la Responsabilité Sociale dans les Banques

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Auteur:
Nom:
MEKDESSI
Prénom: Sélim
Qualité: Docteur en Sciences de Gestion (Université Jean Moulin, Lyon 3)
Appartenance institutionnelle:
- Chercheur Post-Doctorat à l'ISEOR (Lyon, France)
- Membre de l'ADERSE (France)
- Membre du RIODD (France)
- Université Libanaise (Liban)
Lieu d’exercice principal:
Professeur Associé à l’Université Libanaise
Faculté des Sciences Economiques et de Gestion des Entreprises, Branche III
Chef du Département Finance
Coordonnées: Sélim Mekdessi
Kafar-Akka Koura ; Rue Principale ;
Résidence Elia Mekdessi ; Face à l’Ecole Publique Secondaire de Kafar-Akka
LIBAN Nord
Téléphone: 00 961 3 49 48 60
Fax: 00 961 6 95 04 82
Courriels: [email protected]
[email protected]
Résumé :
La Responsabilité Sociale des Entreprises et le Développement Durable ont des
applications fort différentes selon les secteurs d’activités des entreprises. Il s’avère pertinent
d’analyser comment la responsabilité sociale des entreprises influence les stratégies des
institutions financières et des banques. Sur la base de quelles méthodes et de quels critères
évalue-t-on la responsabilité sociale des banques ? La RSE et le DD soulèvent la question de
la socialisation du risque, qui trouve son fondement dans la recherche d’une démocratisation
des effets de la mondialisation et de la « marchéisation » dans le sens d’une humanisation de
l’économique en général et des nouveaux risques en particulier.
La RSE doit être adaptée aux différents secteurs d’activité relevant de la sphère
financière ; la responsabilité sociale des banques s’analyse sous une dimension particulière,
soit celle d’objectifs socio-économiques comme l’inclusion sociale et la cohésion sociale.
Notre communication explicitera le champ d’investigation retenu pour l’étude et la
méthodologie consistant à repérer les pratiques innovatrices en matière de RSE et d’inclusion
sociale adoptées par les banques ; les pratiques relevées seront regroupées par pays, ce qui
permettra d’examiner les causes de leur mise en œuvre et de vérifier si elles sont rattachées
aux caractéristiques du contexte institutionnel encadrant l’activité des banques et l’intégration
du concept d’inclusion.
De nouvelles réalités pour la contribution au renforcement
de la cohésion sociale à travers les activités de la finance :
la Responsabilité Sociale dans les Banques
Les questions de responsabilité sociale des entreprises et de développement durable
ont pris une telle ampleur au cours des dernières années qu'elles en sont venues à interpeller
toutes les entreprises, qui peuvent difficilement demeurer indifférentes faces à ces
phénomènes. L'idée de responsabilité sociale des entreprises s'inscrit dans la continuité d'un
ensemble de débats récurrents depuis les années 19601, mais c'est particulièrement à la suite
des scandales financiers et de gouvernance d'entreprise des dernières années que les pressions
sur les entreprises se sont accentués, obligeant celles-ci non seulement à adopter des stratégies
de responsabilité sociale, mais aussi à devenir plus sensibles aux enjeux sociaux, éthiques et
environnementaux liés à leurs activités, et à s'évaluer par rapport à des standards de
performance plus stricts et plus diversifiés, ne se limitant plus aux critères purement
financiers.
Le débat engagé depuis quelques années autour du concept de responsabilité sociale
des entreprises se conjugue avec les interrogations soulevées au niveau mondial sur le devenir
de notre planète dans ses dimensions environnementale, économique et sociale autour du
concept de développement durable formalisé par l'Organisation des nations unies (O.N.U.) en
1992 au sommet de la Terre de Rio De Janeiro. Le développement durable appliqué à la
sphère économique s'est formalisé au travers du concept de responsabilité sociale des
entreprises, dont la Commission européenne a donné la définition suivante: "L'intégration
volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs
activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes". Cette définition implique
pour les entreprises une triple démarche: L'adoption volontaire d'une stratégie de
responsabilité sociale par des entreprises qui ne peuvent se limiter à la stricte application du
droit ; la poursuite de la performance financière qui n'exclut plus le social, l'environnemental
et l'économique; la nécessité d'une plus grande transparence et d'une reddition de compte
auprès des parties prenantes, et non seulement des actionnaires.
1. Le système bancaire et la responsabilité sociale
La responsabilité sociale de l'entreprise est un enjeu très actuel, mais il ne s'agit pas
pour autant d'un concept nouveau. Depuis les activités philanthropiques des sociétés
industrielles visant à améliorer les conditions de vie et de travail jusqu'à la mise en valeur des
dimensions économique, sociale et environnementale d'aujourd'hui la perspective de la
responsabilité sociale de l'entreprise a évolue de façon considérable. D'ailleurs, comme le
souligne Pasquero (2004:35), l'évolution des exigences de la responsabilité sociale de
l'entreprise repose sur les acquis du passé.
