gender queer » comme contestation de la catégorisation des genres

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La problématique du « genre »
Quelques enjeux éducatifs et éthiques et politiques
Paroisse Saint Martin de la Plaine, 24 octobre 2014
Ce document a servi de support pour donner la conférence mais l’oral a valorisé, complété et
développé davantage certains points. Le document est cependant donné comme tel sans
reprendre les thèmes abordés et approfondis pendant le débat.
Des compléments et les références des citations peuvent être obtenus dans les articles suivants :
SAINTOT Bruno, « La morale catholique à l’épreuve de la « problématique du genre » : quels
nouveaux défis pour le débat public ? », in Les chrétiens dans le débat public, Paris, Editions
Facultés jésuites de Paris, 2014, pp. 57-93. (http://www.ecentresevres.com/PBSCCatalog.asp?ItmID=13687204)
SAINTOT Bruno, « Le «genre» sur la scène politique. Quels enjeux pour les catholiques ? »,
Études, 19 juin 2014, vol. 420, no 7, pp. 41-52.
(http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=ETU_4207_0041)
Argument
La problématique du « genre » (gender) suscite bien des réactions, soulève des débats,
provoque des inquiétudes.
Elle questionne la distribution des rôles sociaux, les rapports de pouvoir, les projets éducatifs,
ainsi que les normes régulant les identités et les orientations sexuelles.
Les réactions parfois violentes, les peurs parfois irrationnelles, les propos parfois non fondés,
invitent à un travail de clarification des définitions et des enjeux sociaux, éducatifs, politiques et
éthiques de la notion de « genre ». Les grands repères anthropologiques et éthiques de notre
société sont-ils menacés, changés voire bouleversés ? Comment faire la part entre revendications
légitimes et projets sociopolitiques critiquables ?
Cette problématique du « genre » concerne chacun de nous comme individu, parent,
éducateur, citoyen, quelles que soient ses convictions religieuses ou politiques. Il est bon de
s’informer et dialoguer pour affiner son jugement…
Introduction
Avant d’aborder les questions polémiques d’aujourd’hui concernant l’éducation et la sexualité, il
importe de resituer la problématique dans l’anthropologie et dans l’histoire des revendications liées
au constat des inégalités entre hommes et femmes.
1. Apports de l’anthropologie et de l’histoire des revendications des
femmes
Enseignements de l’anthropologie et programmes sociopolitiques associés
Le lien entre rapports sociaux de sexe et pouvoir d’enfanter
 Le constat de la « valence différentielle des sexes ».
Selon l’analyse de Françoise Héritier (FH) (1933-), les hommes et les femmes n’ont pas, dans
la quasi-totalité des sociétés observées, la même valeur, la même importance, la même variété de
positions hiérarchiques. Les femmes sont à la fois dominées par les hommes (rapport de pouvoir),
dévalorisées pour justifier cet état de fait (justification par la dévalorisation), cantonnées à
certaines tâches spécifiques. Elles sont toujours l’objet d’échanges par les hommes et jamais
l’inverse.
 Une tentative d’explication par le pouvoir d’enfanter.
Selon FH, cette « valence différentielle des sexes » ne tient ni à la puissance physique ni à la
fragilité induite par les grossesses et l’allaitement, mais à ce qu’elle appelle « le privilège exorbitant
d’enfanter », ce pouvoir exclusivement féminin nécessaire à toute société désireuse de perdurer et
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d’assurer la transmission des biens. C’est ce pouvoir que les hommes auraient voulu dominer,
contrôler, réguler.
 Un programme de « dissolution de la hiérarchie ».
A partir de ce constat et de cette tentative d’explication, Françoise Héritier propose un
programme sociopolitique pour « dissoudre la hiérarchie » en rendant aux femmes, et à elles
seules, le pouvoir de la procréation par la maîtrise de la conception et de la gestation
(contraception et avortement).
 Un programme à questionner.
Ce projet sociopolitique inverse le constat premier mais reste dans un schème d’opposition et
de rapport de pouvoir. Sans négliger ce rapport de pouvoir, l’engendrement, l’enfantement et
l’éducation ne sont-ils pas aussi des questions de coopération, de liens conjugaux, familiaux,
sociétaux ? La dissolution de la hiérarchie ne peut se faire sans affiner et approfondir le lien
conjugal, le lien familial, les relations hommes-femmes, sans les réduire à la question du pouvoir.
La relativisation des caractères et des rôles
L’anthropologie met aussi en question l’attribution de qualités spécifiques aux hommes et aux
femmes. Elle critique donc la notion de « nature féminine », d’idéal féminin, de génie féminin, etc.,
toutes les manières de prédéterminer des attitudes, des comportements et des rôles.
C’est ce que montre notamment Margaret Mead (1901-1978) en analysant les variations de
caractéristiques attribuées aux hommes et aux femmes dans différentes peuplades de l’Océanie :
passivité ou activité, douceur ou violence, sensibilité et émotivité, amour des enfants, etc. Elle en
conclut que « le comportement typique de l’homme et de la femme » apparaît « de toute évidence
être le résultat d’un conditionnement social ».
