Patients récurrents aux urgences psychiatriques : analyse

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L’Encéphale (2015) 41, 123—129
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉMOIRE ORIGINAL
Patients récurrents aux urgences
psychiatriques : analyse démographique et
clinique
Frequent visitors to psychiatric emergency service:
Demographical and clinical analysis
S. Schmoll a, L. Boyer b,∗, J.-M. Henry a, R. Belzeaux c
a
Pôle psychiatrie centre, hôpital La Conception, Assistance publique—Hôpitaux de Marseille, 147,
boulevard Baille, 13385 Marseille cedex 05, France
b
Laboratoire de santé publique, évaluation des systèmes de soins et de santé perçue/EA 3279, 27,
boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 05, France
c
Pôle de psychiatrie universitaire Solaris, hôpital Sainte-Marguerite, Assistance publique—Hôpitaux de
Marseille, 27, boulevard Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France
Reçu le 2 août 2011 ; accepté le 17 janvier 2013
Disponible sur Internet le 3 octobre 2013
MOTS CLÉS
Urgences
psychiatriques ;
Réadmission ;
Schizophrénie ;
Précarité ;
Épidémiologie
∗
Résumé Les recours multiples aux services d’urgences psychiatriques soulignent un important problème d’organisation du système de soin. L’objectif de ce travail est d’étudier le profil
clinique et socio-démographique des patients récurrents dans un service d’urgences psychiatriques à travers l’analyse rétrospective d’une base de données administrative et médicale.
Sur 8800 patients totalisant 16 754 visites en six ans, 192 avaient un nombre de visites supérieur ou égal à 9. Ces patients récurrents représentaient 2 % des patients et effectuaient 21,3 %
du nombre total de visites. Ils étaient principalement admis pour symptômes anxieux, 72,6 %
avaient un diagnostic de schizophrénie ou autres troubles psychotiques et 39,1 % étaient sans
domicile fixe. Une analyse statistique multivariée mettait en évidence des facteurs fortement
associés (p < 0,001) à ce groupe comparé aux autres patients avec notamment : le diagnostic
de schizophrénie (OR = 29,5), les troubles de la personnalité de type dramatiques, émotionnels ou erratiques (OR = 5,5), le statut de sans domicile fixe (OR = 2,7), et inversement associés
(p < 0,001) : les troubles de l’humeur (OR = 0,07) et troubles névrotiques (OR = 0,14). Reconnaître dans sa spécificité cette population grande consommatrice de soins d’urgences paraît
alors essentiel dans la réflexion à poursuivre sur les alternatives de prise en charge psychiatrique
de la crise et de la précarité.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (L. Boyer).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.01.002
124
KEYWORDS
Homeless persons;
Epidemiology of
mental disorders;
Patient readmission;
Psychiatric
emergency services;
Schizophrenia;
Recurrence
S. Schmoll et al.
Summary
Introduction. — Frequent visitors of psychiatric emergency wards are an important health care
problem. Previous studies underlined that 2 % to 9 % of patients induce 15 % to 33 % of total
clinical activity. Those patients have chronic and severe mental illness such as schizophrenia,
associated with social and financial difficulties.
Objective. — The aim of this study was to describe demographic and clinical characteristics of
frequent visitors to a psychiatric emergency ward in a French Academic hospital over 6 years in
comparison to non-frequent visitors.
Methods. — The study is based on a retrospective review of the psychiatric emergency wards’
administrative and medical computer databases; data that included demographic, financial,
clinical, and management information. During this 6-year study, the psychiatric ward recorded
16,754 care episodes for 8800 different patients. We compared frequent visitors with other
visitors using univariate and multivariate analyses. Frequent visitors were defined by a number
of visits greater than 2 of the mean standard deviation.
Results. — Two percent of patients (n = 192) had nine or more visits during the period. These
patients caused 21 % of the total number of the visits. In the univariate analysis, the most significant reasons for referral in frequent visitors versus others (P < 0.001) were: more frequent
anxiety (37.6 % vs. 32.1 %), less frequent disruptive behavior (8.4 % vs. 12.9 %), depression
(7.8 % vs. 17.2 %) and suicide attempt (4.5 % vs. 11.1 %). Factors associated with frequent visitors (P < 0.001), after including all significant or confounding variables (multivariate analysis),
were: schizophrenia and schizophrenia spectrum disorders (OR = 29.5, IC: 11.4—76), DSM-IV
cluster B personality disorders (OR = 5.5, IC: 3.6—8.4), mental and behavioral disorders due to
psychoactive substance use (OR = 4.6, IC: 3.1—7), financial assistance through social government programs (OR range: 9.1—2.4, all significant) and being homeless (OR = 2.7, IC: 1.8—4).
