L’(in)soutenabilité des finances publiques
Pantin, le 20 avril 2011
Sommaire
Sommaire 1
Introduction 2
Dominique LAGRANGE 2
Frank VERMEULEN 2
Diagnostic et perspectives macroéconomiques des finances publiques en France et dans
l’Union européenne 4
Stéphane GALLON 4
Amélie VERDIER 6
Questions 9
Comment conjuguer la soutenabilité des finances et les missions de service public de
proximité ? 12
René DOSIERE 12
François CASTEIGNAU 13
Michel KLOPFER 14
La soutenabilité des finances publiques : discerner et choisir à l’épreuve de la
contradiction des valeurs 16
Frank VERMEULEN 16
Jean-Yves LARRAUFIE 16
Christian VIGOUROUX 18
Questions 21
Conclusion 23
Pervenche BERES 23
Les mercredis de l’INET à Paris CNFPT
Pantin, le 20 avril 2011 2
Introduction
Dominique LAGRANGE
Directeur de la formation de l’INET
Mesdames et Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue pour cette sixième édition des
Mercredis de l’INET qui se déroule dans les beaux locaux de la légation régionale Première
Couronne Ile-de-France. Ces Mercredis sont un temps de formation, de réflexion et d’échange sur
des sujets d’actualité ayant trait à l’action publique locale.
La soutenabilité des finances publiques est une question centrale pour les décideurs publics et
suscite des analyses foisonnantes dont il n’est pas toujours facile de discerner les enjeux ni les
conséquences pour le service public, notamment local. Cette journée nous permettra de croiser
les analyses d’experts, d’élus locaux, nationaux et européens, ainsi que les points de vue et
pratiques des dirigeants de collectivités. Monde globalisé oblige, notre approche ira de
l’international au local.
Frank VERMEULEN
Directeur associé de FVA management
Depuis la crise de la dette privée qui s’est déclenchée en 2007 aux Etats-Unis pour se propager à
l’Europe, puis à l’ensemble du système financier, la soutenabilité des finances publiques est
redevenue un sujet d’une actualité brûlante, en particulier dans la zone Euro les tensions sur
les dettes souveraines sont très vives (exemple de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal,…). La dette
souveraine française, qualifiée d’« astronomique » ou d’« abyssale » par certains, ne date
toutefois pas d’aujourd’hui, ni de 2007. Les finances publiques sont l’expression et le déterminant
majeur de phénomènes politiques. Nombre de théoriciens, comme J. Schumpeter ou G. Jèze,
soulignent que les besoins financiers sont à l’origine de l’Etat : pouvoir financier et pouvoir
politique sont étroitement liés.
L’examen des finances publiques et de leur soutenabilité mobilise plusieurs registres de valeur,
dont certains peuvent entrer en conflit : le registre économique, financier ou technique qui sont
parfois difficiles à concilier avec le registre social, civique, voire éthique. Cette journée comportera
donc trois tables rondes. La première brossera un tableau macroéconomique de notre sujet. La
deuxième se consacrera aux répercussions de ces phénomènes sur les collectivités locales. Enfin,
le troisième atelier sera consacré à une perspective éthique : comment les dirigeants des
collectivités peuvent-ils prendre des décisions parfois très difficiles ?
Je remercie nos orateurs, tous spécialistes reconnus dans leurs domaines respectifs, d’avoir
accepté de prendre part à nos travaux. Avant de leur donner la parole, je propose quelques
réflexions sur les grands enjeux du débat sur l’insoutenabilité des finances publiques.
Selon la base linguistique TLF (Trésor de la langue française), est « soutenable » ce qui est
justifiable, ce qui peut être supporté ; inversement, est « insoutenable » ce qui est injustifiable et
indéfendable. Le terme vient de l’ancien français « soustenable », en anglais sustainable.
La santé financière d’un agent économique – qu’il s’agisse d’une banque, d’une entreprise ou d’un
ménage, est évaluée à l’aide de concepts comme la liquidité ou la solvabilité. Ces concepts sont
cependant statiques : a un moment donné, un agent est solvable si ses actifs sont suffisants pour
faire face à ses dettes. Un agent peut être solvable mais illiquide, c.a.d. qu’il a suffisamment
d’actifs pour couvrir ses dettes, mais ne peut réaliser ces actifs assez vite pour faire face à ses
échéances sans risquer une décote très importante.
