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LYCEENS ET THEÂTRE CONTEMPORAIN
2012-2013
John Maxwell COETZEE /Adaptation Jean-Pierre BARO
Disgrâce
Mise en scène : Jean-Pierre Baro
Centre Dramatique National Orléans-Centre
Du 6 au 8 octobre 2016
DOSSIER D’INFORMATION/PISTES D’EXPLOITATION
« Ils se considèrent comme des créanciers qui viennent recouvrer une dette, un impôt. De
quels droits pourrais-je vivre ici sans payer mon dû ? »
Lucy, dans Disgrâce
Dossier réalisé par Stéphane MARTIN, coordonnateur académique théâtre et enseignant en
option théâtre, avec la collaboration du CDN
1
PRESENTATION

Nature du projet
Le projet consiste à offrir des éléments de préparation et d’exploitation d’un spectacle
théâtral, en collaboration avec le CDN, pour les enseignants de français ou d’autres
disciplines qui participent à l’opération Lycéens et spectacles contemporains .Il propose une
démarche facilitant une meilleure intégration de l’analyse dramaturgique dans leurs séquences
en tenant compte de tous les aspects de la représentation qui débordent largement le cadre du
texte théâtral.
A cet égard, il peut être utile de revoir le contenu des programmes et des méthodes préconisés
pour les classes de seconde et de première, ainsi que les documents d’accompagnement. On
peut également proposer des exercices qui sortent du simple cadre de l’objet d’étude lié au
théâtre.

Présentation du spectacle
L’Afrique du Sud post-apartheid. David Lurie, 52 ans, est un professeur blanc, un
afrikaner, qui enseigne la littérature romantique à l’université du Cap. Deux fois divorcé, il a
une liaison avec Mélanie Isaacs, l’une de ses étudiantes. Il est accusé par celle-ci de
harcèlement sexuel et doit répondre de ses actes devant une commission disciplinaire. Il
refuse de se défendre. Contraint à la démission, il quitte la ville et trouve refuge chez sa fille,
Lucy, qui s’occupe de chiens abandonnés dans une sorte d’exploitation agricole, une ferme
isolée en pleine campagne. Un jour, ils sont attaqués par un groupe d’hommes, Lucy est
violée par l’un de ses agresseurs. Elle décide de ne pas porter plainte. Un gouffre s’établit
alors entre la fille et son père qui ne comprend pas sa décision et demeure impuissant face à sa
douleur.
David Lurie est un homme en perdition dans un pays qu’il ne comprend plus – à
commencer par sa propre fille. Comment vivre quand les blessures du passé pèsent si lourd
sur l’histoire collective et individuelle ? Ce sont nos angoisses et nos peurs face à l’état de
disgrâce de la civilisation occidentale qu’ausculte Coetzee avec une ironie brûlante. JeanPierre Baro veut faire résonner ces questions en adaptant pour le théâtre ce roman majeur de
la fin du XXe siècle.
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POINT DOC
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Distribution (p.4)
Présentation de l’équipe artistique (p.5)
Note d’intention : Pourquoi Disgrâce ? (p.8)
Adapter Disgrâce (p.9)
L’auteur John Maxwell Coetzee (p.9)
L’Afrique du Sud de Coetzee : Apartheid et post Apartheid (p.11)
Entretien avec Jean-Pierre Baro (p.11)
Quelques références chères à Jean-Pierre Baro (p.13)
Disgrâce, un roman sombre et complexe (p.14)
Adapter au théâtre un texte romanesque (p.15)
Et le cinéma ? (p.16)
Pieter Hugo, un photographe sud-africain (p.17)
EN PRATIQUE
En amont
 Pistes de préparation (p.20)
 Un travail d’adaptation autour du chapitre/Scène 2 (p.21)
En aval
 Analyse du spectacle (p.24)
 Lire/écrire un article critique (p.25)
 Espace dramaturgique (p.25)
 Ouverture sur d’autres adaptations de roman : Julien Gosselin et Jean Bellorini (p.27)
 Grille d’analyse dramaturgique (p.33)
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POINT DOC