1.1. Les institutions bancaires ont-elles une responsabilité sociale distincte?
L'exigence d'un comportement socialement responsable est de plus en plus pressante
pour toutes les organisations. Dans les années 1970, le public réclamait déjà des entreprises
qu'elles assument les conséquences de leur activité2. Dans le cas des institutions financières,
1
2
Déjean et Gond, 2003:2
Heard et Bolce, 1981
la question d'une responsabilité sociale spécifique est traitée selon différentes perspectives
dans la littérature. D'une part, on considère que le devoir des institutions financières est de
fournir à leurs clients la meilleure gamme de produits et de services pour faire face à leurs
engagements en tant que gestionnaires des fonds qui leurs sont confiés, sans que la société
puisse leur demander d'adopter un comportement particulier1. Selon une autre tendance, le
secteur financier est vu comme un service public puisqu'il fournit des produits et des services
essentiels qui ne peuvent être obtenus autrement. Entre ces deux courants se trouve celui qui
estime que les institutions bancaires sont des entreprises semi-publiques, non seulement parce
qu'elles jouent un rôle crucial dans la gestion de l'épargne, mais aussi parce qu'elles assument
plusieurs fonctions névralgiques au sein de l'économie2 .
Nous pouvons observer que les institutions financières sont de plus en plus préoccupées par la
responsabilité sociale. Cet intérêt marqué reflète une volonté de l'entreprise de satisfaire aux
attentes de la société en général, ce qui leur permet d'accroitre leur performance à moyen
terme, tout en rehaussant leur image pour déployer les mêmes efforts que leurs concurrents en
ce qui a trait à l'adoption de pratiques socialement responsables3 .
Dans plusieurs pays développés, le secteur bancaire est relativement concentré. En
conséquence, les institutions financières sont grandes, rentables et très visibles. Ces facteurs
expliquent les attentes élevées tant du public que des gouvernements face à ses institutions
pour qu'elles redistribuent à l'ensemble de la société une partie de leur richesse et qu'elles
soient à l'avant-garde du développement durable.
A l'échelle internationale, plusieurs programmes ont été établis en vue d'appuyer les
institutions du secteur bancaire dans la mise en œuvre de leurs pratiques en matière de
responsabilité sociale. Nous signalerons les principales initiatives :
- Tout d'abord, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), reconnaissant
l'importance du système financier dans la promotion du développement durable, a émis en
1992 la Déclaration des institutions financières sur l'environnement et le développement
durable ; cette initiative a donné lieu à la création d'un partenariat entre le PNUE et les 200
institutions financières adhérentes sur la base de leur engagement en faveur du développement
durable, de la gestion environnementale et de la communication au public.
- En outre, la Société Financière Internationale, membre du groupe de la Banque Mondiale, a
élaboré les Equator Principles pour établir des normes sociales et environnementales liées au
financement de ses projets de développement. En Octobre 2005, 34 institutions financières
avaient signés ces principes.
- Une autre initiative vient du réseau Banktrack, un regroupement international de plus de 200
organisations de la société civile visant à surveiller les opérations du secteur financier privé et
leurs effets sur la société. Il s'agit de la Collevecchio Declaration on Financial Institutions, qui
exige les institutions financières un engagement en six points liés au développement durable.
- Finalement, la Global Reporting Initiative (GRI), qui est sans doute l'initiative la plus
connue, est née en 1997 et est maintenant affiliée aux Nations unies à titre de Centre de
collaboration du PNUE. Elle a pour mission le développement et la promotion de méthodes
d'information comptable (reporting) sur le développement durable.
Les particularités des institutions financières ont nécessité l'élaboration de suppléments
sectoriels pour mesurer leur performance sociale et environnementale.
1
2
3
Zeegers, 2000
Schuster, 2000
Dembinski, 2000
1.2. Faire face à l'exclusion bancaire: le défi à relever
S'il est évident que la mondialisation nécessite une évolution rapide des stratégies de
toutes les organisations, pour les institutions financières, dont les activités ont longtemps été
très fortement réglementées par les pays, la concurrence intense et l'internalisation des
activités imposent des changements encore plus radicaux. Paradoxalement, alors que le
secteur financier se caractérise par un grand dynamisme et une grande capacité d'innovation,
le niveau de rentabilité exigé dans un contexte très concurrentiel rend plus difficile
l'accessibilité à ce secteur pour une partie de la population dont les activités n'apparaissent pas
suffisamment rentables.
Cette dynamique nouvelle, de même que l'augmentation de la pauvreté relative de certains
segments de la population, accroit le risque d'exclusion sociale dans certaines communautés1.
La complexité de la problématique rend difficile l'obtention de données précises sur l'état de
la situation.
2. Responsabilité sociale des banques et inclusion sociale
L'accès aux services financiers est reconnu comme un facteur permettant d'atteindre la
cohésion sociale. En conséquence, l'inclusion sociale constitue un enjeu social particulier pour
les banques. Le défi de l'inclusion sociale est à la mesure des effets de l'exclusion sociale, qui
se définit comme "le processus par lequel une personne rencontre de telles difficultés d'accès
et/ou d'usage dans ses pratiques bancaires, qu'elle ne peut pas ou plus mener une vie sociale
normale dans la société qui est la sienne"2. La contribution des banques à la cohésion sociale
peut se mesurer à leurs engagements sociaux et communautaires, à leur responsabilité sociale
et notamment à leur responsabilité en matière d'inclusion sociale.
