Du capitalisme monopoliste d`Etat au capitalisme concurrentiel d`Etat

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Du Capitalisme Monopoliste d’État au Capitalisme Concurrentiel d’État.
L’action de l’État dans la sphère économique est bien moins lisible aujourd’hui qu’il y a
quelques années. Certains pays, la Grèce notamment mais pas seulement, annoncent
des privatisations pour réduire leur dette, d’autres, en Afrique par exemple, privatisent
pour moderniser leur économie et investir dans les besoins en développement. Ailleurs,
en Asie ou encore au Moyen-Orient, des entreprises, souvent publiques, se développent
à l’international. À titre d’exemple, ce sont plus de 10 milliards de dollars pour les seules
entreprises vietnamiennes qui ont été investies à l’étranger en 12 ans. La crise
financière a aussi amené des prises de participation publiques dans les pays où on les
attendait le moins. C’est la nationalisation de la banque Northern Rock en GrandeBretagne. Plus spectaculaire encore, l’acquisition de 80% du capital d’AIG par l’État
américain en 2008. Cette compagnie d’assurances était en 2007 la 10ème plus grande
entreprise mondiale par chiffres d’affaires1.
Ce désordre était inimaginable il y a quarante ans, lorsque Paul Boccara2, alors
responsable économique du PCF développait la notion de « Capitalisme Monopoliste
d’État ». Selon cette théorie, la baisse des taux de profits des entreprises privées venait,
à un certain stade de l’économie capitaliste, à être contrebalancée par, d’une part, des
commandes publiques massives aux grandes entreprises privées et par, d’autre part, la
sous-capitalisation du secteur public, ainsi qu’un taux de rendement très faible de ce
dernier. On assistait à une collectivisation des investissements non directement
rentables ou dont la rentabilité était à plus long terme. Plus globalement les
restructurations de l’industrie dans les pays occidentaux se sont appuyées sur des aides
massives des fonds publics3.
À la suite de cela, dans les années 1980, dans un contexte de crise économique liée au
« chocs pétroliers », on assistait à la montée en puissance d’un renouveau du
libéralisme avec le Reaganisme et le Thatchérisme. Vite théorisée et en s’appuyant sur
des politiques monétaristes strictes, cette vision libérale devenait ultra dominante, dans
une mondialisation qui ne disait pas son nom. Le libéralisme triomphait sans réserve
1
http://money.cnn.com/magazines/fortune/fortune500/2007/index.html
Paul Boccara, Études sur le capitalisme monopoliste d'État, sa crise et son issue, Éditions sociales, 1973.
3
Anicet Le Pors, Les Béquilles du capital, Éditions du Seuil, 1977
2
1
aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe Occidentale mais aussi dans une partie
importante de l’Amérique Latine sous l’impulsion des « Chicago Boys » chiliens formés
par Milton Friedman.
L’Asie, globalement, restait à l’écart de ce mouvement. Les structures étatiques
restaient dynamiques et interventionnistes dans tous les domaines y compris dans
l’action économique. Pourtant « au cours des années 70 et 80, les travaux à dominante
néolibérale se sont caractérisées par une tendance généralisée à minimiser le rôle de
l’État dans les économies asiatiques »4. Dans cette partie du monde, l’action de l’État
prenait différentes formes suivant que les pays faisaient, ou non, partie des « pays
socialistes ». Mais c’est bien dans l’ensemble du bloc Asie que l’État restait un moteuracteur majeur de l’économie. Pour Pierre Judet5, « l’État asiatique est un État "pro", à la
fois Producteur, Protecteur, Programmateur, Prospecteur ». Qu’il s’agisse de Singapour,
du Japon, de la Corée du Sud, de la Chine, de la Malaisie, ces pays se caractérisent par
une présence interventionniste de l’État sous des formes variées. Sur les dix plus
grandes entreprises mondiales par chiffre d’affaires, quatre sont détenues ou contrôlées
par l’État, elles sont toutes en Asie. Trois sont chinoises (Sinopec Group et China
National Petroleum Corporation –dans le secteur du pétrole et de la pétrochimie- et
State Grid –dans l’électricité), une est japonaise (Japan Post Holdings).
En Europe et en Amérique du Nord, l’État perdait peu à peu de sa légitimité dans toutes
ses
fonctions
tant
régaliennes
qu’économiques.
