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La technostructure, la connaissance,
et le politique
Maryse Bresson
Revue de la littérature
(partie 7)
Revue de la
littérature
Juin 2007
Table des matières
Introduction............................................................................................................................................................2
1.
L’analyse fondatrice de John K. Galbraith : des effets de la technologie sur l’organisation
industrielle à l’influence politique de la technostructure ...................................................................................4
1.1
L’analyse du système économique réel : du développement de la technologie au système
planificateur .......................................................................................................................................5
1.2
Pouvoir économique de la technostructure...........................................................................................6
1.3
L’influence sur l’environnement socio-économique et sur le pouvoir politique...................................8
1.4
Les limites à l’influence de la technostructure et les pouvoirs compensateurs.....................................9
1.5
Limites de l’analyse de J.K. Galbraith et questions en suspens, concernant le lien entre connaissance
et politique........................................................................................................................................11
2.
Critique de l’analyse et prolongements dans les recherches contemporaines : du retour du
marché au rôle de la technostructure d’État.....................................................................................................12
2.1
Réflexions critiques : Le retour du marché dans la nouvelle sociologie économique et la sociologie
des organisations..............................................................................................................................13
2.2
L’ère des managers ou l’élaboration des stratégies d’organisation...................................................15
2.3
Influence politique des théories du Management et rôle de la technostructure d’Etat.......................19
Conclusion ............................................................................................................................................................25
La technostructure, la connaissance et le politique Bresson
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La technostructure, la connaissance et le politique
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Introduction
Dans un monde complexe, caractéri par le rôle croissant de la technologie, la décision
politique, comme la décision économique exigent des informations émanant de nombreuses
personnes, et doit s’appuyer sur un mécanisme qui permet leur collaboration : le pouvoir de
décision ne peut donc plus être le fait d’un individu, ni même d’un nombre restreint de
dirigeants, mais appartient à une collectivité diffuse et difficile à appréhender, imparfaitement
définie, et à l’organisation qui permet de mettre en commun les informations spécialisées
possédées par chacun. Pour désigner à la fois l’ensemble de ceux qui apportent des
connaissances spécialisées, du talent ou de l’expérience, à la prise de décision collective, et
l’organisation qu’ils constituent, l’économiste américain John Kennett Galbraith a proposé il
y a quarante ans un mot, qui s’est largement diffusé depuis : la technostructure.
L’idée fondatrice qui sous-tend l’expression est que non seulement la technostructure, entité
collective, produit de la connaissance et de l’intelligence organisée, mais qu’elle est aussi,
pour cette raison, le véritable acteur des décisions dans les organisations modernes et dans la
société en général –et qu’il s’agit donc, de décisions de groupes. L’ouvrage dans lequel est
développé à la fois l’idée, et le concept, Le nouvel état industriel, essai sur le système
économique américain, date cependant de 1967 –devenu un classique, il a été réédité pour la
dernière fois en 1989. Cette analyse n’est-elle pas dépassée aujourd’hui ? Dans quelle mesure
permet-elle encore de saisir les liens entre connaissance et politique dans une économie
profondément transformée par la mondialisation, la globalisation et le renouveau du
libéralisme économique et politique ? Pour apporter des éléments de réponse, nous proposons
de revenir d’abord sur le contexte général de l’analyse fondatrice de John Kennett Galbraith,
et sur les implications que lui-même dégage, concernant notamment, l’analyse de l’influence
de la technostructure sur l’organisation de l’économie, de la société et sur la décision
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Je remercie notamment Michel Autès, Hélène Chéronnet, Nicolas Daumerie, Lise Demailly, Patrice Desmons,
Frédéric Ketterer, ainsi que Caroline Maury et Philippe Mossé, pour leurs conseils amicaux et leurs remarques
lors des échanges pluriels que nous avons eus et qui ont contribué à alimenter la réflexion présentée ici. Merci
aussi à Frédéric Ketterer pour sa contribution écrite sur Didier Fassin, qui a largement inspiré les
développements sur cet auteur présentés ici.
La technostructure, la connaissance et le politique Bresson
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politique des gouvernements, ainsi que ses développements sur la concurrence entre la
technostructure et d’autres producteurs de connaissance, comme les scientifiques, les
enseignants et les éducateurs (Galbraith, 1989 (1967)).
Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous réinterrogerons l’actualité de l’idée de
technostructure, en lien avec la problématique des connaissances et du politique, à la lumière
de travaux plus récents. Nous poserons la question du marché et du rapport des organisations
à leur environnement, en combinant des apports de la sociologie économique et de la
sociologie des organisations. Alors que la technostructure témoignait selon John K. Galbraith
de la prégnance des mécanismes de planification, les travaux d’économie et de socio-
économie récents redonnent un rôle prépondérant au marché, qui est plus que jamais
considéré aujourd’hui comme le cœur de la vie économique des sociétés modernes et de la
théorie économique (Steiner, 2005). De plus, en sociologie des organisations, les travaux sur
le néo-management notamment, analysant le fonctionnement des organisations modernes, et
les mécanismes de prise de décision se situent dans un environnement donné auquel il s’agit
de s’adapter –comme l’illustre notamment, la théorie de la contingence de Henry Mintzberg
(Mintzberg, 2004 (1989). Or, selon John K. Galbraith, la force de la technostructure des
grandes organisations leur permettait précisément de changer l’environnement lui-même,
d’exercer une maîtrise sur les marchés à travers le système planificateur, et d’exercer aussi
une influence sur les décisions politiques des gouvernants. Faut-il donc admettre que c’est ce
qui aurait changé, et que la technostructure n’exercerait plus de pouvoir aujourd’hui en dehors
de l’organisation-entreprise ?
C’est pourtant une autre piste que suggère l’approche cognitive, que ce soit en sociologie des
organisations, esquissée par Denis Segrestin (2005), ou en sociologie des politiques
publiques, avec Pierre Muller, ou encore Yves Surel. Prenant appui sur ces analyses, nous
proposons alors de développer l’idée selon laquelle l’influence politique et sociale de la
technocratie pourrait prendre aujourd’hui la forme globale d’un référentiel cognitif commun à
la technostructure privée et la technostructure publique, véhiculant les impératifs du
(néo)management moderne. De plus, les groupes de décision privés et publics sont dans une
relation d’influence réciproque à travers le schéma « sectoriel global ». Ces remarques
pourraient permettre de refonder, en la nuançant, l’hypothèse fondatrice de John Kennett
Galbraith de la technostructure comme entité collective de production et d’application des
La technostructure, la connaissance et le politique Bresson
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connaissances, participant à l’information des groupes de décideurs, des gouvernants et/ou
participant à la prise de décision politique elle-même –et d’aider ainsi à appliquer ces
réflexions aux secteurs de l’éducation et de la santé notamment.
1.
L’analyse fondatrice de John K. Galbraith : des effets de la
technologie sur l’organisation industrielle à l’influence
politique de la technostructure
Publié en 1967, l’ouvrage de l’économiste américain J.K. Galbraith : Le nouvel état industriel
est devenu un classique. Il a bousculé les idées reçues et, pendant plus de vingt ans, alimenté
les polémiques et discussions des enseignants et des chercheurs en économie sur la pertinence
du modèle classique de leur discipline, et sur les enjeux politiques et sociaux d’une telle
analyse du système économique américain. Le combat que cet auteur a mené contre
l’économie classique semble, aujourd’hui, avoir éperdu par l’auteur ; et certaines de ses
analyses, concernant la convergence des systèmes américain et soviétique et la supériorité de
fait du « système planificateur » sur le marché, peuvent paraître dépassées. La postérité
cependant a retenu certains termes, couramment utilisés aujourd’hui, comme la « filière
inversée » ou encore, la « technostructure ». Or, la relecture aujourd’hui de cet ouvrage
économique, néanmoins best seller (vendu à plusieurs millions d’exemplaires, tant aux Etats-
Unis qu’en Europe et en Union soviétique, traduit dans plus de vingt langues, réédité encore
vingt deux ans après sa première édition), incite à être prudent dans les réflexions, et à éviter
le piège d’un jugement trop rapide qui conclurait un peu vite à l’obsolescence de cette
analyse, au motif qu’elle n’est plus à la mode. Que disait donc vraiment John Kennett
Galbraith ? Pourquoi a-t-il exercé une telle fascination, et que reste-t-il aujourd’hui de ses
intuitions ?
Si dans ce chapitre, la technostructure est l’entrée que nous privilégions, pour interroger le
lien entre connaissance et politique, il paraît néanmoins cessaire de rappeler comment le
terme s’intègre dans une réflexion d’ensemble de son auteur, afin de mieux resituer à sa
pensée, toute sa richesse et –osons le dire- son actualité. Car la technostructure selon J.K.
Galbraith n’est pas seulement la forme « vraie » d’organisation de la production industrielle
moderne (par opposition avec les modèles abstraits de la pensée économique classique) mais
elle est aussi, la forme nécessaire que prend l’intelligence organisée, et simultanément,
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