Cette action s'inscrit dans le cadre des relations de l'organisation avec son
environnement, puisant dans les fondements à la fois de la théorie de la contingence, de la
théorie institutionnelle et de la théorie de la responsabilité sociale des organisations. La
théorie de la contingence3 met en lumière la faculté d'adaptation de l'organisation considérée
comme un système ouvert à l'influence de facteurs de contingence, tels que les technologies,
les types d'activités, de structures, de stratégies ou de taille. La littérature sur la responsabilité
sociale des entreprises traite abondamment des motifs pour lesquels les entreprises adhèrent
ou devraient adhérer à ce principe, surtout lorsque ce n'est pas une obligation légale. La
conception de la responsabilité sociale d'une entreprise ne fait pas l'unanimité. La
responsabilité ne doit pas être imposée ou être arbitrairement déléguée aux organisations,
selon Barnard (1958). "L'entreprise a une et une seule responsabilité sociale: utiliser ses
ressources et exercer ses activités destinées à accroître ses bénéfices, dès lors qu'elle respecte
les règles du jeu, à savoir prendre part à une concurrence ouverte et libre, sans tromperies ni
fraude" 4. Selon la littérature sur la responsabilité sociale des entreprises, celle-ci peut être
considérée en tant qu'une réponse organisationnelle au questionnement social (d'ordre
institutionnel) auquel font face les entreprises. La théorie institutionnelle soulève les aspects
social et culturel de l'environnement, qui se reflètent dans le cadre légal et les valeurs
véhiculées au sein d'un contexte donné.
1
Kempson et al., 2000
Gloukoviezoff, 2004:188
3
Lawrence et Lorsh, 1967
4
Friedman, 1962:133, traduction libre
2
Appliqué à l'étude des organisations, le fondement de la conformité peut être l'obéissance
(lois, règlements, codes obligatoires), l'obligation sociale (normes, standards, codes
volontaires) ainsi que les convictions socialement tenues pour acquises1.
Ces fondements conceptuels soulèvent certaines interrogations au point de vue du
management stratégique. Les entreprises adoptent ou devraient adopter généralement des
pratiques dites responsables pour être perçues comme éthiques, pour gérer leurs relations avec
la société ou pour tenir compte des enjeux sociaux dans le cadre de la gestion stratégique.
Elles le font d'abord pour elles-mêmes, pour conserver leur légitimité et pour assurer leur
pérennité et leur position socioéconomique. La première étape pour qu'une banque conserve
sa légitimité auprès de la société comme du gouvernement est de se conformer aux exigences
légales et réglementaires. Si les banques adoptent des pratiques en matière de responsabilité
sociale des entreprises et d'inclusion sociale, la question est de savoir si elles y sont
contraintes ou si elles le font de façon volontaire. Si elles le font volontairement, est-ce dans
le but de se démarquer, d'en retirer un avantage concurrentiel et d'en retirer ainsi une valeur
ajoutée2? Si elles le font uniquement pour se conformer à des exigences, faut-il une loi pour
qu'une banque soit forcée à prendre en considération les conséquences sociales de ses
activités non seulement par rapport à ses actionnaires, mais aussi par rapport à ses autres
partenaires, au sens où l'entend Freeman (1984), incluant la société dans laquelle elle évolue?
Doit-on s'assurer que la responsabilité sociale des entreprises se confond avec sa
responsabilité juridique3 ? Dés lors, quelles sont les règles du jeu et comment peut-on les
influencer pour amener les entreprises, et notamment les banques, à se questionner et à être
plus responsables socialement?
3. Démarche de détermination des pratiques en matière d'inclusion sociale
Une recherche a été menée dans le but de relever chez les grandes banques,
spécifiquement celles qui sont constituées en sociétés à capital-actions et dont les titres se
transigent sur le marché financier, les pratiques innovatrices privilégiant l'inclusion sociale et
d'élaborer des critères pour évaluer et comparer leur leadership en cette matière. Les pratiques
ont été recensées à partir des échantillonnages de 50 banques réparties en Amérique,
Angleterre et France .
Les pratiques en matière d'inclusion sociale sont segmentées selon six thèmes, émanant des
préoccupations généralement soulevées sur la définition et les limites de la responsabilité
sociale des banques:
- Le surendettement.
- Le microcrédit et la microfinance, regroupant les pratiques visant autant les ménages que les
entreprises;
- La discrimination bancaire concernant plusieurs pratiques liées à l'accès des clientèles
traditionnellement mal servies par les banques (personnes démunies, petites entreprises,
étudiants, minorités ethniques, personnes handicapées, personnes vivant dans des régions
éloignées ou peu populeuses, etc.) au crédit et aux services bancaires pouvant être similaires
ou même recouper celles qu'on trouve sous les thèmes "microcrédit et microfinance" et
"services bancaires de base;
- Le développement du territoire, incluant des pratiques pouvant chevaucher celles qui sont
associées à la microfinance, aux services bancaires de base et à la lutte contre la
discrimination;
1
2
3
Scott, 1995
Kanter, 1999
Lisée, 1991
- Les services bancaires de base concernant les problèmes associés à l'ouverture d'un compte,
l'accès aux autres services bancaires, l'autorisation de découvert, les limites autorisées quant
aux transactions sur les montants déposés dans les comptes, l'information relative aux moyens
de se constituer de l'épargne, l'accès au crédit, l'accueil dans les succursales et les banques à
distance;
- La médiation, l'ombudsman, le traitement des incidents et des interdits bancaires regroupant
plusieurs types d'initiatives: l'adoption d'un code de déontologie et d'un code d'éthique
(incluant un code pour les employés) ainsi que la présence de déontologues, de médiateurs,
d'ombudsmans pour les plaintes des clients et d'officiers de conformité pour les transactions
sur les valeurs mobilières.
