La Corée du Sud depuis 2008, ou comment gérer une crise

Mai 2010 Conjoncture 3
La Corée du Sud depuis 2008,
ou comment gérer une crise
Christine Peltier
ix ans après la “crise asiatique”, la Corée du Sud
a de nouveau traversé une grave tempête
financière et économique fin 2008 et début 2009.
Le pays n’a cette fois pas été l’épicentre de la crise,
contrairement à l’épisode de 1998. Il a cependant été à
l’évidence un des pays les plus fragilisés en Asie par
l’assèchement de la liquidité en dollars et par
l’effondrement du commerce mondial. La Corée du Sud
est une petite économie ouverte, très intégrée au
commerce international et spécialisée dans des biens
qui ont été particulièrement affectés par la chute de la
demande mondiale. Par ailleurs, le pays est vulnérable
au retournement de la confiance des investisseurs
puisque la dette à court terme et les investissements de
portefeuille occupent une place prépondérante dans ses
entrées de capitaux étrangers. Autant de facteurs qui
expliquent la gravité des chocs subis à la fin 2008 ainsi
que le pessimisme des projections faites au début de
2009 sur l’économie coréenne.
Or, comme dans de nombreux autres pays
émergents, la confiance des marchés pour les
signatures coréennes s’est améliorée dès le printemps
2009, et la Corée du Sud a connu l’année dernière un
redressement rapide de sa croissance et de ses
comptes extérieurs. En outre, les banques coréennes
ont bien résisté à la crise, leur performance ne s’est pas
dégradée autant qu’on l’avait craint initialement.
Les autorités coréennes ont joué un rôle majeur
dans le redressement de l’économie en 2009. Fortes de
leur expérience de 1998, elles ont rapidement mis en
place une stratégie globale de gestion de la crise et
adopté une série de mesures ciblées dans les domaines
budgétaire, monétaire, bancaire ainsi que dans le
secteur des entreprises non financières. La bonne santé
des finances publiques et la solidité du secteur bancaire
ont créé un terrain favorable à une action efficace des
pouvoirs publics face aux chocs extérieurs. La faiblesse
du won et la vigueur de la demande chinoise ont, quant
à elles, grandement favorisé le redressement des
exportations coréennes.
La croissance devrait rester forte à court terme,
portée notamment par des fondamentaux
macroéconomiques solides et la vigueur du secteur
industriel exportateur. Le pays devra cependant aussi
remédier à certaines fragilités. En particulier,
l’endettement élevé des ménages et des PME implique
des risques de crédit importants pour les banques. La
capacité de remboursement des emprunteurs pourrait
notamment se dégrader à la suite du resserrement de la
politique monétaire attendu dans les prochains mois.
La Corée du Sud au centre de la
tempête asiatique en 2008
La récente crise a mis en lumière la vulnérabilité de
la Corée du Sud aux chocs financiers et commerciaux
extérieurs.
La crise financière internationale a durement frappé le
pays…
Au cours de l’année 2008, les pays émergents ont
subi les effets de contagion liés aux turbulences
financières internationales, enregistrant d’importantes
sorties de capitaux et une chute de leurs cours
boursiers et de leurs monnaies. A partir de septembre,
la crise de liquidité internationale a entraîné un
resserrement draconien des conditions de crédit en
Asie : envolée des coûts d’emprunt en dollar US
offshore et onshore, impossibilité de refinancer la dette
extérieure pendant quelques semaines et paralysie
temporaire des marchés interbancaires.
Dans cette tempête, les institutions sud-coréennes
se sont révélées particulièrement vulnérables à la
D
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2005 2006 2007 2008 2009 2010
Moyenne des indices en Asie
émergente
Indice de Séoul
01/01/2006 = 100
Indices boursiers
Graphique 1 Sources : Ecowin, BNP Paribas
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2005 2006 2007 2008 2009 2010
Won coréen
Moyenne des monnaies en Asie
émergente
01/01/2006 = 100 Dépréciation
Taux de change contre dollar US
Graphique 2 Sources : Ecowin, BNP Paribas
(en excluant Chine et Hong Kong)
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2007 2008 2009 2010
Corée du Sud
Libor
Taux à un an, %
Coût d'emprunt USD sur le marché onshore
Graphique 3 Sources : Ecowin, BNP Paribas
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Corée du Sud
Thaïlande
Chine
Malaisie
points de base
Primes de CDS souverains à 5 ans
Primes de CDS souverains
Graphique 4 Source : Ecowin
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01-08 07-08 01-09 07-09 01-10
Industrial Bank of Korea
Hyundai Motor Co.
