence plénière des Ordinaires du Congo Belge et Ruanda-Urundi,
1932, p. 123 ; CEZ, La vie consacrée dans l’Eglise particulière du Zaïre. Instructions et
directives de l’Episcopat, Editions du Secrétariat Général, Kinshasa-Gombe, 1985,
no 132.
4. Idem, nos 141.
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On peut distinguer deux vagues dans la naissance des Instituts
autochtones : la première va des années 1920 aux années 1950 avec
des congrégations qui sont nées dans la conviction que la grâce de
Dieu est aussi reçue par les « peuples nouvellement venus au
Christ » et « capables de professer et d’assumer pleinement la pratique des conseils évangéliques dans la vie religieuse 5 » ; ces
congrégations ont généralement reçu la mission d’éduquer leurs
frères et sœurs indigènes à la culture évangélique. Certains pionniers de l’Evangile dans cette région au cœur de l’Afrique avaient
vite compris qu’on ne pouvait pas évangéliser l’Afrique sans les
Africains : c’est le cas du cardinal Lavigerie 6, fondateur des Missionnaires d’Afrique, et de Mgr Comboni, fondateur de la famille
religieuse des missionnaires comboniens. Par ailleurs, plusieurs
documents du Magistère romain encouragent les missionnaires à
créer parmi les autochtones des agents évangélisateurs de leurs
frères 7.
De cette première vague, on peut citer les Congrégations suivantes : Sœurs de Saint Joseph — Auxiliatrices de l’Eglise (KalemieKirungu 1920) ; Sœurs du Cœur Immaculé de la Bienheureuse
Vierge-Marie de Kongolo (1922) ; Sœurs Servantes de Marie de
Boma (1928) ; Filles de Marie, Reine des Apôtres (Bukavu 1932) ;
Sœurs de la Sainte Famille-Jamaa Takatifu de Kisangani (1936) ;
sous l’appellation des Frères de Saint Joseph, plusieurs congrégation masculines ont été fondées à plus d’un endroit (Boma-1926,
Mikalayi-1926, Mbuji-Mayi-1926, Kisantu-1934, Lisala-1935) ;
Frères Joséphites de Kinzambi (1937) ; Sœurs de Sainte Marie de
Kisantu (1940), etc.
La deuxième vague qui commence vers la fin des années
soixante a vu naître des congrégations religieuses marquées par
l’appel à répondre aux besoins pastoraux de l’Eglise au Congo à
5. Idem, nos 122.
6. C. LAVIGERIE, Enseignement sur la vie religieuse et l’apostolat africain, Saint-Charles
de Kouba, Alger, 1951 ; J. PERAUDIN, Lavigerie : ses principes missionnaires, Fribourg
(sd) ; lire aussi le travail de E. KANKE KYEZI, Etre « Mama » dans l’Eglise selon le charisme
et la spiritualité des sœurs de Saint Joseph-Auxiliatrices de l’Eglise, Mémoire de licence,
Institut Pontifical « Regina Mundi », Université Pontificale Grégorienne, Rome, 1987
(inédit).
7. ALEXANDRE VII, Instruction à l’usage des vicaires apostoliques en partance pour les
royaumes chinois de Tonkin et de Cochinchine (1659) ; LÉON XIII, Lettre apostolique Ad
Extremas (1893) ; BENOÎT XV, Lettre encyclique Maximum Illud (1919).
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Vie consacrée et évangelisation dans l’Eglise Famille de Dieu en RDC
travers les diocèses, mais aussi par le souci de l’inculturation ou
de l’incarnation de l’Evangile dans les cultures autochtones. Le
Cardinal Malula, fondateur de la Congrégation des Sœurs de
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (1967), explique son intuition
dans la création de cette nouvelle congrégation des filles congolaises : « Toute mon entreprise se résume dès lors en trois motsclés : former des filles qui soient pleinement femmes, authentiquement africaines, authentiquement religieuses 8. » Les valeurs
culturelles africaines, telles que la joie, le sens de l’accueil, le sens
communautaire, le sens de la globalité, le sens du symbole, seront
spécialement soulignés dans la vie des consacrés. On retrouve aujourd’hui dans pratiquement tous les diocèses du Congo au
moins une congrégation féminine de droit diocésain née localement 9 ; le nombre des familles religieuses masculines de droit
diocésain est, par contre, beaucoup plus réduit 10.