Factors associated with non-frequent visitors were mood disorders (OR = 0.07, IC: 0.03—0.19)
and neurotic, stress-related, and somatoform disorders (OR = 0.14, IC: 0.05—0.4). Sex and age
were not significant in multivariate analysis.
Discussion. — This study identifies significant demographic and clinical factors associated with
frequent visits in psychiatric emergency ward in accordance with the large majority of previous
studies. We found that psychotic disorders or schizophrenia were the main diagnosis of these
patients. Moreover, precariousness (homeless, financial assistance) is an important demographic
factor associated with recurrence. However, contrary to numerous studies, we found no effect
of sex or age. Due to this important economical and clinical burden, more specific care and
alternative solutions to emergency care have to be proposed to this population of patients.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Introduction
Les services d’urgences psychiatriques, structures clés dans
l’articulation entre soins ambulatoires et hospitaliers [1],
n’ont eu de cesse de voir leur fréquentation s’accroître [2].
Le phénomène de réutilisation fréquente de ces services
d’urgences par un nombre restreint de patients a très tôt été
identifié. Les études réalisées estiment qu’entre 2 et 9 % des
patients effectuent de 15 % à un tiers des visites des services
d’urgences psychiatriques [2]. Ce groupe souffre généralement de maladies graves et chroniques, schizophrénie en
premier lieu et vit dans une précarité socioéconomique
importante.
Notre étude se propose de décrire les patients récurrents visitant un service d’urgences psychiatriques à partir
de l’analyse rétrospective d’une base de données.
Résultats antérieurs
Une revue exhaustive de la littérature répondant à cette
problématique avec une combinaison des mots clés suivants
frequent, repeat, return, admission, consumers, referrals,
repeaters, users, visits readmission, psychiatry emergency
a été réalisée. Elle retrouve 20 études, dont un article
de synthèse [3] dans la base de données Medline. La
quasi-totalité de ces études s’intéresse aux caractéristiques
socio-démographiques des patients récurrents par le biais
d’études rétrospectives de bases de données et de dossiers de soin. Il faut noter que les méthodes d’analyse
multivariées ne sont systématiquement utilisées dans les
publications qu’à partir de 1997. Seuls Arfken et al. [4] procèdent à une étude cas-témoin de petit effectif (n = 74).
La définition des patients réutilisateurs et la période
d’observation sont les données les plus variables, la récurrence étant établie pour des fréquences allant de deux à
11 visites pour des durées d’étude de six mois à 15,5 ans. Six
études antérieures à 1982 et décrites dans la revue de la littérature de 1986 [3] s’intéressent aux patients effectuant
plus d’une visite pour des périodes de quatre à 12 mois.
Quelques études catégorisent cependant les patients par
nombre absolu de visites [5—9], d’autres étudient plus spécifiquement la question des schémas temporels d’utilisation
des services d’urgences [8,10—12]. La perception de cette
Patients récurrents aux urgences psychiatriques
population de patients par les équipes soignantes a également été décrite dans deux articles qui mettent en évidence
un sentiment de surcharge de travail induit par ce type de
patients, considérés plutôt comme des patients peu observants vis-à-vis des soins et des prises en charges mises en
place en dehors des urgences [13,14].
L’ensemble de ces travaux, dont les résultats sont parfois hétérogènes mais rarement contradictoires, dessine une
population de patients globalement cohérente.
Caractéristiques socio-démographiques
Un âge jeune [5,9,15,16] et être de sexe masculin
[7,9,16—18] ont été identifiés comme prédictifs. Mais une
situation de précarité socioéconomique reste le facteur le
plus déterminant pour ces patients vivant seuls [9,17—19],
sans emploi [5,9,15,18,20], ayant un faible étayage social
[3,7,8,12] et parfois sans domicile fixe (SDF) [4,8,20].