Distribution
Distribution
D’après le roman DISGRACE / Disgrace de J.M. COETZEE 1999.
Traduction Catherine Lauga du Plessis (Editions du Seuil)
Adaptation Pascal Kirsch et Jean-Pierre Baro
Mise en scène Jean-Pierre Baro
Personnages : David Lurie, Lucy Lurie, Mélanie Isaacs, Petrus, Bev Shaw, Soraya, Mr et
Mme Isaacs, les membres du comité, les cambrioleurs
Distribution Jacques Allaire, Fargass Assandé, Pierre Baux, Simon Bellouard, Cécile
Coustillac, Mireille roussel, Pauline Parigot, Sophie Richelieu
Adaptation Pascal Kirsch et Jean-Pierre Baro
Lumière Bruno Brinas
Scénographie Mathieu Lorry Dupuy
Son Loïc Le Roux
Costumes Majan Pochard
Assistant à la mise en scène Amine Adjina
Régie plateau et générale Adrien Wernert
Administration, production, diffusion Cécile Jeanson (Bureau Formart)
Attachée de production Marion Krähenbühl (Bureau Formart)
Production 2016-2017 Extime compagnie
Coproduction CDN Orléans/Loiret/Centre, La Colline - théâtre national, CDN Besançon
Franche – Comté, Les Scènes du Jura - Scène nationale, Théâtre de Sartrouville et des
Yvelines Centre dramatique national.
Accueils en résidence Château de Monthelon, Pôle Culturel d’Alfortville. Avec le soutien du
Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, D.R.A.C. et Région Provence-AlpesCôte d'Azur. Avec le soutien du Fonds d’insertion de L’éstba financé par la Région NouvelleAquitaine. Avec la participation artistique de l’ENSATT.
Extime Compagnie est conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication –
DRAC Île-de-France et est associée à Scènes du Jura – Scène nationale pour la saison 2016 2017.
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Présentation de l’équipe artistique
JEAN-PIERRE BARO – mise en scène
Jean-Pierre Baro est comédien et metteur en scène, formé à l’ERAC (entre autres auprès de David
Lescot, Valérie Dréville, Jean-Pierre Vincent, Bruno Bayen ...). Il joue sous la direction de Jean-Pierre
Vincent, Gildas Milin, Thomas Ostermeier, Didier Galas, David Lescot, Gilbert Rouvière, Stéphanie
Loïk, Lazare...
Il dirige la compagnie Extime avec laquelle il met en scène l’Epreuve du feu de Magnus Dahlström
(Friche de la Belle de Mai), L’Humiliante histoire de Lucien Petit de Jean-Pierre Baro (Odéon/Ateliers
Berthier, Théâtre Nanterre Amandiers), Léonce et Léna/Chantier de Georg Büchner (Odéon/Ateliers
Berthier), Je me donnerai à toi tout entière d’après Victor Hugo (Théâtre Antique de Vaison-laRomaine), Ok, nous y sommes d’Adeline Olivier (Studio Théâtre du Vitry). En 2010-2011, il met en
scène Ivanov {Ce qui reste dans vie...} d’après Anton Tchekhov (CDN d’Orléans, Théâtre Monfort
…). En 2012 et 2013, il joue dans La liberté pour quoi faire ? Ou la proclamation aux imbéciles
d’après Georges Bernanos, sous la direction de Jacques Allaire (Scène Nationale de Sète, Théâtre du
Périscope à Nîmes...). En 2013, avec Extime Compagnie, il créé Woyzeck (Je n’arrive pas à pleurer),
d’après Georg Büchner au CDN Orléans/ Loiret/Centre et au Monfort-Paris. En 2014, il créé Gertrud
au CDN Orléans/Loiret/Centre et au Monfort-Paris. En 2013 et 2014, il joue dans Les Damnés de la
terre d’après Frantz Fanon sous la direction de Jacques Allaire (Le Tarmac, CDN de Montpellier). En
2015, il joue dans Qu’elle ne meure, sous la direction de Gildas Milin (TNB, Rennes). En janvier
2016, il crééra le spectacle Master, de David Lescot, au Théâtre de Sartrouville et des Yvelines–CDN
dans le cadre de la Biennale Odyssée en Yvelines, dédiée à la création théâtrale pour l’enfance et la
jeunesse. En juin 2016, il mettra en en scène La mort de Danton, de Georg Buchner à Montpellier
pour le Printemps des comédiens avec les élèves de L’ENSAD et Suzy Storck de Magali Mougel au
Théâtre National de la Colline avec les élèves de l’ERAC.
Pour la saison 2016-2017, il prépare l’adaptation de Disgrâce de John Maxwell Coetzee (CDN
Orléans, Théâtre national de la Colline...) et prépare également la création d’un texte de Samuel
Gallet, une pièce en itinérance (CDR de Vire, Comédie de Saint-Etienne, Scènes du Jura...).
Il enseigne et mène régulièrement des stages et ateliers professionnels, notamment au Conservatoire
d’Orléans et de Tours, au CDN Orléans, au CNAC, à l’ERAC, à L’ESAD, à l’Institut Français du
Cameroun et à l’ENSAD. Il est artiste associé au CDN de Sartrouville depuis janvier 2013.
http://www.bureau-formart.org/artistes/jean-pierre-baro
JACQUES ALLAIRE – comédien
Titulaire d’une maîtrise de philosophie, il suit une formation de comédien au Conservatoire national
d’art dramatique de Rennes puis à l’Atelier de Jean Brassat à la Courneuve et entame une carrière
d’acteur. Il joue sous la direction de Tania Stepantchenko, Maria Zachenska, Gilles Dao, Alain Béhar,
Frédéric Borie, Luc Sabot, Patrice Bigel, Jean-Claude Fall, Jean- Marc Bourg, Dag Jeanneret, Gilbert
Rouvière, Patrick Sueur, Kamel Abdelli, Denis Lanoy, Marianne Clévy, Claude- Jean Philippe, Urzula
Mikos, des pièces d’auteurs classiques ou contemporains.
En tant que metteur en scène, il signe depuis le début des années 2000 des spectacles forts et singuliers
qui puisent dans le théâtre comme dans la poésie (Georges Bernanos, Karl Marx, Plinio Marcos,
Eugène Durif, Fernando Pessoa, Ossip Mandelstam, Alexandre Block...). En novembre 2010 il a mis
en scène Les Habits neufs de l’Empereur d’après le conte d’Andersen au Studio - Théâtre de la
Comédie-Française dont il fait un spectacle entièrement muet.
Il met en scène, en 2013, Les Damnés de la terre d’après Frantz Fanon (Le Tarmac, CDN de
Montpellier).
Il est membre du bureau des lecteurs de la Comédie Française pour laquelle il dirige des lectures au
Théâtre du Vieux-Colombier et au Studio du Louvre. Il intervient également à l’École Nationale
Supérieure d’Art Dramatique de Montpellier.
FARGASS ASSANDE– comédien
En 1985, il fonde à Abidjan, le N’Zassa Théâtre. Depuis 2002, installé au Burkina Faso il retrouve la
Côte d’Ivoire en 2014. Artiste associé à la scène nationale Evreux-Louviers et collaborateur à la
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comédie de Caen, il est intervenant depuis janvier 2015 à l’académie de théâtre de Limoges. On le voit
surtout au théâtre, en Afrique et en Europe. Il a aussi participé à plusieurs films.
PIERRE BAUX – comédien
Pierre Baux est acteur et metteur en scène. Dernièrement, il a joué au festival d’Avignon dans
Andréas, mis en scène par Jonathan Chatel, au festival Manifeste de L’Ircam, dans Il se trouve que les
oreilles n’ont pas de paupières, d’après Pascal Quignard, avec Benjamin Dupé et le quatuor Tana, au
Théâtre de la Colline dans Long voyage du jour à la nuit de O’Neill, mis en scène par Célie Pauthe, et
au Nouveau Théâtre de Montreuil dans Une faille, mis en scène par Matthieu Bauer. Il a beaucoup
travaillé avec Ludovic Lagarde dont il fut pendant quatre ans acteur associé à la Comédie de Reims.
En tant que metteur en scène, il développe ses projets au sein de la compagnie IRAKLI, créée en 2000
avec Violaine Schwartz et Célie Pauthe. En 2000, il met en scène Comment une figue de parole et
pourquoi de Francis Ponge, au Théâtre de la Cité Internationale, en tournée AFAA (Syrie, Egypte)
puis au Théâtre Gérard Philippe – CDN de Saint Denis. Il met ensuite en scène, à la Villa Gillet de
Lyon, Rosalie au carré, à partir de textes de Jacques Rebotier. En 2004, aux Subsistances, il met en
scène, en collaboration avec le violoniste Dominique Pifarely, le Passage des heures de Fernando
Pessoa. Par ailleurs, il collabore étroitement à la création de Quartett de Heiner Müller, créé au TNT à
Toulouse et repris au Théâtre de la Cité Internationale, et de L’ignorant et le fou de Thomas Bernhard,
crée au TNS à Strasbourg et repris au Théâtre Gérard Philippe – CDN de St Denis, deux spectacles
mis en scène par Célie Pauthe au sein de la compagnie IRAKLI. Il participe également à la création de
Zig band parade de Georges Aperghis, créé au Théâtre de la Colline. Parallèlement, il anime de
nombreux ateliers, en partenariat avec le CDN d’Orléans ou la Comédie de Reims. II dirige également
des master-class avec les musiciens Dominique Pifarély ou Vincent Courtois.
SIMON BELLOUARD – comédien, danseur
Pendant sa formation à l’ERAC (2001-2004), Simon Bellouard a travaillé avec divers comédiens et
metteurs en scène dont Valérie Dréville, David Lescot, Jean- Pierre Vincent, Bruno Bayen et Gildas
Milin. A sa sortie de l’école, il joue dans Salvador, film de Manuel Huerga sélectionné pour le prix
Goya et pour le Festival de Cannes en 2006. Au théâtre, il travaille avec le metteur en scène Didier
Galas et poursuit une étroite collaboration avec des camarades de l’ERAC et joue notamment dans
Ivanov {Ce qui reste dans vie…}. Parallèlement à son parcours de comédien, Simon Bellouard
s’intéresse à la danse, et travaille notamment avec les chorégraphes Carolyn Carlson et Juha Marsalo.
Il joue dans Woyzeck [Je n’arrive pas à pleurer] d’après Georg Büchner mis en scène par Jean-Pierre
Baro (2013 - 2015) et dans Benjamin Walter de Frédéric Sonntag (création 2015).
CECILE COUSTILLAC – comédienne
Elle se forme comme comédienne aux Ateliers du Sapajou puis à l’école du Théâtre National de
Strasbourg (1999-2002). Elle joue ensuite sous la direction d’Arnaud Meunier, Yann-Joël Collin, Elsa
Hourcade et Benjamin Dupas, Hubert Colas, Sylvain Maurice, Stéphane Braunschweig (dans le cadre
de la troupe permanente du TNS), Kheiredine Lardjam, Jehanne Carillon, Oriza Hirata, Amir Reza
Koohestani, Jean-Pierre Baro, Stéphanie Loïk, Michaël Thalheimer…En 2007, elle obtient le prix de
la révélation théâtrale de l’année par le Syndicat de la critique, pour son interprétation dans Vêtir ceux
qui sont nus de Pirandello et Les trois soeurs de Tchekhov, mis en scène par Stéphane Braunschweig.
Elle a également co-mis en scène Le Bain & L’Apprentissage d’après Jean-Luc Lagarce avec Daniela
Labbé Cabrera. Elle fait partie du collectif “Passages” avec lequel elle crée des cabarets pour les
places de villages chaque année en Auvergne. Au cinéma, elle a tourné dans plusieurs courts-métrages
– En suspension de Fanny Dal Magro, Smoking et Trompette de Raphaël Potier et Le Livre des rêves
d’Emmanuel Rouglan – et dans le long-métrage L’Absence de Cyril de Gaspéris.
PAULINE PARIGOT – comédienne
Pauline Parigot, jeune comédienne de 23 ans.
Elle fait ses débuts au cinéma dans un long métrage indépendant de Bénédicte Pagnot (public au
festival d’Angers).
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A Paris, elle suit les cours du conservatoire du 18 eme arrondissement en parallèle de quelques
tournages de court métrages comme Tu me suivras de Manuel Pradal ou Via Rupta de Kevin Lameta.
En 2013 elle intègre l’ERAC ou elle se consacre au théâtre avec différents intervenantscomme Nadia
Vonderheyden, Laurent Poitreneau, Stéphane Braunschweig, Didier Galas, Claude Duparfait ou
encore cette année Marielle Pinsard et Julie Duclos.
Aussi, elle tient un rôle dans la saison 2 des Revenants ou elle joue auprès de Céline Sallette.
Sophie RICHELIEU - comédienne, chanteuse
Née en France, de parents haïtiens, elle obtient en 2013, son Diplôme d’Etudes Théâtrales au
Conservatoire Marcel Dadi de Créteil, ainsi qu’une Licence d’Études Théâtrales à la SorbonneNouvelle (Paris III). Cette même année, elle intègre l’école supérieure d’art dramatique de bordeaux,
l’Éstba, et en sortira diplômée en juin 2016 (Diplôme national supérieur et professionnel du
Comédien). Elle s’y forme comme comédienne aux côtés de nombreux acteurs et metteurs en scène:
Philip Boulay, Vincent Dissez, Marc Paquien, Robin Renucci, Christophe Reichert, Árpád Schilling,
Jacques Vincey... En 2015, pendant 1 mois, elle travaille en espagnol à Buenos Aires, avec les
metteurs en scène de la scène indépendante potègne Sergio Boris et Claudio Tolcachir. À partir d’avril
2016, elle travaillera avec la metteuse en scène Catherine Marnas, directrice du TnBA et de l’Éstba, et
avec l’acteur Franck Manzoni, auprès desquels elle se forme depuis 2013. Des représentations de ce
projet se dérouleront fin juin 2016 au festival des écoles à la Cartoucherie. Elle s’intéresse également à
la danse et chante régulièrement au sein de divers groupes.
MIREILLE ROUSSEL - comédienne
Dès sa sortie du Conservatoire National Supérieur D’Art Dramatique en 1992, Mireille Roussel
travaille avec Philippe Adrien, qui y fut son professeur, dans Grand Peur et Misère du III Reich.
Dans le même temps elle rencontre Ludovic Lagarde qui la met en scène dans plusieurs spectacles, de
Le Petit Monde de Georges Courteline en 1993 au Cercle de Craie Caucasien en 2000.
Tout en continuant son parcours théatral sous la direction de Noel Casale dans Antoine et Cléopatre,
Nabil El Azan dans Le collier d’Helene, ou Célie Pauthe dans S’agite et se pavane, elle commence en
1997 une carrière au cinéma et à la télévision et entretien depuis des fidélités avec des réalisateurs
comme Laurent Achard, Siegrid Alnoy, Catherine Corsini, ou Daniel Janneau.
En collaboration avec Ricardo Munoz, elle écrit son premier texte de théâtre Majorette ! en 2009, qui
reçoit le soutien de la SACD pour l’aide à la création et qu’ils créent en avril 2010 à la Comédie de
Reims, projet repris à l’automne 2010 à la Comédie de Reims, en tournée en 2011, et au CDN de
Montreuil en 2013. Elle a tourné récemment avec Pascal Rabaté, Brigitte Sy ou encore Paul Vecchialli
et a retrouvé au Théatre P. Adrien en septembre 2015 pour Le bizarre incident du chien pendant la
nuit.
7

