ÉCRITS ET PEINTURES INDIGÈNES www.librairieharrnattan.com [email protected] harmattan] @wanadoo.1T @ L'Harmattan, 2006 ISBN: 2-296-00829-1 EAN : 9782296008298 Bernard GRUNBERG (éd.) ÉCRITS ET PEINTURES INDIGÈNES Séminaire d'Histoire de l'Amérique Coloniale 2005 L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris FRANCE L'Hannattan Hongrie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest Espace L'Harmattan Kinshasa Fac..des Sc. Sociales, Pol. et Adm. ; BP243, KIN XI Université de Kinshasa - RDC L'Harmattan Italia Via DegJi Artisti, 15 10124 Torino IT ALlE L'Harmattan Burkina Faso 1200 logements villa 96 12B2260 Ouagadougou 12 S.H.A.C. Séminaire d'Histoire de l'Amérique Coloniale Université de Reims "L'HISTORIEN N'EST PAS CELUI QUI SAIT. IL EST CELUI QUI CHERCHE" Lucien Febvre 1\ Editeur: 1\ Assistant Bernard Grunberg éditeur: Eric Roulet Mise en page et maquette: éditeur. (page 1 de couverture: CodexTellerianoRemensis) Revue publiée avec le concours de l'Equipe d'Accueil 2616 Centre d'Etudes et de Recherche en Histoire Culturelle (Département d'Histoire de l'Université de Reims) Contact: Bernard Gronberg, Professeur d'Histoire Moderne, Université de Reims, UFR Lettres & Sc. Humaines, Département d'Histoire, 57 rue P. Taittinger, 51096 Reims cedex - France. Tél. & fax: 03 26 91 36 80. E-mail: [email protected] Présentation Le Séminaire d'Histoire de l'Amérique Coloniale (S.H.A.C.), créé à l'Université de Reims en 2004, répond à plusieurs nécessités. Il permet de nouer des échanges entre divers spécialistes de l'Amérique coloniale: archéologues, historiens, anthropologues, linguistes, géographes, etc. Il permet la rencontre de jeunes chercheurs et de chercheurs chevronnés. il facilite les débats entre "spécialistes", rend compte des nouvelles approches, des nouvelles études. Il procure aux étudiants la possibilité d'écouter et de discuter avec des spécialistes, vise à leur donner envie de se lancer eux aussi dans la recherche et, pour ceux qui ont déjà entrepris des recherches, tente de leur ouvrir de nouveaux horizons. Le S.H.A.C. a souhaité éviter de faire une revue "de plus". Les travaux réunis ici, à une exception près l, ont été d'abord présentés, en français, dans le cadre de séminaires mensuels, qui ont permis de nombreux échanges et parfois suscité de profonds (et vifs) débats. La qualité des travaux nous a conduits à les réunir dans ce numéro pour permettre une plus large diffusion des idées et un accès pratique à tous ceux qui s'intéressent à l'actualité de la recherche dans le monde de l'Amérique coloniale et à l'histoire en général. "Nos documents ne nous parlent que lorsqu'on sait les interroger' écrivait Marc Bloch. C'est là la caractéristique de l'historien et c'est ce que nos collègues ont fait en présentant leurs travaux, qui reposent sur des documents d'archives, des sources "premières". Point d'histoire virtuelle mais une recherche patiente faite dans le cadre d'une démarche scientifique. En n'oubliant jamais que l'historien n'est point juge, il n'est qu'enquêteur du passé. Si nous avons mis en exergue la défmition que nous donnait, il y a plus d'un demi-siècle, Lucien Febvre: " ... L'historien n'estpas celuiqui sait. Il est celuiqui cherche.Et doncqui remeten question les solutionsacquises,qui révise,quand ilfaut, les vieuxprocèl', c'est qu'aujourd'hui, plus que jamais il est nécessaire de s'en souvenir, parce que certains semblent avoir perdu, voire oublié ces principes. Restons toujours critiques, ne tombons pas dans le piège d'une histoire "officielle", d'une histoire "complaisante" mais est-ce là encore de l'Histoire? Notre discipline, "la plus difficilede toutes les sciencel', comme se plaisait à la qualifier Fustel de Coulanges, se doit d'être exigeante. Le travail d'historien, selon Marc Bloch, est "un effort vers le mieux connaître",et ce grand historien de préciser que" la connaissance du passé est une chose en progrès, qui sans cesse se transfOrme et se peifectionné'. Les Cahiers d'Histoire de l'Amérique Coloniale souhaitent y 1 TI s'agit de Particle de Jacqueline de Durand-Forest, "Du symbolisme à Pinterprétation. La XIXe Trei~ine du Codex Borbonicuset ses éléments secondaÎ1:es". Ce travail avait fait Pobjet d'une version moins développée présentée, en anglais, lors du Symposium international "Aztec Art and Culture" organisé par The Royal Academy oj Arts, qui s'est tenu au British Museum, les 22 et 23 mars 2003, et dont les actes n'ont pas été publiés. Du fait de son grand intérêt et de son inscription dans le cadre du thème central de ce numéro, il nous a paru important de le publier ici. apporter, modestement, une petite contribution. A tous nos collègu~s qui ont bien voulu venir à Reims et participer au S.H.A.C. par amitié et pour nous faire partager leurs recherches et leur questionnement pour le simple prix d'un remboursement de leurs frais de déplacement, nous adressons tous nos remerciements. Nous savons que l'amour de leur métier, la passion de transmettre et d'échanger nous a permis de les entendre et, aujourd'hui, de les lire. La Recherche est pauvre! Ou du moins le budget consacré aux sciences humaines. Nous en avons ici une illustration. Malgré le choix politique de ne favoriser que de grosses équipes de recherches, il convient de rappeler qu'à l'origine de toute recherche il y a d'abord l'individu. A l'origine, deux chercheurs ont fondé le S.H.A.C. ; deux ans plus tard, ce séminaire a trouvé sa place. Dans ce contexte, il va sans dire que sans l'aide fmancière de l'Equipe d'Accueil 2616 - Centre d'Etudes et de Rechercheen Histoire Culturelle- et du Département d'Histoire de l'Université de Reims, le S.H.A.C. n'aurait pu voir le jour. Qu'ils trouvent ici le témoignage de notre gratitude. Enfm, nous devons beaucoup à nos étudiants qui ont participé au S.H.AC. et ont été un élément moteur de ce séminaire. Nous leur dédions ce numéro. Ce premier numéro consacre une première partie aux écrits et peintures indigènes; on pourra y lire les analyses de grands spécialistes. Nous y avons ajouté le compte-rendu de l'édition d'un codex et la traduction d'un document inédit en français. La seconde partie, plus éclectique, abordera les XVI, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, nous