46 REVUE INTERNATIONALE DE LA COMPLIANCE ET DE L’ÉTHIQUE DES AFFAIRES – SUPPLÉMENT À LA SEMAINE JURIDIQUE ENTREPRISE ET AFFAIRES N° 13 DU JEUDI 31 MARS 2016
CONTEXTE
Il apparaît que l’éthique – que l’entreprise lie très souvent à la notion
de compliance et/ou de conformi– est un sujet qui, historiquement,
et encore souvent aujourd’hui, était porté par des spécialistes c’est-à-
dire les juristes internes ou les compliance officers. Ces derniers avaient
la charge, parfois avec un appui externe sur le fond, de formaliser
la démarche éthique et ses livrables principaux (compliance policies,
charte ou code de conduite, etc.) afin d’inscrire noir sur blanc les en-
gagements de leur société. Ces documents internes faisaient généra-
lement un rappel des législations en vigueur et fixaient les attentes de
l’entreprise à l’égard de ses salariés. Les écrits étaient organisés autour
de thématiques telles que le respect des droits de l’Homme, la lutte
contre la corruption, le respect des pratiques concurrentielles, etc.
Dans la théorie, tout était donc très bien défini et partagé.
Pour autant, dans la pratique quotidienne des affaires, des scandales
liés à des comportements/agissements non éthiques sont relayés quasi
quotidiennement par les médias du monde entier. Le coût de ces pra-
tiques peut s’avérer fatal pour l’entreprise qui va cumuler sanctions
judiciaires et perte d’affaires mais aussi renvoyer une image néga-
tive aux consommateurs ou plus largement aux parties prenantes. Il
était donc important de réaliser que l’enjeu central n’était pas tant de
De la compliance à l’éthique
des affaires, de la règle
descendante à la culture
partagée, de la direction
juridique à la direction RSE
Analyse d’un changement clé dans l’approche
des entreprises
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COMPLIANCE
Olivier Classiot
co-fondateur et directeur associé du cabinet Des enjeux et des Hommes
Nathalie Renouard
experte juriste et consultante, cabinet Des enjeux et des Hommes
formaliser et de communiquer ces principes et documents éthiques
mais bel et bien de faire en sorte qu’ils puissent être appropriés par
les salariés. Cela a tout d’abord induit des questionnements sur les
livrables à créer, au-delà des documents cadres/fondateurs et sur les
modalités de mobilisation des salariés. Pour répondre à ce nouveau
cadre - notamment aux notions de devoir de vigilance et de préven-
tion du risque éthique - il était par ailleurs nécessaire de ne pas cibler
uniquement les salariés autrefois identifiés comme « exposés », mais
de considérer que l’éthique devait devenir un bagage pour tous les
collaborateurs. Enfin, pour piloter une éthique des affaires désormais
moins perçue comme un sujet de spécialistes que comme une par-
tie de la culture d’entreprise, il fallait faire évoluer la gouvernance de
ces démarches. S’est ainsi installée une nouvelle dynamique, souvent
impulsée par les directions RSE (Responsabilité Sociétale des Entre-
prises) ou pilotée par un collectif dont la direction juridique fait bien
évidemment partie, mais aux côtés d’autres acteurs internes (RSE et
RH notamment).
Car in ne, qu’est-ce qu’une entreprise ellement responsable, si
ce n’est la résultante des décisions et des actions quotidiennes des
hommes et des femmes qui l’animent ?
CAHIERS PRATIQUES Fiche pratique
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COMMENTAIRES
1. Éthique et RSE, deux notions convergentes et
sormais indissociables
Depuis quelques années, l’éthique des affaires est un sujet que s’ap-
proprient les directions RSE ou développement durable. Notamment
parce que ce sujet est pleinement intégré aux référentiels RSE interna-
tionaux et que c’est une attente forte des parties prenantes de l’entre-
prise, à commencer par leurs clients et consommateurs. Ces direc-
tions RSE ont pour particularité d’aborder le sujet éthique dans une
définition plus large, qui ne se limite pas aux notions d’ententes et de
corruption, mais englobe des sujets tels que la sécurité, la diversité,
l’environnement ou encore la protection des données. La norme in-
ternationale RSE ISO 26 000, repère majeur sur le sujet,gitime cette
appropriation : chacune des sept questions centrales définies par la
norme peut être reliée à une facette de l’éthique des affaires. L’éthique
concerne également, et de manière évidente, la gouvernance « res-
ponsable » qui interroge la transparence et les processus de décision.