C’est donc « sous l’habit religieux que l’Afrique rencontre le
christianisme » :
Les religieux missionnaires ont traversé trois étapes : dans la
première, immortalisée par le Broussard héroïque, il est surtout un diffuseur du kérygme, en parcourant les sentiers africains, voyageurs, itinérants, comme Paul semant la Parole à
travers l’empire romain. Dans la deuxième phase, le religieux missionnaire devient gestionnaire d’Eglises : vicariats
et préfectures apostoliques. Dans la troisième phase, la nôtre,
8. Cardinal MALULA, Œuvres complètes du Cardinal Malula (rassemblées et présentées par Léon de Saint Moulin, s.j.) Vol. V : Textes concernant la vie religieuse, Faculté
catholique de Kinshasa, Kinshasa, 1997, p. 10.
9. Par exemple Filles de la Résurrection à Bukavu (1966) ; Sœurs de la famille Backita
à Lubumbashi (1967) ; Sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de Mbuji-Mayi (1959),
de Lisala (1967), de Basankusu (1975), de Budjala (1980), de Bokungu (1983) ; Sœurs
du Cœur Immaculé de Marie de Lwebo (1960), de Lwiza (1960), de Kananga (1961) ;
Sœurs de Marie Reine des Apôtres de Kabinda (1969) ; Sœurs Congolaises de l’Immaculée Conception de Inongo (1969) ; Sœurs de Jésus Educateur de Bondo (1970) ; Sœurs
de Sainte Marie de Matadi (1970) ; Sœurs de la Mère du Sauveur (1976) ; Filles de Saint
Dominique (1979) ; Sœurs de Marie Reine de la paix de Kenge (1985) ; etc.
10. Frères de l’Assomption de Butembo (1952), Frères de Notre-Dame des Apôtres de
Kasongo (1959), Fraternité Balangwa Kristu de Basankusu (1976), Frères de St Joseph
Travailleur de Mbandaka (1978), Frères de Saint François d’Assise de Likasi (1979), Société de Marie Immaculée de Mangaï-Idiofa (1980), Congrégation du Fils de Dieu de
Kananga (1980), Frères du Verbe Incarné de Kalemie-Kirungu (1982), etc.
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Léon Ngoy Kalumba, s.j.
le religieux a surtout à trouver et développer sa spécificité au
sein d’Eglises diocésaines et interdiocésaines 11.
Les consacrées congolaises — et aujourd’hui beaucoup d’autres
consacrées africaines — portent généralement le pagne comme
habit religieux : le pagne est normalement l’habit de la femme
congolaise (africaine) désignée dans les cultures de ce pays par
« maman » ou « mama ». D’ordinaire, les consacrées portent un seul
pagne (« mono-pagne ») comme le faisaient habituellement les
femmes célibataires des années soixante et soixante-dix, époque
du début de cette pratique : une façon de marquer leur consécration au Seigneur à travers le célibat consacré et d’autres vœux religieux par cet habit local, simple, modeste, pauvre et décent ; la tête
est couverte d’un foulard — dit kitambala dans plusieurs langues
de la RDC — et la blouse, cousue du même tissu que le pagne.
S’adressant aux religieuses lors de la cérémonie du port d’habit, le
cardinal Malula déclare :
Ce pagne te rappelle toujours la Maman africaine : que tu
veux être en Dieu et dont tu veux spiritualiser la fécondité ;
avec laquelle et pour laquelle tu veux vivre pour lui apporter
le Christ ; dont tu veux garder la spontanéité et l’expansivité
pour manifester au monde la joie des ressuscités ; dont tu veux
garder la capacité de souffrir pour « achever ce qui manque à
la passion du Christ » ; dont tu veux garder la capacité d’attendre pour te mettre à l’écoute de Dieu, te disposer au silence
et à la contemplation ; dont tu veux garder l’âme hospitalière
pour s’ouvrir aux dispositions évangéliques d’accueil, de respect profond pour chaque être humain 12.