livrant aussi bien des synthèses que des nouveautés, des pistes de recherches ou des exemples de méthodologie. Chacun, nous l'espérons, y trouvera de quoi satisfaire sa "curiosité". Bonne lecture. Bernard Grunberg Professeur d'Histoire Moderne Directeur du S.H.A.C. 6 Ecrits et peintures indigènes LE CODEX LE TELLIER DE REIMS, OU COMMENT LES MOINES ESPAGNOlS INTERPRÈTENT UN CODEX AZTÈQUE Michel Graulich1 D'entrée de jeu, lorsque les Espagnols découvrent la civilisation aztèque, ils ne cachent pas leur admiration étonnée, d'autant plus que le contraste est grand avec ce qu'ils ont observé dans les Antilles. Cette fois en effet ils sont en présence d'Etats bien structurés, de villes à l'architecture imposante, d'Indiens richement parés, d'un art qui, quand très rapidement il atteindra l'Europe, arrachera des exclamations admiratives à un artiste aussi averti que Dürer. Dès le début des années 1520, les religieux entreprennent la conversion des Indiens, en particulier le franciscain Pierre de Gand. Ce personnage remarquable, "fort aimé des Indiens", est le premier qui apprend à lire, à écrire et à chanter aux nobles dans l'école qu'il a créée à Texcoco. D'autres ensuite prennent la relève, non seulement pour convertir mais aussi pour connaître la civilisation aztèque, inaugurant ainsi une longue tradition d'étude et d'explication des codex figuratifs aztèques par des Indiens spécialisés. Cette vaste entreprise culminera dans des ouvrages comme les Antiquités d'Andrés de Olmos, rédigées dans les années 1530 et dont quelques parties seulement sont parvenues jusqu'à nous, ou celui, entièrement perdu pour autant qu'on sache, du dominicain Juan Ferrer. Les Espagnols s'intéressent donc au passé indien et aussi évidemment à leur religion, de par leur profession, leur curiosité ou leur intérêt. Les ressemblances qu'ils perçoivent entre la religion aztèque et le christianisme retiennent tout particulièrement leur attention. Pour les religieux en général, il s'agit de les expliquer, de vérifier si elles résultent d'une évangélisation antérieure des Indiens, par Saint Thomas des Indes par exemple, ou d'une ruse de Satan pour mieux tromper les Indiens; de reconnaître d'éventuels traits païens dans la pratique indienne du christianisme, et en outre, dans le cas de Bernardino de SahagUn, à qui on doit une véritable encyclopédie de la culture aztèque, rédigée 1 Professeur à l'Université Libre de Bruxelles, Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (section des sciences religieuses), Paris. 2 Lewis HANIŒ, El prquicio racial en el Nuevo Mundo. Mexico, 1974, p.52 "asi pues, el dominico Juan Ferrer se sintiô obligado a preparar y presentar al papa Paulo ill un tratado sobre arqueologia mexicana, destinado a disipar, de una vez por todas, las persistentes dudas acerca de la racionalidad de los indios desmbiendo su arquitectura restante, su idioma y literatura, y la vivida representaciônjerogliftca de su historiel'. en nahuatl et en espagnol, d'enregistrer une langue dans toutes ses nuances ainsi que la mémoire d'une civilisation qu'il croit en voie de disparition et qui l'est effectivement dans une certaine mesure. C'est dans cette ambiance qu'est né le codex Le Tellier de Reims. Il s'agit d'une copie dont les dessins, expliqués par des spécialistes indiens, sont recueillis, annotés et commentés par des religieux, en particulier un certain Pedro de los Rios, un dominicain dont on se sait pas grand-chose, et sans doute aussi par des métis acculturés. Incomplet - des feuillets manquent -, le codex comporte trois parties: les treizaines (13 x 20 jours) du calendrier divinatoire avec les dieux qui y président, les 18 fêtes de l'année solaire et des annales historiques des Aztèques depuis leurs origines jusqu'en 1562. Les annotations ont été apportées à plusieurs reprises par des mains différentes (six au total, dont quatre principales) qui ajoutent des données et en rectifient d'autres, ce qui témoigne d'un souci de comprendre et d'être précis. Chaque section a un commentateur principal. On a vu qu'il manque des pages mais une copie ultérieure a été assurée par le frère Rios, copie dont subsiste une version italienne qui permet de combler les lacunes du TellerianusRemensis (dorénavant CIR) et qu'on appelle le Codex Rios ou Codex Vaticanus A (dorénavant CVA). Le c:TR localisé dès 1700, doit son nom à Charles-Maurice Le Tellier (1642-1710), archevêque de Reims, qui a offert 500 manuscrits, dont celui qui nous occupe, à la Bibliothèque du Roi tenue par son neveu Camille, abbé de Louvois. Paso y Troncos01 suppose que l'archevêque a acheté le manuscrit en Belgique ou plus probablement en Italie, qu'il visitait fréquemment. On ignore où l'ouvrage a été composé et d'où proviennent ses informations. On a proposé Texcoco, Colhuacan ou Tlatelolco dans la Vallée de Mexico, ou encore la région de Puebla- Tlaxcala où se trouve aussi Cholula dont le frère Rios parle beaucoup. Cholula me paraît fort probable pour les données sur la religion qui seules nous intéresseront ici. Eloise Quiiiones I<.eber a assuré une belle publication du codex, accompagné d'une étude très complète d'où proviennent les données concrètes qui précèden t. Le codex Rios comprend une première partie consacrée au couple créateur suprême, à l'image que les Indiens se faisaient de l'univers puis aux ères ou âges du monde. Ces parties manquent dans le CTR Cependant, il est aussi question des créateurs, Tonacatecuhtli et Tonacacihuatl, à propos de la première treizaine du calendrier divinatoire, treizaine qu'ils président. Ce texte, perdu dans le c:TR est conservé dans le CV A : "Tonacatecotlece qui veut dire le seigneurde nos corps,. d'autres disent que cela veut dire lepremier homme, ou peut-être celasignifie-t-il que lepremier hommefut appelé ainsi. Cesfigures-là sont celles que nous avions mentionnées et la première et la plus grande est celle du premier seigneurqu'ily eut dans le monde, disent-ils, et que quand celalui plut il souffla et sépara l'eau du ciel et de la terre,parce qu'auparavant tout était entassé et co11fus,et que lui 1 Francisco deI PASO y TRONCOSO, rence, Salvador Landi, 1898, p.333. C6dice deI Palais Bourbon de Paris (Codex Borbonicus), flo- 8 disposa les chosescommeellessont àprésent. [ J Ils l'appelaientaussi Sept Fleurs [... .. .J. Qu'il n'avait aucun temple et qu'on ne lui faisait pas de sacrificesparce qu'ils disent qu'il n'en a pas voulu, commepour davantagede mo/esté[.. .J. Cet homme et cettefemme sont les deux premiers qu'il y eut au monde et ils les appelaient Huehue (vieux). Au milieu d'eux ils ont un couteauou rasoir ainsi que desflèches sur chacun,figurant la mort qui en eux a commencé.Ils appelaient ce dieu Tonacatecotleet commeautre nom Citallantonali et ils disent qu'il était ce signe que apparaît la nuit dans le cie4 appelé communément le Chemin de St Jacques ou la Voie Lactée".