La principale méthode utilisée pour le repérage des pratiques a consisté en l'analyse du
contenu des sites Web et d'autres documents "corporatifs" des banques faisant partie de
l'échantillonnage, comme les rapports annuels, les rapports de gestion, les bilans sociaux ainsi
que des articles de journaux et de revues.
4. L'impact du cadre institutionnel sur l'adoption de pratiques en matière d'inclusion sociale
4.1. Les banques américaines et les pratiques visant à contrer le surendettement et la
discrimination et à favoriser le développement du territoire.
Les banques américaines se démarquent au moyen de nombreuses pratiques
exemplaires en matière de discrimination bancaire, de lutte contre le surendettement, de
microfinance et de microcrédit et surtout de développement du territoire.
En matière de discrimination bancaire, notons les pratiques suivantes:
- La divulgation de la répartition démographique des prêts;
- L'engagement communautaire des employés et des banques;
- l'offre de services en plusieurs langues;
- le développement de produits répondant aux besoins de certains groupes traditionnellement
exclus (femmes entrepreneures, personnes à faibles revenus et autochtones);
- le réaménagement des accès pour les clients à mobilité réduite (succursales, guichets
automatiques);
- l'offre de financement adapté aux personnes âgées.
Les banques ont également conçu de nombreuses pratiques en matière de lutte contre
le surendettement:
- des activités de formation, par exemple, la production des documentaires vidéo,
l'organisation de conférences sur l'épargne, sur l'éducation financière;
- La consolidation des dettes et le redressement de la situation financière, par exemple, l'offre
d'un programme de prêts dans les communautés défavorisées, des rabais sur les taux d'intérêt
sur les prêts, une offre de carte de crédit à un taux égal à celui des prêts.
En matière de microfinance et de microcrédit, les banques américaines ont adopté de
nombreuses pratiques:
- La mise en place d'un service spécialisé pour les P.M.E.:
- Le soutien à l'élaboration d'initiatives communautaires (notamment à travers les partenariats
avec des organismes à but non lucratif);
- l'offre de services adaptés aux besoins des clients défavorisés par le système traditionnel (par
exemple, des lignes de crédit spéciales pour les petites entreprises, un microcrédit sans
garantie, un microcrédit aux personnes ayant des difficultés financières, la simplification de la
notation de crédit, la création de fonds pour le microfinancement).
En matière de développement du territoire, les pratiques constatées dans les banques
incluent d'abord des mesures de promotion et de mise en valeur de leurs activités sur leur
territoire telles que celles-ci:
- la publication d'un bilan social ou d'un rapport sur la philanthropie et les relations avec les
communautés (dons, activités bénévoles des employés, parrainage d'activités
communautaires, etc.);
- le développement des sites Web communautaires;
- le développement d'émissions radiophoniques sur l'éducation financière;
- l'offre de prêts et d'investissements à des communautés spécifiques sous-financées;
Les banques américaines ont aussi mis au point un deuxième type de mesures axées
sur l'action et le véritable développement du territoire, dont les suivantes:
- des prêts hypothécaires dans les réserves indiennes;
- des programmes d'intégration et de formation offerts à certains groupes;
- une banque mobile et/ou une équipe volante de représentants;
- des prêts hypothécaires aux nouveaux propriétaires à faibles revenues;
- un investissement dans les communautés sous-financées;
- un programme pour une main-d'œuvre représentative;
Les pratiques des banques américaines sont en grande partie attribuables au respect de
mesures légales, dont la Community Reinvestment Act (CRA). Adoptée en 1977 dans le but
de favoriser le développement communautaire et de lutter contre la distribution asymétrique
des ressources par les institutions financières, la CRA s'applique essentiellement aux banques
à charte fédérale ainsi qu'aux institutions financières communautaires. En les obligeant à
servir leurs communautés, et particulièrement à satisfaire les besoins des clients à faibles
revenus, cette loi vise à assurer que ces banques répondent aux besoins de crédit dans les
marchés où elles ont obtenu une charge les autorisant à y exploiter des affaires. Elles sont
tenues de démontrer, entre autres, dans quelle mesure elles favorisent l'offre de crédit aux
communautés et aux groupes traditionnellement défavorisés, les obligeant à mieux servir des
créneaux qui pourraient leur apparaître moins rentables. Elles sont régulièrement évaluées au
regard d'une liste de critères selon un processus d'audit ou d'examen administré par quelques
agences gouvernementales, dont la Federal Deposit Insurance Company. Les banques qui ne
satisfont pas à ces exigences légales sont sujettes à des inspections et à des amendes et
peuvent même se voir sanctionner par l'interdiction de prendre de l'expansion ou d'ouvrir de
nouvelles succursales.
Les défauts de conformité sont aussi ajustés en fonction de plusieurs autres lois,
relatives à la discrimination dans l'octroi de prêts et autres pratiques en matière d'inclusion
sociale:
- La Fair Housing Act, adoptée en 1968 et amendée en 1988, interdit la discrimination fondée
sur la race, la couleur, l'origine, la religion, le sexe, le statut familial et le handicap au cours
des transactions de financement liées à l'accès au logement.
- l'Equal Credit Opportunity Act, en vigueur depuis 1974, vise à protéger aussi bien les
individus que les entreprises contre les pratiques discriminatoires dans le cadre des demandes
de crédit.
- La Home Mortgage Disclosure Act de 1975 oblige les institutions financières, incluant les
banques, à divulguer les données liées à leurs pratiques relatives aux prêts.
