INTRODUCTION
Marcel Mauss est un auteur relativement peu commenté en sociologie et en
anthropologie : cité le plus souvent pour son idée de fait social total et pour sa célèbre
interprétation de la kula et du potlatch dans l’Essai sur le don, il est toutefois plus rare qu’on
aborde ses travaux plus en profondeur. Dans les cours d’histoire de la pensée sociologique et
anthropologique, on en fait parfois un simple héritier et successeur de Durkheim. Or, dans
l’ombre de l’imposante figure de l’oncle, Mauss fait bien plutôt figure d’héritier hétérodoxe de
l’École durkheimienne. À l’inverse, il passe bien souvent comme le précurseur du mouvement
structuraliste qui domine la pensée sociale française durant les années 1960 et 1970 : depuis la
célèbre « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » de Claude Lévi-Strauss publiée en
introduction d’un recueil de textes de Mauss, Sociologie et anthropologie (1950)
, c’est en fait
une interprétation structuraliste qui a dominé la lecture de ses travaux. Ce recueil a participé à
faire relire Mauss par certains auteurs appartenant principalement à la phénoménologie
française (Claude Lefort, Maurice Merleau-Ponty) à partir des années 1960. Lefort et Merleau-
Ponty seront les premiers à remettre en question la lecture structuraliste de l’œuvre de Mauss.
Entre un Mauss dogmatiquement durkheimien, fonctionnaliste et positiviste, et un Mauss
préfigurant le structuralisme, formaliste et aussi positiviste que le premier, ne pourrait-on pas,
ne devrait-on pas penser les travaux de Marcel Mauss pour ce qu’ils sont en eux-mêmes? C’est à
un tel effort (bien que toujours en fonction de leurs préoccupations respectives) que se prêtent
Lefort et Merleau-Ponty : Lefort décèlera chez Mauss une pensée fort éloignée du
structuralisme qu’il critique, se rapprochant plutôt de la phénoménologie; de façon similaire,
Merleau-Ponty, dans Signes
, rapprochera plutôt Mauss d’une sociologie compréhensive de type
wébérienne que d’une sociologie à ambition explicative, voire parfois déterministe, strictement
durkheimienne. Toutefois, mis à part quelques travaux plus nuancés, c’est largement une
interprétation structuraliste des travaux de Mauss qui dominera la pensée de 1960 à
aujourd’hui, et celle-ci tend à minimiser l’importance théorique des travaux de Mauss
puisqu’elle fait de Lévi-Strauss le véritable « découvreur » du sens du symbolisme.
Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », dans Sociologie et anthropologie, Paris,
PUF, « Quadrige », 1950 (2003), pp. IX – LII.
Maurice Merleau-Ponty, « Le philosophe et la sociologie » et « De Mauss à Claude Lévi-Strauss », dans
Signes, Paris, Gallimard, 2001, pp. 123-157.