Parallèlement,
les
modèles
économiques keynésiens ou néolibéraux, souvent imbriqués dans la pratique,
n’arrivaient pas à endiguer l’affaiblissement des processus de légitimation de l’État.
Dans les économies keynésiennes, celui-ci avait de plus en plus de difficultés pour
intervenir directement. Les politiques interventionnistes montraient leurs limites quel
qu’en soient les instruments : politiques industrielles volontaristes ou puissantes
entreprises publiques. La désindustrialisation de ces pays s’accentuait rapidement
4
Mario Lanzarotti, le néo-libéralisme face à la croissance économique asiatique, Tiers Monde, 1999, Tome 40,
n°157, p.52
5
http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-3506.html
2
comme le démontre le graphique ci-dessous. Le déclin de l’emploi industriel débutant
dans les années 1970-1980.
Source : Olivier Marchand et Claude Thélot, " Deux siècles de travail en France ", INSEE 1991, complété
6
par les résultats des derniers recensements
Les entreprises publiques ouvraient leur capital pour trouver de nouvelles ressources et
répondre à de nouveaux besoins. Parmi ceux-ci le développement international prenait
une part importante.
Dans les économies néolibérales, le désengagement de l’État qui devait permettre de
faire face aux dysfonctionnements économiques et redonner à l’autorité publique l’agilité
et la légitimité nécessaires. Pour ne prendre que les exemples américains et
britanniques, cela n’a aucunement empêché les phénomènes de désindustrialisation et
de financiarisation.
6
Cité par Michel Volle, http://www.volle.com/statistiques/structuremploi.htm
3
7
USA 1
Employment in UK Manufacturing: 1841-19918
En fait, partout l’État ne trouvait plus les marges nécessaires à remplir ses fonctions
comme le montrait, de manière prémonitoire, James O’Connor dans « Fiscal Crisis of
State » dès 19739. Il expliquait que l’État devait remplir deux fonctions essentielles :
maintenir un niveau élevé de profits pour les acteurs privés et légitimer le système luimême en réduisant les inégalités et injustices les plus insupportables. Il ajoutait que ces
deux fonctions devenaient de plus en plus lourdes financièrement et se traduisaient par
un accroissement des dépenses à un niveau difficilement soutenable sur le long terme.
C’est d’ailleurs pour essayer de remplir ces fonctions de manière concomitante que les
États se sont endettés de plus en plus au point d’aboutir à la crise que nous
connaissons actuellement qui en est la résultante. Augmentation des besoins d’un côté,
réduction des capacités de l’autre, l’effet de ciseaux est allé en s’amplifiant.
Ces changements de paradigme dans les économies occidentales se produisaient alors
que la globalisation ou plus simplement l’internationalisation des économies en était à
ses balbutiements et n’avait pas encore pris l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui. La
mondialisation allait changer la capacité des économies asiatiques à agir et leur ouvrir
de nouvelles possibilités. Alors que la croissance des économies occidentales se
7
http://seekingalpha.com/article/179648-manufacturing-employment-falls-to-record-lows-but-productivity-soars
http://endnotes.org.uk/articles/1 source: Brian Mitchell, International Historical Statistics: Europe, 1750-2005
(Palgrave Macmillan 2007)
9
James O’Connor, The fiscal crisis of the State, Transaction Publishers, Nvlle ed. 2006
8
4
produisait dans un contexte relativement fermé, celle des pays d’Asie est marquée par
la globalisation et la vitesse de circulation des marchandises et des capitaux. En Asie,
contrairement aux États occidentaux, la puissance publique, sous toutes ses formes, ne
se désengage pas mais agit au sein même du secteur marchand10. Cette capacité à agir
dans la sphère économique qui contraste avec les économies occidentales s’explique
sans doute par deux raisons. En premier lieu, le mode de formation et la notion même
d’État-Nation ne reposent pas sur les mêmes fondements qu’en Europe. Les différents
modèles analysés par Bertrand Badie et Pierre Birnbaum dans leur livre « Sociologie de
l’État »11, ne trouvent pas de correspondances en Chine ou au Japon et encore moins
dans les pays du Sud-est asiatique. Dès lors, ce qui affaiblit l’État en Occident n’a pas le
même impact dans cette région du monde. En second lieu, la puissance publique en
Asie est d’abord une fonction d’autorité et de respect hiérarchique avant d’être garant de