Les initiatives d'offre de services bancaires de base s'inscrivent en tant que mesures favorisant
l'accessibilité aux services. Elles représentent une volonté des banques d'adapter leurs services
aux critères relatifs à la "distribution géographique des applications, approbations et refus de
crédit", aux "heures d'ouverture et de fermeture et suivi des pratiques par les succursales", aux
"pratiques de dissuasion des demandes de prêts" ainsi qu'aux "pratiques discriminatoires et
autrement illégales", tous imposés par la CRA. Les banques contribuent par l'instauration de
ces moyens à atténuer la discrimination bancaire, mieux connue sous le terme red-lining,
phénomène fréquent dans les années 1970 qui se manifestait par le transfert des ressources
des communautés défavorisées aux communautés riches.
Ces exigences institutionnelles sont à la source de la mise en place de nombreuses
initiatives favorables à la proposition d'une offre de crédit aux communautés défavorisées,
telles que les initiatives de communication avec les membres de la communauté pour évaluer
leurs besoins en crédit et la participation aux programmes de développement communautaire.
Les conséquences négatives de l'offre de crédit peuvent prendre la forme du surendettement.
La perception sociale du surendettement dans la société américaine consiste à considérer cet
état comme un risque lié à l'accroissement massif des services financiers ainsi que de l'offre
de crédit par les instituions financières et par d'autres types d'entreprises, comme les
commerces de détail, l'offre au détail du crédit arbitrée par plusieurs mesures législatives
comme la CRA. Dans cet esprit, la société doit "socialise" le risque du développement du
crédit en instaurant, comme pour les entreprises "une responsabilité limitée"; ainsi, la
réhabilitation des surendettés après une faillite ou un redressement se réalise en général
rapidement et sans opposition sociale.
4.2. Les banques britanniques et leurs pratiques en matière de microcrédit et microfinance et
de développement du territoire
Les banques britanniques se démarquent en ce qui concerne leurs pratiques relatives
au microcrédit et à leur microfinance ainsi qu'au développement du territoire. On observe
ainsi:
- Une offre innovatrice des services pour les quartiers défavorisés à travers l'appui apporté à
des campagnes d'alphabétisation;
- des corvées d'entretien, de nettoyage, de remise à neuf d'édifices communautaires avec l'aide
bénévole du personnel et le soutien financier de la banque;
- Un programme de formation des employés afin qu'ils aient la compétence permettant de
soutenir la création d'entreprises dans des quartiers défavorisés.
Des pratiques innovatrices sont notées dans les services bancaires de base et dans la
lutte contre le surendettement des ménages et contre la discrimination. On observe ainsi une
adaptation des succursales aux handicapés, aux malentendants et aux malvoyants, de même
qu'une disponibilité des documents et des formulaires des banques pour les malentendants et
les malvoyants.
Les initiatives favorisées pour les banques britanniques semblent analogues à celles de
leurs pendants américains. Cependant, il faut noter leur leadership en ce qui a trait aux
moyens mis en œuvre pour en rendre compte: certaines innovent notamment dans la mise au
point d'indicateurs quantitatifs intégrés dans leurs bilans sociaux, permettant de mesurer
l'ampleur et l'évolution des engagements communautaires de la banque.
Au lieu d'imposer des obligations par le biais d'une loi, les différents organismes
représentant le gouvernement anglais ont opté pour une stratégie d'incitations et de mise en
garde en faisant valoir le rôle que devraient assumer différents intervenants du secteur
financier dans le développement de leur communauté. Par exemple, dans cet esprit, la Bank pf
England, Domestic Finance Division, manifeste depuis quelques années de l'intérêt pour le
financement des petites entreprises dans les régions défavorisées. Son rapport Finance for
small Business in Deprived Communities, publié en Novembre 2000, fait la promotion du
financement des entreprises dans les régions démunies. Son intérêt peut être perçu par les
différents intervenants financiers comme un appel à s'engager de façon volontaire dans le
financement des entreprises plutôt que de faire face éventuellement à de nouvelles obligations
légales.
La stratégie d'intervention vise aussi à mettre de la pression sur les actionnaires,
incluant les investisseurs institutionnels et les autres intervenants financiers tels les prêteurs et
les assureurs. Ils doivent divulguer leur évaluation des conséquences sociales, éthiques et
environnementales en ce qui concerne les entreprises lesquelles ils investissent. Ces acteurs
sont stimulés à exiger des gestionnaires des entreprises les informations nécessaires pour
justifier leur choix. A leur tour, les entreprises, dont les banques, veulent se montrer
attrayantes et sont incitées à fournir des informations aux investisseurs institutionnels1.
4.3. Les banques françaises et leurs pratiques relatives aux interdits et incidents bancaires, à la
médiation et au développement du territoire
En matière de discrimination bancaire, les banques françaises se démarquent à travers
leurs pratiques nécessaires pour gérer les interdits et incidents bancaires. Ces pratiques
incluent:
- l'offre d'assurances (assurance sécurité, assurance responsabilité contre les fraudes,
assurance de moyens de paiement);
- le remboursement en cas de fraude;
- la limitation des frais d'utilisation (dont ceux des chèques);
- la limitation des frais pour cheque inferieur à un certain montant et la présence d'un
ombudsman pour les plaintes des clients.
Ces interdits et incidents bancaires constituent une problématique particulière à la
France et visent le droit au découvert, le rejet des chèques et l'interdiction bancaire qui peut
être prononcée contre une personne. Les Français ont en effet été très longtemps attachés au
support papier et, dans la monnaie scripturale, à l'utilisation du chèque pour tout règlement.
