LA FEUILLE ROUGE - N° 545 Septembre 2008
Comité de rédaction : E. Molva, J. Planès (DIR), P. Dalmas de Réotier (SPSMS), L. Dubois (SCIB), H. Mendil-Jakani (SPRAM),
G. Prenat (SPINTEC), R. Vallcorba (SBT), P. Warin (SP2M) - Mise en page : M. Benini (DIR) tél. 04 38 78 36 33
INSTITUT NANOSCIENCES ET CRYOGÉNIE
Commissariat à l’Énergie Atomique - Direction des Sciences de la Matière - Centre de Grenoble - inac.cea.fr
L’unité de calcul et de stockage de l’informa-
tion quantique s’appelle qubit (voir encart). Sa
matérialisation est l’objet de recherche de nom-
breux groupes. Dans le cadre de cette étude, le
qubit utilisé est un aimant moléculaire. Une telle
molécule est composée d’ions magnétiques forte-
ment couplés qui se comportent comme un spin
collectif. Avantage par rapport à d’autre qubits
: les molécules sont toutes rigoureusement identi-
ques. Cette molécule aimant (Fig.1) est un dérivé
contenant 15 atomes de vanadium en interaction
magnétique. Dans notre cas, seuls les états de
spin de plus basses énergies (S=1/2 et S=3/2)
sont étudiés. Le point fort de notre molécule
aimant est qu’elle est isolée des interactions avec
le monde extérieur par une « coque » de sur-
factant spécialement conçue pour l’occasion, ce
qui permet d’aller sonder des phénomènes aussi
fugaces que les oscillations de Rabi (voir encart).
En effet, la décohérence est due aux interactions
avec l’environnement. Elles peuvent provenir de
différentes sources (interaction entre spins électro-
niques par exemple), mais à basse température,
ce sont les interactions spin électronique – spin
nucléaire qui prédominent. C’est ce qu’a montré
quantitativement l’équipe en calculant l’influence
des 15 spins nucléaires (7/2) des atomes de
vanadium sur le temps de décohérence et le résul-
tat obtenu est en bon accord avec l’observation
réalisée à 4K.
La perturbation s’éloigne
Pour remédier à cette décohérence, il «suffit»
ainsi de se débarrasser des spins nucléaires par
sélection isotopique ou utiliser un autre aimant
moléculaire dont le spin nucléaire de ses consti-
tuants serait nul. Une autre difficulté pour réaliser
un dispositif quantique est d’arriver à minimiser
les interactions dipolaires et leur longue portée.
Ces interactions font que les molécules aimants
utilisées s’influencent mutuellement avec pour
conséquence une perturbation des différents
états du système. Pour résoudre ce problème,
dans notre expérience, il suffisait de disperser
les molécules dans le solvant. Mais dans un vrai
système d’autres solutions doivent être envisa-
gées. On peut ainsi imaginer travailler sur une
molécule unique, ou alors organiser ces objets
selon un réseau particulier. A l’heure actuelle, le
laboratoire envisage d’étudier ces deux pistes,
mais quelle que soit la solution retenue, il devrait
être possible d’obtenir des temps de cohérence
de l’ordre de 100 microsecondes.
information quantique
AIMANT MOLÉCULAIRE ET CALCUL QUANTIQUE : C’EST COHÉRENT !
La compréhension des phénomènes gouvernant la réalisation d’un ordinateur quantique en est aujourd’hui à ces balbutiements. Un des obstacles
fondamentaux pour réaliser un tel calculateur quantique s’appelle la décohérence : en quelque sorte se tromper dans le calcul parce qu’un courant d’air
ou un visiteur inopportun a perturbé le travail collectif et harmonieux des neurones quantiques. Le SCIB et ses partenaires à l’Institut Néel, en Allemagne
et en Israël ont repoussé l’obstacle par deux pas décisifs : ils ont montré qu’un aimant moléculaire à base d’ions vanadium présentait une oscillation de
Rabi (signature de la cohérence du système) sur environ 1 microseconde. Ils ont aussi démontré pour la première fois que les visiteurs les plus dérangeants
dans ce système sont les spins nucléaires puisqu’ils sont principalement responsables de la décohérence. Ceci permet d’envisager des solutions pour s’en
affranchir et atteindre des temps de cohérence suffisamment longs pour le calcul quantique.
Qubit
Un qubit peut être composé de n’im-
porte quel objet physique de taille suffi-
samment faible pour que ses propriétés
(optiques, électroniques, magnétiques
etc.…) soit gérées selon les lois de la
mécanique quantique. Plusieurs de ces
qubits en interaction devraient permet-
tre de réaliser un ordinateur quantique,
c’est-à-dire un ordinateur où les opéra-
tions et les données seraient effectuées
et stockées en utilisant les propriétés
particulaires liés à des objets quantiques.
Par exemple de tels objets peuvent exister
simultanément dans deux états différents,
comme le fameux chat de Schrödinger,
à la fois vivant et mort. Couplé à des
algorithmes de calcul adaptés, de tels
ordinateurs devraient (il n’en existe encore
aucun à l’heure actuelle) être capables de
réaliser certaines opérations beaucoup
plus rapidement que les ordinateurs non
quantiques (factorisation en nombres pre-
miers…).
Oscillations de Rabi
Lorsque l’on place des spins dans un
champ magnétique, ils s’alignent parallèlement
à celui-ci. En « éclairant » ce système avec des
photons d’énergie bien précise, l’orientation des
spins oscille (en fonction du temps d’excitation)
entre plusieurs positions (équivalent d’un pulse
en RMN). Le physicien mesure la projection de
ces positions selon l’axe du champ magnétique
en fonction du temps, et il observe une courbe
sinusoïdale. Pour un système totalement isolé,
ces oscillations devraient perdurer indéfiniment
; dans les systèmes « réels » les spins cessent
progressivement de travailler collectivement et
perdent leur cohérence. Ceci ce traduit sur la
courbe par une diminution de l’intensité du
signal en fonction du temps.
Fig.1 : La molécule aimant est précisement
l’anion [V
15
As
6
O
42
(H
2
O)]
6-
. Sur cette représen-
tation, le vanadium est en vert, l’arsenic en
orange, l’oxygène en rouge. La molécule d’eau
encapsulée est représentée par le point rose au
centre.