Note d’intention
Pourquoi Disgrâce ?
Ce récit m’a sonné et bouleversé, il m’a laissé comme égaré, le désir de l’adapter fut immédiat, et les
événements de janvier dernier ont accéléré les choses. Adapter Disgrâce c’est accepter ce trouble,
c’est plonger dans la complexité de notre temps, descendre aux enfers de notre époque.
Dans une langue sèche et lapidaire, composée de monologues et de dialogues d’une grande intensité,
Coetzee met en scène des situations complexes et conflictuelles éminemment théâtrales. Disgrâce
interroge nos existences face à la crise des valeurs et au déclin de la civilisation occidentale.
David Lurie est un homme en perdition dans un pays qu’il ne comprend plus, un monde dont il n’a pas
pressenti la transformation, qu’il a obstinément regardé avec les certitudes de sa vision obsolète, un
monde dans lequel il va brûler. Les cendres de ce monde sont celles du régime de l’apartheid, de la
domination d’une aristocratie blanche en Afrique du Sud.
David Lurie est un homme de son temps, de son époque, de sa génération, mais les temps ont changé.
Il a vécu pendant l’apartheid, ni plus ni moins. Dans l’acceptation de ce système, dans une forme de
complicité, en sachant pertinemment que quelque chose n’allait pas complètement. Que l’on ne vit pas
impunément sur le dos des autres, de ceux qui ont été humiliés et spoliés pendant des décennies, sans
en payer un jour le prix. Ici, c’est la chute de David Lurie qui est regardée, sa Disgrâce.
A travers cette crise des valeurs, incarnée par la déchéance morale et physique d’un homme, ce sont
nos angoisses et nos peurs que Coetzee ausculte avec une ironie mordante. La peur de vieillir seul, la
peur de son voisin étranger, la peur de perdre son emploi, ses amis, de ne plus être désiré…
Refusant toute forme de manichéisme, Coetzee pose des questions qui sans être absolument similaires,
font terriblement écho à l’histoire de notre propre pays.
Comment vivre sereinement dans un pays, quand les blessures du colonialisme, de l’apartheid restent
profondes, que le poids du passé pèse sur l’histoire collective et individuelle? Comment endosser la
responsabilité de l’histoire passée et dans quelle mesure doit-on le faire ?
Ce sont ces questions que je veux mettre en scène.
A la fin de l’apartheid en Afrique du sud, les noirs ne sont pas devenus meilleurs que les blancs, les
valeurs ont été renversées et de nouveaux rapports de pouvoir sont nés. C’est l’histoire de l’humanité.
La réconciliation ne se décrète pas, pour se réconcilier il faut d’abord avoir été pardonné, et pour
obtenir ce pardon il faut reconnaître ses fautes.
Lorsque des conflits violents éclatent un peu partout et se succèdent à une vitesse si prodigieuse que
les médias et les politiques n’arrivent plus à suivre, la parole médiatique est souvent réduite à une
simplification dangereuse. Cette simplification n’est que le reflet de notre impuissance et de notre
incapacité à regarder entièrement et en face l’histoire de notre pays. Lorsqu’ils usent à outrance de
mots-slogans comme barbares ou civilisés, bien ou mal, liberté d’expression ou fanatisme à longueur
de journée, le rôle de la littérature et du théâtre est de prendre le risque d’expliquer l’inexplicable, de
tenter de rendre au monde sa complexité, d’éclairer nos temps obscurs en faisant surgir des émotions
enfouies.
« Il y a des risques à posséder quoi que ce soit : une voiture, une paire de chaussures, un paquet de
cigarettes. Il n’y en a pas assez pour tout le monde, pas assez de chaussures, pas assez de voitures,
pas assez de cigarettes. Trop de gens, pas assez de choses. Et ce qu’il y a doit circuler pour que tout
un chacun ait l’occasion de connaître le bonheur le temps d’une journée. C’est la théorie. Tiens-t’en à
la théorie et à ce qu’elle a de réconfortant. Il ne s’agit pas de méchanceté humaine, mais d’un grand
système de circulation des biens, avec lequel la pitié et la terreur n’ont rien à voir. »
David Lurie, dans Disgrâce
8

Adapter Disgrâce
Je veux réaliser l’adaptation du roman, en empruntant pas à pas le chemin de David Lurie,
c’est à dire en respectant le récit du roman à travers cette dualité entre monologues adressés
au public et dialogues entres les personnages. Je me laisse toutefois la possibilité de déplacer
certains fragments de texte pour mieux jouer sur la temporalité du récit, en maitriser le rythme
par le montage et créer un trouble entre passé, présent et futur. Le vrai enjeu de l’adaptation
est pour moi de trouver l’essence de l’oeuvre dans la mise en scène, c’est-à-dire dans la
réalisation scénique des non-dits, du trouble qui est l’une des singularités de l’écriture de
Coetzee. Dans son roman rien n’est évident, rien n’est montré clairement, ni la couleur de
peau des personnages, ni la violence de leurs actes … Tout est perçu à travers le prisme, la
subjectivité du regard de David Lurie. Nous ne sommes pas maîtres de ce que nous voyons, le
drame est dévoilé par bribes, car c’est à travers ses yeux que nous regardons le monde, c’est
son monde.
Adapter Disgrâce c’est mettre en scène un aveuglement, c’est suivre David dans son voyage
aux enfers.
Jean-Pierre Baro, été 2015

L’auteur : John Maxwell Coetzee
9
John Maxwell Coetzee est né en 1940 naît au Cap dans une famille boer calviniste
(colons afrikaners). Son père est avocat et sa mère institutrice. L’anglais est sa langue
maternelle. Il suit sa scolarité dans une école anglophone. Le foyer est instable et l’auteur
grandit durant l’instauration violente du régime d’apartheid. Initialement, il ne poursuit aucun
cursus universitaire dans les lettres et étudie les mathématiques à l’université du Cap. En
1960, il part pour l’Angleterre et poursuit à Londres des études de linguistique et
d’informatique.
Après avoir travaillé comme programmeur pour IBM et International Computers,
Coetzee nourrit des ambitions littéraires. Toutefois, il est tiraillé entre ses besoins financiers et
sa passion pour les lettres et l’écriture. L’attribution d’une bourse d’étude lui permet de
reprendre des études d’anglais à l’université du Texas à Austin, où il soutient une thèse de
doctorat en 1969 sur les romans de Samuel Beckett. Il se voit ensuite proposer un poste à
l’université de Buffalo (New York) où il enseigne jusqu’en 1971. L’année suivante, il obtient
une chaire de professeur en littérature au département d’anglais de l’université du Cap. Son
premier roman, Terres de crépuscule (Dusklands), y est publié en 1974. Son parcours
d’écrivain est marqué par la lecture de Beckett, T.S. Eliot, William Faulkner et Vladimir
Nabokov.
Coetzee s’installe en Australie en 2002 pour enseigner à l’université d’Adélaïde. Il est
maintenant professeur émérite à l’université de Chicago (Illinois), aux États-Unis.
Les idées et les comportements issus de l’apartheid, mais qui selon l’auteur peuvent se
développer n’importe où, constituent un thème fondamental dans les romans de Coetzee. Les
distinctions les plus prestigieuses sont venues souligner l’importance et l’exigence de l’oeuvre
de l’écrivain J. M. Coetzee : le Booker Prize, deux fois – le fait est rare –, en 1983 pour
Michael K, sa vie, son temps puis en 1999 pour Disgrâce, ainsi que le prix Nobel de littérature
en 2003.
Oeuvres
Terres de crépuscule, 1974
Au cœur de ce pays, 1976
En attendant les barbares, 1980
Michael K, sa vie, son temps, 1983
Foe, 1986
L’Âge de fer, 1990
Le Maître de Petersbourg, 1994
Scènes de la vie d’un jeune garçon, 1997
Disgrâce, 1999
Vers l’âge d’homme, 2002
Elizabeth Costello, 2004
L’Homme ralenti, 2006
Journal d’une année noire, 2007
Paysage sud-africain, 2008
L’Été de la vie, 2011
De la lecture à l’écriture, Seuil, 2012
Une enfance de Jésus, 2013
10

L’Afrique du Sud de Coetzee : Apartheid et post Apartheid
L'Histoire de l'Afrique du Sud depuis 1994 est celle d'une démocratie multiraciale après
354 années de domination blanche.
Entre 1652 et 1994, l'Afrique du Sud a été conquise et dirigée par les populations d'origine
européennes. Au XXe siècle, cette domination blanche a été très marquée par le régime de
l'apartheid.
Après la libération de Nelson Mandela en 1990, l'abolition des lois d'apartheid en juin 1991,
l'histoire de l'Afrique du Sud a donc pris une orientation différente que la population blanche
a validé par référendum le 17 mars 1992.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Afrique_du_Sud_depuis_1994
L’apartheid (mot afrikaans partiellement dérivé du français, signifiant « séparation, mise à
part ») était une politique dite de « développement séparé » affectant des populations selon
des critères raciaux ou ethniques dans des zones géographiques déterminées. Il fut
conceptualisé et introduit à partir de 1948 en Afrique du Sud (Union d'Afrique du Sud, puis
République d'Afrique du Sud) par le Parti national, et aboli le 30 juin 1991. La politique
d'apartheid se voulait l'aboutissement institutionnel d'une politique et d'une pratique jusque-là
empirique de ségrégation raciale (Pass-laws, baasskap et colour bar), élaborée en Afrique du
Sud depuis la fondation par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales de la colonie du
Cap en 1652. Avec l'apartheid, le rattachement territorial (puis la nationalité) et le statut social
dépendaient du statut racial de l'individu.
La politique d'apartheid fut le « résultat de l'anxiété historique des Afrikaners obsédés par leur
peur d'être engloutis par la masse des peuples noirs environnants ». Les lois rigides qui en
résultèrent, « dictées par une minorité blanche dynamique obsédée par sa survie » en tant que
nation distincte, furent ainsi le résultat d'une confrontation, sur une même aire géographique,
d'une société surdéveloppée, intégrée au premier monde avec une société de subsistance,
encore dans le tiers monde, manifestant le refus de l'intégration des premiers avec les seconds.

Entretien avec Jean-Pierre Baro
Pourquoi es-tu allé vers un matériau romanesque ?
J.-P.-B. : Pour Disgrâce de Coetzee, ça a été un choc à la lecture. C’est l’histoire de David
Lurie, professeur de littérature à l’Université du Cap en Afrique du Sud. Cet homme blanc,
issu d’afrikaners, a une relation sexuelle plus ou moins consentie avec une de ses étudiantes.
Poussée par sa famille, l’étudiante, va l’accuser d’agression sexuelle. On est juste après
l’apartheid, au moment du renversement des valeurs. L’histoire de ce professeur est un peu
celle de Faust, avec sa disgrâce, sa descente aux enfers. Il quitte l’université, parce qu’il a sa
propre morale, il décide de ne pas répondre aux accusations ni de se justifier. Il rejoint donc sa
fille à la campagne, dans l’entourage de locaux, des noirs sud-africains qui ont récupéré leurs
terres après l’Apartheid grâce à la politique de l’ANC. Cet homme, jusqu’alors protégé,
devient minoritaire. Un jour, sa fille se fait violer par des noirs, mais elle décide de ne pas
porter plainte. On ne veut plus parler des problèmes. Chez Coetzee, la violence s’exerce de
11
manière sourde. C’est ce qui va être passionnant pour moi dans l’adaptation théâtrale. Je n’ai
pas du tout envie d’aller vers quelque chose de choquant, mais plutôt vers l’imaginaire, que
tout ne soit pas montré. Coetzee est moral sans être moraliste, il fustige la bien-pensance. Il a
d’ailleurs été très critiqué avant de recevoir son prix Nobel, notamment par l’ANC qui refusait
l’image qu’il renvoyait des noirs, une image qui allait à l’encontre de la réconciliation
nationale.
Combien de personnages y aura-t-il ?
J.-P.-B. : A priori il y aura huit personnages sur scène.
C’est un univers sombre que tu décris : la violence sociale, la violence raciale, les paradoxes
de la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, loin de tout discours manichéen.
J.-P.-B. : On est très proche de Brecht. C’est ce qui m’a sauté au visage en lisant le roman. Je
suis resté cinq jours à me demander ce que j’en pensais vraiment, j’étais paumé. Cela m’a
renvoyé directement à ici, aujourd’hui, même si je n’ai pas envie de décontextualiser le texte.
Penses-tu comme Manuel Valls, qu’il existe un « apartheid social, territorial, ethnique » en
France ?
J.-P.-B. : Oui, il y a des gens qui sont exclus, qu’on a relégués dans des zones, qu’on a exclus
des centre-villes.
Crois-tu qu’il y a eu historiquement une volonté du pouvoir de fonder une théorie raciale ?
J.-P.-B. : La France a été un pays colonisateur. Entre les années 30 et les années 70, des
scientifiques français ont écrit sur les différences des races, sur l’infériorité des algériens
pendant la guerre d’Algérie. A travers la colonisation, les états européens ont induit une
infériorité des races. Aujourd’hui, on paye le prix de cette mémoire-là, de cette inconscient-là.
Ce pan d’histoire n’est pas encore passé au conscient. Des auteurs comme Franz Fanon,
comme Baldwin, comme Coetzee, comme Brink abordent cette question, qu’ils mettent en
rapport avec la dégradation des valeurs de l’Europe occidentale. L’œuvre de Coetzee est
sombre. Ce qui est lumineux, c’est la passion dans le roman. Le personnage de Lurie est
insupportable, on n’a pas envie d’être dans sa peau. Ce n’est pas comme à l’habitude, je ne
me reconnais pas en lui du tout. En revanche, je reconnais dans le personnage l’ironie
européenne, car il est très drôle, mais insupportablement drôle.
C’est un sujet qui fait débat, voire polémique.
J.-P.-B. : En tout cas, c’est un sujet qui fait penser. C’est pour cela que je le rapprochais de
Brecht. Coetzee pose des questions sans y répondre, il nous laisse avec ces questions.
J’imagine forcément un parallèle avec la France d’aujourd’hui. Le texte a cette force-là, celle
de poser des questions. J’ai eu envie de ce roman pour son pouvoir théâtral. L’adaptation est
pour ainsi dire faite : il y a tellement de dialogues.
Il y aura également des moments narratifs ?
J.-P.-B. : Oui, il y en aura. Le plus compliqué dans l’adaptation, c’est le passage du roman à la
scène, c’est de trouver la force de Coetzee scéniquement. L’enjeu de la scénographie va se
jouer entre montrer et ne pas montrer. L’adaptation est assez évidente au niveau du texte, c’est
tellement bien écrit, bien traduit, bien dialogué… Coetzee vient de la littérature américaine,
qui est très économe.
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Disgrace-17575/videos/
12