11. NGENZHI LONTA, « Vie consacrée en Afrique » in Le charisme de la vie consacrée.
Actes de la Quinzième Semaine théologique de Kinshasa (14 au 20 avril 1985), Faculté
de Théologie catholique, Kinshasa 1985, p. 23.
12. Cardinal MALULA, Œuvres complètes du Cardinal Malula…, op. cit., p. 84. Certaines
congrégations religieuses féminines ont aujourd’hui opté pour le port de deux pagnes
pour justement marquer leur identité de « maman africaine », c’est-à-dire, leur maternité spirituelle. Et dans l’une ou l’autre Congrégation, les sœurs professes se font
effectivement appeler « mama ».
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Vie consacrée et évangelisation dans l’Eglise Famille de Dieu en RDC
Quelques chiffres
En 1924, on pouvait avancer les chiffres de 500 prêtres, 250
frères ou aides laïques et 300 religieuses européens. Les 150 postes
de mission étaient desservis par 7 500 catéchistes. Le Congo belge
avait 400 000 chrétiens baptisés et 300 000 catéchumènes. Le
grand séminaire de Baudouinville (aujourd’hui Moba) qui avait
déjà donné son premier prêtre, l’abbé Stéphane Kaoze, en 1917,
comptait une dizaine de grands séminaristes philosophes et théologiens, 9 petits séminaristes et 150 aspirants au sacerdoce. En
1959, l’Eglise au Congo totalisait 32 vicariats et 7 préfectures apostoliques de façon qu’en cette même année, le pape Jean XXIII érigeait la hiérarchie au Congo Belge avec 6 archevêques, 26 évêques
dont 3 autochtones (Mgr P. Kimbondo, Mgr J. Nkongolo, Mgr J.
Malula), et 7 Préfets apostoliques 13.
En termes de circonscriptions ecclésiastiques de la deuxième
évangélisation, tout part du Provicariat apostolique du HautCongo (1886) devenu Vicariat apostolique en 1895 confié aux
Pères Blancs, et du Vicariat apostolique du Congo Belge créé en
1888 confié aux Pères Scheutistes. Ces deux Vicariats donneront
naissance à toutes les autres circonscriptions du Congo Belge en
sorte qu’on compte en 1923, quarante-trois ans après le début
de la deuxième évangélisation, 7 vicariats et 10 préfectures apostoliques, toutes confiées aux Instituts de vie consacrée : Compagnie de Jésus, Pères Prémontrés, Prêtres du Sacré-Cœur de
Jésus, Pères Bénédictins, Salésiens de Don Bosco, Pères du SaintEsprit, Capucins, Pères Rédemptoristes, Pères Dominicains,
Pères Franciscains, etc. 14
L’Eglise Famille de Dieu au Congo compte aujourd’hui 47
diocèses regroupés en 6 provinces ecclésiastiques, 50 évêques,
3 353 prêtres séculiers 15. On peut aisément comprendre qu’un
passage s’est opéré de la gestion de l’Eglise par les missionnaires
13. CEZ, Année du Centenaire, 3 juin 1979-29 juin 1980…, op. cit., p.11.
14. Idem, p. 9-11.
15. CENCO, Le clergé séculier de la République Démocratique du Congo 2003-2004,
Ed. du Secrétariat général de la CENCO, Kinshasa, 2005 ; Annuaire de l’Eglise Catholique de la R.D.Congo 2003-2004, idem ; COMMISSION ÉPISCOPALE DE L’ÉVANGÉLISATION,
Ordo 2005-2006, idem, p. 313-319.
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(consacrés) à celle tenue par les autochtones (séculiers) 16, et
que, tenant compte de cette évolution, il serait logique de penser à l’augmentation du nombre de diocèses et de paroisses dans
un proche avenir. Les consacrés continuent à collaborer à cette
évangélisation, chacun selon le charisme de sa famille religieuse,
et en collaboration avec le clergé local et les laïcs.