Cependant, ces outils de paiement régressent progressivement. Le chèque, introduit en France
en 1867, a très longtemps été l'instrument de paiement préféré des Français (80% des
opérations de règlement en 1980, 28.8% en 2005). Les banques françaises évoluent dans un
contexte lié à l'origine du droit romain en France qui vise à sanctionner le débiteur qui ne paie
pas ses dettes dans une société fondée sur l'échange et le respect des contrats. Les procédures
secourables ne permettent pas en général d'accorder des remises de dettes autres que celles qui
sont consenties par les créanciers ou les législateurs. Considérant que des individus peuvent
être interdits et exclus, la loi prévoit en conséquence des mesures contraignant les banques
françaises à prévenir et à traiter les problèmes d'exclusion dus aux incidents et interdits
bancaires, mesures qui distinguent les banques françaises.
Il est intéressant de noter que l'inclusion sociale se conçoit différemment dans le
contexte français, notamment par des mesures visant à diminuer l'impact des sévères mesures
légales prévoyant l'interdiction d'un citoyen s'il ne respecte pas les usages et règles bancaires,
comme le fait de ne pas honorer un chèque. Tirer des chèques sans provision de façon répétée
expose l'individu à l'exclusion, C'est-à-dire qu'il ne pourra plus avoir recours aux services
bancaires, services devenus essentiels à un citoyen de nos sociétés contemporaines.
L'exclusion peut durer jusqu'à cinq ans. Spécifité française, d'aucuns diront exception
française, la banque, en France, dispose d'une véritable délégation de prérogative étatique, à
savoir qu'elle est la police de l'émission des chèques non provisionnés. Cela a même constitué
une industrie très lucrative avec un encours permanent de deux millions de français interdits
d'émettre des chèques. En 2005, les pouvoirs publics ont délibérément limité le montant des
frais prélevés par les banques à l'occasion du rejet d'un chèque sans provision. En France, tout
chèque d'un montant supérieur à 15 euros et non provisionné au moment de son émission peut
faire l'objet d'un non-paiement par la banque de l'émetteur. Ces frais de rejet sont désormais
1
De Serres, 2005
plafonnés à 50 euros par opération. La phase de réhabilitation peut durer cinq ans pour la
levée de l'interdiction d'émettre des chèques.
Les pratiques des banques françaises concernant la médiation sont des mesures
imposées par la loi dans le but de permettre de régler les différends naissant des difficultés
liées aux placements financiers et aux utilisations frauduleuses de cartes de paiement et de
crédit. Ces approches relèvent en partie des principales différences qui opposent la conception
du droit français et celle du droit anglo-saxon. Mondialisation oblige, le droit français
s'achemine doucement vers la contractualisation des relations, tant dans la sphère privée que
dans la sphère publique. Sur le thème de la médiation qui concerne les modes des règlements
des différends naissant des difficultés liées aux placements financiers et aux utilisations
frauduleuses de cartes de paiement et de crédit, le retard de la France est patent eu égard à
l'introduction trop récente de la médiation. Le traitement des plaintes de clients par
l'"ombusdman" et la présence d'officiers de conformité pour les transactions sur fonds mutuels
et valeurs mobilières constituent des pratiques plus que trentenaires dans la sphère nordaméricaine.
Le thème des services bancaires de base est souvent confondu avec celui de la
discrimination, allant de l'ouverture du compte à l'accès aux services, en passant par la qualité
de l'information diffusée sur les produits et les services courants. Le champ couvert par le
thème des banques et du développement du territoire inclut des sujets aussi divers que le
mécénat, l'information et la territorialité des implantations des réseaux d'agences (disparité
entre villes et campagnes). De nouvelles dispositions légales qui sont entrées en vigueur en
2002 obligent dorénavant les banques françaises à divulguer plus d'information concernant le
développement du territoire et, de ce fait, à stimuler les initiatives à cet effet. Plusieurs
pratiques des banques françaises liées au développement du territoire, incluant le microcrédit,
le surendettement et les mesures en matière d'inclusion sociale, ont été introduites notamment
par l'adoption de l'article 116 de la loi sur les nouvelles régulations économiques1 du 15 mai
2001 qui en constitue une des principales motivations. Ce nouveau document exigé des
entreprises disposant d'un "véhicule côté" en Bourse, selon l'expression du législateur, ne fait
que s'ajouter aux obligations comptables et fiscales pour les grandes entreprises de publier
leurs comptes sociaux comportant, depuis 1976, un bilan social qui décrit la démographie des
salariés employés par la firme (hommes/femmes/cadres/techniciens/employés ouvriers, leur
rémunération, les budgets de formation, le nombre de personnes handicapées au sein de
l'entreprise, etc.). Cette disposition contraint les entreprises à divulguer dans leur rapport de
gestion les informations sur la rémunération, les avantages, les mandats et les fonctions de
mandataires sociaux ainsi que les conséquences sociales et environnementales de leurs
activités. Sur ce dernier aspect, le décret d'application (nº 2002-221) du 20 février 2002
précise que les entreprises doivent exposer dans leur rapport la façon dont elles prennent en
considération l'impact territorial de leurs activités en matière d'emploi et de développement
régional.
Sur le plan de surendettement, nous retrouvons la dichotomie classique quant à
l'approche. Les anglo-saxons estiment, d'une façon générale, que le débiteur ne doit pas être le
seul à subir les conséquences massives de l'accroissement de l'offre de services financiers. La
société se doit, ici, de socialiser le risque du développement du crédit en instaurant, comme
pour les entreprises, une responsabilité limitée; par conséquent, leur réhabilitation est rapide.
