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Cette thèse en sciences de l’information et de la communication interroge la façon
dont les organisations imposent leurs attendus comportementaux et verbaux à leurs membres.
Nous avons situé notre étude dans deux organisations : une entreprise industrielle
multinationale, Schneider Electric, et un établissement d’enseignement supérieur, le
Conservatoire National des Arts et Métiers. Par l’importance économique et politique qu’elle
a prise, l’entreprise est devenue en effet un lieu où se jouent des mécanismes de régulation de
la société. Comme toutes les organisations, elle est à la fois un système économique, culturel,
symbolique et imaginaire. Elle génère des normes et une manière de percevoir le monde. Elle
institue des mythes unificateurs, des rites d’initiation, de passage et d’accomplissement. Elle
engendre ses propres héros et les récits porteurs d’une mémoire collective. Le développement
de la logique financière semble par ailleurs y avoir entraîné des changements dans les rapports
de pouvoir. Par exemple, une mode du dépassement de soi est à l’œuvre. Ce phénomène n’est
pas sans avoir des répercussions sur la construction identitaire de ses membres. Les écoles et
les universités ne peuvent d’ailleurs pas rester en dehors de cette tendance. Elles sont aussi
porteuses de modèles et de valeurs. Leurs enseignements ont dû subir des évolutions pour
répondre aux attentes du marché du travail. Cependant, un changement pédagogique n’est pas
sans incidence sur la dynamique identitaire des étudiants. En effet, la formation implique une
remise en question de soi avec l’adoption de méthodes de travail et l’acquisition de
connaissances.
Tout au long de nos travaux, nous avons cherché à comprendre comment et à quel
degré ces organisations imposaient leurs attendus comportementaux et verbaux à leurs
membres. Nous avons posé comme première hypothèse qu’une négociation des rôles se joue
dans le verbe et dans les postures qui sont en partie contestés et recréés par les individus. En
deuxième hypothèse, nous avons supposé que le rapport de places entraîne certes une
résistance, mais également une quête identitaire des individus. En troisième hypothèse, nous
avons suggéré que le langage se décline en communautés, donc en façons de parler : pour
s’intégrer dans un groupe, il faut en maîtriser les codes. Nous avons cherché à observer sur le
terrain comment les publics en voie de changement de pratiques au travail ou en promotion
sociale s’approprient le langage et l’ethos prescrits par l’organisation. Nous avons étudié leurs
degrés d’intégration et la reconstruction identitaire qu’ils génèrent. Nous avons adopté une
approche microsociologique. Nous nous situions au niveau des rituels, des prises de parole,
des discours, des contextes et des drames que nous observions au jour le jour. Nous nous
sommes inspirée de l’anthropologie de terrain et de sa méthode privilégiée, l’observation
participante. Nous avons décrit les phénomènes sociaux que nous observions dans des carnets