La vie consacrée constitue aujourd’hui une réalité en RDC :
les religieux, religieuses et membres des Sociétés de Vie apostolique sont estimés au nombre de onze mille appartenant à 251
Instituts sur une population de plus de cinquante millions dont
plus de la moitié sont catholiques. Les 84 familles religieuses
masculines sont regroupées au sein de l’Assemblée des Supérieurs majeurs (ASUMA) alors que les 167 familles féminines se
réunissent au sein de l’Union des Supérieures majeures
(USUMA) 17. Il convient de signaler aussi l’existence des Instituts
séculiers et de Communautés nouvelles, d’origine congolaise
(africaine) ou non. Présente en RDC sous toutes ses formes, la
vie consacrée s’efforce de témoigner de l’amour et du primat du
Christ « parfois dans des situations difficiles et héroïques, dans
des conditions de pauvreté extrême 18 » : bon nombre de consacrés ont choisi de rester auprès des populations éprouvées pour
leur apporter l’assistance, le réconfort et le soutien spirituel nécessaires, « certains jusqu’à verser leur sang pour le Christ ;
d’autres, dans un attachement quotidien au Christ que seul Dieu
peut apprécier à sa juste valeur 19 ».
16. COMMISSION PARITAIRE « ÉVEQUES-SUPÉRIEURS MAJEURS », Conventions entre les Ordinaires des lieux et les Instituts missionnaires, Ed. Secrétariat général – Asuma, Kinshasa, 1972.
17. Cf. Statistiques de l’an 2004 : ASUMA, Religieux et Religieuses en République Démocratique du Congo 2004. Religieux, Secrétariat Général de l’ASUMA, Kinshasa,
2005 ; USUMA, Religieux et Religieuses en République Démocratique du Congo 2004.
Religieuses, Secrétariat général de l’USUMA, Kinshasa, 2005. Les membres des Instituts séculiers ne figurent pas dans ces catalogues, n’étant pas membres de l’ASUMA
et de l’USUMA.
18. Exhortation, no 6
19. Idem.
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Vie consacrée et évangelisation dans l’Eglise Famille de Dieu en RDC
Quelques options
Les options des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de
vie apostoliques peuvent être reparties en trois groupes : le social, l’inculturation et la redécouverte de l’identité religieuse.
Le social
L’œuvre évangélisatrice au Congo s’est fait accompagner par
la création d’œuvres sociales réalisées par les missionnaires,
hommes et femmes, appartenant aux Instituts de vie consacrée.
Le réseau scolaire de l’enseignement primaire, secondaire et
professionnel fut dans l’ensemble créé par les missionnaires. Les
Instituts supérieurs ainsi que la première université congolaise
(Lovanium) furent fondés par l’Eglise catholique. Il en est de
même pour les entités médicales.
L’orientation sociale des interventions de l’épiscopat congolais a souvent attiré l’attention 20. Eglise et société aura été un des
thèmes centraux dans l’enseignement des évêques de la RDC
pendant les trente dernières années. La situation de grande pauvreté et de dépendance déshumanisantes de la majorité des
congolais inquiète les pasteurs de ce pays : les évêques de la RDC
ont alors choisi l’option d’accompagner les engagements de la
population pour l’indépendance, pour le développement et
pour la démocratisation du pays 21. Au nom de l’évangile, ils ont,
à plusieurs reprises, pris position pour dénoncer la mauvaise
gestion de la chose publique et proposer des voies de redressement de la situation. Il va de soi que cette option sociale des pasteurs congolais marque aussi la vie de l’ensemble des Instituts
religieux, séculiers et Sociétés de vie apostoliques présents dans
ce pays au cœur de l’Afrique.
20. Lire par exemple L. DE SAINT MOULIN et R. GAIZE N’GANZI, Le discours socio-politique de l’Eglise catholique du Congo (1956-1998). Eglise et société. Tome 1 : Textes de
la Conférence épiscopale, Facultés catholiques de Kinshasa, Kinshasa, 1998 ; CENCO,
Annuaire de l’Eglise catholique de la R. D. Congo, Ed. du Secrétariat général, Kinshasa,
2004, p. 10-11 ; id., Manuel de référence d’éducation civique et électorale. Tome I : Modules I à IV, id., Kinshasa, 2004 ; id., Manuel de référence d’éducation civique et électorale. Tome II : Module V, éducation électorale, id., Kinshasa, 2005.