La seconde approche, liée à l'Europe continentale et à la France en particulier, trouve son
origine dans le droit romain et vise à sanctionner le débiteur qui n'honore pas ses paiements
dans une société fondée sur l'échange et le respect des contrats.
1
loi nº 2001-420
En résumé, l’étude a mis en évidence le constat du faible nombre d'initiatives en
matière d'inclusion sociale issues des banques françaises, outre la focalisation marquée de ces
dernières sur les thèmes liés aux instruments de paiement ou aux modalités de fonctionnement
des comptes par rapport aux banques anglo-saxonnes dont les pratiques touchent, d'une façon
générale, les sept thèmes abordés, certes avec plus ou moins d'engagement.
5. Conclusion générale
Une première conclusion découlant de cette recherche est le fait que les pratiques en
matière d'inclusion sociale qui permettent aux banques d'un pays de se démarquer des
banques des autres pays semblent généralement attribuables directement aux exigences
légales et réglementaires particulières du contexte institutionnel dans lequel évoluent ces
banques.
Référons-nous aux exemples suivants:
- les pratiques des banques américaines de développement d'offre de crédit adaptée aux
caractéristiques de la composition de leur communauté, sous l'influence de la CRA depuis
1977;
- les pratiques des banques anglaises, se montrant soucieuses des conséquences sociales de
leurs activités sur leur communauté et s'engageant dans de nombreuses initiatives de soutien
au développement économique de celles-ci, en réponse aux politiques du gouvernement et à la
demande d'information des investisseurs institutionnels, eux-mêmes soumis depuis 2000 à des
obligations de transparence sur leur mode de sélection d'entreprises dans lesquelles ils
décident d'investir:
- Les pratiques des banques françaises gérant les conséquences négatives de l'interdiction
bancaire, en réponse encore une fois à des dispositions légales, dont l'influence s'amplifie
avec les nouvelles mesures de divulgation d'informations sur leur responsabilité sociale
exigées par la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2002.
Ce contexte exerce donc une influence incontournable sur l'adoption de pratiques
d'inclusion sociale par les banques. Les particularités des différents contextes institutionnels
expliquent en grande partie l'apparition et le caractère innovateur des pratiques en matière
d'inclusion sociale. Cela explique le leadership démontré par des banques face à certaines
pratiques en fonction de leur appartenance juridictionnelle.
Deuxièmement, nous avons soulevé la question de savoir si, sur le carcan d'obligations
légales, les banques adopteraient volontairement des mesures permettant l'accès à leurs
services à tous les types de clientèle, y compris aux clients moins rentables pour elles. Doit-on
laisser les banques libres d'adopter des mesures en matière de responsabilité sociale des
entreprises et d'inclusion sociale? On peut déduire que les banques mettent en œuvre des
pratiques d'inclusion sociale lorsqu'elles sont obligées de le faire en fonction du cadre légal. A
l'inverse, faute d'un cadre légal contraignant ou incitatif, les banques emblent peu portées à
adopter des pratiques en matière d'inclusion sociale. Le choix d'une telle attitude est
généralisé dans les banques canadiennes, françaises, américaines et britanniques, et il
s'explique en fonction d'une réponse stratégique en raison de leur type de structuration
organisationnelle et de gouvernance. En tant qu'entreprises, les banques doivent d'abord se
soumettre à des obligations d'ordre économique et conserver un seuil de rentabilité. En tant
qu'entreprises à but lucratif et constituées en sociétés par actions, elles cherchent à satisfaire
aux demandes de leurs actionnaires. Elles n'ont en effet pas échappé au courant dominant de
maximisation de la valeur des actionnaires, courant stimulé par la mise en place des
programmes d'incitations offertes aux dirigeants et aux gestionnaires des banques sous forme
d'actions ou d'options. Elles ne peuvent toutefois éviter de respecter les obligations légales qui
leur sont imposées. Leur mode de gouvernance, fondé sur la recherche de la rentabilité pour
les actionnaires, préconisé une approche défensive de gestion des risques pouvant influencer
leur performance financière, incluant, si le cadre légal l'oblige, les risques sociaux et étiques.
Il n'est pas surprenant de constater que nos résultats confirment que les initiatives proposées
par les banques en matière d'inclusion sociale découlent principalement de leurs réactions aux
pressions spécifiques de leur cadre institutionnel, s'inscrivant ainsi dans les constats des
fondements de la théorie institutionnelle, de la théorie de la contingence et de la littérature sur
la responsabilité sociale des entreprises.
Le cadre légal peut forcer l'adoption de mesures en matière d'inclusion sociale, mais il
peut aussi avoir pour effet d'obliger à la transparence et de stimuler ainsi la concurrence et la
comparaison. Par exemple, les nouvelles dispositions légales qui sont entrées en vigueur en
2002 obligeront dorénavant les banques françaises à divulguer plus d'informations concernant
leur responsabilité sociale et, de ce fait, sont susceptibles de stimuler les initiatives à cet effet.