Kookmin Bank
Samsung Electronics
points de base Primes de CDS à 5 ans
Primes de CDS entreprises et banques
Graphique 5 Source : Bloomberg
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97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10
mds USD
Réserves de change
Graphique 6 Source : FMI
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Dette extérieure coréenne (mds USD)
Décembre
2005 Décembre
2007 Septembre
2008 Décembre
2008 Mars 2009
Juin 2009 Décembre
2009
Total 188 383 426 378 365 379 402
Secteur bancaire : 83 193 219 169 162 168 181
- Banques coréennes 58 109 122 97 92 97 104
dont dette court terme 28 55 65 43 38 40 43
- Succursales de banques étrangères 25 84 97 72 70 71 77
dont dette court terme 23 79 94 68 65 66 72
Entreprises non financières 89 137 153 156 152 154 154
Gouvernement et banque centrale 16 54 53 52 52 56 67
Tableau 1 Source : CEIC
pénurie de dollars, suscitant de vives inquiétudes des
investisseurs et créanciers à l’égard de la position de
liquidité du système bancaire. Le won a chuté plus
fortement que la plupart des autres monnaies
asiatiques, tandis que la banque centrale a massi-
vement puisé dans ses réserves de change pour
approvisionner le marché local en dollars. Ces réserves
ont diminué de USD 243 milliards à 200 milliards entre
fin août 2008 et fin novembre (graphiques 1 à 6).
… car sa vulnérabilité extérieure s’était fortement accrue
La dépendance croissante de la Corée du Sud vis-
à-vis des flux de dette extérieure et d’investissements
de portefeuille en 2005-2008 l’ont exposée à un
retournement du sentiment des marchés. La
détérioration rapide de la balance courante en 2008 a
ensuite accru ses besoins de financement externe.
Importants besoins de refinancement de la dette
extérieure des banques
La dette extérieure de la Corée du Sud est passée
de USD 188 milliards en 2005 (22% du PIB) à
426 milliards en septembre 2008 (43% du PIB). Le
secteur bancaire a été le principal acteur de cette
montée de l’endettement. Les banques, et notamment
les succursales de banques étrangères, ont, en effet
massivement emprunté en dollars, pour offrir des
instruments de couverture de change aux exportateurs
coréens1, ainsi que pour financer des investissements
(achats de titres) et crédits en monnaie locale. Dans ce
contexte, la dette à court terme a été la composante
dont l’augmentation a été la plus importante (tableau 1).
Après la faillite de Lehman Brothers en septembre
2008, les institutions coréennes furent forcées de
procéder à d’importants remboursements de dette (avec
l’aide des autorités). La dette extérieure et, en
particulier, sa composante à court terme se sont alors
contractées considérablement en quelques mois. La
dette totale atteignait USD 365 milliards en mars 2009.
Important stock de « hot money »
Le stock total de hot money2, qui représentait entre
100% et 110% des réserves de change en 2001-2004, a
fait un bond à 183% en 2007 (graphique 7). Outre la
dette à court terme, les Investissements étrangers de
Portefeuille (IP) en actions sont entrés massivement à
partir de 2003. La nature spéculative de ces flux de
capitaux a rendu le pays vulnérable au retournement de
la confiance des investisseurs, ce qui s’est produit à
partir de fin 2007. Dans l’année qui a suivi, les sorties
nettes d’IP ont accompagné la chute de la Bourse de
Séoul. Avec l’éclatement de la crise financière mondiale
au dernier trimestre 2008, le hot money s’est évaporé
(diminution de la dette à court terme, fuite des IP).
Détérioration de la balance courante
En 2008, la balance courante a accusé un léger
déficit (-0,7% du PIB), pour la première fois depuis
1997. La forte dépendance du pays à l’égard à la fois
des importations énergétiques et des exportations de
biens industriels explique cette détérioration.