(CV A 13v) Comme on voit, Rios et son équipe incorporent les explications d'informateurs divers ("d'autres disent"). Ces explications sont plus ou moins correctes. Le créateur suprême est en effet "seigneur de nos corps" mais tonacarenvoie en fait au maïs et aussi à la chair de l'homme qui est faite de maïs. Rien ne confirme que tel ait aussi été le nom du premier homme. Le dieu qui par son souffle sépare les eaux célestes des eaux terrestres paraît fort biblique mais ne l'est pas nécessairement: dans la Genèse l, c'est par sa parole que Dieu opère la séparation, mais il est vrai qu'il n'y a pas de parole sans souffle. D'après un écrit intertestamentaire CI Hénoch 54,7), les eaux céles- tes sont mâles et les eaux terrestres femelles, une idée qui cadre bien avec la conception aztèque, mais Rios ne connaissait évidemment pas ce texte: cela pour dire d'emblée qu'il y a des similitudes bien réelles entre la pensée biblique ou chrétienne d'une part et celle des Aztèques et de bien d'autres civilisations d'autre part. Les renseignements sur le nom de calendrier 7 Fleur et l'absence de temples sont précieux; 7 Fleur est aussi le nom du soleil, conceptuellement proche du créateur suprême. Commentant le couple sous une couverture, Rios explique qu'il s'agit des premiers hommes, ce qui est possible, et que le silex entre eux et/ou la flèche sur chacun d'eux signifient la mort qui par eux a fait son apparition. il pense évidemment à Adam et Eve, ce qui n'empêche pas le renseignement d'être plausible: la mythologie méso-américaine abonde en mythes qui racontent comment les premières créatures: d'abord les dieux, ensuite leurs créatures, les animaux puis les hommes, se rendirent odieux aux créateurs en les négligeant ou en s'égalant à eux en créant ou en procréant sans autorisation. Les mythes de transgression dans un âge d'or est par ailleurs un des plus répandus dans le monde entier1. Pour en revenir aux roseaux sur leur tête, plutôt que de signifier la mort ou le châtiment, ils renvoient peut-être aux bâtonnets que les premiers hommes "accouplèrent" pour créer du feu sans autorisation, ce qui leur valut d'être ravalés au rang d'animaux - une des nombreuses variantes de la création première narrée dans la Lyenda de los Soles. Quant au silex, il est bien plus intéressant que ce qu'en dit notre glossateur. Le couple créateur suprême, quoique 1 Michel GRAULICH, 'Myths of Paradise Lost in Pre-Hispanic Central Mexico", Current Anthropology,24,5, 1983, pp.575-588 ; idem, "Jésus, Horus, Shiva et Quetzalcoatl De quelques similitudes entre les mythes de l'Ancien et du Nouveau Monde", Académie Royale des S dences d'Outre-Mer, Bulletin des Séances, 42, 3, 1996, pp.397-410 ; idem, ~ Existe 0 no una mitologia azteca ? sous presse. 9 éloigné du monde des mortels, est et reste le maître de toute vie. C'est lui qui, lorsqu'un couple conçoit, envoie l'étincelle de vie dans le corps de la femme, et c'est cette étincelle qui est figurée ici par un silex, la pierre qui contient du feu. Un mythe recueilli par Olmos raconte d'ailleurs comment les dieux naquirent sur terre d'un silex qui y tomba des cieux. Enfm, l'association du couple créateur à la Voie Lactée est parfaitement plausible1. Après avoir parlé du couple suprême, le ev A évoque donc les quatre âges du monde ou Soleils. Le premier âge fmit par un déluge qui transforme les hommes en poissons, à l'exception d'un couple qui survit dans un tronc d'arbre ou, selon une autre version, sept personnages qui deviennent par la suite les dieux tutélaires de groupes importants. Puis le frère Rios ajoute: "En cepremier âge ily eut desgéants dans cepqys [...] appelésTZocuilicxeque,d'une taille si démesurée qu'un religieux de l'ordrede Saint Dominique appeléfrère Pedro de los Rios, qui est celui qui copia la majeurepartie de cettepeinture, rapporte qu'il vit de sespropresyeaux une molairede la bouchede l'un d'eux, qu'avaient trouvéeles Indiens d'Amecamecan en ornant les rues de Mexico en l'an de grâce 1566, laquellefut peséepar ce religieux et ellepesait trois livres et une once.Ils laprésentèrent au vice-roiDon Luis de Velasco et d'autrespersonnes l'ont vue, ce qui leurpermit d'estimer la taille de cesgéants, et aussipar la dimension d'autres os quifurent trouvés dans cepqys". (eV A 4v) Le dessin que commente le texte montre effectivement, sous l'image de la déesse de l'eau noyant le monde, un personnage nu démesuré. Mais ce personnage ne fait pas partie du codex original copié: c'est clairement un ajout, comme le prouvent la comparaison avec les autres représentations de fms d'ères et surtout le style différent, à l'européenne, avec des tentatives de vues de trois quarts. Les traditions indiennes parlent certes d'une race de géants, mais en général elle est attribuée à la troisième ère ou Soleil, pas à la première. Sommes-nous ici en présence d'une variante? Nullement. Le frère Rios déplace les géants vers le premier âge parce que selon la vision judéo-chrétienne c'est à celui-là qu'ils appartiennent: selon la Bible (Genèse VI, 1-7) en effet, dans les premiers temps, les anges trouvèrent les femmes belles, vinrent s'unir avec elles et ainsi naquirent les géants d'autrefois, ceux que Dieu extermina par le déluge. Les géants "historiques" étant donc antédiluviens, Rios les rétablit à leur place, avant le déluge. En d'autres mots, il prend l'histoire des Indiens tout à fait au sérieux et la rectifie quand elle diffère trop de l'histoire "officielle", "correcte", des origines de l'homme, celle généralement admise en Europe: nous sommes tous descendants d'Adam et Eve et l'histoire des premières générations humaines est connue et commune à l'humanité tout entière. Ce qui s'en écarte de manière flagrante est manifestement faux et donc 1 C'est dire que l'explication que donnent Anders et Jansen du couple sous la couverture ne tient pas. TIs invoquent un mythe de l' Histoyre du Méchique selon lequel le premier couple né du trou créé par une flèche tombée du ciel, procréait par la langue parce qu'il lui manquait le bas du corps. Or dans le dessin du CV A, les premiers hommes sont bel et bien complets. En outre il n'y a pas une flèche mais deux roseaux, qui de surcroît ne sont pas plantés dans la terre mais surmontent leur tête. En revanche, dans le Codex Borgia p.61, le créateur est bel et bien accompagné d'un couple asexué qui s'unit par la langue. 