
La technostructure, la connaissance et le politique Bresson
La technostructure, la connaissance et le politique
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Introduction
Dans un monde complexe, caractérisé par le rôle croissant de la technologie, la décision
politique, comme la décision économique exigent des informations émanant de nombreuses
personnes, et doit s’appuyer sur un mécanisme qui permet leur collaboration : le pouvoir de
décision ne peut donc plus être le fait d’un individu, ni même d’un nombre restreint de
dirigeants, mais appartient à une collectivité diffuse et difficile à appréhender, imparfaitement
définie, et à l’organisation qui permet de mettre en commun les informations spécialisées
possédées par chacun. Pour désigner à la fois l’ensemble de ceux qui apportent des
connaissances spécialisées, du talent ou de l’expérience, à la prise de décision collective, et
l’organisation qu’ils constituent, l’économiste américain John Kennett Galbraith a proposé il
y a quarante ans un mot, qui s’est largement diffusé depuis : la technostructure.
L’idée fondatrice qui sous-tend l’expression est que non seulement la technostructure, entité
collective, produit de la connaissance et de l’intelligence organisée, mais qu’elle est aussi,
pour cette raison, le véritable acteur des décisions dans les organisations modernes et dans la
société en général –et qu’il s’agit donc, de décisions de groupes. L’ouvrage dans lequel est
développé à la fois l’idée, et le concept, Le nouvel état industriel, essai sur le système
économique américain, date cependant de 1967 –devenu un classique, il a été réédité pour la
dernière fois en 1989. Cette analyse n’est-elle pas dépassée aujourd’hui ? Dans quelle mesure
permet-elle encore de saisir les liens entre connaissance et politique dans une économie
profondément transformée par la mondialisation, la globalisation et le renouveau du
libéralisme économique et politique ? Pour apporter des éléments de réponse, nous proposons
de revenir d’abord sur le contexte général de l’analyse fondatrice de John Kennett Galbraith,
et sur les implications que lui-même dégage, concernant notamment, l’analyse de l’influence
de la technostructure sur l’organisation de l’économie, de la société et sur la décision
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Je remercie notamment Michel Autès, Hélène Chéronnet, Nicolas Daumerie, Lise Demailly, Patrice Desmons,
Frédéric Ketterer, ainsi que Caroline Maury et Philippe Mossé, pour leurs conseils amicaux et leurs remarques
lors des échanges pluriels que nous avons eus et qui ont contribué à alimenter la réflexion présentée ici. Merci
aussi à Frédéric Ketterer pour sa contribution écrite sur Didier Fassin, qui a largement inspiré les
développements sur cet auteur présentés ici.