Quelques références chères à Jean-Pierre Baro
Les Damnés de la Terre est le dernier livre de Frantz Fanon, publié quelques jours avant sa
mort aux Éditions Maspero en 1961. Cet essai analytique se penche sur le colonialisme,
l'aliénation du colonisé et les guerres de libération. Il étudie le rôle que joue la violence entre
colonisateur et colonisé. Il prône la lutte anticolonialiste y compris par la violence et
l'émancipation du tiers-monde. Le livre expose aussi avec une certaine prémonition les
contradictions inhérentes à l'exercice du pouvoir dans l'ère post-coloniale en Afrique. Écrit en
pleine guerre d'Algérie, interdit à sa sortie, il a servi de référence a des mouvements de
libération anti-coloniale et d'autodétermination. Ce livre est également célèbre pour sa préface
écrite par Jean-Paul Sartre.
La ville du colonisé, ou du moins la ville indigène, le village nègre, la médina, la réserve est
un lieu mal famé, peuplé d'hommes mal famés. On y naît n'importe où, n'importe comment.
On y meurt n'importe où, de n'importe quoi. C'est un monde sans intervalles, les hommes y
sont les uns sur les autres, les cases les unes sur les autres. La ville du colonisé est une ville
affamée, affamée de pain, de viande, de chaussures, de charbon, de lumière. La ville du
colonisé est une ville accroupie, une ville à genoux, une ville vautrée. C'est une ville de
nègres, une ville de bicots. Le regard que le colonisé jette sur la ville du colon est un regard
de luxure, un regard d'envie. Rêves de possession. Tous les modes de possession : s'asseoir à
la table du colon, coucher dans le lit du colon, avec sa femme si possible. Le colonisé est un
envieux. Le colon ne l'ignore pas qui, surprenant son regard à la dérive, constate amèrement
mais toujours sur le qui-vive : « Ils veulent prendre notre place. » C'est vrai, il n'y a pas un
colonisé qui ne rêve au moins une fois par jour de s'installer à la place du colon.
http://sciencepoparis8.hautetfort.com/media/02/01/2897114115.pdf
o J.M. Coetzee, Arabella Kurtz , La Vérité du récit . Conversations sur le réel et
la fiction (Albin Michel, 2016)
Qu’est-ce qui est vrai dans le récit ? Où se situe la frontière entre ce qui s’est passé réellement
et ce qu’en transmet le narrateur ? L’écrivain sud-africain J.M. Coetzee, Prix Nobel de
littérature, et la psychanalyste anglaise Arabella Kurtz abordent la question de la vérité et de
la fiction, touchant à des interrogations essentielles, telles que l’élaboration du récit de vie, le
souvenir, la subjectivité, l’importance du rapport avec l’autre dans la constitution de soi, le
dialogue, l’illusion, la fabrication de l’histoire collective.
Autrement dit, j’ai vécu comme un membre d’un groupe de conquérants qui s’est considéré
pendant très longtemps d’une manière ouvertement raciale, et qui a cru que ce qu’il faisait en
colonisant ‘en « civilisant ») un pays étranger était méritoire. Mais par la suite, pour des
raisons liées à l’histoire du monde, ce groupe a dû fortement réviser son regard sur ses actes,
donc remanier l’histoire qu’il s’était racontée à son sujet, à savoir son Histoire.
o J.M.Coetzee, Discours de réception du prix de Jérusalem (in Doubler Le Cap ;
Essais et Entretiens, Seuil, 2007)
13

Disgrâce, un roman sombre et complexe
Disgrâce est un doux euphémisme pour décrire la brutale déchéance de David Lurie, un
professeur blanc de l’université du Cap, en Afrique du Sud. Ce spécialiste de la poésie
romantique voit tout d’abord le prestige de son métier se déliter au fil des ans. Non seulement
il enseigne à des élèves de plus en plus blasés et ignorants, mais il est désormais censé donner
des cours sur les techniques de communication, un domaine qu’il exècre dans la mesure où il
est le reflet d’une modernité qui n’est pas la sienne. Son violon d’Ingres, c’est la rédaction
d’un livret d’opéra sur le voyage du poète Byron en Italie. Mais qui s’intéresse encore à un tel
sujet, dans une Afrique du Sud post-apartheid en pleine déliquescence?
C’est ensuite sa vie sexuelle qui part à vau-l’eau. À cinquante-deux ans et après deux
divorces, ce célibataire prend toujours un malin plaisir à séduire les femmes. Les posséder est
un même un besoin. Néanmoins, le poids des années qui passent commence à se faire sentir.
«Sans le moindre signe avant-coureur, le pouvoir de son charme l’abandonna. Ces regards,
qui naguère auraient répondu aux siens, glissaient sur lui, se portaient ailleurs, ne le voyaient
plus. Du jour au lendemain, il ne fut plus qu’un fantôme. S’il voulait une femme, il devait
apprendre à lui courir après; et souvent, d’une manière ou d’une autre, l’acheter.» Chaque
jeudi, David Lurie couche avec Soraya, une prostituée métisse. Puis, un jour, il séduit une de
ses étudiantes, de trente ans sa cadette. Cette aventure malsaine, qui prend des allures de
dernière cigarette, le contraint à démissionner sans gloire de son poste. Malgré la gravité de
ses actes, il aurait facilement pu éviter l’éviction de son lycée, s’il avait accepté de faire
amende honorable dans des formes politiquement correctes. Désabusé, il refuse cette
humiliation.
David Lurie décide alors de rejoindre sa fille Lucy dans une ferme de l’arrière-pays sudafricain. En digne descendante des pionniers boers, elle y vit seule, en quasi autarcie,
s’occupant de ses chenils et de ses modestes cultures, qu’elle vend au marché. Le désormais
ex-professeur croit trouver chez sa fille un havre de paix propice au ressourcement. Or il n’en
est rien. L’apartheid vient certes d’être aboli mais ses scories continuent de ravager les
campagnes. Les tensions sont vives entre les propriétaires blancs et les populations noires,
bien décidées à reconquérir les terres spoliées. Un matin, trois jeunes noirs désœuvrés s’en
prennent au professeur et à sa fille: le premier est brûlé vif, la seconde violée. Suite à cette
attaque d’une rare sauvagerie, le fossé qui sépare le père et sa fille devient béant. Lucy refuse
de porter plainte contre ses agresseurs et est prête à garder l’enfant qu’elle porte suite au viol.
David Lurie s’insurge: «Quelle sorte d’enfant peut naître d’une semence pareille, une
semence forcée dans une femme non par amour mais par haine, mêlée pêle-mêle, destinée à
la souiller, à la marquer, comme de l’urine de chien?»
Suite à l’attaque de la ferme, David Lurie en est réduit à aider une vieille femme à faire
mourir des chiens malades. Le fait de coucher avec elle sonnera le glas de sa vie sexuelle. Les
valeurs qui lui servirent de repères durant toute sa vie – respect du savoir, de la hiérarchie
sociale, etc. – semblent mises à mal de façon irrémédiable. Il n’a plus sa place dans la
nouvelle ère qui s’ouvre.
Disgrâce est certainement le meilleur roman de J. M. Coetzee. Le plus sombre aussi. Il ne
s’agit nullement d’un récit bien-pensant où tout est simple, le mal comme le bien, les
méchants comme les gentils. Coetzee y dresse, d’une plume sèche et claquante, un tableau
14
extrêmement pessimiste de l’Afrique du Sud post-apartheid, déchirée par des inégalités
sociales peu communes: «Il y a des risques à posséder quoi que ce soit: une voiture, une paire
de chaussures, un paquet de cigarettes. Il n’y en a pas assez pour tout le monde, pas assez de
chaussures, pas assez de voitures, pas assez de cigarettes. Trop de gens, pas assez de choses.
Et ce qu’il y a doit circuler pour que tout un chacun ait l’occasion de connaître le bonheur le
temps d’une journée.» L’insécurité est-elle devenue une créance exigible par l’histoire,
comme semble le penser Lucy? Les Afrikaners sont-ils condamnés à souffrir le présent pour
expier les crimes du passé? Pour Coetzee, les plaies de l’histoire ne cicatriseront pas
facilement et la nation Arc-en-ciel va au devant d’un avenir aussi sombre que celui du
professeur David Lurie.
Florent Cosandey, 15 novembre 2006
http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?page=article5&id_article=389
On pourra approfondir la lecture du roman avec la lecture très éclairante de Marie Thérèse
Denizeau
http://www.lelivrevivant.fr/74+disgrace-de-j-m-coetzee.html