10 Rios corrige. Le passage cité montre qu'il croit même avoir tenu dans les mains une molaire de géants trouvée par les terrassiers d'Amecamecan ! Plus loin, il voit dans la grande pyramide de Cholula une précaution contre un éventuel nouveau déluge l "On dit que lorsquele monde sefut multiplié, un de cessept dont on dit qu'ils échappèrentau délugealla à Cholula et commençaày édifier une tour qui est celledont on voit encorela base de bn:ques.Le nom de cecapitaineétait Xelhua. Il l'édifiapour pouvoir s) réfugieren cas de nouveau déluge,. la base a 1800 pieds de large. Et alors qu'elle avait dijà atteint une grande hauteur un éclair tomba du ciel et la détruisit, tuant beaucoupdegens". (CV A Sr) Cette tour fmit presque aussi mal que celle de Babel qui, elle, n'avait pas été construite pour échapper à un déluge. Le quatrième Soleil est le Soleil de Terre. Il fmira par l'effondrement de la voûte céleste, symbolisée notamment par la déesse Xochiquetzal et le dessin copié d'un codex montre la déesse plongeant vers la terre. Ce quatrième âge est aussi celui des Toltèques de Tollan et de Quetzalcoatl, ce qui nous vaut ce commentaire unique en son genre: "Ici les misérables imaginent certains songes dans leur aveuglement, disant qu'un dieu appelé Citlallantonac, qui est ce signe qu'on voit dans le ciel [et qui est] appelé Chemin de St-Jacques ou Voie Lactée, envoya un ambassadeur du ciel avec une ambassade à une viergequi était à Tulan [et] qui s'appelait Chimalman, ce qui signifie bouclier, laquelle avait deux sœurs, l'une Hochitlique [XochitlicueJet l'autre Conatlique [Coatlieue}, et que, alors que les trois étaient retirées dans leur maison, les deux moururent d'effroi en voyant am.ver l'ambassadeur du cie4 tandis que Chimalman resta en vie, et l'ambassadeur lui dit que ce dieu voulait qu'elle conçût un fils, et qu'entendant le message elle se leva et balaya la maison et aussitôt qu'elle la balqya elle conçut un fils sans rapports avecun homme, lequelfut appeléQuetzalcoatle,et ils disent qu'il est le dieu du vent, et ses temples sont ronds à la manière des églises, quoique à l'époque ils n'étaient pas ainsi et que lui en fut l'inventeur, comme nous dirons. Ils disent qu~"lprovoquait les ouragans etje pense qu'il s'appelait Citoladuale ,. c'est lui qui détruisit le mondepar le vent. [00.]" (CV A 7r). L'épithète de la divinité suprême, Citlallantonac, se retrouve dans des textes aztèques comme la Uyenda de los Soles et son association à la Voie Lactée est exacte. Vient alors un étonnant et adroit mélange de données aztèques et chrétiennes. Il doit être le fait d'un Indien converti qui connaissait suffisamment bien son ancienne religion et la nouvelle pour y discerner certaines similitudes et en faire une synthèse. Chimalman et Coatlicue, deux déesses telluriques\ l'une mère de Quetzalcoatl, l'autre d'une version aztèque de ce dieu, Huitzilopochtli, sont bien connues et toutes deux conçurent leur enfant miraculeusement, Chimalman en avalant une pierre de jade (Anales de Cuauhtitlan p.3), Coatlicue en mettant une boule de plumes dans sa jupe (SahagUn III c.l). En faisant précéder la naissance miraculeuse de Quetzalcoatl d'une version de l'Annonciation (Luc I, 26.38) - laquelle n'a pas d'équivalent préhispanique connu - l'informateur laisse entendre que Quetzalcoatl était en quelque sorte le Christ, ou en était très proche. Ce parallèle se 1 On ne connaît pas de Xochitlicue, "Fleur sa jupe". 11 retrouve dans d'autres sources, comme le chroniqueur de Texcoco Ixtlilxochitl (Historia de la nation chichimecac.l ; Graulich 1988 : 74-75), tandis que certains ont préféré voir dans Quetzalcoatl un apôtre qui serait venu prêcher la bonne parole aux Indes Occidentales, saint Thomas des Indes par exemple1. Le frère Rios admet l'information mais l'interprète tout différemment, y voyant une ruse du démon, une tentative de couper l'herbe sous les pieds des évangélisateurs: "] e ne manquerai pas de noter ici l'astuce de notre adversaire qui depuis si longtemps inventa cette erreurparmi cespauvres gens afin que, si à certain moment ils prenaient connaissancedu début du mystère de notre rédemption, c'est-à-dire lorsque l'ange Gabriel fut envoyépar Dieu à la vie~e Marie, notre dame, avec cette ambassade divine [... ...l, ils l'attribuent au père du mensonge, falsifié et contrefait dans cefaux dieu Citlallantonac et dans son ambassadeur et dans cette vie~e". (CVA 7r) En effet, en entendant les évangélisateurs raconter l'histoire de la Rédemption, les Indiens devaient immanquablement faire le rapprochement entre Citlallantonac (Satan), la vierge et Quetzalcoatl-Huitzilopochtli d'une part, et Dieu, la Vierge et Jésus de l'autre. Le frère Rios Qa main 3 dans le texte du CTR qui suit) revient sur ce sujet peu après, en parlant de la 2e treizaine du calendrier divinatoire présidée par Quetzalcoatl : " (1) Queçalcoatle (3) Es el que naçio, de la vi~en que se dice Chimalma, en el cielo. ['..l Salvose en el diluvio. Seria penitente. [... ...l (1) Este Queçalcoatle fue el que dizen que hizo el mundo y as! le llaman senor dei viento, porque dizen que este Tonacatecot/i, cuando a élie pareçio, soploy engendro a este Queçalcoatle. A éste le hadan las higlesias redondas, sin esquina ninguna. Este dizen que fue el que hizo elprimer onbre. [... ...l (3) Este solo tenia cuetpo humano como los hombres, y los demds dioses no tenian cuerpo". (CTR 8v) Ou dans le CV A, où il reprend ses propres annotations et celles des autres, tout en ajoutant des détails et des