Au XVIIIème siècle, la proclamation des Droits de l’homme échoue à donner
un statut politique égal aux femmes
Les révolutionnaires, animés par l’ambition universaliste des philosophes des Lumières,
confinent cependant les femmes, avec les étrangers et les enfants, dans la catégorie de ceux qui
ne peuvent voter. Malgré l’attribution de nouveaux droits civils (le mariage comme contrat civil en
1791, le divorce comme droit pour l’homme et la femme en 1792), les femmes ne sont pas
autorisées à voter (et ceci, en France, jusqu’en 1944 !).
Olympe de Gouges tente de changer politiquement la mise à l’écart des femmes en publiant de
nombreux textes dans la fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, de 1791
calquée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789). En dénonçant la
mobilisation politique des femmes, le procureur Pierre-Gaspard Chaumette utilise l’argument de la
« nature » des femmes alors qu’Olympe de Gouges utilise celui du droit naturel… L’utilisation
diverse de l’argument de « nature » ne date pas d’hier…
Ralliée aux girondins, elle est guillotinée en 1793. Elle n’est pas la première féministe française
mais la première sans doute à avoir eu un engagement politique aussi important.
Au XIXème siècle, les luttes politiques et les tentatives de libération sexuelle
se développent
Première influence sociopolitique. En Allemagne, Marx et Engels (L’origine de la famille, de
la propriété et de l’État) théorisent le lien analogique entre lutte des sexes, lutte des classes, lutte
des races. La première oppression de classe est comprise comme l’oppression de la femme dans
le couple et la famille. La famille est désormais analysée avec des catégories politiques qui font le
lien entre rapports de production et rapports de reproduction.
Deuxième influence sociopolitique. En Angleterre, John Stuart Mill théorise le libéralisme
politique qui cherche à limiter le pouvoir de l’Etat sur les individus en laissant l’individu maître de
son corps, de son esprit, tant qu’il ne nuit pas à autrui. Il critique aussi, dans un ouvrage célèbre,
L’asservissement des femmes. Le droit à disposer de soi à condition qu’il ne nuise à personne
inspire notamment les mouvements de lutte pour l’émancipation sexuelle des femmes.
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Au XXème, une nouvelle remise en cause de la justification par la nature ou
« l’ordre naturel »
La philosophie existentialiste conforte le constat précédent de l’anthropologie mais d’une tout
autre manière. L’idée principale de l’existentialisme est que l’existence précède l’essence, c'est-àdire les caractéristiques fondamentales attachées intrinsèquement à notre être. Cela signifie que
les êtres humains n’ont ni valeur, ni bonté, ni but qui prédétermineraient leur existence en leur
assignant par avance des finalités à poursuivre. Il n’y a pas d’essence de la femme ou de
l’homme, ou encore de l’humain, pas de caractéristiques fondamentales qui détermineraient par
avance ce que nous avons à réaliser. Par exemple, la femme ne s’accomplit pas nécessairement
par la maternité qui déterminerait son essence de femme. Simone de Beauvoir refuse ainsi toute
forme de destin au profit d’une valorisation de la personne se faisant par sa liberté.
« On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne
définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine »
Cette célèbre formule peut cependant être justifiée en dehors de la philosophie existentialiste.
Reconnu, dans la quasi-totalité des cas comme fille ou bien garçon à la naissance et désigné
comme tel, le bébé aura bien à devenir femme ou homme en assumant son corps ainsi que les
usages et rôles sociaux caractéristiques de son sexe.
Ce rapide survol de l’histoire fait apparaître que l’opposition entre naturalisme moral (les
impératifs moraux sont lus dans la « nature ») et constructivisme moral (les impératifs moraux sont
uniquement construits) est bien ancienne. Il faudra chercher à articuler nature et culture et sans
doute à sortir de cette simple opposition nature versus culture.
2. L’introduction de la notion de genre et ses développements
Quelques définitions avant le gender : sexe, identité sexuelle, orientation
sexuelle et pratiques sexuelles
Avant d’aborder le terme spécifique « gender » il faut donner quelques définitions préalables
concernant le sexe, l’identité sexuelle, l’orientation sexuelle, les pratiques sexuelles. Elles seront
modifiées par l’introduction du terme « genre ».
Ces distinctions sont tardives, par exemple la distinction entre « identité sexuelle » et
« orientation sexuelle » date du XXe siècle. Elle n’était donc pas pensée comme telle auparavant.
Ces termes, qui sont distingués et qui se conditionnent mutuellement, laissent la possibilité de
penser et de réaliser une non-intégration, une séparation, voire même une dissociation, entre
sexe, identité sexuelle, orientation sexuelle, pratiques sexuelles. Cette possibilité de dissociation
vient contester les convictions, représentations, valeurs et normes sur lesquelles se sont bâties les
sociétés occidentales modelées notamment par le christianisme lui-même influencé, dans
certaines élaborations de la morale familiale et de la morale sexuelle, par le stoïcisme tardif.
 Sexe
Détermination d’une personne en mâle ou bien femelle, qui est fondée sur des critères objectifs
et le plus souvent concordants, qui peuvent être anatomiques (pénis/vagin), gonadiques
(testicules/ovaires), chromosomiques (XY/XX), hormonaux (testostérone/œstrogène). Le sexe,
attribué et assigné à la naissance puis inscrit sur une carte d’identité, peut, dans de rares cas,
présenter une ambiguïté ou une indétermination.