Adapter au théâtre un texte romanesque. L’adaptation théâtrale et la réécriture :
expérimentations scéniques et puissances de contestation
L’adaptation et la réécriture sont deux formes d’écriture théâtrale que l’on retrouve tout au
long de l’histoire du théâtre, dès les origines : la tragédie grecque s’est inspirée des épopées
d’Homère, les Mystères du Moyen-Age sont des illustrations vivantes de la Bible et la plupart
des oeuvres de Shakespeare tirent leur source de nouvelles, de ballades, de chroniques. Quant
à la réécriture, elle est pratiquée dès l’époque romaine, puis très largement dans le classicisme
français, à partir des pièces de la tragédie grecque antique.
Au vingtième siècle, les metteurs en scène vont très largement pratiquer l’adaptation et la
réécriture : Jacques Copeau, Charles Dullin, Gaston Baty et surtout Jean-Louis Barrault
adopteront pour la scène divers romans ou nouvelles, tout comme Erwin Piscator ou plus
récemment Krystian Lupa. La pièce « Hamlet » a, à elle seule, entraîné nombre de réécritures,
parmi lesquelles on peut citer, à la fin du vingtième siècle, celles de Heiner Müller, Peter
Brook, Bernard-Marie Koltès, Carmelo Bene, Guy Cassiers ou Robert Wilson.
Pourtant ces deux pratiques entraînent toujours des objections, des réticences très sérieuses,
des accusations de déformation, de simplification, de réduction, de détournement du sens, de
trahison par rapport à l’œuvre d’origine, qu’elle soit un roman ou une pièce de théâtre. Le
passage d’un langage à un autre par l’adaptation, comme la transformation née de la
réécriture, semblent ainsi se confronter à des principes très ancrés chez leurs détracteurs, se
heurter à une certaine conception des formes établies.
Pourquoi adapter ? Pourquoi réécrire ? Quelles nécessités poussent ainsi les praticiens de la
scène, tout au long du vingtième siècle, à redire autrement, sous une nouvelle forme, avec
d’autres moyens d’expression, ce qui a déjà été dit ? L’absence de répertoire à la mesure de
l’époque contemporaine fut, dans les années 1920, l’une des réponses apportées par le théâtre
politique de Piscator ou de Meyerhold. L’adaptation et la réécriture sont alors des formes de
contestation d’une pensée et d’une culture qui sont à dépasser, tout autant que d’une forme
dramatique qui ne correspond plus aux transformations de la société.
15
Trahison et détournement du sens initial ne sont donc pas des défauts par rapport à l’œuvre
d’origine, des ratés dans l’écriture qui induiraient simplification et réduction, mais
l’affirmation d’un positionnement politique ou philosophique, d’un acte de création autonome
et affranchi de toute nécessité d’une quelconque fidélité par rapport à l’œuvre initiale.
Par ailleurs, le passage d’un langage à un autre entraîne la recherche de nouveaux moyens
d’expression comme de nouvelles formes de narration : l’adaptation opère un redécoupage du
roman qui tienne compte des spécificités du théâtre et a besoin d’expérimenter de nouveaux
dispositifs scéniques, de nouvelles techniques, permettant de donner à voir, de mettre en
images différents épisodes du roman, des descriptions tout comme des passages parlés. JeanLouis Barrault souligne ainsi sa découverte des scènes parallèles permettant de jouer
simultanément plusieurs moments, Piscator celle de l’arrière-plan qui ouvre la scène sur le
monde.
Les metteurs en scène qui pratiquent la réécriture sont aussi ceux qui mettent en question et en
crise la mise en scène-illustration d’un texte et qui inventent des potentialités scéniques
permettant de créer de nouvelles formes, des écritures scéniques mettant en jeu les nouvelles
technologies : Kantor, Wilson ou Bene sont de grands inventeurs de formes, et de grands
critiques quant à la forme dramatique, qu’ils appellent à dépasser.
Adaptation et réécriture sont donc deux formes d’écritures qui permettent l’exploration et
l’expérimentation de nouvelles techniques et de nouveaux dispositifs scéniques, la découverte
de nouveaux modes de narration.
Quelques pistes de réflexion pour l’adaptation théâtrale :
- les équivalences d’expression permettant le passage d’un langage à un autre, les moyens
scéniques mis en œuvre pour prendre en charge les descriptions ou se substituer à un épisode
parlé
- le nouveau découpage : suppression d’épisodes, ellipses, focalisation, création de nouvelles
scènes, flashback, utilisations de vidéos, d’images ou de textes extérieurs au roman, à la
nouvelle
- le dépassement de la forme dramatique, l’invention de nouveaux modes de narration
- les expérimentations scéniques et les inventions techniques qui en découlent
- les transformations, les actualisations, les détournements liés à la volonté d’être à la mesure
de l’époque contemporaine

Et le cinéma ?
Disgrâce (film) (2008) de Steve Jacobs, avec John Malkovich, Jessica Haines et Eriq
Ebouaney
On peut voir la bande annonce du film, sur
http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces/disgrace,134148
Et trois extraits significatifs de ce film :
- David Lurie en cours face à sa « victime » et à son dénonciateur : la figure de Lucifer
http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces/disgrace,134148-video-17052
- Première rencontre de David Lurie avec Petrus, ‘l’homme aux chiens »
http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces/disgrace,134148-video-17053
- L’agression
http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces/disgrace,134148-video-17054
16

Pieter Hugo, un photographe sud-africain
Né à Johannesburg en 1976, Pieter Hugo grandit au Cap, où il réside toujours. Autodidacte, il
commence à s’intéresser à la photographie à 12 ans lorsqu’il reçoit son premier appareil photo
alors que la fin de l’Apartheid est proclamée en Afrique du sud. L’émotion et la peur
ambiantes le poussent à photographier ce qui l’entoure. Dans un premier temps, il travaille
comme photojournaliste mais se dirige rapidement vers une photographie plus personnelle
« Kin » tente d’évaluer le fossé qui sépare les idéaux d’une société et sa réalité.
Pieter Hugo
Réalisée au cours des huit dernières années (2006-2013), la série Kin aborde des thèmes
complexes comme la colonisation, la diversité raciale et les disparités économiques en
Afrique du sud. Ces questions sont récurrentes dans les projets antérieurs du photographe au
Nigeria, Ghana, Liberia et Bostwana ; cependant, Pieter Hugo se concentre cette fois sur son
pays natal, qu’il observe de l’intérieur.
in est une exploration intime de l’Afrique du sud à travers des paysages, des portraits et des
natures mortes. Hugo nous présente des lieux et des sujets qui lui sont familiers comme les
townships surpeuplés, les zones minières abandonnées ou la lutte pour les terres agricoles. Il
photographie aussi les intérieurs de maisons modestes, sa femme enceinte, sa fille juste après
sa naissance et la nourrice qui a travaillé pour la famille pendant trois générations. Alternant
espaces publics et privés en se focalisant sur la disparité croissante entre riches et pauvres,
in est une tentative pour l’artiste de trouver sa place dans un pays à l’histoire complexe et à
l’avenir incertain où le poids du passé pèse sur l’histoire collective et individuelle.
Fracturée, schizophrène, blessée, l’Afrique du sud est un territoire très problématique.
C’est une société où règne la violence ; les cicatrices du colonialisme et de l’apartheid sont
encore très profondes. Les questions raciales et identitaires pénètrent toutes les couches de la
société, et les conséquences de la ségrégation forcée jettent une ombre indélébile. Comment
peut-on vivre dans cette société ? Comment endosser la responsabilité de l’histoire passée et
dans quelle mesure doit-on le faire ? Comment élever des enfants dans une société si
conflictuelle ? Avant d’être marié et d’avoir des enfants ces questions ne me gênaient pas ;
maintenant elles m’interpellent.
Il y a environ 8 ans, j’ai commencé à photographier autour de cette notion de terre natale
(home), quel que soit son sens, d’un point de vue public et privé. Regarder son pays avec un
œil critique c’est se regarder soi-même et regarder son prochain. C’est ressentir le poids de
l’histoire et comprendre le rôle que chacun y joue. C’est observer sa propre relation avec ses
proches, c’est voir les liens tenus qui nous unissent et nous divisent. « Home », cette terre
natale, c’est le lieu où appartenance et aliénation coexistent. Est-ce que cette appartenance
nous libère ou nous emprisonne ? Est-ce qu’elle nous rattache au poids terrible de l’histoire ou
bien est-ce qu’elle nous en délivre?
J’ai des sentiments très complexes sur le fait de vivre ici. Depuis 8 ans, je ne me sens guère
plus avancé sur ces questions. Au contraire, je suis encore plus confus et encore plus en
désaccord avec « my home ». Ce travail se heurte à ce dilemme, mais échoue finalement à
donner des réponses.
17
Green Point Common, Le Cap, 2013
En Périphérie de Pretoria, 2013
18
On retrouvera d’autres photos de Pieter Hugo sur le site de la Fondation Cartier qui lui a
consacré cette exposition Kin en 2015
http://www.henricartierbresson.org/expositions/pieter-hugo/
19
En Amont
On peut certes considérer que le choc esthétique puisse suffire pour découvrir un spectacle
mais l’expérience a montré qu’une préparation en amont s’avère plus riche pour la réception
du spectacle (et indispensable pour certains élèves et/ou certains spectacles)
Il conviendra à l’enseignant de choisir les pistes qui lui semblent les plus adéquates sans les
écraser sous des références trop lourdes.
Quelques pistes :
-
Découvrir les lieux et la structure (son programme, ses missions…) Théâtre d’Orléans
/ CDN Orléans Centre (recherches internet, analyse de la plaquette du programme…)
-
Découvrir le metteur en scène, sa compagnie, ses thèmes de prédilection et son
esthétique à partir de quelques unes de ses précédentes créations
http://www.bureau-formart.org/artistes/jean-pierre-baro
https://www.facebook.com/Extime-compagnie-Jean-Pierre-Baro-217114148417945/
-
Découvrir l’auteur, le texte (roman ou adaptation) par de petites incursions ciblées
pour créer un « horizon d’attente » sans dévoiler la totalité de la fable.
-
Faire des recherches sur le contexte historique et politique, essentiel pour l’enjeu de la
pièce (même si l’auteur tend de manière volontaire à les gommer : ainsi à aucun
moment Coetzee ne dit que les agresseurs sont noirs, information pourtant difficile à
effacer sur un plateau…) : Apartheid et post-Apartheid en Afrique du Sud.
-
Commenter avec eux la note d’intention (qui certes indique peu de pistes
dramaturgiques mais délimite clairement le champ idéologique et social du metteur en
scène ainsi que son travail d’adaptation). Elargir avec les textes de Fanon et Coetzee.
-
Comment Jean-Pierre Baro présente le roman, son rapport à l’héritage colonial et son
rapport aux acteurs. (3 vidéos http://www.colline.fr/fr/spectacle/disgrace)
-
Analyser les photos de Pieter Hugo proposées dans le dossier de la compagnie. ( cf
Point doc). Comparer la photo de la page de garde avec celle prise pendant la séance
de maquillage. (proposée sur le facebook de la compagnie)
20
On pourrait également ouvrir (plutôt En Aval) sur le travail de la chorégraphe Robyn Orlin
(voir stage LTC)