commentaires, et en s'apitoyant sur le sort des pauvres Indiens dont l'aveuglement ne pourra qu'attirer l'ire divine: "Quetzalcoatle. De celui-là, leur premier dieu ou plutôt démon, Tonacatecotle [...j Citinatonali [Citlalatonal/t], ils disent que, quand il lui parut bon, il engendra ce Quetzalcoatl, non par rapports avec unefemme, mais par son seul souffle [... .. .j. Ils tenaient celui-cipour le seigneur des vents et il fut lepremier pour lequel ils érigèrent des temples et des églises, lesquelles étaient faites toutes rondes, sans angle aucun. Ils disent que celui-ci a réformé le monde par la pénitence, comme il a été dit auparavant. Car comme son Père ['..l créa le monde et que les hommes s'adonnèrent à leurs vices, raison pour laquelle il [le monde] avait été détruit tant defois, ce Citalatona/t'insuffla cefils dans le monde afin qu'il le réforme. Il y a motif de s'apitoyer sur l'aveuglement de cespauvres gens sur lesquels, dit St Pau~ doit se manifester la colère de Dieu parce que sa vén;té éternellefut retardée si longtemps par l'injustice d'attribuer à ces démons ce qui est à Lui. Car c'est Lui le véritable créateur de 1 Jacques LAF AYE, Quetzalcoatl (1531-1813), Paris, 1974. et Guadalupe. La formation 12 de la conscience nationale au Mexique l'univers et celuiquifit la séparationdes eaux, que cesmalheureux attn'buent ici au démon [c'est-à-dire le dieu créateur Tonacatecuhtli-CitlallantonacJ, et quand cela lui plut il envoya le messagercélesteannoncerà la Vierge qu'elle devait être la mère de son Verbe éterne~ leque4 trouvant le monde corrompu,le réforma enfaisant Pénitenceet en mourant sur la croix pour nospéchés, et non pas ce misérableQuetzalcoatl auquel cesmalheureux attn'buent cetteœuvre". (CVA 14v) On notera aussi que Rios pousse le rapprochement entre Quetzalcoatl et le Christ au point d'en faire un rédempteur qui fit pénitence et mourut pour réformer le monde. Or ce commentaire n'est pas déplacé du tout car comme le Christ en effet, Quetzalcoatl se sacrifia. Sous la forme du Buboneux - c'est-àdire le pécheur par excellence - il se jeta dans un brasier, détruisit son corps matériel de pauvre malade souillé et se transforma en soleil, montrant ainsi la voie aux hommes vaillants qui, en suivant son exemple par leur sacrifice dans la fournaise qu'était le champ de bataille, pouvaient désormais survivre glorieusement dans la Maison du Soleil établie par le dieu. Dans ce même texte, le religieux dit sa pitié pour ces "pauvres gens" dont l'aveuglement attirera la colère divine, mais il se garde bien de préjuger du résultat de cette colère. Enfm Rios ne reprend pas son étrange phrase du CTR selon laquelle Quetzalcoatl fut le seul dieu à avoir un corps humain. Phrase qui fait en quelque sorte écho à celle du CodexdeFlorenceCI c.l) de SahagUn où, dans le texte aztèque, Huitzilopochtli est décrit comme fan maceoalli,fan tlacatl (" un homme ordinaire,un homme''), tandis que dans la version espagnole CI c.S), il est dit de Quetzalcoatl aunquefué hombre,tentanlepor diose Notre dominicain compare donc Quetzalcoatl au Christ et comme on l'a vu, il existe effectivement un rapport entre les deux: ils se sacrifient l'un et l'autre pour assurer le salut des hommes. Un salut qui, dans l'optique chrétienne, a été compromis par la chute. Or cette chute on la retrouve, répétée à de multiples reprises par différents acteurs, dans le CTR et le CV A. Un premier exemple concerne Huehuecoyotl, "Vieux Coyote", une divinité qui préside le jour Lézard ainsi que la 4e treizaine, 1 Fleur. D'après le CTR, "(3) Su propio nombrees comoquien dicemaLrin,porque ast maLrinavaquienponia discordiaentre los hombres[. ) Gueguecoyot~tanto comoAdan el engaiiado0 el que se drj6 engaiiar. Aqut se celebraua lafiesta de la discordia, 0por mf/for decir, dauan a entender por estafigura la discordiaque hqy entre los hombres.[. ) Dei/an un agüero,que el aiio de un conejo, el dta que estava esta rosa, que napa una rosa en la tierra y luego se seca- va. Aqut en esta semana de Una Rosa, cuando cqya el aiio de un conrjo,ayunaban a la cayda delprimer hombrey ast se llama Gueguecoyutle,tanto como el lobo viejo". (CTR 10v) Rios compare donc Huehuecoyotl à Adam, parle d'un jeûne commémorant sa chute et prétend qu'il incarne la discorde. Faut-il le dire, les "spécialistes" des religions de la Méso-Amérique ont longtemps considéré de telles informations comme des produits d'un européocentrisme inutilisable, perdant allègrement de vue que les mythes de paradis ou de l'état d'innocence originels perdus 13 par une faute ou une erreur est un des plus courants qui soient dans le monde1. C'est d'autant plus regrettable que Rios apporte d'extraordinaires précisions qui confmnent l'authenticité de ses informations, même s'il ne les comprend pas bien. Il s'agit de ''l'augure'' selon lequel l'an 1 Lapin, année de la création de la terre et nom de calendrier de celle-ci, "naquit une rose sur la tem qui aussitôt se sécha". Or on sait par un ancien hymne nahuatl, recueilli par SahagUn dans ses Pn:merosMemorialeset célébrant la fête tous les huit ans de "manducation de tamales d'eau" (atamalcualii!lz), que le dieu maïs Cinteotl naquit au paradis originel de Tamoanchan le jour 1 Fleur. Fleur et rose étant synonymes et interchangeables à l'époque, il faut comprendre le passage "naquit une rose sur la terre qui aussitôt se sécha" comme signifiant que 1 Fleur Cinteotl ("une rose") naquit sur la terre l'an 1 Lapin (date qui est aussi le nom de calendrier de la terre) et que la terre, encore recouverte d'eau, se sécha du coup. L'hymne célébrait donc la "naissance" qu'est le lever héliaque de Vénus - 1 Fleur Cinteotl, fruit des amours du Vieux Coyote avec une déesse tellurique, le jour 1 Fleur de l'an 1 Lapin. Etant donné que selon le comput méso-américain le lever héliaque se produisait tous les 584 jours (en réalité 583,92) il fallait huit ans pour que le lever héliaque retombe à la même date, an 1 Lapin jour 1 Fleur (584x5 = 365x8), ce qui explique pourquoi la fête d'atamalcualiztli avait lieu tous les huit ans. Cette fête décrite et illustrée dans les Pn:merosMemorialesde SahagUn réactualisait le mythe de la transgression au paradis originel. Un dieu sans doute Tezcatlipoca dans le dessin en question - séduit