Au-dede légitimer une implication des directions RSE, cette évolu-
tion met en évidence que, par essence, l’éthique des affaires est fon-
damentalement liée à l’humain, que ce soit dans sa mise en œuvre
et dans sa finalité. L’éthique et la RSE sont donc intimement liées et
complémentaires : pour qu’une entreprise, personne morale, soit res-
ponsable, il faut que les hommes et les femmes qui la composent aient
eux-mêmes un comportement responsable (i.e. éthique) au service
d’une performance durable.
Ainsi, un glissement dans la façon d’aborder l’éthique des affaires
est en train de s’opérer. D’une approche « normative », d’inspiration
anglo-saxonne, orientée sur l’énonciation de normes contraignantes
(compliance policies) et proche de la morale, nous remarquons une
montée de l’approche « réaliste », d’inspiration plus européenne.
Cette approche soutient que, l’idée selon laquelle les entreprises
puissent être qualifiées d’éthiques est erronée car seuls les indivi-
dus sont capables d’un réel discernement et donc d’un engagement
éthique. L’éthique des affaires ne peut donc être pratiquée que par des
personnes physiques.
Par conséquent, aujourd’hui, l’approche normative pose un cadre
nécessaire mais non suffisant. Il doit être accompagné d’une sensibili-
sation et d’une montée en compétence de chaque individu, en tenant
compte de son métier et de son contexte (géographique et culturel,
par exemple), mais tout en créant pour chaque entreprise un socle
partapar ses équipes.
2. Les nouvelles approches de mobilisation autour de
l’éthique : un enjeu de change management
Alors que la compliance permet de s’assurer de la conformité aux lois
et aux règlements, l’éthique doit favoriser un comportement permet-
tant à chaque acteur de l’entreprise d’analyser une situation pour
prendre la meilleure décision possible au moment « T » et selon un
contexte donné.
Cependant, l’éducation, les valeurs personnelles, la culture et l’his-
toire de chacun, nous rend tous différents dans l’appréciation de
l’éthique au moment de la prise de décision. L’enjeu pour les entre-
prises consiste donc à dépasser l’éthique personnelle pour mettre en
place une véritable culture éthique organisationnelle - pour qu’une
décision conforme à l’éthique prise par un individu puisse être la
même quel que soit l’individu en question.
Ces nouvelles dynamiques sont souvent in fine portées par un collège
d’acteurs qui est le pendant de la richesse des sujets abordés : direc-
tion juridique et/ou de la compliance, mais aussi et de manière crois-
sante, les directions RSE (en posture d’impulsion et de coordination),
RH et parfois communication et sécurité.
Pour créer pas à pas cette culture éthique partagée, l’entreprise procède
par étape et identifie, dans un premier temps, les catégories de salariés
qu’elle souhaite acculturer et le degré de changement qu’elle souhaite
nérer. Elle peut pour cela prendre appui sur le modèle de la roue de
la mobilisation (V. http://www.desenjeuxetdeshommes.com/Publica-
tions/Nos-guides) qui distingue l’objectif de sensibilisation (en tant que
processus de prise de conscience) de celui de formation (qui requiert
un parcours et des outils pour permettre une montée en comtence
et une modification effective des pratiques professionnelles). Cette
étape clé, dans laquelle il est recherché qui encourt un risque éthique,
est pleine d’enseignements, car elle amène souvent à pointer des profils
de collaborateurs qui étaient autrefois hors du champ.
EXEMPLE :
Un conducteur de travaux dans le secteur de la construc-
tion n’est ni acheteur, ni commercial, ni même manager. Et
pourtant il est un maillon clé de l’éthique des affaires de son
organisation car son pouvoir de décision, et donc son potentiel
d’influence (en tant cette fois que personne que l’on pourrait
vouloir influencer), est très important.
L’étape de définition des changements attendus précède donc celle du
choix des leviers pédagogiques et des modalités d’accompagnement.