 Identité sexuelle
Identification par soi-même à un sexe ou bien l’autre (s’identifier et avoir conscience de soi
comme homme ou bien comme femme) résultant d’un travail psychique intégrant à la fois – et
parfois n’unifiant pas – la réalité corporelle, la perception intérieure de soi, les regards et attitudes
sociales, les normes de comportement caractéristiques d’une culture ou d’un milieu social
particulier. Certains distinguent « identité sexuée » (fondée sur la conscience de l’appartenance à
un sexe) et « identité sexuelle » (fondée sur la conscience de l’orientation sexuelle).
 Orientation sexuelle
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Mouvement du désir à la fois affectif et sexuel, et disposition psychique relativement stable
conduisant à se porter soit vers l’autre sexe (hérotérosexualité) soit vers le même sexe
(homosexualité) soit vers les deux (bisexualité). Le cas controversé de l’asexualité.
 Pratiques sexuelles
Ensembles des actes sexuels accomplis avec ou sans partenaire.
 Rôles sociaux de sexe et rapports sociaux de sexe
Les rôles sociaux de sexe sont l’ensemble des manières d’organiser des fonctions sociales
spécifiques en dépendance du sexe. Cette thématique ancienne des rôles familiaux et sociaux
spécifiques fera place à celle des « rapports sociaux de sexe » analysant les rapports de pouvoir à
partir des années 1970.
 Intérêt des distinctions
D’abord, mieux comprendre ce que nous vivons. Ces distinctions laissent aussi entrevoir la
possibilité de combinaisons différentes, voire même de dissociations, entre sexe, identité sexuelle,
orientation sexuelle et pratiques sexuelles.
La naissance du terme gender : le gender comme critère de réassignation de
sexe dans les cas d’intersexualité
Le terme gender est utilisé dès 1955 aux USA par le psychologue John Money puis par le
psychiatre Robert Stoller. Prenant appui sur les nouvelles capacités de traitements hormonaux et
chirurgicaux, ils cherchent à aider des personnes atteintes d’hermaphrodisme (ancien terme) ou
vivant un état d’intersexuation ou des « troubles du développement sexuel » selon l’expression
privilégiée aujourd’hui.
Pour élaborer des critères physiologiques et psychiques de réassignation hormonale et
chirurgicale de sexe, Money et Stoller vont problématiser le rapport entre identité et rôle. Si le
terme sexe désigne la bipartition entre mâle et femelle – une bipartition problématique dans les
cas d’intersexuation –, le terme gender désigne, selon John Money, l’expérience subjective privée
ou publique de la masculinité ou de la féminité. La manière de se vivre comme homme ou femme
par rapport à soi-même ou par rapport à autrui peut alors remplacer la référence à un critère
biologique. La bicatégorisation mâle/femelle est remplacée par la bicatégorisation
masculinité/féminité. John Money créera les expressions « rôle de genre » (gender role) et
« identité de genre » (gender identity). « Rôle de genre » et « identité de genre » vont se
conditionner mutuellement sans nécessaire référence directe au sexe : « L’identité de genre
(gender identity) est l’expérience privée du rôle de genre, et le rôle de genre est l’expression
publique de l’identité de genre ».
Le psychiatre Robert Stoller influencera fortement les reprises ultérieures de la notion de
gender. Il définit gender comme « un terme qui a des connotations plutôt psychologiques et
culturelles que biologiques », qui « peut être très indépendant du sexe (biologique) » et qui « est la
somme de masculinité ou de féminité trouvée dans une personne, et parce qu’il y a évidemment
des mélanges des deux dans beaucoup de personnes humaines, le mâle normal a une
prépondérance de masculinité et la femelle normale une prépondérance de féminité ». Selon lui, la
norme de genre peut donc déterminer la norme de sexe.
Le gender comme analyseur des rôles sociaux et des rapports de pouvoir
entre hommes et femmes
Avec la reprise des travaux de Stoller par la sociologue Ann Oakley, la distinction entre sexe et
genre va devenir un outil sociologique et politique critique des rapports de pouvoir entre hommes
et femmes. Le gender désigne alors à la fois la description d’inégalités de pouvoir et de rôles
sociaux dans la bipartition hiérarchisée hommes-femmes et la prescription d’un programme de
lutte contre ces inégalités. En France, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes
est héritier de cette distinction lorsqu’il définit le « genre » comme un « système de normes
hiérarchisé et hiérarchisant de masculinité/féminité ».
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Le gender comme contestation de la norme hétérosexuelle dominante
La structuration politique des homosexuels va jouer un grand rôle sur l’évolution conceptuelle
du terme gender et sur les revendications associées. Le déclenchement de la structuration et de la
lutte politiques des homosexuels est classiquement attribué aux émeutes qui ont suivi une
répression policière violente à New-York, en 1969, dans le bar Stonewall Inn fréquenté par des
homosexuels et des transgenres. Organisée au premier anniversaire de cette émeute, la Gay
Pride deviendra le signe d’une revendication politique de reconnaissance. Dès lors, devenue avant
tout un problème politique, l’homosexualité ne sera plus qualifiée de problème moral ni même de
problème pathologique comme le pensait encore la psychiatrie de l’époque. En effet,
l’homosexualité sera retirée de la référence américaine des maladies psychiatriques, le Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM II) seulement en 1973. De façon générale
et jusqu’à aujourd’hui, la dépathologisation des orientations et des comportements sexuels suivra
leur politisation et permettra heureusement de s’opposer aux diverses violences exercées sur les
personnes homosexuelles.
