Sonderdrucke aus der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
GABRIELLE OBERHÄNSLI-WIDMER
La mort et l’au-delà dans le judaïsme
Originalbeitrag erschienen in:
Jean-Christophe Attias (Hrsg.): Enseigner le judaïsme à l’université.
Genève: Labor et fides, 1998, S. [69]-83
LA MORT ET L'AU-DELÀ DANS LE JUDAÏSME
Gabrielle
OBERHÄNSLI-WIDMER
Le choix de mon sujet «La mort et l'au-delà dans le judaïsme» dans le
cadre du colloque «Comment et pourquoi enseigner le judaïsme ä l'Univer-
sité?» a été doublement motivé. Je souhaiterais d'abord lever un malen-
tendu, fréquemment exprimé par mes étudiants en théologie, selon lequel le
judaïsme, contrairement au christianisme, serait une religion dont les con-
ceptions de l'au-delà se limitent plus ou moins aux textes de la Bible hé-
braïque. Mon article voudrait ensuite apporter une réponse au récent ouvrage
de Hans
-
Jürg Braun,
Das Jenseits.
Die
Vorstellungen
der
Menschheit
über
das Leben nach dem
Tod.
Présentant les idées sur l'au-delà de toutes les
cultures du monde, l'auteur, philosophe et historien des religions, réduit son
étude sur le judaïsme — il parle de
«Israelitische
Religion» — ä dix pages qui
résument uniquement des textes bibliques', ce qui m'a quelque peu étonnée
car, ä mon avis, c'est moins la Bible hébraïque que la transition des textes
bibliques aux textes talmudiques qui marque de son empreinte la pensée
juive de l'Antiquité ä nos jours.
Dans un premier temps, je retracerai l'évolution du concept de l'au-delà
de la période biblique ä l'époque talmudique, puis j'ajouterai quelques
réflexions didactiques sur comment et pourquoi donner un enseignement sur
la conception juive de la mort ä l'Université.
*
* *
I Hans-Jürg
BRAUN,
Das
.lenseits.
Die
Vorstellungen
der Menschheit
über
das
Leben nach dem
Tod,
Zürich,
Artemis
und
Winkler, 1996,
p.
131-140.
70
GABRIELLE
OBERHÄNSLI-WIDMER
La mort
et l'au-delà ne sont pas un sujet de première importance dans le
Tanakh,
la Bible hébraïque. De plus, les prises de position bibliques sont
loin d'être homogènes; elles sont même contradictoires. D'une part, le sort
des humains est perçu de manière pessimiste, comme par exemple en Qohélet
3, 19-20:
Car
le sort des fils de l'homme et celui de la bête sont pour eux un même sort;
comme meurt l'un, ainsi meurt l'autre, ils ont tous un même souffle, et la supé-
riorité de l'homme sur la bête est nulle; car tout est vanité. Tout va vers un
même lieu; tout a été fait de la poussière, et tout retourne
ä
la poussière.
D'autre part,
les prophètes proposent des sentences plus optimistes, no-
tamment Ésaïe (26, 19):
Tes morts revivent, leurs cadavres se relèvent! Réveillez-vous et jubilez, habi-
tants de la poussière! Car ta rosée est une rosée vivifiante, et la terre redonnera
le jour aux fantômes des morts.
Si l'on recherche une certaine structure dans les différentes opinions bibli-
ques sur la mort, on constate tout d'abord une opposition fondamentale entre
la
Tora
et le reste de l'Écriture. Alors que dans les livres prophétiques et
poétiques le terme «empire des morts»
(sheol) revient ä maintes reprises avec
une richesse surprenante de synonymes et de métaphores, tout ce qui a trait ä
la mort et ä l'au-delà est sévèrement censuré dans les cinq livres de Moïse.
Le mot
sheol
est pour ainsi dire banni des livres de la Loi (dans la
Tora,
il
apparaît uniquement en lien avec Jacob et Joseph, puis ä propos de la révolte
de Koré et dans le cantique de Moïse2). Quelle est la raison de ce rejet du
sheol
hors du Pentateuque?
Pour répondre ä cette question, je quitte un instant l'Israël ancien pour
jeter un regard sur l'ensemble du Proche-Orient ancien. À l'époque biblique,
le peuple juif est entouré de cultures qui développent de nombreuses concep-
tions du séjour des morts. La culture égyptienne est presque entièrement con-
sacrée ä la mort, que l'on pense au
Livre des morts3
ou ä l'architecture_égyp-
tienne. La littérature babylonienne n'a rien ä envier aux exploits égyptiens,
notamment-avec sa célèbre Épopée de Gilgamesh4,
reflet d'une intense quête
de la vie éternelle. Les légendes ougaritiques offrent de longues descriptions
de la cité abyssale de Môt (un nom où l'on reconnaît aisément le terme
2
Genèse
37, 35; 42, 38; 44, 29
et 31;
Nombres
16, 30
et
33;
Deutéronome
32, 22.
3
Le livre des morts des anciens Égyptiens
(Paul
BARGUET éd.),
Paris, Cerf,
1967.
4
L'épopée de Gilgamesh
(Raymond Jacques
TOURNAY
et Aaron
SHAFFER éd.),
Paris, Cerf,
1994.