Caractéristiques cliniques
Le diagnostic psychiatrique est l’élément le plus fréquemment rapporté comme associé à la réutilisation, avec en
premier lieu celui de schizophrénie ou trouble psychotique
[1,3,5—7,9,16,17,20,21]. Les troubles de la personnalité
sont également souvent associés à cette population de
patients [1,8,9,15,17,19,21], ainsi que les conduites addictives [7,9,16—18,21]. Ellison et al. [21] ont par ailleurs
identifié que les comportements impulsifs et les symptômes
anxieux étaient des motifs d’admission plus fréquents pour
ces patients.
Parcours de soins
Le fait de se présenter de soi-même aux urgences, en dehors
d’un parcours de soin, est une caractéristique importante
des patients récurrents [1,7,15,16,18,21]. Ces patients ne
sont pas pour autant exclus des réseaux de soins : la plupart ont déjà bénéficié de traitements psychiatriques et en
particulier d’hospitalisations [4,8,15—17,21,22] ou de soins
ambulatoires [3,4,8,15,17,19,21,23]. Lebeau [11] confirme
ces résultats en identifiant que les patients « réutilisateurs
continus » souffrent significativement plus de troubles psychotiques, de non-intégration au marché du travail et
bénéficient déjà fréquemment de soins psychiatriques.
Méthode
Site de l’étude
L’étude s’intéresse aux patients visitant le service
d’urgences psychiatriques adultes de l’hôpital Timone —
Conception de Marseille, ville d’environ 800 000 habitants.
Ce service assure, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept,
l’accueil, l’évaluation et le traitement de patients présentant des troubles psychiatriques. Il dispose d’une capacité
d’hospitalisation temporaire (moins de 48 heures) d’une
dizaine de lits. Le nombre de visites est d’environ 3500 par
année.
125
Population de l’étude
L’analyse rétrospective a été menée sur les patients admis
dans ce service du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2006.
La définition des patients récurrents se réfère à l’étude de
Pasic et al. [8] qui propose de retenir un nombre de visite
supérieur de deux déviations standards (DS) à la moyenne.
Le choix de cette définition semble permettre l’étude d’une
population plus spécifique bien que plus restreinte. Cela correspond à un nombre de visites supérieur ou égal à 9 en six
ans dans notre étude.
Recueil des données
La base de données médicale et administrative du service
d’urgences psychiatriques est constituée, pour chaque épisode de soin, de données démographiques, économiques,
cliniques et thérapeutiques, comme décrit précédemment
[24].
Afin d’explorer les aspects symptomatiques de la crise et
les parcours de soins, une analyse par visite (Tableau 1),
puis pour préciser le profil des utilisateurs, une analyse
par patient ont été réalisées, regroupant alors les données recueillies à l’occasion des différentes visites ayant
eu lieu pendant la période étudiée. Les données sociodémographiques sont : l’âge (défini par la moyenne d’âge au
cours des différents contacts pour l’analyse par patients), le
sexe, le mode de vie seul ou en couple (défini par le statut le
plus fréquent pour l’analyse par patients), statut de sans SDF
(défini si présent une fois au cours du suivi pour l’analyse par
patients). Les données économiques incluent le fait d’avoir
perçu : une allocation adulte handicapé (AAH), une pension d’invalidité, le revenu minimum d’insertion (RMI), ou
l’assurance chômage. Les données diagnostiques sont basées
sur la classification internationale des maladies ou CIM-10
[23]. Les troubles de la personnalité ont été également
considérés d’après le DSM-IV [25] selon les trois groupes :
A (troubles de la personnalité « bizarres » et excentriques),
B (troubles de la personnalité dramatiques, émotionnels ou
erratiques) et C (troubles de la personnalité anxieux et
craintifs). Les catégories diagnostiques F2 (schizophrénie,
trouble schizotypique et troubles délirants), F3 (troubles
de l’humeur/affectifs) et F4 (troubles névrotiques, troubles
liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes)
telles qu’elles sont définies dans la CIM-10 ont été considérées comme des diagnostics psychiatriques s’excluant l’un
l’autre. Ainsi, seul le diagnostic le plus fréquemment attribué au cours des différentes visites a été retenu pour un
même patient ; en cas d’égalité des fréquences, la hiérarchie suivante a été appliquée : F2 prioritaire sur F3,
lui-même prioritaire sur F4. Les autres diagnostics ont été
attribués si présents au moins une fois au cours des différentes visites.