Dès ces mêmes années 1970 apparaissent des critiques plus ou moins virulentes de la
normativité hétérosexuelle dominante, par exemple dans les ouvrages de Guy Hocquenghem, Le
désir homosexuel, de Monique Wittig, La pensée straight, ou encore de Shulamith Firestone, The
Dialectic of Sex: The Case for Feminist Revolution. Les évolutions sociopolitiques réclamées par
Shulamith Firestone sont particulièrement radicales puisqu’elle propose « d’éliminer la différence
sexuelle elle-même » et de développer la « reproduction artificielle » afin que les enfants puissent
naître « pour les deux sexes de manière égale, ou indépendamment des deux, selon la manière
dont on considère la chose ». Selon cette version radicale de l’égalitarisme, l’utérus artificiel
apparaît comme la manière ultime de réaliser l’égalité homme-femme !
La critique des normes dominantes de l’hétérosexualité repose le plus souvent sur la
dénonciation du naturalisme moral ou de l’essentialisme moral. Le constructivisme moral va alors
s’opposer au naturalisme moral comme deux thèses exclusives l’une de l’autre et sans tiers terme
possible. L’acceptation de cette manière de poser les questions morales conduirait donc à choisir
entre la nature ou bien la culture. C’est cette manière de poser la question qu’il faut dépasser.
Le trouble dans le genre : le « gender queer » comme contestation de la
catégorisation des genres
Les critiques de l’hétéronormativité dominante vont prendre des figures idéologiques radicales
conduisant à des programmes de déconstruction atteignant même les structures du langage. Ainsi,
Monique Wittig propose de lutter contre le régime politique de l’hétérosexualité fondé, selon elle
« sur l’esclavagisation des femmes [sic !] » en détruisant les catégories linguistiques et
symboliques d’homme et de femme.
Selon cette compréhension radicale, la déconstruction des catégories linguistiques doit
permettre de déconstruire ou défaire les catégorisations des formes de sexualité (hétéro ou homo,
ou bisexuelle) qui sont jugées sources de violence. Après l’insistance sur le sexe puis sur l’identité
sexuelle et les rôles sociaux, puis sur l’orientation sexuelle, l’accent est désormais mis sur la
sexualité comme pratiques et comportements susceptibles de variations et de changements.
Au début des années 1990, les mouvements queer – un adjectif anglais qui signifie initialement
« bizarre, étrange, curieux » – et les idéologies queer vont revendiquer, à partir de l’expérience
subversive des transgenres et des travestis, non seulement une meilleure intégration des minorités
sexuelles dans la société mais aussi une critique et une déconstruction des identités et des
normes majoritaires. Ce mouvement queer s’inspirera notamment de la pensée de Judith Butler
formulée initialement dans son ouvrage Trouble dans le genre et inspirée elle-même par les
philosophies de la déconstruction de Foucault, Deleuze et Derrida connues et rassemblées aux
USA sous le nom de French Theory. Les conditions biologiques ne sont plus considérées comme
un donné à partir duquel la culture devrait nécessairement construire. Comme l’affirmait déjà
Monique Wittig, le sexe n’est plus un donné mais un effet, une production de l’oppression : « C’est
l’oppression qui crée le sexe et non l’inverse ». Mais, contrairement à ce que certains affirment,
cela ne veut pas dire que les différences anatomiques, gonadiques, chromosomiques, ou
hormonales sont supprimées. Elles ne sont pas niées dans leur réalité, mais elles ne sont pas
considérées comme signifiantes ou contraignantes du point de vue moral.
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Le « gender queer » pose bien des questions – et même de bonnes questions philosophiques
et anthropologiques – notamment sur le lien entre identité et rôle. Ce sont les versions radicales
politiques et éducatives qui suscitent de la crainte même si elles ne sont pas dominantes en
France ni en nombre ni en influence. Il faut donc apprendre à faire la part des choses en
examinant les projets sociopolitiques actuels.
3. Quelques éléments pour un jugement personnel
Resituer dans l’histoire française les polémiques éducatives
 Une discipline universitaire avant les polémiques.
Avant les polémiques de 2010, les études sur le genre se poursuivaient dans le domaine
universitaire sans heurts particuliers. Ainsi, en 1983, le CNRS et le Ministère des Droits de la
femme avaient financé une « action thématique programmée » (ATP) intitulée « Recherches sur
les femmes et recherches féministes » pour une durée de quatre ans (1983-1987). Cette « action
thématique programmée » s’était clôturée en 1989 par un colloque intitulé précisément « sexe et
genre » qui sera publié en 1991. L’enjeu était alors de distinguer le sexe biologique du sexe social,
d’analyser les rôles sociaux de sexe et les rapports sociaux de sexe.