Mai 2010 Conjoncture 6
La Corée du Sud a d’abord fait face jusqu’à la mi-
2008 à la hausse du prix du pétrole. En 2008, ses
importations pétrolières ont augmenté de 42% (en USD)
pour représenter un quart de ses importations totales.
Puis, à partir de novembre 2008, l’effondrement des
lignes de trade finance et de la demande mondiale a
entraîné la chute des exportations coréennes (-19% en
glissement annuel au cours des deux derniers mois de
2008). La balance commerciale et la balance courante
se sont rapidement détériorées tout au long de l’année
2008 (graphique 8).
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mds USD
Hot money
Graphique 7 Sources : CEIC, BNP Paribas
Dette externe à CT
Investissements en portefeuilles actions
Hot money total
/
Réserves de change (%)
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Solde de la balance commerciale
Solde de la balance courante
Somme glissante sur 12 mois, mds USD
Balances commerciale et courante
Graphique 8 Source : CEIC
Alors que les besoins de financement extérieur de la
Corée ont augmenté en 2008 (déficit courant, besoins
de refinancement de la dette), ses sources de
financement se sont rapidement taries vers la fin de
l’année. C’est ce resserrement de la contrainte
financière extérieure qui a conduit à l’effondrement du
won et des réserves de changes, jusqu’en mars 2009.
Le choc sur l’économie réelle a également été sévère
La croissance économique, après avoir accéléré en
2006-2007, a commencé à marquer nettement le pas en
2008, avant l’éclatement de la crise financière mondiale.
La demande domestique privée avait ralenti depuis
début 2008, à cause d’un retournement cyclique dans
les secteurs du logement et de la construction, du choc
sur les prix de l’énergie et d’un resserrement monétaire.
En septembre-octobre 2008, le durcissement des
conditions de crédit à l’extérieur et sur le marché local a
accentué le fléchissement de la demande intérieure. A
partir de novembre 2008, l’effondrement de la demande
mondiale a eu un impact sans précédent sur l’Asie en
général et la Corée du Sud en particulier.
L’onde de choc s’est rapidement propagée dans
toute la région, en raison de la forte intégration de l’Asie
dans le commerce international et de sa spécialisation
dans des biens particulièrement touchés par le
ralentissement de la consommation privée aux Etats-
Unis (électronique, automobile…). Au final, la chute des
exportations coréennes (45% du PIB en 2008) a eu un
retentissement sévère sur l’ensemble de l’économie.
Conséquence directe de l’effondrement des
exportations et de la confiance, les entreprises ont
considérablement réduit leurs stocks et investissements
pendant les derniers mois de 2008. Les importations se
sont aussi nettement repliées. La consommation des
ménages s’est également affaiblie, leurs revenus
continuant de se détériorer à cause d’effets de richesse
négatifs liés à la chute des cours boursiers et de la
dégradation du marché du travail.
La croissance du PIB réel, qui avait déjà ralenti
progressivement au cours de l’année 2008, est devenue
négative au quatrième trimestre (-3,4% en glissement
annuel). Sur l’ensemble de l’année 2008, la croissance
économique a été de 2,2%, contre 5,1% en 2007.
A la fin 2008 était largement attendue une récession
prolongée de l’économie coréenne. C’était sans compter
sur le redressement rapide des exportations nettes de
marchandises et sur les mesures de relance mises en
œuvre par le gouvernement.
Le gouvernement a frappé vite et
fort pour répondre au choc
La réactivité des autorités face au choc financier et
le redressement rapide des comptes extérieurs ont
contribué à un apaisement des tensions financières et à
un rebond de la croissance dès mars 2009.
Les réponses du gouvernement face à la crise ont
été ambitieuses, bien ciblées et bien exécutées. Elles
Mai 2010 Conjoncture 7
ont inclus des mesures de soutien à la liquidité et à la
solvabilité du système bancaire, un important
desserrement de la politique monétaire et budgétaire, et
un programme de soutien aux entreprises non
financières visant à éviter un désendettement brutal et
ses conséquences en termes de faillites.
