Title La conception de la cécité chez Paul Claudel : L'influence du personnage aveugle dans le théâtre
nô sur le théâtre claudélien
Author 西野, 絢子(Nishino, Ayako)
Publisher 慶應義塾大学藝文学会
Jtitle 藝文研究 (The geibun-kenkyu : journal of arts and letters). Vol.88, (2005. 6) ,p.178(133)- 200(111)
Abstract
Genre Journal Article
URL http://koara.lib.keio.ac.jp/xoonips/modules/xoonips/detail.php?koara_id=AN00072643-00880001
-0200
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La conception de la cécité chez Paul Claudel :
L'influence du personnage aveugle
dans le théâtre sur le théâtre claudélien
Ayako NISHINO
«Leurs
yeux,
d'où
la divine étincelle est
partie,/
Comme s'ils regar-
daient au loin, restent levés / Au ciel ;
»,
écrit Baudelaire dans « les Aveu-
gles »1 Depuis
l'antiquité,
les personnages privés du sens de la vue
apparaissent dans la littérature du monde entier. Communément admises
sont l'importance de ce thème dans la mythologie et son interprétation par
la psychanalyse : Œdipe ou Tirésias. Essentiels également, les héros dans
l'Ancien et le Nouveau Testament : Eli, Isaac, Tobie Jacob, Samson, ou
Saint
Paul2
. Les grands maîtres de la peinture tels Rembrandt ou Rubens,
ont donné de la cécité des images inoubliables. Au siècle des Lumières,
Diderot, avec sa Lettre
sur
les aveugles à l'usage de ceux qui voient, sema
les germes d'une reconnaissance sociale de la cécité, tout en développant
ses
idées
philosophiques.
Tragiques
ou
comiques,
les
aveugles
se
présentent dans l'imaginaire de nombreux écrivains : Eugène Sue, Hugo,
Gide ou Claudel. Admirateur de Baudelaire, Claudel présente des héroïnes
et des héros aveugles : Violaine et le petit Aubin dans
La
jeune fille Vio-
laine ou dans
L'Annonce
faite
à
Marie
(réécriture de cette dernière),
Pensée dans
Le
Père humilié, ou Tobie dans
L'Histoire
de Tobie
et
de
Sara. Comment Claudel décrit-il ces personnages privés de la
vue?
Quelle
conception se fait-il de la cécité et dans quelle intention présente-t-il des
-200-
(111)
aveugles?
Une étude propose de considérer, en intégrant la cécité au problème
de la mutilation, que l'aveuglement est une sorte de castration3 Une autre
prétend que la cécité est un symbole du Mal, qui est nécessaire pour attein-
dre l'étemité4Pour notre part, nous nous proposons d'examiner la concep-
tion claudélienne de
l'aveuglement
à travers son expérience comme
spectateur
du
théâtre nô, notamment des pièces présentant des personnages
aveugles. Parmi la dizaine de pièces de que Claudel a vues pendant son
séjour au Japon comme ambassadeur (1921-1927), deux montrent des
aveugles du Moyen Age japonais : Kagekiyo et Semimaru. Les notes que
Claudel a prises sur ces deux pièces permettent d'étudier comment le poète
les a interprétées. Cette expérience exerce-t-elle une influence sur sa propre
conception de la cécité ? La mise en scène des aveugles dans le théâtre
offre-t-elle au moins un certain appui aux réflexions scéniques ou littéraires
de Claudel, à la recherche de la synthèse des arts ?
Pour aborder ces problèmes, il est tentant d'examiner tout d'abord la
conception claudélienne de la cécité en traitant principalement des textes
écrits avant son contact avec le théâtre : La jeune fille Violaine (I.1892 /
II.1898-1899), la première version de L'Annonce faite à Marie (1912)5 et
Le Père humilié (1916). Il est important ensuite d'analyser les notes de
Claudel sur ces deux pièces de nô, pour enfin considérer l'influence des
aveugles présentés dans le théâtre sur les pièces de Claudel, écrites ou
réécrites après son contact avec le : celles qui portent sur le thème de
l'aveugle sont L'Histoire de Tobie et de Sara (1938 / 1953) et la deuxième
version (version scénique) de L'Annoncefaite à Marie (1948).
1.
La conception claudélienne de l'aveugle
Loin d'être un accessoire du récit, le thème de la cécité constitue le
sujet central de chaque pièce. La jeune fille Violaine, un drame familial
(112)
-199-
dans un paysage champêtre, évoque le sacrifice et la sainteté d'une héroïne
aveugle.