 La polémique déclenchée par les cours obligatoires sur le genre à Sciences Po.
Le premier marqueur de la polémique autour de l’éducation vient de l’introduction, en 2010,
dans le programme de Science Po d’un enseignement alors obligatoire sur la question du genre.
Ce « Programme de Recherche et d’Enseignement des Savoirs sur le Genre », en abrégé
Presage et annoncé au printemps 2010 et mis en œuvre en septembre 2010. La publicité faite
autour de ce programme fait naître des inquiétudes et des critiques en raison même du statut de
Science Po où se forment les futures élites administratives et politiques françaises. Le changement
de formations des élites est interprété comme le signe de futurs changements des valeurs
morales, politiques et gestionnaires.
 Les manuels de SVT.
La polémique va s’amplifier en 2012 avec l’introduction de la notion de genre dans les manuels
scolaires. Les députés seront eux-mêmes pris à partie et un groupe de député ira jusqu’à déposer
à l’Assemblée nationale, une « Proposition de résolution tendant à la création d’une commission
d’enquête sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France » le 7 décembre 2012.
 La place des associations éducatives dans l’enseignement public.
Dans le sillage de l’introduction de cet enseignement est posée la question des associations
éducatives et de la place de la lutte contre l’homophobie à l’école.
23 novembre 2012, le tribunal administratif de Paris annule l’agrément « Éducation nationale »
dont bénéficiait SOS homophobie en tant qu’association éducative complémentaire de
l’enseignement public pour atteinte au principe de neutralité qui s’impose aux associations
intervenant dans l’enseignement public, ainsi que pour atteinte aux convictions religieuses et
philosophiques des élèves, de leurs parents ou des enseignants. La plainte avait été déposée par
la Confédération nationale des associations familiales catholiques. L’association reçoit un nouvel
agrément le 21 mai 2013.
Les étiquettes ont alors été apposées sur chacune des parties en présence, et il était devenu
difficile pour les catholiques de ne pas être taxés d’homophobes même si l’engagement de
beaucoup de chrétiens s’exerce contre ces violences et même si des textes comme ceux du
Conseil famille et société de la Conférence des évêques de France consacrent de longs
développements pour approuver et développer cet engagement contre toutes les formes de
violence homophobes. Il semblerait que la situation soit quelque peu apaisée et que ces
caricatures réciproques soient partiellement dissipées mais elles peuvent toujours renaître en
alimentant par leur simplisme les conflits politiques.
 L’éducation dans les crèches.
Après l’enseignement secondaire, c’est au tour des crèches de proposer une démarche
éducative ouvrant au respect mutuel des garçons et des filles et incitant à dépasser les
stéréotypes de répartition des rôles sociaux de sexe.
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La visite de Mme Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes à la crèche Bourdariais en
Seine Saint Denis, le 7 septembre 2012, devient emblématique d’une pédagogie plus corrective
que libérante par rapport aux assignations familiales et sociales des rôles sociaux différents selon
le sexe. Comme le dit une éducatrice : « on encourage les filles à manier le marteau à l’atelier
bricolage et les garçons à s’exprimer à l’atelier émotions ». Bien des familles, à tort ou à raison,
ont alors l’impression que l’école se fait contre eux et non pas avec eux, et les stratégies de
communication du gouvernement n’aident aucunement à clarifier ce point.
 L’ABCD de l’égalité.
Le lancement en 2013 du programme pédagogique « l’ABCD de l’égalité », qui s’adresse aux
élèves de la maternelle au CM2, sera le lieu de bien des incompréhensions et des confusions. Ce
programme qui devrait initialement être généralisé à la rentrée 2014 avait pour but de
« déconstruire les stéréotypes de genre » et faisait partie d’un programme plus général de
« mobilisation pour "l’égalité à l’école" associant l’ensemble des acteurs éducatifs et associatifs ».
Comme peu de personnes lisent les textes officiels et comme, dans le même temps, sont
apparues des polémiques pédagogiques (par exemple le film Tomboy) et des polémiques
politiques lors de l’examen du texte de loi pour « l’égalité réelle entre les femmes et les hommes »
(Texte adopté n° 282 en 1ère lecture, 28 janvier 2014) pour lequel la commission des lois
mentionnait par exemple un droit à l’avortement au nom du droit à disposer de son corps et au
nom de l’égalité, les amalgames et les brouillages sont apparus quasi-inévitables. Il devenait
difficile de savoir à quoi devait conduire la requête d’égalité à l’école et dans l’éducation à la
sexualité. Et le ministère de l’éducation a curieusement vraiment manqué de pédagogie !
 Une réactualisation de vieux conflits autour de la Révolution ?
Ces conflits autour de l’éducation s’appuient sur quelques expériences jugées étranges ou
inconvenantes, sur bien des incompréhensions et inquiétudes, et même parfois sur de fausses
rumeurs répandues rapidement sur le Web (celles appelées pour défendre les journées de retrait
de l’école), qui alimentaient la peur des parents. Beaucoup s’interrogent : pourquoi programmer et
imposer de telles évolutions quand l’ascenseur social semble en panne et quand les premiers
apprentissages dévolus à l’école, notamment la lecture, l’écriture et la maîtrise de l’expression, ne
paraissent plus assurés ? Comment parler d’une politique de l’égalité si ces apprentissages ne
peuvent réussir sans le soutien effectif et constant du milieu familial ? Pourquoi la communication
entre enseignants et parents n’a pas été plus développée en temps de conflit ?