L’éthique du quotidien, contrairement à la compliance (laquelle, rap-
pelons-le, pourrait se rapprocher d’une science « exacte », avec des
réponses binaires), relève d’un choix de comportement très concret
face à une situation. Ce que l’on cherche à ancrer sont moins des
connaissances (ou une maîtrise parfaite du contenu d’un code) qu’un
réflexe de questionnement qui rendra le salarié plus « armé » pour
faire face demain à tout sujet. Il est donc pertinent de leur présenter
un outil d’analyse de la situation qui les guide dans leur raisonnement
pour prendre la décision la plus éthique possible.
Toutefois, pour ancrer le changement dans la durée et éviter l’effet
d’annonce (ou l’effet « soufflet »), il est important, une fois ce premier
socle posé, d’aller plus loin. Un certain nombre d’entreprises propose
ainsi un second niveau d’accompagnement à leurs équipes, en tenant
compte de la mission de chacun, de ses leviers, des acteurs ou parties
prenantes qu’il interface. La montée en compétence dans ce second
niveau va intégrer deux paramètres :
- d’abord celui de poser de vrais dilemmes (pour dépasser les cas
d’école souvent simplifiés et arriver à des situations pour lesquelles
aucunecision n’est idéale) ;
- ensuite, celui de replacer le salarié dans son environnement réel,
en mettant en scène dans la pédagogie les processus et les outils du
quotidien.
Cela sous-tend une ingénierie pédagogique qui s’éloigne du « sur éta-
gère » pour miser sur le « sur mesure », travail plus impliquant pour
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les équipes internes et pour lequel on crée souvent des groupes de
travail multi-expertises.
EXEMPLES :
Pour accompagner des acheteurs, on bâtit des études
de cas inspirées du réel, mais on s’attache aussi à ce que le trai-
tement de la situation lors de la formation soit applicable dès le
lendemain et dans la « vraie vie », en s’appuyant sur leurs pro-
cessus d’audit, fiches d’évaluation, démarche de dialogue et de
suivi existants. La formation ponctuelle s’efface dans ce cadre au
profit d’un accompagnement dans la due pour permettre des
échanges « à froid », une fois la confrontation au réel effective.
Pour accompagner les managers, on prend en compte la
pression et la notion de décision sous stress. On intègre égale-
ment les indicateurs de performance qui leur sont appliqués au
quotidien pour mieux les challenger.
L’objectif central est pour toutes ces approches de générer un ques-
tionnement, mais aussi de créer un débat, un dialogue, ce qui soulève
une autre question : celle de l’organisation mise en place à la fois pour
partager l’éthique et pour gérer par la suite les cas de non-conformité
aux règles internes. Cette seconde dimension impacte elle aussi le
choix des outils et modalités d’accompagnement.
Ainsi les entreprises qui ont pu, pour des raisons de rapidiet de
traçabilité, miser sur des outils d’e-learning, complètent la plupart du
temps cette approche (idéale pour une première sensibilisation, mais
mal adaptée pour traiter les doutes et objections générées naturelle-
ment par ce type de dispositif) par de vraies séances d’interaction im-
pliquant les managers de proximité. Elles mettent également en place
une animation du sujet éthique dans la longue durée, qui pourra pas-
ser, par exemple, par des temps forts réguliers (un Business Ethics Day
annuel, une mise à l’agenda lors des réunions pluriannuelles), ou de
réunions ad hoc organisées en fonction de l’actualité.
CONCLUSION
Pour conclure et montrer que ce changement est profond, évoquons
un sujet qui est le point de départ de toute démarche de partage de
repères éthiques, mais qui dans la pratique est souvent abordé (et mis
en œuvre) encalé : celui de l’exemplarité des dirigeants. En effet, le
comportement d’un individu face à ce type de dilemme prend une
toute autre dimension dès lors qu’il entre dans un cercle de décision
tel que celui d’un comité de direction (local ou corporate). L’accom-
pagnement de cette nouvelle conception de l’éthique a vu ainsi naître
récemment des approches alliant introspection des dirigeants en tant
qu’individu, sur leur vision de l’éthique et travail sur la dynamique
collective de prise de décisions. Plusieurs PDG, notamment au sein
d’entreprises familiales, ont ainsi trou dans le sujet éthique une
manière pertinente de (ré-)évoquer les valeurs de leur entreprise et la
manière dont elles influencent les décisions business.
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