une déesse qui "cueille la fleur" ou le fruit d'un arbre interdit, c'est-à-dire, couche avec le dieu, et donne naissance à Cinteotl 1 Fleur. Dans une version maya du Popol Vuh, la jeune Xquic convoite le fruit de l'arbre interdit et ce fruit lui crache dans la main tendue pour la féconder. La faute consiste à avoir créé, plus précisément, procréé, sans autorisation du couple suprême dont la création est le privilège exclusif. Quand la fleur ou le fruit fut cueilli, l'arbre du paradis se brisa, symbolisant la rupture entre créateurs et créatures. Les codex représentent souvent l'arbre brisé (15e treizaine) : "(2) Tamoanchan 0 Xuchit/ycacan, y donde estan sus rosas levantadas. quiere deij:r en romance, alIi es su casa donde abaxaron (3) Para dar a entender que esta fiesta no era buena y 10 que hai/an era de temor, pintaban este d,rbol ensangrentado y quebrado por medio, como quien dize fiesta pecado. (2) Este lugar que se dize Tomoancha y Xuchit/ycacan, es ellugar de trabqjos por aquel donde fueron criados estos dioses que ellos tenian, que asi es tanto como deifr que es el parqyso terrenal ;y asi dizen que estando estos dioses en aquel lugar se desmandauan en coriar rosas y ramas de los 1 Michel GRAULICH, "Myths of Paradise Lost in Pre-Hispanic Central Mexico", Current Anthropology, op. cit. ; idem, Mythes et rituels du Mexique ancienpréhispanique, Bruxelles, 1987 ; idem, ~ Existe 0 no una mitologiaazteca ? sous presse. 2 Popol Vuh, The Sacred Book of the Ancient Quiché Maya, traduit par A. Recinos, Norman, 1950, pp.119-123. 14 arboles;y que por eso se enq/o mucho el Tonacateuctliy de alld de aquellugar, la muger Tonacaciuat4y que los echo y a!)l vinieron unos a la tierra y otros al infierno, y éstos son los que a el!os ponen !os temore!'. (CIR 13r) On a vu qu'un des noms attribués au coupable du paradis était Vieux Coyote. Dans la pensée méso-américaine le coyote est en effet un animal de proie et donc guerrier, mais aussi et surtout un animal associé au chant, à la danse et à la sexualité débordante ("saleté", "ordure" pour les Aztèques), donc aux plaisirs de la vie. Dans d'autres passages des codex qui nous occupent, le coupable des origines est désigné par d'autres noms encore, comme Cipactonal ou Itztlacoliuhqui, patron de la 12e treizaine: "(3) Cipactona, Yiflacoliuqui, el senor dei pecado 0 ceguedad y asi 10pintan dos. Este era el que peco en el parqyso y asi !o pintan lagartija y como la lagartija anda desnuda. Esta Adan Esta los q/os atapa- los q/os atapados y asi su dia era la a la parte de mediodla. después que peco. es una estrella que esta en el cielo, que fingen que va vuelta de revezy los Olos atapados. Yenianla por grande agüero para guerras y nacimientos y asi en este signo mataban los adul- teros. [...] (4) Este I Ztlacoliuhqui era senor destos xÙï dias. Dicen queste era seiior delyelo [ces deux deniers mots sont raturés, mais le renseignement est exact}. (3) Delante desta imagen mataban a los que tomaban en adulterio en estos treze dlas, esto era a !os casados asl hombres como mujeres, porque si no eran casadospodia el hombre tener las que quisiese". (CIR 16v) Ou, dans la version du Vaticanus A : "Itiflacoliuhqui [Obsidienne recourbée] signifie le seigneur du péché et de l'aveuglement, et c'estpourquoi on leprésente lesyeux bandés. Ils disent qu~'fPécha dans un lieu de grandissime récréation et plaisir et qu'il resta nu, et dès lors son premier jour est le lézard qui est un animal terrestre nu et misérable, ce qui montre que le même démon qui a tenté notre premier père Adam avec lafemme et lafemme, Eve, avec le serpent, s'est remis à contrefaire notre père Adam qui fut à l'on:gine de notre aveuglement et de notre misère. [... ...] Devant son image ils tuaient ceux qui étaient surpris en adultère étant mariés, car s'ils ne l'étaient pas ils pouvaient avoir autant defemmes ou de concubines qu'ils voulaient. Ils disaient qu'Iztlacoliuhqui était une étoile qui est dans le ciel et ils imaginaient qu'elle fait marche am.ère. Ils y voyaient un très grand pronostic pour les naissances et la guerre. On trouve cette étoile du côté du midl'. (CV A 24v) Cipactona est aussi le nom du premier homme, fruit de la transgression première. L'autre nom, Itztlacoliuhqui, n'est nullement une fantaisie de notre dominicain qui confond cependant en le désignant comme le coupable des origines "qui était nu". Itztlacoliuhqui signifie "obsidienne recourbée" et le personnage se caractérise par un haut chapeau pointu d'obsidienne. Les chapeaux pointus étaient typiques des Huaxtèques de la Côte du Golfe et on a une version des informateurs de SahagUn selon laquelle, au paradis de Tamoanchan, une faute fut commise par un roi huaxtèque qui s'enivra et se montra tout nu. Rîos devait être informé de cette version et l'a appliquée à tort à 15 Itztlacoliuhqui qui est, comme Cipactona, le fruit de la transgression et donc assimilé à Vénus et au maïs. Voyons d'abord, pour'expliquer tout cela, le rapport entre Vénus et le maïs. Lors des semailles la graine de maïs est introduite dans la terre où elle disparaît pendant huit jours pour reparaître comme jeune pousse de maïs. De même, Vénus comme étoile du soir fmit par disparaître à l'horizon occidental comme si elle était engloutie par la terre, puis au bout de huit jours elle reparaît, "naît", sort de la terre à l'est comme étoile du matin. Ce mouvement est donc assimilé à celui du maïs enseveli et renaissant. L'étoile du soir descend du ciel vers la terre, elle est du feu céleste qui s'éteint dans la terre, et est dès lors assimilée au couteau de silex qui contient du feu céleste (d'après une version du mythe de la faute originelle, la première union coupable fut celle d'un couteau de silex éjecté du ciel et fécondant la terre) ; mais l'étoile du matin, qui elle sort de la terre et de la nuit, est assimilée à l'obsidienne noire. Obsidienne recourbée-Itztlacoliuhqui est donc le fruit d'une union-procréation illicite entre ciel et terre, esprit et matière pourrait-on dire aussi. Dans le Codex Borbonicus (p.12-13), il est clairement représenté comme tel et est explicitement assimilé à Vénus. On l'y voit notamment pénétrer dans le corps d'une déesse tellurique puis en naître. Rappelons que Rios qualifie clairement