Analyses statistiques
Les différentes caractéristiques ont été comparées en utilisant le test t de Student pour les variables continues
et le test de Chi2 pour les variables discrètes. Les comparaisons ont été effectuées par épisode de soin ou visite
puis par individu. Une analyse de régression logistique a
126
S. Schmoll et al.
Tableau 1 Données relatives aux épisodes de soins pour les patients récurrents d’un service d’urgences psychiatriques,
2001—2006 (n = 16 754 — mesurés par visite).
Données par visite
Groupe témoin
Moins de 9 visites
n = 13 185
n (%)
Motif d’admission
Agitation
Anxiété
Agressivité
Trouble du comportement
Confusion mentale
Trouble délirant
Dépression
État maniaque
Tentative de suicide
Troubles cognitifs
Troubles liés à l’alcool
Troubles liés aux substances psycho-actives
Plaintes somatiques
Difficultés relationnelles
Difficultés sociales
578
4237
420
1701
81
1133
2270
136
1470
28
824
264
588
403
409
Mode d’admission
De soi-même, entourage
Médicalisé
Autre
Orientation
Court séjour dans le service d’urgences
Hospitalisation
(4,4)
(32,1)
(3,2)
(12,9)
(0,6)
(8,6)
(17,2)
(1,0)
(11,1)
(0,2)
(6,2)
(2,0)
(4,5)
(3,1)
(3,1)
Patients récurrents
9 visites ou plus
n = 3569
n (%)
(4,0)
(37,6)
(3,3)
(8,4)
(0,2)
(8,6)
(7,8)
(0,6)
(4,5)
(0,1)
(6,9)
(2,1)
(5,2)
(3,2)
(3,7)
0,325
< 0,001
0,780
< 0,001
0,002
0,500
< 0,001
0,023
< 0,001
0,114
0,130
0,789
0,079
0,737
0,088
6692 (50,8)
5353 (40,6)
1140 (8,6)
2665 (74,7)
703 (19,7)
201 (5,6)
< 0,001
2269 (17,2)
4457 (33,8)
716 (20,1)
1018 (28,5)
< 0,01
< 0,01
permis d’établir des odds ratios pour l’association des données socio-démographiques ou cliniques avec le caractère
de récurrence. Les modèles ont été développés par procédure de sélection rétrograde et les variables pertinentes ont
été sélectionnées sur la base de leur intérêt clinique ou du
seuil de valeur p ≤ 0,05 au cours des analyses univariées. Le
logiciel SPSS version 15.0 a été utilisé pour l’analyse de ces
données.
Résultats
Durant la période de recueil des données de six ans,
8800 patients ont effectué un total de 16 754 visites au
service d’urgences. Parmi ces patients, 192 patients correspondaient au critère de récurrence retenu, soit neuf visites
ou plus. Ils représentaient 2,2 % du nombre total de patients
et effectuaient 3569 visites, soit 21,3 % du total des visites.
Le Tableau 1 détaille les comparaisons par visites. Les
patients récurrents se présentent plus souvent seuls ou
accompagnés de proches (74,7 % vs 17,2 %). Ces patients
ont un plus fort taux d’admission pour symptômes anxieux
(37,6 % vs 32,1 %). Les patients du groupe témoin se présentent, eux, plus fréquemment pour symptômes dépressifs
(17,2 % vs 7,8 %) et pour tentative de suicide (11,1 % vs 4,5 %).
Le Tableau 2 détaille les caractéristiques cliniques et
socio-démographiques des patients étudiés ou analyse par
individu. Il n’y a pas de différence significative concernant
143
1342
117
299
7
294
280
22
162
3
248
74
184
113
131
Valeur de p
l’âge des patients. Le diagnostic de schizophrénie, trouble
schizotypique et troubles délirants (F2) constitue le diagnostic principal pour les patients récurrents avec une forte
différence significative par rapport au groupe témoin (72,6 %
vs 22,9 %). On observe une plus grande fréquence chez les
patients récurrents des diagnostics de troubles mentaux et
du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (F1). De même, les troubles de la personnalité et du
comportement chez l’adulte (F6) sont plus fréquents chez
les patients récurrents, avec une différence peu significative
concernant le groupe C défini selon le DSM-IV.