Un travail d’adaptation (cf Point Doc)
Le théâtre contemporain n’hésite pas à s’emparer de textes narratifs (romans, contes,
nouvelles, récits) pour créer de nouvelles formes dramatiques. De la simple “adaptation” à la
réecriture ou à la création d’une forme originale inspirée de ce texte source, qu’est-ce qui
pousse un metteur en scène à choisir de porter sur le plateau de théâtre un texte qui n’a pas
vocation première à être représenté. (cf En amont)
Il peut déboucher avec les élèves sur un travail d’écriture (transformer un épisode narratif en
scène dramatique), voire de création scénographique (comment représenter l’espace, comment
articuler la temporalité, comment donner “corps” et faire parler un personnage).
On pourra proposer la transcription du chapitre/scène 2 ( Point Seuil P1035, pp.19-26) et
demander aux élèves de choisir les éléments (extraits de dialogue, transposition en
didascales, autres procédés dramaturgiques: présence d’un narrateur par exemple, effets de
sonorisation, conception d’un espace avec ses accessoires....) qui meur sembleront les plus
efficaces dramatiquement et les plus intéressants scéniquement.
Deux
(Il pleut, le bruit de l’eau qui court. Mélanie est dans l’appartement de David. Elle regarde
ses livres. On entend de la musique classique.)
DAVID: C’est ma saison préférée, c’est l’heure de la journée que je préfère. Vous habitez
dans le quartier ?
MELANIE: De l’autre côté de la voie de chemin de fer.
DAVID: Vous êtes du Cap?
MELANIE: Non. Je viens de George.
(David la débarrasse de son sac et de son manteau. Il lui sert un verre de vin.)
MELANIE: Merci. Il faut vraiment que je rentre pour sept heures et demie.
DAVID: Le cours vous plaît ?
MELANIE: J’ai bien aimé Blake, et tout le truc sur le Wonderhorn, le Cor merveilleux, ça
m’a bien plu.
DAVID: Le Wunderhorn.
MELANIE: Mais Wordsworth, ça ne m’emballe pas.
DAVID: Ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça. Wordsworth est l’un de mes maîtres.
MELANIE: Peut-être qu’à la fin du cours j’apprécierai mieux sa poésie. Ça finira par me
toucher.
DAVID: La poésie vous touche d’emblée, du premier coup, ou pas du tout. Cela relève de la
révélation fulgurante. C’est comme la foudre. Comme quand on tombe amoureux. Est-ce que
les jeunes d’aujourd’hui tombent encore amoureux ? Je suis plus dans le coup. Et vous, vous
écrivez de la poésie?
MELANIE: J’ai écrit des poèmes quand j’étais encore au lycée. C’était pas bien bon.
Maintenant je n’ai plus de temps pour ça.
DAVID: Et des passions ? En littérature, vous avez des passions ?
MELANIE: On a fait Adrienne Rich et Toni Morrison en deuxième année. Et Alice Walker.
J’ai mordu à ça. Mais je n’irai pas jusqu’à parler de passion.
21
DAVID: Je vais préparer quelque chose à manger. Vous voulez dîner avec moi? Ce sera tout
ce qu’il y a de simple. Allez ! Acceptez donc !
MELANIE: D’accord. Mais il faut que je passe un coup de fil.
(Mélanie sort pour téléphoner. C’est long. on entend des murmures, des silences.)
DAVID à lui-même: Elle s’appelle Mélanie Isaacs. C’est une de mes étudiantes. Ce n’est pas
une fille brillante mais elle n’est pas nulle non plus : pas bête, mais pas motivée. Elle me
plait. Est-ce qu’elle n’essaie de me tenir à distance ? Elle sait qu’elle m’a tapé dans l’œil. Les
femmes sentent cela d’instinct, elles sentent ce poids, le poids des regards chargés de désir.
Quoi qu’il arrive ce soir entre nous, il faudra bien que le prof et l’élève se retrouvent en
classe. Est-ce que je pourrais faire face à cette situation?
à Mélanie. Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire après vos études ?
MELANIE: Comment?
DAVID: Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire après vos études ?
MELANIE Du théâtre et du design. Je prépare un diplôme en art dramatique.
DAVID: Et pourquoi est-ce que vous avez pris un cours de poésie romantique?
MELANIE: Pour l’ambiance. J’avais pas envie de reprendre Shakespeare. J’ai fait
Shakespeare l’année dernière.
David enfile son tablier de cuisine.
MELANIE: C’est vous qui vous faites la cuisine?
DAVID: Je vis seul. Si je ne fais pas la cuisine, personne ne la fera pour moi.
MELANIE: Je déteste ça, moi, faire la cuisine. Je devrais m’y mettre, j’imagine.
DAVID: Pourquoi donc? Si vous n’aimez pas ça, vous épouserez un homme qui sait cuisiner.
Une bonne bouteille de Meerlust; un plateau de fromage avec des biscuits salés. Tagliatelles
avec une sauce aux champignons, garnie d’anchois. Une deuxième bouteille de vin. Du vin,
de la musique: ingrédients d’un rite qui se pratique entre les hommes et les femmes. Rien à
redire aux rites. C’est tout ce qu’il y a. Je n’ai pas de dessert, sauf si vous voulez du yaourt
ou une pomme.
MELANIE: C’était bon, merci.
DAVID: Ne partez pas tout de suite.
(Il lui prend la main. Elle la retire et ouvre l’étui à guitare.)
MELANIE: Vous jouez?
DAVID: Un peu.
MELANIE: Du classique ou du jazz?
DAVID: Pas de jazz, hélas.
MELANIE: Vous ne voulez pas me jouer quelque chose ?
DAVID: Non, pas ce soir. Je suis rouillé. Une autre fois, quand on se connaîtra mieux.
David met un autre disque, les sonates de Scarlatti.
MELANIE: Vous avez beaucoup de livres sur Byron. C’est votre poète préféré ?
DAVID: Je travaille sur Byron. Sur sa période italienne. Je caresse même le projet d’un
ouvrage. De la musique : Byron en Italie, une méditation sur l’amour entre un homme et une
femme, une sorte de Kammeroper, un opéra de chambre.
MELANIE: Il est mort jeune, non ?
DAVID: Oui. A trente-six ans. Ils sont tous morts jeunes. Ou leur inspiration s’est tarie. Ou
ils sont devenus fous et on les a enfermés. Mais Byron n’est pas mort en Italie. Il est mort en
Grèce. Il est parti pour l’Italie pour échapper au scandale, et il s’y est fixé. C’est là qu’il s’est
rangé. Il a eu en Italie sa dernière aventure sentimentale, son dernier amour. C’était la mode à
l’époque pour les Anglais d’aller en Italie. Ils pensaient que les Italiens écoutaient encore
leur nature. Qu’ils étaient moins prisonniers des conventions, qu’ils étaient plus passionnés.
MELANIE: C’est votre femme?
22
DAVID: C’est ma mère, quand elle était jeune.
MELANIE: Vous êtes marié?
DAVID: Je l’ai été. Deux fois. Mais je ne le suis plus. à lui-même. Maintenant je me
débrouille avec des putains. Je vous offre un digestif? Tu es très jolie. Je vais te faire une
proposition tout à fait déraisonnable. Ne pars pas. Passe la nuit avec moi.
MELANIE: Pourquoi?
DAVID: C’est ce que tu devrais faire.
MELANIE: Et pourquoi est-ce que je devrais faire ça?
DAVID: Pourquoi ? Parce que la beauté d’une femme ne lui appartient pas en propre. Cela
fait partie de ce qu’elle apporte au monde, comme un don. Elle a le devoir de la partager.
(Sa main de nouveau se pose sur sa joue. Elle ne se détourne pas, mais elle ne se laisse pas
aller non plus.)
MELANIE: Et si je partage déjà?
DAVID: Eh bien, tu devrais partager plus généreusement. Tu ne t’appartiens pas en propre.
La beauté appartient à tous. From fairest creatures we desire increase, That thereby beautyís
rose might never die.
MELANIE: Il faut que je parte. On m’attend.
DAVID: Je te raccompagne jusque chez toi ?
MELANIE: Non.
DAVID Bon. Bonsoir. Je devrais en rester là. A quel âge Origène s’est-il châtré? Ne
pourrait-on pas demander à un médecin de procéder à la chose? Cela doit être une opération
assez simple : elle se pratique tous les jours sur les animaux, et les animaux survivent plutôt
bien, si on n’attache pas d’importance à une certaine tristesse qui leur reste. On tranche, on
ligature : avec une anesthésie locale, une main sûre et un minimum de sang-froid on pourrait
même faire ça soi-même en suivant les instructions d’un manuel. Un homme assis sur une
chaise, les ciseaux à la main pour couper ce qui dépasse : ce n’est guère un beau spectacle,
mais d’une certaine manière, ce n’est pas plus affreux qu’un homme qui s’échine sur le corps
d’une femme.
Melanie se change, elle enfile des collants noirs et un pull noir.
Trois
MELANIE: J’imagine qu’il s’est introduit au secrétariat de l’université, qu’il a sorti ma fiche
d’inscription et recopié les renseignements : l’adresse de mes parents, mon adresse au Cap et
mon numéro de téléphone.
On remarquera rapidement une relative fidélité à un dialogue déjà écrit de manière assez
« naturelle », malgré de nombreuses coupes nécessaires à la rapidité de la scène. Sobriété des
didascalies. Présence étonnante d’un dédoublement du personnage qui devient
« narrateur » [DAVID à lui-même] comme un a parte pendant que Mélanie est au téléphone
ou comme la transcription d’une pensée intérieure [réplique finale, 1° réplique scène 3],
déplacement [mêmes exemples], ellipse de la scène d’amour (suggérée par la didascalie
finale), insertion littérale des 2 premiers vers du sonnet 1 de Shakespeare.
From fairest creatures we desire increase,
That thereby beauty's rose might never die,
But as the riper should by time decease,
His tender heir might bear his memory:
Aux êtres les plus beaux nous demandons des fils
Au lis de la beauté d'éterniser sa gloire,
Et, puisque cède au Temps l'albe candeur des lys,
Que de blancs héritiers nous gardent leur mémoire!
23
En Aval