Une obligation de divulguer des informations n'est pas synonyme d'une obligation d'adopter
des mesures en matière d'inclusion sociale. Cependant, ces nouvelles mesures peuvent
stimuler les banques françaises à adopter des positions de leader de leur marché ou d'imitation
en cherchant à dépasser les meilleures initiatives des banques américaines ou anglaises ou à
s'en inspirer, ces dernières étant delà soumises à une pression institutionnelle les poussant à
s'engager dans le développement de leur communauté ou de leur territoire. Il en va de même
pour la stratégie d'intervention du gouvernement britannique soutenant l'engagement des
entreprises dans le développement de leur communauté. Cette politique se veut incitative,
sous-tendant implicitement qu'à défaut d'une participation volontaire, la loi pourrait être plus
sévère. Les mesures de divulgation imposées aux investisseurs institutionnels sur leur
processus de sélection d'investissements permettent de repérer les initiatives des entreprises
qui cherchent à se distinguer à cet égard. Les obligations de divulgation de la responsabilité
publique imposées aux banques canadiennes s'inscrivent dans le même esprit préconisant
l'incitation plutôt que la coercition.
Troisièmement, suivant le courant institutionnaliste de North (1990), doit-on ajouter
dans le cadre institutionnel et légal des obligations pour les banques en matière de
responsabilité sociale et de développement durable dans le but de susciter un changement de
stratégie chez les banques et, ainsi, de faciliter l'adoption d'actions en matière d'inclusion
sociale et la justification de celles-ci auprès de leurs actionnaires? Il y a lieu de se demander si
les banques sont des entreprises comme les autres et, de ce fait, si on devrait les laisser libres
d'adopter des mesures de responsabilité sociale et d'inclusion sociale, alors que certains
services bancaires sont essentiels à la vie civique des individus et des entreprises. Doit-on
laisser les banques répondre à des besoins fondamentaux en les laissant libres d'intégrer cette
offre de services au sein d'une attitude et d'une stratégie de responsabilité sociale ou doit-on
les contraindre à répondre à ces obligations au moyen de mesures légales? Les banques ne
sont pas des entreprises comme les autres, car elles offrent des services essentiels aux
citoyens individuels et aux entreprises. Dans la mesure où l'adoption de la responsabilité
sociale demeure une réponse organisationnelle des banques et une stratégie volontaire allant
au delà des obligations juridiques dans le but de défendre leur légitimité, si elles le jugent
utiles, il apparaît comme nécessaire et inévitable pour les législateurs d'inclure des
dispositions nivelant les règles du jeu pour toutes les banques en les obligeant à servir tous les
segments de clientèle et à s'assurer de répondre à leurs obligations en matière d'inclusion
sociale au moins en tant qu'obligations relevant de leur responsabilité juridique plutôt que de
leur responsabilité sociale. La privation de l'accès aux services d'un de ces domaines
d'activités bancaires produit des conséquences graves pour les citoyens et la société et mine la
cohésion sociale. Pour le citoyen, la preuve des conséquences de l'exclusion bancaire est en
faite, par exemple, par les mesures d'interdiction imposées en France lorsqu'un individu a
abusé des services bancaires; elle en est faite aussi par la difficulté à accéder à des services de
crédit. L'impossibilité d'accéder aux services bancaires porte atteinte aux besoins
fondamentaux des citoyens de nos sociétés contemporaines.
Une quatrième et dernière conclusion est d'ordre analytique et méthodologique. Nos
résultats démontrent la difficulté à prendre à titre d'indicateur de comparaison de leadership
sur les pratiques en matière d'inclusion sociale des banques situées dans différents pays sans
tenir compte de l'effet direct du cadre institutionnel. Le leadership comparatif des banques ne
peut se révéler une attitude conformiste et respectueuse des exigences légales. Le véritable
leadership des banques se mesurerait davantage à leurs actions visant à aller au-delà de leur
stricte responsabilité juridique, ce qui oblige à prendre en considération le cadre légal et
institutionnel particulier à leur domaine de compétence.
Nous proposons deux pistes complémentaires à cette recherche.
S'il est à craindre qu'une banque constituée en société par actions ayant à rendre
compte de ses activités à ses actionnaires s'en tienne à une réaction de stricte conformité face
à ses obligations en matière d'inclusion sociale, qu'en est-il des banques coopératives? Alors
que seules les pratiques de banques-entreprises ont été analysées dans cette recherche, on peut
se demander si le fait d'être structurées en coopératives, quoique cette structure de
gouvernance coopérative soi en plein bouleversement 1 , permet aux banques de réagir
différemment à l'inclusion sociale, à la responsabilité sociale et au développement durable.
Que les banques aient adopté volontairement ou par obligation les pratiques en matière
d'inclusion sociale précisées dans cette étude, il y a eu lieu d'analyser et de mesurer leur
capacité au point de vue du management stratégique à faire de ces pratiques une source
d'innovation et de création de valeur2. Nous pouvons poser l'hypothèse suivante: Les banques
qui sont forcées à respecter les mêmes exigences légales en matière de responsabilité sociale
des entreprises et d'inclusion sociale chercheront tôt ou tard à se démarquer et à en faire une
source de création de valeur. L'institution financière américaine Wells Fargo, contrainte à
respecter depuis 1978 les exigences de la Community Investment Act aux Etats-Unis, nous
fournit un exemple, nous fournit un exemple, nous fournit un exemple à analyser: dans le but
de se distinguer des banques canadiennes, elle a fait son entrée au Canada au début des années
2000 en proposant aux P.M.E. canadiennes son expertise dans les opérations bancaires
communautaires. L'acquisition d'habiletés provenant de la conformité à des lois
contraignantes représente une autre piste de recherche intéressante à explorer.
1
2
Roux,2002
Kanter,1999
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