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consolidation de la place financière suisse sont liées à un capitalisme commercial et industriel qui trouva des
conditions idéales de développement dans les institutions de l'Etat fédéral créé en 1848. La Suisse a participé
au "triomphe universel du capitalisme" (Eric J. Hobsbawm). Cela confirme la thèse de Braudel, selon laquelle
le mode de production capitaliste dérive historiquement d'effets de synergie, d'une "complicité", entre le
marché et l'Etat.
Renonçant à décrire cette évolution structurelle elle-même, on se limitera ici à dire comment le concept de
capitalisme a été entendu et utilisé en Suisse, soit en politique, soit par les spécialistes. On distingue au fond
trois acceptions différentes. Dans la première, le capitalisme est une forme économique reposant sur la
propriété privée des moyens de production et sur le marché comme régulateur des échanges (Société de
classes). Dans la deuxième, il définit plus largement un système et une époque; il caractérise alors une
société marchande, soumise à l'impératif de la maximisation du profit et aux tensions entre les forces du
capital et la participation démocratique. Enfin, quelques travaux plus récents tentent de mettre davantage
l'accent sur les aspects culturels. Les représentants de ce troisième point de vue se demandent, par exemple,
comment le capitalisme influe sur la perception de l'espace et du temps, s'il faut y voir une religion laïque et
à quel point les notions de crédit, de confiance, de don et d'échange peuvent être considérés comme les
fondements anthropologiques du marché.
En Suisse, le terme de capitalisme, pris le plus souvent dans le deuxième sens, a fait fortune d'abord dans le
mouvement démocratique des années 1860. Les schémas élaborés à cette époque ont duré longtemps.
L'"ordre capitaliste" serait, selon le politicien démocrate Karl Bürkli (1881), "le renversement de l'ordre
national, un vrai cauchemar". Dans les années 1880 surtout, on parlait du capital comme d'un "vampire", d'un
"escroc". Des théoriciens du catholicisme social évoquaient, sur un ton où perce indubitablement une note
antisémite, le "judaïsme financier anti-chrétien" (Karl Eberle; formules proches chez Franz Rothenflue,
Stephan Bättig ou Caspar Decurtins). Quand le mouvement ouvrier parvint à s'organiser sur le plan national,
le système capitaliste se vit confronté à un sérieux défi. Le programme du Parti socialiste suisse voulait en
1904 "remplacer l'économie capitaliste par une économie communiste, sur une base démocratique". C'est
aussi d'un point de vue socialiste que Leonhard Ragaz critiquait en 1907 la société capitaliste industrielle qui,
certes, avait réalisé "quelque chose de grand", mais était tombée "sous le sceptre de fer du dieu que
l'Evangile appelle Mammon"; le système était né "de l'usure et de la violence", il s'accompagnait
"d'exploitation, d'esclavage, de cruautés et de misère".
Le ton se fit peu à peu moins dramatique durant l'entre-deux-guerres. Les adversaires du capitalisme
attaquaient désormais sa vulnérabilité face aux crises, considérant les aléas d'une conjoncture chaotique
comme la faiblesse immanente du système, auquel ils opposaient la rationalité de la planification socialiste.
Pour leur part, les auteurs bourgeois glorifiaient les progrès économiques et industriels dus, selon eux, à la
combinaison "du capital et de l'éthique" (Gerhold Ermatinger, 1935). Le rapprochement entre bourgeois et
socialistes devant la menace nazie désamorça rapidement, à la fin des années 1930, les débats dont le
capitalisme avait fait l'objet. Dans la période prospère de l'après-guerre, seuls quelques représentants de
l'extrême gauche reprochèrent au mouvement ouvrier suisse sa collaboration avec le système bourgeois et
sa participation au "stade impérialiste du capitalisme" (Fritz Heeb, 1954). Le PS comme l'Union syndicale
suisse acceptèrent sans trop de peine l'économie de marché, dont le but, même avec des correctifs sociaux,
restait pourtant la croissance.
La critique contre le capitalisme tardif ou monopolistique se réveilla avec le mouvement de 1968. Cependant,
le dynamisme du développement scientifique et technique sapa, dans les années 1980, les fondements de la
théorie de la valeur travail, tandis que la théorie des coûts de transaction et l'économie d'information
faisaient du marché un principe attirant. L'effondrement des économies planifiées dans les dernières
décennies du XXe s. a enlevé toute portée explicative et toute crédibilité politique au capitalisme conçu
comme antagoniste du socialisme étatiste. Aujourd'hui se pose la question de savoir dans quelle mesure il est
possible d'analyser les stratégies de maximisation du profit individuel, favorisées par une économie