Itztlacoliuhqui d'étoile, et étoile qui va à l'envers, comme paraît en effet le faire cette planète à un moment donné de son cycle. Le nom de Vénus comme étoile du matin est Tlahuizcalpantecuhtli, "Seigneur de la maison de l'aube". Rios écrit à son propos: "Celui-ci était le dieu de l'aurore ou de la lumière quand veut venir lejour, c'est-à-direle crépuscule.Ils disent que celui-cifut crééavant le soleil. On voit ici qu'ils font allusion aux saintes Ecritures, car les saints docteursdisent qu'elle [l'aurore)fut faite lepremierjour et qu'elle était distincte ou indépendante du soleil. Tlahuizcalpantecuhtli [5 eigneur de la Maison de l'Aube] était le seigneur de ces treizejours. [...) Je n'omettrai pas de noter qu'un des arguments qui me persuadent que cesgens proviennent des Hébreux est de voir combien ils connaissent la Genèse, car bien que le démon ait essayéde mêler tant d'erreurs, son mensonges'accordetant avec la vén'té catholique qu'on peut croirequ~'1sont eu connaissance de ce livre, comme des quatre autres que Moïse a écrits dans le Pentateuque et qu'ils ont seulement chez cepeuple hébreu. Une raison très vraisemblablepour croireque cesgens descendentde ceux-là est lefait qu'on ne sait pas comment ils sont am'vés dans cepays. C'est confirmé en outre par la coutume de leurs sacrificeset leurs cérémonies [.. .]" (ge treizaine, CV A 21v) Le Seigneur de la maison de l'aube naît avant le soleil et on a vu que c'est lui qui, en apparaissant, fait refluer les eaux et apparaître la terre. Rios note que dans la Bible aussi la création de la lumière précède celle du soleil et il invoque, pour rendre compte de cette coïncidence, une théorie toute différente de celle qu'il avait maniée jusqu'à présent, les pièges du Malin. Cette nouvelle théorie selon laquelle les Indiens seraient les descendants d'Hébreux Qes dix tribus prétendument perdues d'Israël ?) débarqués Dieu sait comment en Amérique, a connu une grande faveur à l'époque et a été appelée elle aussi à un grand 16 avenir, comme l'atteste par exemple le cas des Mormons, colonisation de l'Amérique par les dix tribus. dont le Livre narre la La transgression première, c'est "cueillir la fleur" ou le fruit. Témoin aussi le texte suivant qui parle de ''la'' coupable des origines, appelée ici Ixnextli, "visage-cendres" - les cendres symbolisent la souillure -, et qui met clairement l'événement en relation avec la fête d'atamalcualiztli tous les huit ans : "(3) Ysnextli. Pintanla (10mesmo que Eva) como que esta siempre llorando y mirando a su man:do Adan. Lldmase Ysnextli, que quiere dez,ir los qjos fz'egoscon çeniza, y es esto después que peco en coger las rosas,y asi dicen que aora no pueden mirar al cieloy en recordamiento de esta holgança que perdieron qyunavan de ocho en ocho anos esta cqyda, y su qyuno era a pan y agua sola, y qyunaban ocho dias antes quentrase esta Una Rosa, y en entrando adereçabanse para festf!jar. Dizen que todos los dias de çz'ncodeste calendan:o son aplicados a esta cqyda porque tal dia peco. Este ano de 1562 a 23 dejulio fue esta fiesta de la que peco". (CIR llr) Ou, dans le CV A, avec davantage de commentaires du frère Rios, furieux parce que Satan pastiche ainsi la Bible: "Isnextli, aveugle avec des cendres. C'est chose certes digne de larmes que l'aveuglement de cesgens et l'astuce de Satan qui allait ainsi contrefaisant les saintes Ecritures. Car il fit comprendre à cespauvres gens la duperie de notre mère Eve, et l'inconstance de notre père Adam, par lafiction de cettefemme tournée vers son mari, comme le dit Dieu de notre mère Eve, et ad virum conversio eius, et on l'appelait Isnextli (Ixnextli), ce qui est quasiment la même chose qu'Eve, laquelle pleure toujours et s'aveugle avec des cendres, une fleur à la main, laissant entendre qu'elle pleure pour l'avoir cueillie. Et c'est pourquoi ils disaient qu ~'lsne pouvaient regarder le ciel,. au contraire, en souvenir du repos qu ~'lsperdirent pour ce motif, tous les huit ans [ilsjeûnaient) pour ce malheur et cejeûne était au pain et à l'eau. Et ilsjeûnaient huit jours avant que n'entre ce signe d'une fleur [1 Fleur} et cejour venu ils sepréparaient à célébrerlafête. Ils disent que tous les 5 jours de ce calendn;ersont consacrésà cette chuteparce qu'elle pécha un teljour et ils étaient aussi tenus de se baigner cette nuit pour nepas tomber maladel'. (CV A 17 r) Dans la 13e treizaine, la coupable est appelée Ixcuina ou Tlazolteotl ("Déesse Saleté" : CIR 17v), son séducteur est Tezcatlipoca, comme en atamalcualiztli dans les Primeros Memon:ales. On la nomme aussi Oxomoco comme la première humaine - ou Papillon d'obsidienne, Itzpapalotl: "(3) Deziase Xomuco y después que peco se dice Y ifJapalote 0 cuchillo de mariposa. [...J La muerte truxo esta... Lo mesmo que S uchiqueçal. Eva después que pec6. Y iPapalotl quiere de!{!:rnavaja de man'posas y asi esta çercado de naVajas y alas de man'posa. Pintanlo con los pies de aguila porque dizen que algunas vezes les aparecia y solamente veian los pies como de aguila. Este Y ifJapalotl era senor destos XIII dias. Dizen queste siempre trqya entre manos vnas navaxas. Esta fingen que estando en aquel huerto que comia de aquellas rosasy que esto duro poco que luego se quebro el arboL (3) Este Y ifJapalote es uno de los que cqyeron deI cielo con los demcis que de alla cqyeron que son los que se siguen : Queçalcoatle y Ocholubunchete (?)y Tezcatlt'poca y Tonacatecotli y Yaolotecotle y T lahuizcalpantecotlt'. Estos son hijos de Citlalt'ace y Citlalatona. 17 [...]" et, comme on vient de le voir, Itzpapalotl est "la même chose que Xocruquetzal":" "Xochiqueça4 mujer de Cinteutle, elpecado de la primera mujer. (1) Era senora de estos XIII dlas ,. a esta hai/an fiesta las mugeres que sablan labrar y hilar y texer. (3) Esta lue la que primero texio y hiM. En esta vna tiguzla dizen que cc!yeron0 bajaron los demonios deI fielo. Las que nadan aqul serian malas mujeres". (1ge treizaine, GR 22v) Enfm, une dernière déesse citée comme coupable originelle est Chantico, la gardienne du foyer, appelée aussi "[2] Cuaxolotl ques 10 mesmo porque lleva los adereços de Xolotl en su cabeça. [3] Este era senor del chile qui quiere de!