Il faudrait montrer comment ces conflits actuels réactivent d’anciens conflits sur le rôle de
l’école catholique d’abord avant la Révolution (que l’on songe ici à l’éviction en France, entre 1762
et 1768, des jésuites de leurs 106 collèges) puis pendant la Révolution. Lors de la Révolution,
« l’instruction » est apparue comme un quatrième pouvoir venu s’ajouter aux trois pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire. Il faudrait détailler ici l’étude faite par Dominique Julia sur l’histoire
de l’éducation au temps de la Révolution, qui est intitulée Les trois couleurs du tableau noir. La
Révolution. Il faudrait notamment développer la liaison établie entre pouvoir de « l’instruction »
détenu par le gouvernement et solidité du gouvernement pour mieux comprendre les crispations
politiques et religieuses actuelles et pour comprendre, plus largement ensuite, les conflits autour
d’une conception de l’école qui semble souvent curieusement soustraite du débat démocratique.
Le livre de l’ancien ministre de l’éducation Vincent Peillon, La Révolution française n’est pas
terminée s’inscrit dans cet héritage de la réalisation attendue du quatrième pouvoir.
Si « l’instruction », c'est-à-dire l’enseignement et l’éducation, est pensée et vécue comme un
pouvoir détenu par le gouvernement qui le délègue aux enseignants, comment dès lors prendre en
compte la demande, l’avis, le pouvoir des familles sur la base du socle des valeurs républicaines ?
Comprendre et distinguer
 Distinguer « Etudes de genre » et « projets sociopolitiques du genre »
Les « études de genre » (gender studies) cherchent à comprendre comment sont produites,
structurées et vécues dans les sociétés les relations des hommes et des femmes selon des
représentations, usages, conventions et normes sociales, économiques et politiques, qui
valorisent, justifient, et parfois prescrivent et assignent non seulement des rôles différentiés mais
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aussi des identités et des orientations sexuelles. Comme toutes les sciences humaines, les gender
studies sont descriptives et analytiques.
Nous avons donc tout intérêt à utiliser les « études de genre » pour mieux comprendre
comment sont structurées la société, l’Eglise, les familles, les identités et les orientations
sexuelles. Qu’aurions-nous donc à craindre d’une meilleure compréhension de nos manières
générales de vivre – et en particulier de vivre la sexualité – et d’organiser la répartition des rôles
sociaux et des pouvoirs ? Bien sûr, nous ne tomberons pas dans ce réductionnisme qui prétend
analyser les rapports humains et les rapports amoureux uniquement par le pouvoir, mais nous ne
serons pas aveugles et sourds à la provocation de certaines analyses.
Les idéologies du genre ou plutôt, parce que le terme reste péjoratif en France, les projets
sociologiques du genre ne sont pas seulement descriptifs (analyser ce qui est) mais prospectifs
(énoncer des possibles) et prescriptifs (formuler ce qui doit être par un programme d’action). Ces
projets sont des programmes plus ou moins cohérents et systématiques de transformation des
personnes et de la société.
Pourquoi ne pas reconnaître qu’il y a de bons projets sociopolitiques du genre, notamment ceux
qui visent à sortir des stéréotypes sociaux sur les rôles hommes-femmes ? Il nous faudra donc
analyser avec patience les projets de société véhiculés par certains groupes.
 Analyser les projets éducatifs en échappant à la rhétorique de l’envahissement,
de l’infiltration ou de la contamination.
Il serait important de préciser le ou les types de programme dans lesquels se déclinent les
projets sociopolitiques du gender. Lors de chaque polémique ou lors de la parution de chaque
réforme éducative, il faudrait se demander posément ce qui est exact et ce qui est réellement en
jeu :
1) une lutte contre les inégalités sociales entre hommes et femmes, et contre les stéréotypes
d’assignation de rôles sociaux, ou contre les rapports structurels inégalitaires de pouvoir. Ces
projets sont à encourager à condition de restaurer la communication avec les familles.
2) une lutte contre l’hétéronormativité dominante.
3) une déconstruction des identités sexuelles et une relativisation des orientations sexuelles.
4) une valorisation des formes changeantes de pratiques sexuelles.
Quelques enjeux sociopolitiques et éthiques
 Fortifier les liens conjugaux et familiaux.
La famille reste le premier lieu d’éducation et le ministère de l’éducation nationale ne le dément
pas ! Ce sont donc aux familles à se réapproprier une éducation dont certains aspects, notamment
l’éducation sexuelle, semblent leur échapper de plus en plus. Les difficultés relationnelles et
également économiques des familles peuvent avoir pour conséquence des difficultés de
maturation et d’identité des enfants, et donc, parfois, des difficultés à vivre une sexualité
humanisée, quelle soit hétérosexuelle ou homosexuelle.