Analyse de spectacle
On pourra proposer deux méthode de travail avec les élèves, en évitant les jugements
arbitraires ou l’absence a priori de compétence d’analyse.
-
Leur demander de choisir chacun un élément du spectacle et de le »décrire » d’abord
de la manière la plus objective possible. Ce sera au professeur de révéler alors l’aspect
du spectacle ainsi mis en exergue et de réunir toutes ces informations pour établir les
bases d’une analyse de la représentation et son interprétation
-
Répartir les élèves par petit groupe et, à partir de la grille de lecture ou de consignes
plus affinée du professeur en fonction du spectacle vu, de proposer une synthèse des
éléments de la représentation choisi et d’en dégager une lecture problématique
(enjeux, effets, interprétation…)
-
Proposer un abécédaire : demander à chacun d’associer chaque lettre de l’alphabet (on
pourra faire l’économie des dernières…) à un élément du spectacle, puis de justifier de
manière précise et concrète (un passage du spectacle, un élément scénographique, une
sensation ou émotion…). Ce qui peut apparaître arbitraire (et ludique) dans un premier
temps permet de libérer de nouvelles perspectives. Au professeur in fine de suggérer
une cohérence à ces propositions
-
Reconstituer le parcours d’un personnage et la façon dont il a été incarné
-
A partir de quelques extraits courts, on peut demander à certains élèves de tenter de
reproduire la mise en scène proposée et le jeu des acteurs pour juger de leur
pertinence. (adaptation disponible auprès du CDN)

Lire/écrire un article critique
Les articles de presse peuvent être utilisés de manière extrêmement variée
-
-
comme point de départ à l’analyse dramaturgique. Souvent informatifs
et descriptifs, ils offrent une première approche qui met l’accent sur les
procédés dominants du spectacle
en tant qu’articles critiques, ils témoignent d’un parti pris idéologique
ou esthétique intéressant à repérer dans sa forme et ses arguments
en tant qu’expression d’un jugement de valeur, il peut fournir un
modèle à la manifestation d’une opinion fondée qui dépasse la réaction
immédiate « j’aime/j’aime pas »
Les élèves pourront rédiger leur propre article à partir de critères définis au préalable : travail
sur le titre ; prise en compte de la différence entre l’information, le commentaire et le
24
jugement de valeur (fondé ou spontané), choix d’un angle d’approche (absence
d’exhaustivité), recherche d’une image ou d’une figure susceptible de donner une cohérence
stylistique à leur travail.
o Espace dramaturgique
Ce décor fait-il le même effet dans un amphithéâtre moderne (Salle Barrault au théâtre
d’Orléans ou dans un théâtre à l’italienne (Théâtre de Lons-le-Saunier)?
25
On travaillera sur la mise en scène à partir des pratiques vues en stage ou d’une fiche
scénographique.
- Description précise de l’espace scénographique et éléments dramaturgiques (costumes,
accessoires, décor, lumières, vidéo, sons) puis mise en relation avec le texte : dans
quelle mesure apparaissent-ils comme redondant au texte ou suggèrent-ils de
nouvelles piste de signification ? On s’interrogera alors sur la valeur de la mise en
scène.
On relèvera particulièrement (notes prise lors d’une répétition du début de la pièce) :
o Le choix d’un espace relativement sobre et ouvert qui contraste avec des accessoires et
costumes réalistes « à vue »
o Un double espace : un espace urbain caractérisé par un pan en avant scène constitué de
5 grandes persiennes, impliquant un jeu d’acteur très latéral sur le devant de la scène ;
un espace campagnard, caractérisé par un grillage sur les trois côtés de la scène
rappelant les cages des chiens, suggérant ainsi une forme d’enfermement et
d’assimilation homme/animal. Le motif du chien est essentiel dans le roman (Petrus se
définit comme l’homme aux chiens, les chiens sont assassinés lors de l’attaque, David
aide à euthanasier les chiens) et se retrouve comme motif dramaturgique dans le
spectacle (déplacements à quatre pattes de Mélanie pour se lover contre David qui la
caresse, grognements monstrueux de Mélanie et de son copain lors du cours…)
o Tôles et couleurs vives, saturations des objets/accessoires (notamment plastiques :
chaises, casiers à bouteilles, seaux, sacs de nourriture) évoquant un monde encore
précaire, mais en reconstruction, comme la maison de Petrus)
o Des registres de jeu différents mais imbriqués : un jeu très naturel, sobre et juste, des
passages presque chorégraphiés (notamment pour les scènes d’amour et de violence,
ou l’apparence démoniaque du « copain » de Mélanie lors du cours du professeur sur
Lucifer) : entre jeu très théâtralisé et non jeu, distance et réalisme.
On sera particulièrement sensible aux passages d’adresses très marquées au public
correspondant non seulement à des réflexions intérieures des personnages, mais
également à des prises à partie, allant jusqu’à inclure le spectateur dans un espace plus
large, par exemple la commission de discipline ; c’est dans cette perspective qu’on
interprétera la présence d’acteurs dans le public ou le jeu sur les côté ou le bas de la
scène. Le metteur en scène/directeur d’acteur n’hésite pas non plus à jouer de la
superposition des voix
o Un jeu de transition dynamique entre les scènes, permettant le passage rapide entre les
différents lieux et les différents épisodes, renforçant ainsi la continuité du récit et les
effets de contraste. (voir par exemple comment, d’un simple geste de l’acteur, on
passe de la maison de David à l’amphithéâtre de cours ; de même lorsque David
annonce à sa femme son désir de partir, il ouvre les persiennes qui dévoilent le décor
de la ferme de sa fille qu’il va rejoindre)
En répétition
http://france3-regions.francetvinfo.fr/franche-comte/jura/lons-le-saunier/lons-le-saunierdisgrace-en-repetition-1077493.html
26
o Ouverture sur d’autres adaptations de roman (à partir de mises en scènes récentes,
puisque les exemples sont très nombreux)
Deux jeunes metteurs se sont particulièrement illustrés par des adaptations ambitieuses et
inventives. A partir des textes ci-dessous (notes d’intention, entretiens, extraits vidéo), on
pourra dégager avec les élèves les enjeux dramaturgiques de chacune de ces créations)
 Julien GOSSELIN / Cie Si vous pouviez lécher mon cœur
 Les Particules élémentaires Adaptation de Julien Gosselin , d'après
Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq , mise en scène
Julien Gosselin
En 1998, la France remporte la coupe du monde de football. Et l'Union européenne, on s'en
souvient certainement moins, interdit le clonage humain. Besoin de cohésion sociale et vertige
face aux avancées de la recherche scientifique structurent le paysage dans lequel paraît le
deuxième roman de Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires. Considéré par
beaucoup comme un monument de la littérature contemporaine, ce livre a déjà fait l'objet
d'adaptations scéniques à l'étranger – notamment par le Hollandais Johan Simons – mais
27
jamais en France. Pas facile, en effet, de transposer au plateau une oeuvre aussi dense et
ambitieuse, mêlant poésie, fiction et théorie. C'est justement ce croisement entre narration
ample, lyrisme assumé et portée philosophique qui a motivé Julien Gosselin à s'en emparer.
Les Particules élémentaires suit le parcours de deux frères, Bruno et Michel, un professeur de
littérature obsédé par le sexe et un savant cherchant à faire de l'humanité une « espèce appa rentée, reproductible par clonage et immortelle ». Moraliste placide, Michel Houellebecq
décrit, dans un même mouvement, la misère affective et sexuelle contemporaine et les
conséquences anthropologiques possibles de la déconnexion croissante entre sexualité et
reproduction. Sur le plateau, sa langue, tranchante mais non dépourvue d'humour, circule à
travers les corps de dix acteurs, à la fois narrateurs et personnages, éclairant singulièrement le
texte de leur jeunesse. Sans plus d'attributs, ils projettent cette langue dans notre direction, lui
donnent quelques volumes inattendus en musique et créent l'image d'une communauté sur le
fil, entre le réel et le papier. Sont-ils les enfants des hommes et des femmes dépeints par Les
Particules élémentaires ? Leurs épigones ? Ou bien des créatures imprévues qui se seraient
échappées d'un laboratoire de génétique ? Dix figures, en tout cas, face auxquelles nous
pouvons aujourd'hui (ré)examiner toute la pertinence de la vision houellebecquienne de
l'humain.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé dans Les Particules élémentaires?
Je dois d’abord dire que je suis un fou de Michel Houellebecq. Dans un premier temps, j’ai
voulu m’attaquer à Lanzarote, un récit de voyage paru en 2010, qui annonçait en quelque
sorte Plateforme. Mais Les Particules élémentaires constituent sans doute son oeuvre
majeure, la plus évidente. La littérature de Michel Houellebecq est caractérisée par une
langue, bien entendu, mais aussi par une pensée, qu’il me paraissait un peu fou, en tout cas
très excitant, de transposer au plateau. Paradoxalement, si Les Particules paraissent au
premier abord extrêmement difficiles à mettre en scène, il s’agit d’un texte au potentiel
théâtral très fort. Je recherche en général des textes denses qui peuvent faire l’effet de masses,
un peu comme les films de Terrence Malick face auxquels on a le sentiment que chacun
contient l’ensemble de son cinéma. Le style de Michel Houellebecq répond, par ailleurs, à
mon projet de combiner sur scène la pensée, la science, la poésie pure et l’art théâtral. Pas
seulement la danse et la musique. Personnellement, en tant que spectateur, je suis parfois plus
ému en écoutant un énoncé scientifique qu’en assistant à une représentation d’une pièce
classique. Or, ce rêve de théâtre colle au rêve romanesque de Michel Houellebecq. Il en parle
lui-même de manière extrêmement intéressante : il dit chercher constamment à juxtaposer une
poésie très pure, parfois en alexandrins, des pensées scientifiques sur la physique quantique et
des énoncés publicitaires. La phrase type de Michel Houellebecq, c’est la succession d’une
phrase drôle, éventuellement sexuelle, d’un point-virgule, puis d’un énoncé très poétique.
Comment avez-vous adapté son roman?
Ma priorité a été de conserver et de mettre au premier plan tout ce qui est le plus poétique
dans le texte. Tout ce qui est le plus sensuel, le plus émouvant. Je ne voulais pas que le
côté « chronique du monde contemporain », un peu sinistre, prenne le dessus. Je tenais à ce
que l’ensemble soit teinté d’une forme de lyrisme. Tout cela est évidemment présent dans le
roman, mais j’ai fait le choix de tirer particulièrement ces fils-là. J’ai ensuite mis l’accent sur
tout ce qui est scientifique. Les particules élémentaires sont des particules qui suivent
exactement le même chemin dans l’espace, quelle que soit la distance qui les sépare, à l’image
des deux personnages principaux du roman. La vie de Bruno, qui multiplie les conquêtes,
conditionne la pensée de Michel, son frère, savant qui ambitionne de créer une nouvelle
espèce par le clonage. Le lien entre la vie sexuelle pathétique de l’un et le projet scientifique
28
de l’autre constitue le coeur du roman comme celui du spectacle. D’un point de vue plus
formel, j’ai gardé tout ce qui me paraissait théâtralement excitant, comme certains
monologues. Dans une recherche du rythme juste, j’ai beaucoup coupé, peu réécrit puis réagencé l’ensemble en courtes séquences.
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Particules-elementaires/extraits/
(extrait vidéo, nombreuses critiques)
 2666 de Roberto Bolaño adaptation et mise en scène Julien Gosselin
Pour adapter 2666 au théâtre, je vais conserver la structure de l’œuvre, les cinq parties.
Bolaño essaye de cloisonner fortement les histoires, mais laisse aussi entrevoir au lecteur la
possibilité de croisement à l’intérieur de celles-ci, possibilité qui se verra parfois confirmée,
souvent désactivée. Le spectacle qui naîtra de cette adaptation durera certainement neuf
heures. Je veux qu’il soit pour le spectateur ce qu’il est pour le lecteur, énorme, infini,
jouissif, pénible parfois. Je veux le concevoir comme une expérience totale, une traversée
commune entre les acteurs et le public, en en gardant sa force et sa complexité. Il y aura entre
dix et quinze interprètes au plateau qui seront, comme c’est toujours le cas dans notre travail,
tour-à-tour musiciens, performers, narrateurs quand il le faudra, ou personnages. Je veux
réunir tous les outils nécessaires à la tentative de somme théâtrale que nous faisons, dans la
scénographie, dans la lumière, le son ou la vidéo.
Comme c’était le cas avec Les Particules élémentaires, je suis certain que ce roman, la langue
de ce roman, peut résonner avec une puissance incroyable sur un plateau de théâtre. Je fais le
pari que nous pourrons, dans cette traversée gigantesque, essayer de dire à notre tour ce que
Bolaño écrit dans son livre Amuleto : « un cimetière de l’année 2666, un cimetière oublié
sous une paupière morte ou inexistante, aux aquosités indifférentes d’un oeil qui en voulant
oublier quelque chose a fini par tout oublier. »
29
 Jean BELLORINI
 Tempête sous un crâne Adaptation de Jean Bellorini, Camille De La
Guillonnière d'après Les Misérables de Victor Hugo, mise en scène Jean
Bellorini
Note d'intention
« Partout où l’homme ignore ou désespère, partout où la femme se vend pour du pain, partout
ou l’enfant souffre, faute d’un livre qui l’enseigne et d’un foyer qui le réchauffe, le livre « les
Misérables » frappe à sa porte et dit : Ouvrez moi, je viens pour vous » Victor Hugo
Ce spectacle est une adaptation des Misérables, pour deux comédiens dans la première partie
et cinq dans la seconde, qui prennent en charge toute la poésie de Victor Hugo. Tour à tour ils
s’écoutent, se coupent la parole ou se mettent à scander ensemble l’histoire des Misérables
comme on pourrait se mettre à chanter une chanson. Ils s’obsèdent autant par l’action du récit
que par la poésie de la langue.
A la manière de En attendant Godot, ces bonshommes se retrouvent dans un espace qu’ils ne
connaissent pas. Ils attendent on ne saura jamais quoi. Ils comblent le vide grâce à la parole,
leur seule arme pour survivre. Parler pour ne rien dire peut-être mais parler pour exister. Et si
la poésie était salvatrice...
Raconter tous les personnages de l’œuvre, les faire vivre dans un même corps pour
représenter la complexité de l’homme, tel est notre pari. La frontière entre la narration et
30
l’incarnation sera invisible. Les personnages sont ancrés dans notre réalité (un arbre, un lit en
fer, une gazinière, un frigo, autant d’éléments qui viendront s’accumuler au fur et à mesure du
spectacle, tout comme les mots, et le nombre d’acteurs sur le plateau). On assiste à une
tranche de vie de ces « petites gens » tout en glissant progressivement vers l’histoire.
La construction du spectacle a été faite par étapes successives de coupures du texte original de
Victor Hugo. Ici pas de réécriture, mais une fidélité à l’auteur. Equilibre entre l’avancée
active dans la progression du récit et le lyrisme de l’écriture. Il ne s’agit surtout pas que notre
adaptation soit un « digest ». Il est fondamental pour nous tout autant de garder le fil narratif
de l’histoire que de garder la profusion lyrique et pathologique de certains moments de
descriptions, de logorrhées. C’est dans cet esprit que la musicalité du texte et sa rythmique ont
jaillis. Certains passages sont mis en musique réellement à la manière de chansons, d’autres
flirtent avec le « slam » ou le « rap ».
Deux musiciens témoins de ces personnages venus d’ailleurs peuvent aussi devenir figure de
ce qui est raconté. Ils jouent de plusieurs instruments (piano, accordéon, basse, percussions,
guitare électrique). Ils donneront compte d’un univers à la fois poétique, et populaire. La
modernité des sons dans leur traitement apportera une note contemporaine et onirique à cette
histoire intemporelle et toujours aussi d’actualité. Enfin plusieurs poèmes issus des
Contemplations et des Châtiments de Victor Hugo ont été mis en musique.
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Miserables/ensavoirplus/
31
 Karamazov Adaptation de Jean Bellorini, Camille De La Guillonnière d'après Les
Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski, mise en scène Jean Bellorini
Extrait de la note d’intention
Alors il y a la troupe. Il y a cette parole folle. Il y a la traduction d’André Markowicz. Cette
parole partagée dans le roman de Dostoïevski n'apparaît pas comme du discours, il n'y a pas
non plus la délivrance d'une vérité mais la liberté de la confrontation d'idées, dans la
coexistence des contraires. C'est la langue polyphonique de Dostoïevski. Le chœur prendra en
charge cette langue. Ensemble. C'est l'acte de proférer ensemble le poème qui sera notre point
de départ.
Les situations apparaîtront derrière la force de la littérature. Le théâtre dans sa forme classique
sera repoussé au plus loin derrière les mots et les impressions de la langue mise en vie.
Un travail sur la langue, rapide, fluide, une langue folle, les passions, les interrogations aussi
vertigineuses rendent ivre, tout cela devra se retrouver dans l'éloquence des acteurs, dans la
précision du DIRE.
Je rêve d'un spectacle terrible et joyeux. « Car le mystère de la vie humaine n'est pas
seulement de vivre, mais de savoir pourquoi l'on vit. (...) il n'y a rien de plus tentant pour
l'homme que la liberté de sa conscience, mais rien de plus douloureux. » Un spectacle qui
pourrait rendre hommage à la richesse de la langue. Une langue qui donne de l'impression
plutôt que d'aller vers de l'expression. L'hymne au sensible, au présent. Le travail musical, le
choral, ira droit vers cette prise en charge nette et complexe.
La musique sera très présente. Chants religieux. Chants de la débauche. Les instruments joués
par tous les acteurs viendront prendre le relais des voix pour célébrer cette prière qui viendra
déborder.
Nous serons devant une grande datcha ouverte qui abritera d'un côté la musique – le
battement de cœur du spectacle, la vie et la lumière de cette histoire –, de l'autre côté la
chambre du petit Ilioucha – espace réaliste et délabré.
Le grand toit de la maison sera notre théâtre des songes.
Tout autour, il y aura de la terre sombre sur laquelle se déplaceront des plateaux – espaces de
vie portant/transportant/supportant les personnages de Dostoïevski. Ces personnages seront
conduits sur ces planchers qui glisseront les uns vers les autres, se croiseront, se retrouveront,
s'éloigneront.
Il y aura des traces d'un lieu de culte. Du sacré. Des cloches.
Des cages de verre – comme des petites pièces transparentes dans lesquelles on peut observer
à la loupe la pâte humaine.
http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Les-Freres-Karamazov-17656/critiques/
http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=karamazov
Diffusion intégrale du spectacle sur Arte concert
http://concert.arte.tv/fr/karamazov-de-jean-bellorini-au-festival-davignon
32