21. Mgr L. MONSENGWO PASINYA, in L. DE SAINT MOULIN et R. GAIZE N’GANZI, Le discours
socio-politique de l’Eglise catholique du Congo, p. 11.
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Plus d’un thème retenu par les Assemblées plénières de l’Asuma
et de l’Usuma sont liés à la situation sociopolitique du pays. Les années soixante-dix sont marquées par la politique de la nationalisation des universités et d’établissements d’enseignement primaire,
secondaire et supérieur. Les supérieurs majeurs, masculins et féminins, vont entamer une réflexion sur la place de vie consacrée
dans la nouvelle configuration politique de la nation congolaise :
l’autonomie du pouvoir temporel et la mission spécifique de
l’Eglise. La question de Justice et de paix ne va pas laisser indifférents les consacrés, témoins des méfaits dont sont victimes leurs
contemporains ou les fidèles auprès de qui ils sont appelés à vivre
ou à exercer leur ministère. Le rôle joué par les consacrés dans les
commissions diocésaines et nationales de Justice et Paix n’est pas
négligeable.
L’Inculturation et théologie du concile Vatican II
L’Eglise Famille de Dieu en Afrique considère l’inculturation
comme prioritaire dans ses efforts pastoraux et dans la réflexion
théologique. Si, au départ, l’inculturation a été comprise comme
implantation, puis adaptation du christianisme et des charismes
des familles religieuses, aujourd’hui elle est considérée comme
exigence de l’Incarnation ; le synode africain y ajoute la dimension de la Rédemption 22.
Les autres thèmes retenus par les Assemblées de l’Asuma et
de l’Usuma traduisent le souci du monde des consacrés d’approfondir la théologie de la vie selon les conseils évangéliques :
théologie de la vie religieuse selon Vatican II ; rôle de l’apostolat,
de la prière ou l’importance de la vie communautaire dans la vie
religieuse ; rôle du supérieur dans la communauté religieuse ;
place de la vie religieuse dans l’Eglise, etc. La question de la création des structures de formation communes et locales a préoccupé les Supérieurs ; il en est de même pour des initiatives dans
le sens d’autofinancement. Bien que timidement, les pistes tra-
22. J. KALONGA, Inculturation de la vie consacrée en Afrique à l’aube du troisième millénaire. Actes du cinquième colloque international, Ed. Carmel Afrique, Kinshasa, 1998,
p. 135-250
50
Vie consacrée et évangelisation dans l’Eglise Famille de Dieu en RDC
cées par le concile Vatican II et par le premier synode africain
sont en train d’être exploitées.
A la redécouverte du charisme religieux
Aux problèmes ci-dessus soulignés, s’ajoute aujourd’hui
celui de l’identité de la vie consacrée. Les défis multiformes de
notre société bousculent aussi la vie à l’intérieur des Instituts de
vie consacrée. Les consacrés sont-ils encore des modèles, des
signes pour le peuple ? La question de la crédibilité se pose. Dans
cette nouvelle configuration sociale, la vie consacrée est alors
appelée à se redéfinir, à réexaminer ses formes de visibilité et
d’insertion dans le monde d’aujourd’hui.
La redécouverte du charisme signifie pour beaucoup savoir
redire, avec les mots d’aujourd’hui, le charisme de la vie consacrée dans son ensemble et de chaque famille religieuse en particulier. Dans certaines congrégations jeunes ou nouvelles, il
s’agit encore de définir leur être consacré et de tracer les contours de leur identité religieuse.
Dans l’ensemble, tout ce qui précède justifie l’action de grâce
que l’Eglise du Congo avait entonnée lors de la célébration du
centenaire de la deuxième évangélisation en 1980 prenant
comme thème « Solidarité et partage » ; et celle qui se prépare
cette année pour commémorer les cent vingt-cinq ans de cette
même deuxième évangélisation. A la suite du synode africain
tenu en 1994, Jean-Paul II estime que cette « croissance formidable de l’Eglise en Afrique durant les cent dernières années » et
« les fruits de sainteté qui ont été obtenus » viennent de Dieu,
« car aucun effort humain ne pourrait avoir accompli une telle
œuvre dans cette période relativement brève 23 ».