l’équité. Il est clair que le modèle confucéen joue un rôle important de légitimation de
l’État. Pour Araya Kebede12 “Ce sont les valeurs confucéennes qui sont le plus souvent
associées au développement de l’État dans l’Asie Orientale. Une de ces valeurs
confucéennes qui est le plus souvent identifiée au développement de l’État est l’idée
que « les sociétés asiatiques ont toujours été plus concernées par le bien-être du
groupe que par celui de l’individu. »
On s’aperçoit que les économies actuellement en forte croissance dans le monde sont
marquées par le rôle de l’État, plus précisément des entreprises d’État ou encore des
entreprises liées à la sphère publique. Comme le souligne The Economist dans son
numéro du 21 janvier 2012, nous sommes face à un phénomène nouveau et ancien. Si
les économies occidentales ont connu et connaissent encore une forte présence des
10
La Banque Mondiale estimait que " la bureaucratie peut faciliter ou empêcher les réformes. Dans beaucoup de
pays d'Asie du Sud-Est ayant réussi leur industrialisation, l'administration a été l'agent du développement. Les
technocrates ont pris part au choix politique de la réforme. A Singapour, bureaucrates et responsables politiques ont
travaillé main dans la main pour le programme national ". Cité dans le rapport de mission sénatoriale Rapport
sénatorial d'information n° 248 (2000-2001) de M. Jean HUCHON, déposé le 3 avril 2001.
11
Bertrand BADIE, Pierre BIRNBAUM, Sociologie de l’Etat, Hachette, coll. « Pluriel », 1982.
12
Perspectives on East Asian economic development model: the roles of external economic assistance and timely
government intervention. “It is the Confucian values that are most commonly associated with the developmental
state in East Asia. One of the Confucian values that is identified with the developmental state is the idea that “Asian
societies have always been more concerned with the welfare of the group over the individual…”
5
entreprises d’État, globalement la croissance des Trente Glorieuses s’est faite dans les
secteurs marchands de l’économie. Ceux-ci s’appuyaient sur des infrastructures
publiques mais la dynamique économique était d’abord assurée par des entreprises
privées. A titre d’exemple, les interactions entre le secteur automobile, dominé par les
entreprises privées et la construction des autoroutes sont une assez bonne illustration
de ces synergies. A l’inverse, la croissance asiatique s’appuie largement sur les
entreprises liées à l’État. Celles-ci peuvent être publiques ou simplement ayant des liens
structurels forts avec l’appareil étatique. Dans ces pays, le secteur marchand autonome
reste relativement marginal et les infrastructures publiques sont souvent incorporées
verticalement dans de vastes conglomérats privés en Corée ou au Japon, à l’image de
Samsung ou de Toshiba, ou publics comme en Chine ou au Vietnam.
Dans une économie globalisée, ces grandes entités privées se sont développées à
l’international. Jusqu’à une date récente, le développement international des entreprises
publiques restaient relativement mineur, depuis quelques années cela n’est plus le cas,
comme le montre le rapport annuel des Nations Unies sur l’investissement
international13. Ce même rapport souligne que sur les 653 entreprises publiques
transnationales, plus d’un quart sont situées en Asie (en excluant les pays de la
péninsule Arabique). Bien évidemment, la situation varie suivant les pays ainsi les
grandes entreprises chinoises sont moins intégrées dans la globalisation que leurs
homologues des pays de la région. Ceci ne signifie pas qu’elles sont moins actives à
l’international, mais met simplement en évidence la taille gigantesque du marché
domestique chinois.
Ventes
Actifs de l’entreprise
Salariés
Actionnaires
Top Management
Chine
11%
3%
2%
25%
3%
Inde
21%
9%
2%
25%
3%
Corée du Sud
28%
11%
11%
31%
4%
Taïwan
48%
24%
32%
29%
2%
Pourcentage en-dehors du pays d’origine
14
Résultats sur les 100 plus grandes entreprises de chaque pays (2006)
13
14
Cf. World Investment Report 2011, UNCTAD, http://www.unctad-docs.org/files/UNCTAD-WIR2011-Full-en.pdf
https://www.mckinseyquarterly.com/How_Chinese_companies_can_succeed_abroad_2131
6
Nombre d’entreprises publiques asiatiques se développent à l’international tout en étant
en concurrence sur leur propre marché domestique. Cette internationalisation est à la
fois un débouché pour des surplus de capitaux publics et une construction géopolitique.