Le Tableau 3 expose les résultats de l’analyse multivariée
issus des données par individus : les diagnostics de schizophrénie (F2), de conduites addictives (F1) et de troubles de
la personnalité (F6) du groupe A et du groupe B sont des facteurs associés à la récurrence avec un odds ratio important
pour la schizophrénie (29,5 [11,4—76,0]). Les diagnostics de
troubles de l’humeur et de troubles névrotiques sont quant à
eux des facteurs diminuant le risque de récurrence, avec des
coefficients relativement importants également. Bénéficier
d’une aide financière de l’état et être SDF sont également
des facteurs associés à la récurrence.
Discussion
Les caractéristiques démographiques et cliniques des
patients fortement utilisateurs des urgences psychiatriques
Patients récurrents aux urgences psychiatriques
127
Tableau 2 Caractéristiques des patients récurrents d’un service d’urgences psychiatriques, 2001—2006 (n = 8800 — mesurés
par patient).
Données par patient
Données socio-démographiques
Sexe masculin
Mode de vie
Célibataire
Enfants
SDF
Ressources sociales
AAH
Invalidité
RMI
Assurance chômage
Groupe témoin
Moins de 9 visites
n = 8608
n (%)
Patients récurrents
9 visites ou plus
n = 192
n (%)
Valeur de p
4434 (51,5)
137 (71,4)
< 0,001
6619 (76,9)
3543 (41,2)
504 (5,9)
147 (76,6)
80 (41,7)
75 (39,1)
0,917
0,887
< 0,001
1139
715
1101
553
146
70
44
17
(76,0)
(36,5)
(22,9)
(8,9)
< 0,001
< 0,001
< 0,001
0,176
1075 (12,5)
79 (41,1)
< 0,001
1975 (22,9)
140 (72,6)
< 0,01
1883 (21,9)
2217 (25,8)
31 (16,1)
16 (8,3)
0,06
< 0,01
Troubles de la personnalité et du
comportement chez l’adulte (F6)
Groupe Ab
Groupe B
Groupe C
797 (9,3)
83 (43,2)
< 0,001
134 (1,6)
544 (6,3)
125 (1,5)
21 (10,9)
73 (38,0)
7 (3,6)
< 0,001
< 0,001
0,013
Autres diagnostics psychiatriques (F5,
F7—F9)
395 (4,6)
46 (24,0)
< 0,001
Diagnostic psychiatriquea
Troubles mentaux et du comportement
liés à l’utilisation de substances
psycho-actives (F1)
Schizophrénie, trouble schizotypique et
troubles délirants (F2)
Troubles de l’humeur [affectifs] (F3)
Troubles névrotiques, troubles liés à des
facteurs de stress et troubles
somatoformes (F4)
(13,2)
(8,3)
(12,8)
(6,4)
SDF : sans domicile fixe ; AAH : allocation adulte handicapé ; RMI : revenu minimum d’insertion.
a Diagnostics psychiatriques définis selon la classification internationale des maladies (CIM 10).
b Troubles de la personnalité définis selon le « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » IV. Le DSM-IV liste dix troubles de la
personnalité, regroupés en trois groupes : A (troubles « bizarres » et excentriques), B (troubles dramatiques, émotionnels ou erratiques)
et C (troubles anxieux et craintifs). L’effectif total diffère de F6, la CIM 10 n’y incluant pas la personnalité schizotypique (F21).
décrites ici sont globalement concordantes avec le tableau
dressé par la revue de la littérature et, en particulier, les
études définissant un seuil haut de récurrence et dans une
période d’observation longue [5,7—9] : les patients grands
utilisateurs des services d’urgences souffrent majoritairement de maladies psychiques sévères et chroniques et
évoluent dans un univers socioéconomique peu étayant, que
celui-ci soit une cause ou une conséquence de la pathologie
psychiatrique [26]. Les résultats de notre étude confirment
ce choix méthodologique en mettant en évidence une population spécifique à l’échelle de la maladie, là où d’autres
études explorent finalement la trajectoire de patients en
situation de crise et souffrant probablement fréquemment
de troubles de la personnalité et de problématiques addictives décompensés, en définissant des périodes d’étude plus
courtes ou en ne sélectionnant que de nouveaux patients
[12,18,19].