Grille d’analyse dramaturgique
GRILLE DE LECTURE D'UN SPECTACLE
1 Aspect extérieur de la représentation
- Lieu (urbain; rural; salle; extérieur...)
- Abonnement. Affiche. Quel public visé?
- Spectacle qui se situe dans la tradition. Qui la refuse.
2 Espace scénique
- Forme de la scène. Hauteur. Profondeur. Espace vide. Ouvert. Rempli.
- Fonction dramatique de l'espace scénique. Lien avec la nature du spectacle.
- Esthétique: couleurs, formes, matières...
33
3 Objets
- Nature. Matière. Réels ou factices. Lien à la fiction, à la représentation.
4 Les comédiens
- Nombre. Types d'acteurs. Statut de chaque comédien (son passé, sa situation dans la
profession...)
5 Le drame
- Quel genre? Part d'improvisation ou d’aléatoire?
6 Les costumes
- Fonction. Rapport au corps. Couleurs. Symboles.
7 Performances d'acteurs
- Physique: gestuelle, mimique, maquillage
- Construction du personnage: rapports texte, corps, personnage, acteur
- Rapports de l'acteur avec le groupe: mobilité, trajectoire.
- Voix: qualité, effets produits, rapport diction, chant...
8 Musique; Bruit; Silence.
- Rapports à la fable. Quand interviennent-ils? Conséquence pour le reste de la
représentation.
9 Eclairages
- Nature. Lien à la fiction, à la représentation, à l'acteur.
10 Lecture de la fable par cette mise en scène
-
Quelle histoire est racontée? Quel lien avec la. mise en scène?
Le texte: s'agit-il d'une traduction, d'une adaptation, d'une écriture originale?
Quelle place est accordée, dans la mise en scène, au texte dramatique ?
Choix dramaturgique : cohérence et incohérence de lecture, point de vue, références
choisies (monde contemporain, passé...)
Ambiguïtés du texte: quels éclaircissements fournit la mise en scène?
Prédominance du visuel? de la parole? —> Rapports texte, image, oreilles, oei1.
Principes esthétiques.
Moments forts. Moments faibles.
Rapport du montré et du caché
11 Impact du spectacle
-
Vos attentes
Les présupposés nécessaires pour apprécier le spectacle
Réactions du public
Lecture du spectacle : est-elle univoque ou plurielle?
Quelles images vous restent du spectacle?
Qu'est-ce qui, dans votre lecture de la mise en scène, n'a pas pris de sens?
34
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