Tout ce qui pourra favoriser le lien conjugal et les liens familiaux est à privilégier pour assurer
les meilleures conditions de maturation aux enfants. Tout ce qui pourra favoriser la structuration de
liens sociaux durables non réductibles aux seuls liens d’intérêt ou marchands est aussi à favoriser.
Une société fragile ne peut vivre qu’en développant des liens sociaux durables.
Selon la conception chrétienne, le mariage est le lieu où sont noués l’amour filial
(reconnaissance envers ceux qui nous ont engendrés), l’amour conjugal (le lien d’alliance entre
l’homme et la femme), l’amour parental (le don des conjoints pour éduquer les enfants), l’amour
social (les engagements divers pour plus d’attention, de considération, de justice pour tous dans la
société). Cette visée idéale doit pouvoir à la fois nourrir les familles et rendre attentifs aux besoins
et souffrances des différentes familles, notamment des familles monoparentales et des familles
homoparentales.
 Développer les liens entre familles et enseignants.
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Heureusement, le lien entre familles et enseignants est fortement encouragé dans la plupart
des établissements ! Mais c’est aussi aux familles à se mobiliser pour restaurer, si nécessaire, le
dialogue et sortir de l’opposition pour privilégier la coopération. Sur ce point il reste beaucoup à
inventer, non seulement pour dépasser les conflits mais pour soutenir concrètement à la fois les
familles et enseignants.
 Critiquer l’extension des nouvelles formes de procréation, qui ne concerne pas
que les couples homosexuels.
L’engendrement dans la chair prôné par les catholiques par un acte de donation personnelle et
mutuelle n’est pas une norme « naturelle » au sens biologique mais une norme personnaliste qui
permet de conjoindre toutes les dimensions de la personne et d’assurer les conditions pour que les
personnes naissent vraiment libres et égales. Qui peut être juge des conditions requises pour venir
au monde ? Certaines propositions actuelles de définir la filiation uniquement par la volonté
anticipent juridiquement les réalisations biotechnologiques de la fabrication des gamètes artificiels
et de l’utérus artificiel. La filiation ne se définirait plus selon un lien inconditionnel dans la chair (ce
que ne nie pas la filiation adoptive) mais par un lien contractuel entre des volontés. Le corps ne
serait plus qu’un instrument à disposition des volontés et non plus la manifestation d’une
subjectivité. Et ces évolutions ne concernent pas uniquement les couples homosexuels !
 Prêter attention au cas particulier de la GPA.
Après avoir suscité bien des débats au début des années 2010, la GPA revient fortement en
discussion. Les débats avaient été vifs au PS et c’est la proposition contre qui l’avait emporté au
nom du refus de l’instrumentalisation de l’enfant et de la femme, de l’aliénation des femmes
réduites à des outils de production, et de la marchandisation du corps de la femme. Le débat
revient surtout au PS et un groupe de députés PS, de scientifiques, de juristes et d’intellectuels de
gauche se sont récemment mobilisés contre. LA GPA n’est pas autorisée en France mais les
réflexions à son sujet sont des sortes de laboratoire pour envisager les transformations des
modalités de l’engendrement et de la filiation.
 Parler de la signification du corps et de la sexualité
C’est un leitmotiv de certains parents que de constater combien l’éducation à la sexualité est
pauvre en significations à force d’être pensée avec les seules catégories du mode de
fonctionnement, du plaisir, du respect et de la sécurité. Mais si l’école ne parle que du
fonctionnement ainsi que du respect par crainte de parler d’autres valeurs qui ne sont pas
partagées par tous, c’est encore aux parents, et aux éducateurs qu’ils mandateront, de parler des
significations et des valeurs de la sexualité.
La nouvelle effervescence autour de l’exposition le « Zizi sexuel » à la Cité des Sciences
semble relancer le débat. On y parle pourtant – si j’en juge le site Internet - de sentiment
amoureux, de la puberté, de faire l’amour, de faire un bébé, et aussi « d’ouvrir l’œil » en expliquant
ce qu’est l’inceste, pédophilie, en apprenant à faire attention à Internet, et en posant la question
des films pornos. Avant de critiquer, il faudrait voir sur place ce que cette exposition permet
comme type de prise de conscience et de dialogue.
Les enfants et adolescents ont accès à énormément d’informations et de films par internet. Il
convient donc de les informer sur ces sujets, en accompagnant l’information d’un discours sur les
valeurs et les règles morales. La vidéo disponible sur le site de l’expo le « zizi sexuel » dit
clairement que les acteurs pornos sont réduits à des instruments de performance sexuelle et que
cela ne correspond pas à la vraie vie. C’est déjà un bon point de départ pour une réflexion
éthique !
Il y a actuellement dans l’Eglise un intérêt renouvelé pour la « théologie du corps » de JeanPaul II pour penser les significations et les obligations de la sexualité. Il resterait à traduire cette
« théologie du corps » dans un langage accessible à tous en dehors de la fois chrétienne en
valorisant le concept de don et l’unité des dimensions de la personne.
Pour que les enfants vivant dans différents types de famille puissent se rencontrer sans
violence à l’école, il est nécessaire de pouvoir tenir un discours apaisé sur les familles
monoparentales et les familles homoparentales. L’école, gardienne des idéaux républicains de
liberté, d’égalité et de fraternité, doit pouvoir y contribuer ainsi que les familles.