(jr mujer amarilla (phrase barrée). Este lue el pnmero que sacnjico después que comio vn pescado asado y aquel humo que subio al delo y que de esto se enq}o Tonacatecotle,y que le echo vna maldiçion que se volviese perro ,. y asllue y lltimanlea esteChantico tanto comoMiquitlantecotle.[...]" (GR 21v) Le frère Rios se trompe sur le sexe de la divinité mais à part cela ses informations sont une fois de plus précieuses. On possède en effet une version nahuatl de ce mythe, conservée dans la I-'!Jenda de los Soles,et des variantes modemes en ont été recueillies chez diverses populations. On est au début de l'ère présente. Le couple survivant du déluge, Tata et Nene, allume du feu avec des bâtonnets à feu pour cuire du poisson. L'allumage du feu, acte créateur par excellence puisque c'est en accouplant les bâtonnets à feu que le couple créateur suprême crée les étincelles de vie, remet la voûte céleste en place et inaugure une ère nouvelle mais Tata et Nene l'ont fait sans autorisation et sont transformés en chiens. Si le mythe de la transgression originelle est donc très bien attesté, il est plus difficile de rendre compte de la diversité des transgresseurs. Une explication en peut être le foisonnement de mythes sur ce sujet et les nombreuses variantes locales. Les informateurs de Rios étaient probablement de provenances diverses et lui-même s'est beaucoup déplacé. D'autre part, même en un seul et unique endroit, les variations sur le thème de la transgression étaient multiples car chaque ère était censée prendre fm et recommencer précisément en raison d'un premier péché. Enfm, dans la Bible aussi, les transgressions premières sont multiples. Car la faute d'Adam et Eve a été précédée par celle des anges rebelles, et elle a été suivie de celle de Caïn qui tue son frère cadet, puis celle des anges qui trouvent les femmes belles et viennent coucher avec elles, engendrant ainsi les géants d'autrefois, et enfm, l'épisode de la tour de Babel. Autant de coupables que de fautes, mais elles reviennent toutes à la même chose: les créatures veulent s'égaler à Dieu. Les anges rebelles n'admettent pas que Iahvé leur préfère Adam, Adam et Eve mangent le fruit de l'arbre pour avoir la connaissance du bien et du mal, Caïn se rebelle et tue Abel parce que son père reçoit le sacrifice d'Abel, un agneau, et refuse son oblation de fruits de la terre. Dieu préfère visiblement le pasteur au cultivateur, et Caïn, dont le nom 18 signifierait forgeron, s'illustrera d'ailleurs comme bâtisseur de villes (livre des Antiquités bibliques II, 3). Caïn est du côté de la civilisation, c'est-à-dire de l'homme qui essaie de se tirer d'affaire sans Dieu et de s'égaler à lui en créant; en outre, il s'arroge le droit de vie et de mort en tuant son frère! Quant aux anges qui viennent sur terre, ils séduisent les belles femmes en leur enseignant " les drogues, les charmes, la botanique et [H'] les herbes", "[...] à fabriquer des épées, des armes, des boucliers [.. .], les métaux et la manière de les travailler, ainsi que les bracelets, les parures [...] Il en résulta une grande impiété" VII,l ; VIII,l). Et pour punir l'humanité, Iahvé envoie le déluge. CI Hénoch Après, les hommes tenteront encore d'atteindre le ciel en construisant la tour de Babel TI ressort clairement de tout cela que la faute biblique consiste, comme dans l'ancienne Méso-Amérique, à vouloir s'égaler à la divinité, mais principalement par le savoir, la science, la civilisation: bref, par la création indépendante. Il est d'autres similitudes, bien plus flagrantes, entre les mythes méso-américains et bibliques. Je pense en particulier au thème fondamental du pauvre cadet nouveau venu qui l'emporte sur son ou ses riches aînés. Chez les Aztèques, le jeune Quetzalcoatl vainc ses oncles, les opulents 400 Mimixcoa assassins de son père, Huitzilopochtli naît et extermine sa sœur aînée et ses 400 frères aînés les Huitznahua, les Jumeaux du Popol Vuh maya-quiché, pauvres jeunes chasseurs, vainquent d'abord leurs riches frères aînés cultivateurs, musiciens et artistes, puis leurs grands-oncles, les seigneurs de l'inframonde, qui ont assassiné leur père. .. Un thème logique et utile pour des peuples qui se présentent comme des pauvres nomades nouveaux venus qui errent longuement vers les royaumes des opulents autochtones que leur dieu qui les guide leur a promis. Un thème qui était aussi celui d'Israël, d'un groupe de pauvres nomades qui entreprennent également de longues pérégrinations vers la terre promise par Iahvé. Celui-ci, logiquement, préfère aussi les nouveaux venus, les cadets, les intrus: Adam par rapport à Lucifer, Abel à Caïn, Isaac à Ismaël, Jacob à Esaü, Joseph à ses frères... et il préférera son peuple élu aux autochtones de Canaan. Mais ces parallèles-là, quoique flagrants, et fréquents dans bien d'autres civilisations, le bon père Rios ne les a pas relevés. En conclusion, les codex Telleriano-Remensis et Vaticanus A illustrent effectivement fort bien les méthodes de travail des religieux espagnols qui s'adonnaient à l'étude des religions mexicaines. Ils ont été expliqués et commentés par des informateurs en général compétents qui ont fourni des données tantôt précises et sûres et corroborées, pour les parties examinées, par d'autres sources indépendantes, tantôt imprécises ou erronées, le plus souvent sur des points de détail. Ces informateurs ou ceux qui transcrivaient et/ou interprétaient leurs explications ont souvent constaté des ressemblances réelles entre les religions aztèque et chrétienne, au point parfois de procéder à des mélanges invraisemblables, comme avec l'Annonciation. D'autre part, des versions apparentées du mythe aztèque du paradis perdu ont aussi été mélangées. L'attitude du seul auteur identifié, Pedro de los Rios, est très caracté19 ris tique. Confronté à des ressemblances très réelles entre les croyances bibliques et chrétiennes et celles du Nouveau Monde, il hésite entre deux attitudes, soit attribuer ces ressemblances au démon qui veut tromper les Indiens et les empêcher d'embrasser la foi chrétienne, soit considérer les Indiens comme des descendants d' Hébreux. Dans l'ensemble, ces codex bien documentés nous donnent une série d'informations extrêmement précieuses sur les croyances des anciens Mexicains. .. 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