EpuisEmEnt profEssionnEl
En réanimation
Marine Chaize, Nancy Kentish-Barnes, Nathalie Embriaco,
Marie-Cécile Poncet, Jean-Roger Le Gall, Elie Azoulay
Service de réanimation médicale, Hôpital Saint-Louis, 1 avenue Claude
Vellefaux, 75010 Paris.
RÉSUMÉ
Le syndrome d’épuisement professionnel résulte d’une exposition prolongée
au stress. Le but de cet article est de passer en revue la littérature disponible
sur ce syndrome chez les médecins et les inrmières de réanimation. Selon
les études les plus récentes, un syndrome sévère d’épuisement (mesuré par
l’échelle d’épuisement de Maslach) est présent chez la moitié des médecins et
un tiers des inrmières de réanimation. De façon frappante, les déterminants
de ce syndrome diffèrent dans les deux groupes. Les médecins les plus expo-
sés sont ceux qui ont le plus d’heures de travail (nombre de gardes de nuit et
temps écoulé depuis les dernières vacances). Chez les inrmières, les facteurs
déterminants sont l’organisation du service et les caractéristiques de la politique
vis-à-vis des patients en n de vie. Cependant les conits de personnes sont
des facteurs indépendants dans les deux groupes. La prévention repose sur les
groupes de parole, les stratégies de communication pendant les soins de n de
vie et la gestion des conits.
INTRODUCTION
Le syndrome d’épuisement professionnel (EP) se caractérise par une fatigue
prolongée et une perte d’intérêt (dépersonnalisation ou cynisme). C’est souvent
le résultat d’une période d’effort excessif au travail et d’un manque de temps
de récupération. Le syndrome d’EP[1] fut identié dans les années 1970 chez
les professionnels en général, mais surtout dans le domaine de la santé[2]. Ce
syndrome a été décrit comme l’incapacité de faire face au stress émotionnel
au travail[3] ou à une dépense excessive d’énergie conduisant à un sentiment
d’échec et de fatigue[4]. Dans cette revue nous dénissons le syndrome d’EP,
puis sa fréquence chez des médecins et inrmières, enn les conséquences et
les moyens de prévention.
MAPAR 2012
138
1. DÉFINITION DU SYNDROME D’ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL
(EP)
Le concept d’EP apparaît aux Etats-Unis dans les années 1970, pour décrire
les relations des travailleurs à leur travail, particulièrement ceux dont le métier
concerne les services et les soins de santé[4-6], le syndrome d’EP est un état
psychologique résultant de l’exposition prolongée à des facteurs de stress. Selon
l’école de Maslach[2] ce syndrome est spécique du contexte professionnel,
contrairement à la dépression qui affecte la vie professionnelle et la vie privée. Le
syndrome d’EP a trois dimensions : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisa-
tion (ou cynisme) et un sens de non-accomplissement personnel (Figure 1)[6].
Figure. 1: Distribution des trois échelles explorées par le MBI chez les réanima-
teurs français (d’après Embriaco, 2007)
Les symptômes d’EP ne sont pas spéciques : irritabilité, instabilité émo-
tionnelle, rigidité dans les relations avec les collègues, symptômes organiques
comme troubles de l’appétit, sensation de fatigue ou troubles du sommeil. Le
Maslach Burnout Inventory (MBI) ou échelle d’épuisement de Maslach (EEM)
est un questionnaire de 22items développé par Maslach et Jackson[6] pour
mesurer la sévérité du syndrome d’EP. Le questionnaire demande de remplir sur
une échelle psychométrique la fréquence de certains sentiments relatifs à son
travail : Maslach décrit trois degrés d’EP : faible, modéré, élevé. Le MBI évalue
les trois domaines de l’EP par des sous échelles indépendantes. Cette technique
a une haute abilité et une haute validité. L’EP apparaît préférentiellement dans
les professions d’aide : médecins, inrmières ou éducateurs. Dans les vingt
dernières années, plusieurs études ont montré la haute prévalence d’EP chez les
professionnels du soin, aussi bien chez les médecins que chez les inrmières.