Les mercredis de l’INET à Paris CNFPT
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Or, contrairement à un agent privé, un Etat possède une durée de vie théoriquement illimitée et
dispose également du pouvoir de lever l’impôt. Le concept de soutenabilité s’est donc imposé pour
appréhender le caractère dynamique des finances publiques : elles sont jugées soutenables si,
compte tenu des prévisions de dépenses et de recettes, l’Etat n’est pas exposé à un risque
d’insolvabilité ou d’ajustement irréaliste de ses finances. Ce concept n’implique pas
nécessairement un solde budgétaire à l’équilibre : la dette publique doit être égale ou inférieure à
la somme actualisée des excédents budgétaires futurs, hors intérêts de la dette.
Mais la théorie économique n’est pas en mesure de définir une limite à partir de laquelle une dette
publique est considérée comme trop élevée : l’horizon retenu pour calculer les excédents
budgétaires est théoriquement infini. On pourrait donc tolérer des endettements très importants
sans remettre en cause le principe de soutenabilité. Inversement, il convient de définir un horizon
pour calculer la soutenabilité des finances publiques et rester dans des critères acceptables.
Comme presque partout ailleurs, la dette publique prend en France son essor à la fin des années
1970. On peut d’ailleurs s’interroger sur le lien entre ce phénomène et le mouvement néolibéral de
dérégulation des marchés financiers. La financiarisation a-t-elle aggravé la situation par l’intérêt de
la dette ou a-t-elle permis, au contraire, une gestion moins coûteuse ? Toujours est-il que la dette
atteignait 1489 milliards d’euros en 2009 et approche les 1600 milliards à la fin de l’année 2010.
Le niveau de dette actuel de la France n’est pas exceptionnel si on la replace dans une
perspective historique : certains pays ont déjà connu des niveaux d’endettement de 100 %, voire
200 % de leur PIB. Plusieurs solutions sont envisageables pour sortir d’une telle situation. On peut
laisser filer l’inflation, comme cela fut le cas entre 1921-1923 en Allemagne, ou au Japon en 1944-
1946, et peut-être actuellement aux Etats-Unis. La croissance économique, accompagnée
d’ajustements budgétaires par réduction des dépenses publiques, est également une solution,
mise en œuvre par le Royaume-Uni après les guerres napoléoniennes ou les Etats-Unis après la
grande dépression des années 1930 et après la Seconde Guerre mondiale. Le Canada du début
des 1990 a recouru à l’ajustement budgétaire par les dépenses et les recettes, de même qu’un
certain nombre de pays européens, pour satisfaire aux critères de Maastricht et entrer dans la
zone Euro. Une combinaison de ces trois solutions peut également être envisagée pour abaisser
les primes sur risque des titres émis, comme la France l’a fait entre 1922 et 1929. Le défaut partiel
ou total d’un Etat est enfin une solution radicale, mais inenvisageable.
La soutenabilité nous confronte donc à deux problèmes concomitants : d’une part, il faut
rembourser la dette publique à chaque échéance des titres et, dans le même temps, trouver les
financements du développement durable sans augmenter la dette ni les prélèvements. La
soutenabilité renvoie également à un enjeu de justice sociale et fiscale : Gilles Carrez estime dans
son rapport au Parlement que les exonérations et réductions d’impôts ou de cotisations sociales
accordées depuis 2000 représentent un manque à gagner annuel de 100 à 120 milliards d’euros
pour le budget de l’Etat. Au-delà, comment les collectivités territoriales peuvent-elles mener une
politique de développement local en réduisant les inégalités ?
Pour conclure, il n’est pas saugrenue de se demander quel est l’impact des cultures nationales sur
la soutenabilité des finances publiques. Ainsi, à la question « Pensez-vous que l’on puisse faire
confiance aux autres ? », 25 % des Français répondent par la négative, alors qu’en Suède et au
Danemark les citoyens déclarent faire confiance aux autres à 80 %. De même, à la question
« Pensez-vous qu’il n’est jamais justifiable de demander indûment des aides publiques ou de
frauder le fisc ? », seuls 40% des Français répondent par l’affirmative contre plus de 80% au
Japon ou au Danemark. Les finances publiques posent donc non seulement des questions
techniques et macroéconomiques, mais aussi un problème éthique. L’exemple suédois, sur lequel
nous reviendrons cette après-midi, montre comment un pays a pu résoudre les conflits de valeur
entre différentes approches de la soutenabilité des finances publiques.
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Diagnostic et perspectives macroéconomiques des finances
publiques en France et dans l’Union européenne
Stéphane GALLON
Service des études économiques, Caisse des Dépôts
La Caisse des Dépôts est un investisseur de long terme et d’intérêt général. Je concentrerai donc
ma présentation sur des sujets structuraux, de long terme et avec un point de vue international.
L’évolution de la dette publique des grands Etats depuis 1980 montre que le Japon se distingue
par une dette particulièrement élevée, de l’ordre de 200 % du PIB, et que les autres pays forment
un bloc relativement homogène. Le cas japonais doit être écarté rapidement, car il est très
atypique. Nous pouvons néanmoins en tirer deux enseignements. D’abord, le Japon a subi depuis
1991 une suite de chocs négatifs sur son économie. Alors qu’il sortait de la crise asiatique,
l’augmentation de la TVA, qui visait à restaurer les finances publiques, a fait replonger le pays
dans une récession déflationniste. Il faut donc prendre en garde à ne pas enrayer la croissance en
phase de reprise. Deuxièmement, le Japon aurait dû s’employer à résoudre rapidement les
problèmes de dette bancaire au lieu de la laisser stagner. La dette japonaise est soutenable car
elle est supportée en interne : les ménages japonais acceptent de soutenir la dette publique en la
finançant à des taux extrêmement faibles, de l’ordre de 0,5 % à 1 %. Ce cas est très atypique et
ne peut être extrapolé à d’autres pays.
Les autres pays connaissent une hausse de leur ratio de dette comparée au PIB depuis les
années 1980 ; ce rythme connaît une accélération considérable après la crise. S’il était légitime de
mettre en place des mesures de relance, il convient de rester prudent face à une trajectoire qui
pourrait nous emmener vers une situation à la japonaise.
La dette d’une année t est la dette de l’année passée augmentée du taux d’intérêt nominal unitaire
et diminuée du solde primaire public. Le dernier excédent budgétaire remonte néanmoins à 1974 :
le solde primaire est négatif, d’où une augmentation de la dette. Trois possibilités existent pour
contrôler la dette : des taux d’intérêt faibles, un niveau de départ de dette faible ou des excédents
primaires. On préfère ramener la dette au PIB pour évaluer sa soutenabilité.
Inversement, quel solde primaire permet-il de stabiliser la dette ? Dans un contexte de ratio de
dette sur PIB de 80 %, de taux d’intérêt nominal de 5 % pour l’endettement à long terme et de 2 %
de croissance potentielle, un excédent primaire de 8 % est nécessaire pour stabiliser le ratio de
dette sur PIB.
La soutenabilité des finances publiques peut être appréhendée de plusieurs manières. La
première consiste à dire que le niveau de dette soit être nul à long terme : il faut rembourser un
jour. Une seconde manière consiste à stabiliser le ratio de dette sur PIB. Enfin, on peut souhaiter
que ce ratio soit non seulement stable, mais maintenu à un niveau raisonnable, que les critères de
Maastricht fixent à 60 % et que les économistes Reinhardt et Rogoff estiment à 90 %, sur la base
d’une étude historique et statistique.
Plusieurs chocs peuvent affecter la dette indépendamment de son stock. Le premier choc est le
vieillissement, phénomène qui affecte l’ensemble des pays du monde : beaucoup ont déjà une
population d’âge active en décroissance. Il entraîne une diminution de la croissance potentielle : le
FMI prévoit ainsi que l’ensemble des pays verra sa croissance impactée à la baisse en raison de
la transition démographique à partir de 2040. Le vieillissement de la population engendre des
besoins de finances publiques supplémentaires : le rapport de la Commission européenne montre
une augmentation des dépenses de 2010 à 2020 à hauteur de 5 % du PIB supplémentaires pour
l’Allemagne et de 2,2 % pour la France. Des études montrent qu’un statu quo porterait la dette
publique à 200 %, voire 400 % du PIB.