D’autres moteurs existent pour cette internationalisation. Ainsi, la monographie15 de Mr.
Boya Wang and Dr. Lutao Ning de l’Université de Durham à propos de « China Life »,
entreprise d’assurances chinoises, montre que cette internationalisation vise aussi à
s’extraire des rigidités du cadre national et à mettre en place un management
d’entreprise plus adapté tout en s’assurant des financements nécessaires aussi bien au
développement domestique qu’à l’international.
Progressivement se met en place en Asie ce que l’on pourrait appeler le « Capitalisme
Concurrentiel d’État ».
Les cinq principales caractéristiques de ce système sont :
un environnement économique national en forte croissance qui permet à des
sociétés nationales d’accumuler des capitaux
Le Capitalisme Monopoliste d’État visait à palier la baisse du taux de profit du
secteur marchand dans un contexte de ralentissement de la croissance économique.
Le « Capitalisme Concurrentiel d’État » s’inscrit dans un contexte totalement différent
marqué par une croissance économique forte. Celle-ci ne se répartit pas de manière
uniforme parmi les différents acteurs économiques. Les bénéficiaires de cette
croissance économique sont les grandes entreprises nationales et les petits acteurs
économiques. On trouve une myriade de petits acteurs économiques souvent
familiaux et de proximité et, à l’autre bout du spectre, de très grandes entreprises
autonomisées mais en lien direct avec l’appareil d’État. Les entreprises de taille
moyenne sont largement sous-représentées dans ce paysage.
une structure étatique forte présente bien au-delà des aspects régaliens
Dans tous ces pays, l’État ne se réduit pas aux simples appareils idéologiques d’État
pour reprendre la terminologie Althussérienne mais est fortement prégnant dans la
sphère économique. On constate que de Singapour à la Chine Populaire en passant
15
http://www.ceauk.org.uk/2010-conference-papers/full-papers/Boya-Wang-+-Lutao-Ning-final.pdf
7
par le Vietnam ou la Malaisie, l’activité économique est dirigée et régulée par l’État
bien au-delà de ce que l’on connait dans les pays occidentaux. Le plus souvent cette
structure étatique est à plusieurs niveaux partant des acteurs économiques directs
pour aller jusqu’au régulateur. C’est la conjonction de leurs actions qui crée la
dynamique économique et empêche l’éclosion d’acteurs concurrentiels externes.
C’est cette logique qui est mise en œuvre lorsque l’on constate la forte présence des
collectivités locales dans le système bancaire chinois ou la multiplication des
sociétés qui dépendent des Ministères de la Défense dans d’autres pays de la
région. La présence de l’État empêche les entreprises privées étrangères d’investir
massivement dans les secteurs concernés sans passer par ces mêmes acteurs.
Ainsi on pourrait se retrouver dans des situations où des entreprises publiques d’un
pays étranger fassent alliance avec un acteur local public lui-même en concurrence
avec d’autres acteurs publics locaux !
un interventionnisme étatique qui privilégie les sociétés publiques sur les
structures gouvernementales
On constate aussi que l’État tend à agir de moins en moins directement par ses
structures bureaucratiques et de plus en plus par la création des structures
intermédiaires qui prennent souvent la forme d’entreprises. Si des raisons
prosaïques, et difficilement avouables, comme une répartition « orientée » des
marges vers des acteurs individuels expliquent en partie ce phénomène ; d’autres
raisons en sont aussi la cause. La souplesse induite par ces sociétés publiques
permet aussi d’entrer dans une logique de service et de rapports marchands.
L’appareil administratif d’État se cantonne à celui d’État stratège, voire d’État
modeste pour reprendre l’expression de Michel Crozier16, mais là où ce dernier
pensait qu’il agirait dans un monde économique dominé par les acteurs privés, ce
sont les acteurs publics qui régentent l’ensemble.
