LA MORT ET L'AU-DELÀ DANS LE JUDAÏSME
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hébreu «mort»), une divinité de la mort qui, ä l'instar du
sheol
biblique, se
distingue avant tout par sa voracité: «[une lèvre vers la ter]re, une lèvre vers
les cieux, [... la lan]gue vers les étoiles»
5
, Môt dévore insatiablement les
vivants. Ces notions de l'au-delà ont certainement influencé l'Ancien Testa-
ment et on peut en retrouver des figures dans la lyrique biblique. Elles sont
pourtant exclues des textes de la Loi, ce qui est d'autant plus étonnant que
Moïse a emprunté plusieurs éléments (circoncision, interdiction de toucher au
porc,
etc.)
aux cultures avoisinantes, en particulier égyptienne. Or, concernant
le culte des morts, on note une stricte démarcation entre les deux religions:
du côté égyptien, l'embaumement, la richesse des tombeaux, des pyramides
et du mobilier funéraire; chez les enfants d'Israël, l'impureté du cadavre,
l'interdiction de nourrir les morts ou de leur faire la moindre offrande, indices
d'une mort déclarée taboue
6
.
La clef pour comprendre le refus de tout culte funéraire dans le Penta-
teuque est ä chercher dans les passages où il est question de nécromancie et
de nécromanciens
7
.
À titre d'illustration, je cite Lévitique 20, 6:
Si quelqu'un s'adresse aux morts et aux esprits, pour se prostituer ä eux, je
tournerai ma face contre cet homme, je le retrancherai du milieu de son peuple.
Le mot «nécromancie» (qui, en Deutéronome 18, 10-11, fait partie d'une
liste détaillée de rituels cananéens), ainsi que le verbe «se prostituer», évo-
quent clairement les rites cananéens, c'est-à-dire les rites les plus menaçants
pour le monothéisme et par conséquent interdits aux Israélites. Le rejet de
tout culte funéraire, et donc le rejet de l'au-delà dans les cinq livres de
Moïse, s'expliquent par la dangereuse proximité entre culte funéraire et culte
étranger, voire cananéen
8
.
Mais il n'y a pas de prohibition sans transgression! Le cas de nécroman-
cie le plus célèbre est celui du roi Saül qui consulte une magicienne ä En-Dor
(1 Samuel 28, 3-25). Les livres de Moïse ne sont donc pas le seul reflet de
l'époque biblique. Grâce aux documents prophétiques et poétiques, nous
savons que déjà les anciens Israélites croyaient en une existence après la
5
«Ba'al et la Mort», in:
Textes ougaritiques, vol. I:
Mythes et légendes
(André
CAQUOT,
Maurice
SZNYCER
et Andrée
HERDNER
éd.), Paris, Cerf, 1974, p. 239-271,
ici: p. 244. Quant ä la métaphore biblique de la voracité concernant la mort, voir
par exemple Nombres 16, 30; Proverbes 1, 12.
6
Voir par exemple Lévitique 22, 4; Deutéronome 26, 14.
7
Voir notamment Lévitique 19, 31; 20, 27; Deutéronome 18, 10-11.
8
Dans ce contexte, voir aussi Karel van der
TOORN,
«Ein verborgenes Erbe:
Totenkult im frühen Israel»,
Theologische Quartalschrift
177, 1997,
p. 105-120.