Considérations finales
Ce rapide parcours de l’histoire de l’évangélisation de la RDC
permet de mieux comprendre l’Exhortation de l’épiscopat congo-
23. JEAN-PAUL II, Ecclesia in Africa, no 33 ; Exhortation, no 14.
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Léon Ngoy Kalumba, s.j.
lais aux membres des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de
vie apostolique. Elle comporte plusieurs blocs. Le premier renferme les motifs de joie et de fierté de la présence des consacrés
au Congo (nos 6-9) : l’annonce de l’Evangile, les nombreuses vocations, la présence de toutes les formes de la vie consacrée en
RDC. Dans le deuxième bloc, les évêques invitent les consacrés à
se mettre à la suite des pères africains de la vie consacrée comme
saint Antoine (nos 10-15). Les évêques rappellent ensuite l’exigence, pour les consacrés, de mettre le Christ au centre de leur vie
et de prendre au sérieux leur consécration au Seigneur à travers
les conseils évangéliques (nos 16-23). Enfin, tenant compte de la
crise multiforme que traverse la société congolaise, les consacrés
doivent s’engager dans la voie du renouveau pour rendre toujours
vivant ce trésor de la vie selon les conseils évangéliques sur le sol
et la culture congolais : ne pas oublier le Christ, ne pas se modeler sur le monde, être prophète pour ce temps, rester fidèles au
charisme de l’Institut, travailler à l’inculturation de la vie religieuse au Congo, reste en communion avec les pasteurs de
l’Eglise, se former en profondeur (nos 24-43).
L’Exhortation constitue une invitation à rendre toujours actuel et vivant le don de la vie selon les conseils évangéliques. Le
continent africain qui accueillit l’Enfant Jésus sur son sol, y a
aussi vu naître les premières formes de la vie de consécration au
Seigneur à travers les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Les consacrés sont appelés à être des prophètes pour le monde d’aujourd’hui, chacun selon le charisme
propre de sa famille religieuse et de sa personne, mais toujours
en conformité avec l’Eglise :
Vous êtes tous appelés à être des signes de contradiction, des
prophètes à la mesure de votre temps. Votre identité est
d’être des « marginaux » dans des situations-frontières, des
trouble-fêtes du statu quo social, des veilleurs et des
éveilleurs de vos frères et sœurs. Vous pouvez vous impliquer dans le débat d’idées de notre société pour y proposer
la solution radicale de l’Evangile de Jésus Christ. Aidez à
construire des foyers de culture pour le développement de
tout l’homme et de tout homme. Désirez voir s’installer le
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Vie consacrée et évangelisation dans l’Eglise Famille de Dieu en RDC
règne de Dieu parmi nous. Développez et manifestez un regard de foi sur les événements ; ainsi vous ne vous laisserez
pas modeler par le monde mais aiderez nos contemporains
à le transformer de l’intérieur. Les membres des Instituts
apostoliques s’y consacreront dans l’action et la prière. Cachés dans le mystère de Dieu, les contemplatifs qui sont retirés du monde dédient pourtant toute leur vie, dans le silence, le jeûne et la prière, à la conversion du monde. Ceux
des Instituts séculiers le feront, dans la discrétion et la charité parfaite, en participant à la transformation du monde
tout en étant plongés dans le monde à la manière du levain
dans la pâte 24.
✍ Léon Ngoy Kalumba, s.j.
Kinshasa, RDC
[email protected]
La toute première exhortation adressée récemment par la Conférence des
Evêques du Congo (RDC) aux membres de la vie consacrée est remarquable à plusieurs titres, comme le montre le secrétaire de la Commission épiscopale pour les religieux : d’abord en ce qu’elle retrace le rôle des
consacrés, y compris autochtones, dans l’évangélisation de ce pays-continent, ensuite, parce qu’elle montre leurs options fondamentales, les situant ainsi dans l’évolution du christianisme en RDC. Un document exceptionnel, que ces pages invitent à lire intégralement.
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24. Exhortation, no 29 ; Mt 13, 33.
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