Les symptômes anxieux sont majoritaires comme motif
d’admission, alors que les troubles délirants et les difficultés sociales sont peu présents. La venue spontanée aux
urgences, et les troubles de la personnalité de type impulsifs dessinent également le tableau de patients aux prises
avec une souffrance psychique, peut-être pas majeure,
mais pour qui, dans leur contexte d’isolement social, la
disponibilité des services d’urgences psychiatriques offre
la possibilité d’un apaisement au moins temporaire. Nous
rejoignions là l’hypothèse d’Ellison et al. [21]. En revanche,
nos résultats soulignent l’impact psychopathologique réduit
des personnalités du cluster C caractérisées par la dépendance relationnelle et l’évitement sur le phénomène de
récurrence aux urgences.
L’attribution des diagnostics constitue le principal biais
de cette étude. En effet, retenir un diagnostic s’il a été présent une fois, alors que la fréquence des visites détermine
128
S. Schmoll et al.
Tableau 3 Facteurs associés à la récurrence chez les patients admis dans un service d’urgences psychiatriques, 2001—2006
(n = 8860 — mesurés par patient)a .
Facteur
Odds ratiob
IC 95 %
p
Âge
0,99
0,97—1,00
0,107
Sexe masculin
0,97
0,66—1,43
0,875
SDF
2,7
1,80—4,00
< 0,001
Ressources sociales
AAH
Invalidité
RMI
9,1
4,2
2,4
6,10—13,60
2,80—6,30
1,50—3,80
< 0,001
< 0,001
< 0,001
4,6
29,5
0,07
0,14
3,10—7,00
11,40—76,00
0,03—0,19
0,05—0,40
< 0,001
< 0,001
< 0,001
< 0,001
3,2
5,5
2,8
1,60—6,30
3,60—8,40
0,90—8,90
0,001
< 0,001
0,076
Diagnostic psychiatrique
F1
F2
F3
F4
Troubles de la personnalité
Groupe A
Groupe B
Groupe C
SDF : sans domicile fixe ; AAH : allocation adulte handicapé ; RMI : revenu minimum d’insertion.
a Les patients récurrents sont définis comme ayant un nombre de visites supérieur de deux déviations standards (DS) à la moyenne.
b Calculé par régression logistique multivariée avec les variables pertinentes ou significatives (p ≤ 0,05) dans les analyses univariées.
les groupes, augmente chez les patients récurrents les
chances de « rencontrer » un diagnostic donné. Cela a partiellement été corrigé en ne retenant que le diagnostic le
plus fréquent parmi les troubles psychotiques, les troubles
de l’humeur et les troubles névrotiques. D’une manière
générale, cette question des diagnostics psychiatriques, qui
sont pour nombre d’entre eux, et par définition, établis dans
la durée, est particulièrement délicate dans un contexte de
crise [5]. De plus, les données sont issues d’une base administrative monocentrique analysée rétrospectivement dont
le recueil non standardisé, réalisé par des médecins différents, peut également limiter la sensibilité et la spécificité
des résultats obtenus. On notera cependant que les patients
mieux connus d’une équipe soignante du fait d’une importante récurrence bénéficient en revanche d’une évaluation
probablement plus juste.
Conclusion
En confirmant et précisant les données de la littérature,
cette étude apporte, par son effectif important et sa durée
d’observation de six ans, des éléments supplémentaires dans
l’identification d’une population de patients récurrents aux
urgences psychiatriques. Ils constituent un groupe de personnes gravement malades, socialement déshéritées, errant
dans les interstices probablement laissés vacants par le système de soins, malgré l’effort de travail en réseau des
institutions médicales et sociales. Ce phénomène tend à renforcer la fragmentation des soins et l’incapacité à maintenir
la continuité du projet thérapeutique que l’on peut considérer comme une partie intégrante de leur pathologie. Dans
un réseau pourtant largement côtoyé, les urgences restent
malgré tout le recours le plus aisé. Les dossiers informatisés
partagés, qui se développent amplement aujourd’hui, sont
aussi une réponse constructive à cette errance [27,28]. Des
alternatives de soin existent dans les domaines de la crise
[29] ou de la précarité [24] qui proposent des interventions d’équipe ciblées en insistant sur la remobilisation du
réseau médicosocial ou de l’entourage. On peut cependant
se demander si ces interventions correspondent à la réalité épidémiologique de ces patients caractérisés par leur
isolement et une trop grande connaissance d’un réseau de
soin dans lequel ils ne trouvent pas leur compte. Des études
qualitatives des attentes de ces patients permettraient sans
doute de mieux étayer les projets d’organisation et de
réformes des systèmes de soins.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
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