LA MORT ET L'AU-DELÀ DANS LE JUDAÏSME
71
hébreu «mort»), une divinité de la mort qui, ä l'instar du
sheol
biblique, se
distingue avant tout par sa voracité: «[une lèvre vers la ter]re, une lèvre vers
les cieux, [... la lan]gue vers les étoiles»
5
, Môt dévore insatiablement les
vivants. Ces notions de l'au-delà ont certainement influencé l'Ancien Testa-
ment et on peut en retrouver des figures dans la lyrique biblique. Elles sont
pourtant exclues des textes de la Loi, ce qui est d'autant plus étonnant que
Moïse a emprunté plusieurs éléments (circoncision, interdiction de toucher au
porc,
etc.)
aux cultures avoisinantes, en particulier égyptienne. Or, concernant
le culte des morts, on note une stricte démarcation entre les deux religions:
du côté égyptien, l'embaumement, la richesse des tombeaux, des pyramides
et du mobilier funéraire; chez les enfants d'Israël, l'impureté du cadavre,
l'interdiction de nourrir les morts ou de leur faire la moindre offrande, indices
d'une mort déclarée taboue
6
.
La clef pour comprendre le refus de tout culte funéraire dans le Penta-
teuque est ä chercher dans les passages où il est question de nécromancie et
de nécromanciens
7
.
À titre d'illustration, je cite Lévitique 20, 6:
Si quelqu'un s'adresse aux morts et aux esprits, pour se prostituer ä eux, je
tournerai ma face contre cet homme, je le retrancherai du milieu de son peuple.
Le mot «nécromancie» (qui, en Deutéronome 18, 10-11, fait partie d'une
liste détaillée de rituels cananéens), ainsi que le verbe «se prostituer», évo-
quent clairement les rites cananéens, c'est-à-dire les rites les plus menaçants
pour le monothéisme et par conséquent interdits aux Israélites. Le rejet de
tout culte funéraire, et donc le rejet de l'au-delà dans les cinq livres de
Moïse, s'expliquent par la dangereuse proximité entre culte funéraire et culte
étranger, voire cananéen
8
.
Mais il n'y a pas de prohibition sans transgression! Le cas de nécroman-
cie le plus célèbre est celui du roi Saül qui consulte une magicienne ä En-Dor
(1 Samuel 28, 3-25). Les livres de Moïse ne sont donc pas le seul reflet de
l'époque biblique. Grâce aux documents prophétiques et poétiques, nous
savons que déjà les anciens Israélites croyaient en une existence après la
5
«Ba'al et la Mort», in:
Textes ougaritiques, vol. I:
Mythes et légendes
(André
CAQUOT,
Maurice
SZNYCER
et Andrée
HERDNER
éd.), Paris, Cerf, 1974, p. 239-271,
ici: p. 244. Quant ä la métaphore biblique de la voracité concernant la mort, voir
par exemple Nombres 16, 30; Proverbes 1, 12.
6
Voir par exemple Lévitique 22, 4; Deutéronome 26, 14.
7
Voir notamment Lévitique 19, 31; 20, 27; Deutéronome 18, 10-11.
8
Dans ce contexte, voir aussi Karel van der
TOORN,
«Ein verborgenes Erbe:
Totenkult im frühen Israel»,
Theologische Quartalschrift
177, 1997,
p. 105-120.
72
GABRIELLE
OBERHÄNSLI-WIDMER
mort. La richesse du vocabulaire ayant trait à l'au-delà plaide en faveur de
cette thèse. D'abord, la notion biblique de
sheol,
dont l'étymologie reste
douteuse, est une notion hébraïque sans parallèle dans les langues sémitiques
pour désigner un empire mythique des morts, comparable ä l'Hadés des
anciens Grecs. Ensuite, le terme
sheol
ne possède pas moins de seize syno-
nymes dans l'Écriture, et il va de soi que dans une langue le nombre de
synonymes est proportionnel ä l'importance de la notion que l'on qualifie.
Si l'au-delà n'avait pas revêtu tant d'importance ä l'époque biblique, l'hé-
breu classique n'aurait jamais développé une telle variété d'expressions pour
le décrire (mais ce rôle a été résolument limité par les cercles sacerdotaux).
C'est ainsi que le parallélisme lyrique de la rhétorique biblique adjoint au
terme
sheol
des mots comme «monde souterrain», «fosse», «poussière»,
«séjour de la destruction», «lieu du silence», «ténèbres» ou «monde de
l'oubli». Selon cette terminologie, l'au-delà biblique représente un lieu
lugubre, sombre et sinistre, un royaume d'ombres aux voix étouffées, corres-
pondant aux descriptions données dans les complaintes de Job ou dans le
sermon qu'Ézéchiel adresse ä Pharaon (32, 17-32).
Nous sommes encore loin des images idylliques du monde futur
(olam
ha-ba)
des textes talmudiques. Pourtant, la Bible hébraïque connaît déjà un
contrepoint ä la descente aux enfers. Le récit de l'enlèvement d'Élie, du
prophète qui monte au ciel sans avoir éprouvé la mort (2 Rois 2, 1-18), fait
une large part à l'au-delà. Voici ce passage dramatique avec ses protagonistes
Élie et Élisée (2 Rois 2, 11):
Comme ils continuaient ä marcher en parlant, voici, un char de feu et des
chevaux de feu les séparèrent l'un de l'autre, et Élie monta au ciel dans un
tourbillon.
Élie est .un contemporain du roi Achab, c'est-à-dire qu'il a vécu au Ixe
siècle avant l'ère courante; on peut donc conclure de ce récit que, déjà dans
un temps biblique très ancien, existaient non seulement la notion des enfers
mais aussi celle d'un séjour élyséen.
Avant de. passer ä la ligne qui relie la Bible hébraïque aux écrits post-
bibliques des rabbins, je résume brièvement mon argumentation précédente:
quant ä l'au-delà, les livres prophétiques et poétiques empruntent certaines
images aux cultures voisines et développent leur propre monde mythologique
9
L.
WACHTER, «L'Ife»,
in:
Theologisches Wörterbuch
zum Alten
Testament
(Heinz-Josef
FABRY
et Helmer
R1NGGREN
éd.), t.
VII,
Stuttgart,
Kohlhammer, 1993,
p.
901-910.
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !