ceux-là qui mirent au pouvoir les dictatures latino-américaines,
et bien d’autres, au nom du « marché libre » ?
Trente ans de détérioration de la démocratie et du capital
social, en Occident et dans le monde, voilà ce que nous avons
souffert. Trente longues années « de thatchérisme galopant et de
reaganisme exubérant » qui se sont soldées par l’aide donnée à
des tyrannies vendues, une mondialisation brutale et rapace, un
marché financier débridé et avide, émaillé par la longue série des
krachs qui ont mené à la débâcle financière de 2008.
Comment avons nous pu supporter cette grande casse, cette dérive
générale qui ressemble à un révisionnisme intellectuel, demande Ben-
jamin Barber – après 1929, après guerre nous savions déjà tout ce qui
nous arrive aujourd’hui ? Pourquoi avons-nous, aux États-Unis, en
Europe, accepté si longtemps d’être traités en consommateurs, en
assistés du crédit, non plus en citoyens – jusqu’à soutenir la politique
néolibérale agressive, anti-écologique, guerrière, toute désastreuse
de George W. Bush ? Le philosophe américain, figure du mouvement
démocrate, nous répond : nous avons été infantilisés. C’est l’inquiétante
thèse de son ouvrage Consumed. How markets Corrupt Children, Infantilize
Adults, and Swallow Citizen Whole : « Comment le marché corrompt les
enfants, infantilise les adultes, et dissout les citoyens » (en français
Comment le capitalisme nous infantilise, Fayard 2007). Entretien.
Benjamin Barber : Je ne suis pas seul à parler d’infantilisation !
Je retrouve cette analyse partout chez les professionnels du marke-
ting, les stratèges de la publicité, les analystes tendances de grandes
marques d’habillement et de jouets, la presse média spécialisée,
la critique cinéma, et vous savez pourquoi ? La notion d’infanti-
lisation vient directement des pratiques concrètes du capitalisme
consumériste. C’est une stratégie patente, revendiquée, théorisée,
systématisée. Lisez les textes d’une grande figure du marketing,
Gene Del Vecchio. Tout est dit ! Il faut puériliser les adultes,
allonger l’adolescence et sa fougue consommatrice sur toute la vie,
gommer les différences d’âge dans une « culture jeune » valable
pour tous. C’est le grand projet du consumérisme, « partant du
constat, écrit Del Vecchio, que la demande des biens et services
pour adultes n’est pas infinie ». Pour réussir cette gigantesque
opération commerciale, il faut séduire la jeunesse riche, urbaine,
INFANTILISATION, DEMANDEZ LE PROGRAMME • 27