Quarante-deux pour cent des inrmières de psychiatrie ont un haut degré
d’EP[7]. L’EP est fréquent chez les médecins avec des taux allant de 25% à
60%[8-13], dépendant des conditions de travail et de la spécialité. Le syndrome
peut survenir à n’importe quel stade de la carrière. Soixante-seize pour cent des
résidents de médecine interne ont un degré éled’EP[18]. Les déterminants en
EP faible, n = 228
EP sévère, n = 455
Tous, n = 978
EP modéré, n = 225
Epuisement professionnel Dépersonnalisation Non Accomplissement personnel
Score
50
20
40
30
10
0
Qualité des soins et réanimation 139
sont les caractéristiques de l’exercice, les variables démographiques (sexe, âge)
et la personnalité. Bien des aspects de la pratique professionnelle ont changé
dans les dernières années : perte d’autonomie, diminution des ressources,
exigence de haut degré de compétence et de ressources techniques [14].
La charge de travail, un environnement stressant comme celui des unités de
réanimation, la sévérité des patients, les conits entre membres de l’équipe ou
avec les patients sont des facteurs de risque [13].
2. EPUISEMENT PROFESSIONNEL DES MÉDECINS RÉANIMA-
TEURS
La première étude incluait 253membres de la Sociéde médecine intensive
des Etats-Unis (Society of Critical Care Medicine). Les auteurs[15] rapportaient
des scores élevés de fatigue émotionnelle et de dépersonnalisation ainsi qu’une
diminution du sentiment de réussite professionnelle. Dans une récente enquête
réalisée chez les réanimateurs français (internes, chefs de clinique, assistants,
médecins permanents) un degré élevé d’EP fut identié chez 46,5 % des cas:
dépersonnalisation (37%) un degré élevé d’épuisement émotionnel (19 %),
diminution du sentiment d’accomplissement personnel (39%)[16]. L’enquête
n’a pas identié l’âge comme un facteur indépendant d’EP alors que parmi les
médecins travaillant pour l’amélioration de l’organisation des soins, les plus
âgés ont des degrés moindres d’EP[16]. Parmi les facteurs démographiques,
les femmes sont plus exposées. Dans l’enquête française effectuée dans des
services de réanimation adulte d’hôpitaux publics le sexe féminin était un risque
indépendant[16].
Aux Etats-Unis, dans un échantillon randomisé et stratié de 6000médecins
dans le soin primaire non chirurgical, le risque est de 60% supérieur chez les
femmes[17]. La charge de travail excessive est habituellement associée au syn-
drome d’EP. La charge de travail des réanimateurs est physiquement exigeante,
n’autorise que des temps de repos limités, et s’associe à un manque de sommeil.
Des signes objectifs de stress peuvent apparaître : cétonurie, arythmie, trouble
du rythme cardiaque. L’enquête française rapporte que la fréquence de gardes
sur place, un délai excessif depuis la dernière semaine de vacances, le fait d’avoir
été de garde la veille de l’enquête sont associés à un plus grand degré d’EP[16].
Une mauvaise organisation du travail augmente le stress et produit l’EP. Dans
l’enquête de Shanafelt et al. effectuée chez des résidents de médecine interne la
fréquence des gardes de 24h et un temps de repos insufsant et sont associés
à un degré élevé d’EP[18].
Par contre les caractéristiques des patients n’apparaissaient pas comme
des facteurs de risque indépendants ni dans l’étude américaine, ni dans l’étude
française. Comme il est montré sur le Tableau I, il a été rapporté que les conits
avec d’autres médecins réanimateurs ou des inrmières étaient associés à
un syndrome d’EP[16]. A l’opposé, avoir de bonnes relations était un facteur
protecteur[16]. Les relations entre inrmières et médecins ont été identiées
depuis 1981[19] comme des facteurs de stress chez les réanimateurs et les
inrmières. Dans une étude transversale chez les résidents d’orthopédie, la
dépersonnalisation était signicativement corrélée avec le stress des difcultés
relationnelles, que ce soit avec les autres médecins ou les inrmières. Étudiant
la relation entre le stress et l’EP chez les médecins britanniques, Mc Manus et
MAPAR 2012
140
al.[20] ont montqu’il existe un cercle vicieux : la fatigue émotionnelle augmente
le stress des médecins, et le stress augmente la fatigue émotionnelle.