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Parallèlement se posent des enjeux d’équité intergénérationnelle : la génération née dans les
années 1970 supporte un fardeau de 30 % du PIB, alors que la génération qui aura 20 ans en
2050 aurait, selon le Conseil d’orientation des finances publiques, un fardeau de 190 % du PIB. Or
les générations futures ne sont pas représentées dans les processus de décision. Il appartient à
l’Etat sous toutes ses formes de prendre en compte leurs intérêts sous peine de s’exposer à des
problèmes sociaux importants.
Comment peut-on agir ? L’OCDE a recensé dans une étude 85 phases de consolidation
budgétaire dans 24 pays. Elles parviennent à améliorer le solde primaire de 1 % à 14 % de PIB,
pour une moyenne de 3 %, pour un effet de un à huit ans et en moyenne de trois ans. Les efforts
les plus longs sont également ceux qui ont produit les ajustements les plus importants.
L’OCDE considère ces expériences comme un succès quand elles permettent de stabiliser le ratio
de dette sur PIB, quel que soit son niveau de départ, et identifie différents facteurs statistiques
montrant que les gouvernants ont d’autant mieux réussi à atteindre cet objectif que :
- la situation de départ était très mauvaise ;
- la consolidation démarre peu après les élections générales ;
- les taux d’intérêt étaient élevés ;
- des baisses de dépenses publiques ont été entreprises parallèlement à des hausses de
pression fiscale ;
- la consolidation dure longtemps.
L’OCDE n’a pas réussi à identifier comme facteur de succès l’adoption d’une norme budgétaire qui
s’impose au politique. Elle recommande en revanche cette mesure pour la France.
Le FMI estime à 8 % de PIB l’effort nécessaire pour les pays développés, sur une durée d’une
dizaine d’années. Cet ordre de grandeur est confirmé par le rapport sur la soutenabilité de la
Commission européenne, qui mentionne 4 à 6 % de PIB si la crise n’a pas obéré la croissance
potentielle ; à défaut, l’effort nécessaire devrait être de 6 à 8 % de PIB.
La tâche n’a rien d’impossible. Des expériences d’une ampleur bien plus importante ont eu lieu,
notamment en Irlande et au Canada : ces pays ont réussi à ramener leur dette de 100 % à 30 %
du PIB. Toutefois, l’application simultanée de ces stratégies entraînera probablement un effet
récessif qui grèvera la reprise mondiale de l’économie. La marge est donc étroite. Ensuite, tous les
pays ayant mis en œuvre des mesures de consolidation budgétaire ont également accru la
pression fiscale. Or la courbe de Laffer montre qu’au-delà d’un certain niveau, l’accroissement de
la pression fiscale diminue les recettes par réduction de l’assiette. Des économistes estiment que
certains pays développés ont déjà atteint le niveau maximum ; la France affiche un taux de
prélèvement obligatoire de 42 % du PIB, parmi les plus élevés au monde. Ce raisonnement doit
être nuancé : le niveau de prélèvement doit être mis en regard des financements qu’il permet.
Plusieurs solutions sont envisageables pour résoudre le problème de la dette. L’inflation est l’une
des plus couramment utilisées. Elle n’est toutefois plus envisageable aujourd’hui du fait de
l’indépendance des banques centrales et des gains à laisser un ancrage des agents économiques
autour d’une inflation de 2 %. Laisser filer l’inflation pourrait conduire ainsi à une hausse
importante des taux d’intérêt. Ensuite, une partie de la dette publique n’est pas sensible à
l’inflation, soit parce quelle est indexée sur celle-ci, soit parce que sa duration est trop courte.
Enfin, l’inflation ne se décrète pas : aucune tension ne pèse aujourd’hui sur les coûts dans les
entreprises ni sur les salaires. L’inflation actuelle n’est générée que par des bulles sur l’énergie ou
les matières premières et consiste plutôt en une déformation des prix relatifs qu’en en
augmentation généralisée des prix. Les Etats-Unis constituent la seule exception : ils peuvent
mettre en œuvre une stratégie non coopérative de dépréciation du dollar.
La politique monétaire devrait accommoder la consolidation budgétaire par des taux courts
durablement bas. La Banque centrale européenne semble toutefois disposée à les relever pour
lutter contre l’inflation, mais les effets risquent d’être limités : l’inflation provient des prix de
l’énergie. Les effets de « second tour » sont par ailleurs assez faibles du fait de la désindexation
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