16
Michel CROZIER Etat Moderne, Etat modeste, Fayard, 1987
8
des sociétés publiques gérées sur la base de critères privés et agissant dans un
environnement concurrentiel parfois au sein même de la sphère publique
On retrouve dans ce « Capitalisme Concurrentiel d’État », des sociétés publiques qui
sont souvent en concurrence les unes avec les autres. Les critères de gestion qui
s’y appliquent sont identiques à ceux du secteur marchand. Les équipes de direction
de ces entreprises peuvent aussi bien être issues de l’ancienne administration que
des écoles de management reconnues internationalement. Ce qui est caractéristique
de ces nouvelles entreprises publiques est le fait qu’elles agissent dans un
environnement concurrentiel où se côtoient des acteurs privés mais aussi d’autres
acteurs publics. Ces derniers peuvent être des entreprises publiques issues d’autres
secteurs. On retrouve régulièrement des anciens monopoles de l’électricité, du gaz,
des télécommunications mais aussi du transport dans ces marchés concurrentiels.
Chacun va sortir de sa spécialisation pour aller concurrencer d’autres entreprises
publiques. Autonomes de l’État, elles mettent en œuvre des stratégies spécifiques
en s’appuyant sur des personnels qui lui sont attachés et sur des capitaux publics.
Les économies occidentales connaissent bien des phénomènes similaires (en
France, la concurrence entre EDF et GDF Suez ou entre La Poste et Orange-France
Télécom par exemple) mais cela s’inscrit dans un contexte de privatisation.
En Asie, il s’agit moins de privatisation que de concurrence entre différentes entités
de l’État ou entre ministères. C’est dans ce contexte global que les États organisent
leurs entreprises publiques. Ainsi, en Chine, le choix a été fait de diminuer leur
nombre et, dans le même temps, de les renforcer. Les deux graphiques suivants
montrent le mécanisme17 :
17
Erreur ! Document principal seulement. http://blogs.worldbank.org/eastasiapacific/state-owned-enterprises-inchina-how-big-are-they
9
un développement à l’international de ces sociétés publiques.
Un autre élément spécifique de ces entreprises est leur implication dans la
mondialisation et partant leur développement à l’international. Dans les économies
occidentales, la plupart des entreprises publiques, à l’exception notable pour des
raisons évidentes, des sociétés pétrolières, se limitaient à des activités nationales
avec quelques incursions internationales sur la base de partenariats. La réalité des
puissantes entreprises publiques en Asie est autre. Nombre de ces entreprises se
positionnent sur les marchés dans d’autres pays. Cela peut aller au-delà des pays
limitrophes, la présence chinoise en Afrique est, à cet égard, assez remarquable.
Mais on peut aussi trouver d’autres exemples dans les télécommunications où un
acteur comme Viettel, société du Ministère de la Défense Vietnamien, est présente
en Asie, en Amérique Latine et en Afrique. Ce dernier exemple est d’autant plus
intéressant que d’autres sociétés publiques vietnamiennes s’essaient aussi au
développement à l’international dans le même secteur des télécommunications. On
retrouve ainsi des sociétés publiques venant d’un même pays et qui se retrouvent,
potentiellement, en concurrence à l’étranger.
Ce « Capitalisme Concurrentiel d’État » interroge sur de nouvelles réalités dans le cadre
de la mondialisation. Alors que les grands groupes occidentaux se sont forgés et
appuyés sur une logique de marché à base de capitaux privés, ils se retrouvent en
10
concurrence avec des acteurs issus du public mais dans le cadre de compétition à
critères marchands. Cette dualité est elle durable ? Les entreprises occidentales privées
ont-elles les moyens de faire face à la concurrence des sociétés publiques de ces
pays ? De manière générale, on retrouve ici la problématique de l’asymétrie des
régulations suivant les pays. A ces nombreuses interrogations, on peut ajouter le cas
particulier,
mais
important
financièrement
et
stratégiquement
des
entreprises
occidentales privées issues du secteur public. Leur lien avec l’État est certes distendu
mais il continue à exister. Ces entreprises publiques occidentales ont des logiques
différentes de celles de leurs homologues asiatiques. En effet, elles se situent dans une
dynamique d’autonomisation de la sphère publique qui ne se retrouve pas en Asie.
On le voit le challenge pour les entreprises des économies occidentales, qu’elles soient
privées ou publiques, est de définir des stratégies d’investissement durables dans les
pays asiatiques alors que tout incite à penser que le modèle du Capitalisme
Concurrentiel d’État va perdurer en Asie, et peut-être s’étendre dans d’autres régions du
monde. Sans doute est-ce là aussi un des enjeux de la redéfinition à venir du rôle de
l’État dans les pays occidentaux.
Laurent Zylberberg
11
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