La«
douce»
et belle Violaine perd la vue à cause
d'un
geste cruel
de Mara, sa sœur jalouse : ayant reçue de la cendre brûlante dans les yeux,
elle est obligée de renoncer à Jacques, son fiancé. A ce thème de l'aveugle-
ment, s'ajoute dans L'Annonce faite à Marie celui de la lèpre. Cette pièce,
transformée en un drame plus religieux, dépeint la lèpre que Violaine a
contractée
en
acceptant un baiser de Pierre, le lépreux.
C'est
« ce mal
affreux » qui
l'a
rendue aveugle :
«je
n'ai
plus des yeux
».
Mais la cécité
de Violaine l'invite finalement à accomplir sa vocation, le sacrifice. Con-
trairement
à
Violaine
dont
les
yeux
« noirs
et
morts »
suscitent
une
angoisse, Pensée attire les autres par ses yeux, extrêmement beaux6 Aveu-
gle par infirmité naturelle, elle se sens être dans la nuit elle est « étroite-
ment
enveloppée
depuis
[sa]
naissance
comme
dans
un
voile
»
(Th.IL, p.540)7Toutefois, malgré ou grâce à sa cécité, Pensée s'accomplit
dans l'amour.
La définition claudélienne de
la
vue
Si le
motif
de
la
cécité constitue ainsi le thème essentiel, quels
aspects de l'aveuglement plus précisément motivent le récit ? Pour com-
prendre d'ailleurs
la
signification de « la privation de la vue
»,
il faut
préciser d'abord la conception claudélienne de « la vue
».
Art
Poétique
(1904), traité de cosmologie poétique, permet de connaître ses idées sur les
sensations humaines. En se référant aux données scientifiques, répandues
largement à
la
fin du siècle, Claudel développe une étude quasi phy-
siologique, qui s'étend au toucher, au goût, à l'odorat, à la vue et à l'ouïe.
Voici sa définition de la vue :
«un
contact réel avec l'objet que le regard
attouche et circonscrit» (Po., p.168). Car, le poète trouve dans l'œil
«une
sorte de soleil réduit
»,
qui est capable d'établir un rayon. En plus, la vue,
en nous donnant « des images de l'espace » permet la véritable possession
de l'objet, car lorsqu' « [il fait son] regard à ce mur et à cet arbre, [il fait]
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-(113)
cet arbre et
cet
mur [en soi] »(Ibid).
Mais
si
on
est
privé
de
la
vue
ainsi
définie,
comment
peut-on
connaître le monde ? Violaine répond : « Je ne vois aucune chose ! [ ... ]
Mais
j'entends,
j'entends
encore !
je
sens » ( JFV.I./Th.I. 529). Il
est
évident que
l'on
peut recourir ainsi aux autres sens que la vue. Les possi-
bilités offertes à
l'aveugle
par
les autres sens
semblent
extrêmement
grandes. A travers
la
parole de Pensée, Claudel déploie les nombreuses
vertus des sensations chez l'aveugle : «
le
pied seul
me
fait connaître
je
suis, mille bruits, mille touches, milles différences de sons que vous
n'en-
tendez pas, mille signes aussi instantanés que le regard, /L'attention tou-
jours
éveillée,
la
conscience
de
ses
mouvements,
le
sentiment
de
la
distance, un peu de finesse » (Th.II. 498). A cette primauté de
l'ouïe
et
celle du toucher, s'ajoute celle de l'esprit : «
je
suis avertie intérieurement
de tout. Vous lisez, et moi
je
sais par cœur » (Ibid.).
La supériorité des autres sens
Il
est
tentant de
considérer
de
plus près
comment
se
présente
la
supériorité des autres sens chez les héroïnes privées de la vue, en rappelant
les définitions données de chacune dans
Art
poétique. Nous suivrons l'ordre
dans lequel Claudel présente les appareils de « la connaissance sensible »,
car celui-ci semble suggérer une hiérarchie.
Commençant par le toucher, « le plus simple » des sens, Claudel le
conçoit comme un contact, « une simple action sur le circuit » (Po. 166). A
ce rôle passif de notre peau, s'ajoute celui actif des mains : elles servent à
apprécier les réactions, à mesurer
la
distance par les doigts.
En
effet
le
toucher permet à
l'homme
de connaître le monde extérieur, et ne manque
pas évidemment chez l'aveugle : Pensée distingue l'arrivée de la nuit par
« cette impression solennelle, cette température divine » imprimée sur sa
peau (Th.II. 493). L'importance des mains se
lit
également dans la parole
de Pensée :
«Ces
mains seules qui me servent à
voir»
(Th.II. 565). Mais le
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