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 Approfondir en Église la question de l’homosexualité et la place des personnes
homosexuelles en valorisant le lien stable.
Si le magistère catholique n’a rien changé de la doctrine morale, les évêques, théologiens et
fidèles, restent divisés sur l’appréciation morale de l’homosexualité et sur l’union civile des couples
de même sexe. Dans le cadre du respect de grandes valeurs fondamentales, les catholiques
vivent donc le pluralisme politique et éthique. Beaucoup semblent se focaliser sur l’acte sexuel au
lieu de s’intéresser au comportement global et à la forme de lien qui peut être stable. Nous
sommes heureusement sortis d’un discours médical assimilant l’homosexualité à une pathologie
psychiatrique. L’enjeu actuel de l’Eglise catholique est de savoir si elle peut consentir à l’existence
d’une union civile qui ne remettrait pas en question sa théologie du mariage. Cette question
mériterait un exposé particulier.
L’Eglise a admis que beaucoup de personnes qui se découvrent homosexuelles ne l’ont pas
cherché. Elles découvrent, parfois avec difficulté, l’orientation de ce désir en elle. Elles ne peuvent
donc pas être déclarées coupables ni perverses comme le proclamaient d’anciens discours.
Comme l’exhortation à la continence ne peut valoir dans un discours public et qu’elle rencontre
chez les catholiques eux-mêmes, en dehors de quelques cas, bien des difficultés dans
l’affrontement à la réalité, il y aurait lieu de valoriser les unions civiles stables sans les qualifier
nécessairement de mariage ouvrant le droit à l’assistance médicale à la procréation et à la
gestation pour autrui. Il serait ainsi signifié que le lien reconnu par la société n’est pas uniquement
une question de sentiment ou de plaisir mais d’engagement volontaire et durable envers une
personne privilégiée.
S’il y a aujourd’hui, après les périodes de revendications de liberté par rapport au cadre familial,
un tel « désir de famille », c’est peut-être que la famille apparaît toujours, dans une société
fragilisée, comme le lieu de l’accueil inconditionnel et durable, le lieu où l’on est toujours accueilli,
écouté, aidé, secouru. Ce constat devrait nous inviter à ne pas rester focalisés sur la question de
l’union entre personnes de même sexe mais à élargir nos préoccupations aux différentes formes
du lien social.
 L’enjeu du lien social et du soutien dans l’existence.
Qu’est-ce qui nous tient ensemble ? Pourquoi et comment avons-nous besoin les uns des
autres pour vivre humainement. A quoi nous oblige cette relation de solidarité par laquelle nous
nous tenons ensemble humainement dans le monde ? Ce thème du lien est particulièrement
important parce que la famille ou plutôt les familles, selon l’expression actuelle, sont des lieux
recherchés de solidarité et de soutien des vulnérabilités.
 Réinstaurer une culture du débat basée sur une éthique du dialogue dans la
société et dans l’Église
Il importe de créer des espaces de débats, parfois en petits groupes non publics pour débattre
en confiance sans que des propos encore mal formulés ou qui se cherchent ne soient
instrumentalisés par les autres. Pourquoi parler de sujets qui fâchent ou de sujets délicats
seulement par blogs interposés ou par lettres ouvertes dénonciatrices ? Il faudrait commencer
dans l’Eglise…
 Redire que le christianisme est d’abord une affirmation et non pas une négation.
Nous ne pouvons nous contenter d’être des gens du NON, des Neinsager comme le dit si bien
l’allemand pour désigner des groupes de personnes qui disent toujours « non ». Les chrétiens sont
avant tout des Jasager, des gens qui disent « OUI » au bien, au bon, au vrai car le Christ est celui
dont l’apôtre dit : « il n’a été que OUI » (2 Co 1, 19).
Dans les désaccords et les luttes politiques où nous pouvons être persuadés du mal à
combattre, il ne faudrait pas oublier l’exhortation de Paul : « Ne te laisse pas vaincre par le mal,
mais sois vainqueur du mal par le bien. » (Rm 12, 21). Être vainqueur du mal par le bien suppose
courage, solidarité et créativité : comment pouvons-nous aider nos contemporains ? « Aider »,
n’est-ce pas le premier mot qui signe l’intention divine en donnant l’homme et la femme l’un à
l’autre (Gn 2, 20) ?
Conclusion
Les polémiques sur le genre pourraient être :
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-
L’occasion de nous poser des questions sur nous-mêmes et sur nos modes de vie.
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L’occasion de fortifier notre intelligence de la foi et de revisiter les grandes références d’une
anthropologie biblique et théologique renouvelée par la critique.
-
L’occasion de redécouvrir la force de transformation et d’innovation de l’Évangile.
-
L’occasion d’un engagement politique plus fondé, raisonné et motivé.
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L’occasion d’expérimenter et de montrer humblement que la vie chrétienne est bonne et
féconde non seulement pour les chrétiens mais pour toute la société. Comment pourronsnous dire « proclamez que le Seigneur est bon » si sa bonté ferme et généreuse ne se
traduit pas entre nous et par nous ?
P. Bruno Saintôt sj
Responsable du Département Ethique biomédicale du Centre Sèvres
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