Contrairement à la situation qui prévalait pendant la
crise asiatique de 1997-98, le gouvernement coréen a
été en mesure de conduire des actions fortes depuis
2009, grâce à la bonne santé des finances publiques et
du secteur bancaire.
Mesures d’urgence pour stabiliser le secteur bancaire
Dès le début du mois d’octobre 2008, les autorités
ont adopté des mesures visant à stabiliser rapidement le
système financier. La banque centrale, en particulier, a
pleinement rempli son rôle de prêteur en dernier ressort,
permettant ainsi de raccourcir considérablement la
durée de la crise de liquidité.
Soutien à la liquidité en wons
Pour atténuer les tensions sur la liquidité en KRW,
la banque centrale (Bank Of Korea, ou BOK) a
fortement abaissé son taux directeur et augmenté l’offre
de monnaie locale dans le système financier.
La BOK a ainsi réduit son taux directeur de 5,25%
au début d’octobre 2008 à un plus bas historique de
2,0% en février 2009. Par ailleurs, elle a injecté
d’importantes liquidités dans le secteur bancaire au
travers d’opérations d’open market, ainsi que relevé son
« Aggregate Credit Loan Ceiling »3 pour accroître les
fonds disponibles pour les prêts aux PME, et augmenté
les ressources du « Fonds de Stabilisation du Marché
Obligataire ».
Au final, les taux courts sur le won sont
redescendus rapidement après la crise en septembre-
octobre 2008 (graphique 9). Les tensions sur la liquidité
en USD ont été plus importantes, mais ont finalement
duré moins longtemps qu’on ne pouvait le craindre.
Soutien à la liquidité en dollars
Pour atténuer les tensions sur la liquidité en USD, la
BOK a proposé aux banques locales des swaps et des
prêts de devises. L’encours total de devises ainsi
fournies a culminé à USD 24 milliards en janvier 2009,
pour diminuer ensuite régulièrement4.
Devant la chute rapide de ses réserves de change,
la banque centrale a recouru à des accords bilatéraux
de swap de devises avec les Etats-Unis, le Japon et la
Chine5. Le 29 octobre 2008, la BOK a conclu un accord
de swap d’un montant de USD 30 milliards avec la
Réserve fédérale américaine, d’une durée initiale de six
mois et qui a ensuite été reconduit jusqu’en février 2010
(cette reconduction début 2010 a constitué un élément
clé pour restaurer la confiance des marchés). Dans le
cadre de cet accord, la BOK pouvait activer le swap
chaque fois que nécessaire pour recevoir des dollars en
échange de wons, pour ensuite les fournir aux banques
locales6. Au total, la BOK a tiré USD 16 milliards
de cette ligne de swap, entre fin octobre 2008 et
mars 2009.
Par ailleurs, les autorités coréennes ont œuvré à
l’amélioration des conditions de financement en devises
des entreprises et des banques. La BOK a ainsi levé
certaines restrictions relatives à l’utilisation des prêts en
devises par les entreprises (qui avaient été introduites
en 2007 devant les craintes suscitées par la montée de
la dette externe à court terme et l’utilisation par les PME
d’instruments spéculatifs et de couverture).
Le gouvernement a aussi proposé aux banques de
garantir leurs emprunts en devises effectués avant juin
2009. Dans ce cadre, deux banques d’Etat, la Korea
Development Bank et l’Export Import Bank of Korea, ont
été les premières à lancer une émission sur les marchés
obligataires internationaux début 2009 (avec des
spreads élevés de 675 points de base). Ce fut, au
deuxième trimestre 2009, le tour de Hana Bank, qui fut
en fait la seule banque privée à recourir à ce
programme de garantie publique l’année dernière.
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Taux directeur (taux repo à 7 J) Taux interbancaire à 3M
Taux sur les titres d'Etat à 3A Taux sur les prêts bancaires
%
Taux d'intérêt
Graphique 9 Sources : Ecowin, FMI
Soutien à la solvabilité et à la qualité des actifs
Les autorités ont aussi rapidement mis en œuvre
des mesures visant à aider les banques à conserver des
bilans sains pendant la période de crise. Pour aider à
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