Tableau I
Facteurs indépendants d’EP sévère chez les médecins
(d’après Embriaco, 2007)
EP
sévère
N = 455
Analyse
univa-
riée
OR
(95 / IC)
Analyse
multiva-
riée
Femmes % 31 0,02 1,58 (1,09-2,30) 0,02
Nombre de gardes de nuit par mois 50 ± 20 0,01 1,12 (1,02-1,23) 0,02
% de gardes de nuit la veille de
l’enquête
19 0,08 1,60 (1,06-2,44) 0,03
Jours écoulés depuis le dernier jour
de repos
42 (20-
90)
0,04 1,003 (1,001-
1,005)
0,02
% de conits avec une inrmière 18 0,001 1,70 (1,02-2,83) 0,04
% de conflits avec un collègue
réanimateur
21 0,001 2,73 (1,75-4,25) 0,001
Degré (1-10) donné aux relations
inrmières
86 ± 11 0,001 0,85 (0,77-0,93) 0,001
Degré (1-10) donné aux relations
inrmières/chefs
82 ± 16 0,001 0,77 (0,67-0,87) 0,001
3. EPUISEMENT PROFESSIONNEL DES INFIRMIÈRES DE RÉANI-
MATION
Dans une étude française longitudinale nous avons exploré 2497membres
inrmiers de réanimation travaillant dans cent soixante-cinq unités[21]. De cet
ensemble 2392membres inrmiers complétèrent le questionnaire du MBI. Parmi
les répondants le temps écoulé entre l’obtention du diplôme et le remplissage
du questionnaire était de quarante mois (tous ces chiffres sont des médianes)
et l’ancienneté dans l’unité de trente-six mois. Le temps de travail était de
seizejours par mois, dixheures par jour et trente-six heures par semaine. Le
nombre de patients par inrmière était de trois. Un syndrome re d’EP existait
dans un tiers des cas. Comme le Tableau II l’exprime, quatre caractéristiques
étaient associées de façon indépendante avec le syndrome. Ce sont des facteurs
favorisants si l’OR est supérieur à 1, ou au contraire protecteurs si l’OR est
inférieur à 1 :
Les caractéristiques personnelles du répondant comme l’âge.
Les facteurs émotionnels, tels que les jours de repos correspondant aux désirs
exprimés, ou la participation à un groupe de travail.
La qualité des relations dans le travail : ou des conits ou au contraire de
bonnes relations.
Les facteurs reliés à la question des ns de vie comme le soin à un patient
mourant, ou un nombre élevé de décisions d’arrêts thérapeutiques dans la
dernière semaine (Figure 2).
Qualité des soins et réanimation 141
Tableau II
Facteurs indépendants d’EP sévère chez les inrmières en réanimation
(d’après Poncet, 2007)
Odds
ratio
Intervalle de conance
à 95 %
P
Age (par année additionnelle) 0,97 0,96-0,99 0,0008
Capacité de gérer des jours repos en
fonction de ses désirs personnels
0,69 0,52-0,91 0,009
Participation à un groupe de recherche
en réanimation
0,73 0,56-0,97 0,03
Conits avec des patients 1,96 1,16-3,30 0,01
Degré (1-10) donné aux relations avec
l’inrmière en chef
0,92 0,86-0,98 0,02
Degré (1-10) donné aux relations avec
les médecins
0,81 0,74-0,87 0,0001
Soins d’un patient en n de vie 1,39 1,04-1,85 0,02
Nombre de décisions d’arrêts thérapeu-
thiques pendant la dernière semaine
1,14 1,01-1,29 0,04
Figure 2: Facteurs reliés aux soins de n de vie du MBI score chez les inrmières
(d’après Poncet, 2007)
Score de Maslasch
Ensemble Une décision 1 décès dans les
7 derniers jours +1 décès dans les
7 derniers jours
+ d'1 décision
-20
20
60
40
0
-60
-40
1 / 8 100%
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