Etude des propriétés piézoélectriques d’un matériau piézo-électret polymère pour micro-capteurs de vibrations mécaniques Achraf Kachroudi1,2,3, Skandar Basrour1,2, Libor Rufer1,2, Fathi Jomni3 1 Univ. Grenoble Alpes, TIMA Laboratory, F-38031 Grenoble, France. 2 CNRS, TIMA Laboratory, F-38031 Grenoble, France. 3 Université de Tunis El Manar, Faculté des Sciences de Tunis, Laboratoire Matériaux, organisation et propriétés (LMOP), 2092, Tunis, Tunisie. E-mail : [email protected] Résumé Depuis la découverte de la piézoélectricité à la fin du 19ème siècle, un intérêt croissant a été porté à leurs propriétés électromécaniques. Un grand nombre de matériaux, y compris des semi-conducteurs, des polymères et des céramiques sont à l’étude et certains d’entre eux ont été développés dans des dispositifs pour des applications en tant que capteurs ou actionneurs. Néanmoins, le problème majeur de ces matériaux piézoélectriques conventionnels est leur rigidité, ce qui réduit leur champ d’application. En effet, ces matériaux ne peuvent pas s’adapter à n’importe quelle forme ou surface d’où l’impossibilité de leur intégration dans le domaine de ‘wearable devices applications’. Dans cet article, un nouveau matériau piézoélectrique synthétique dit piézoélectret à base de polymère PDMS est proposé. Ce nouveau matériau ainsi élaboré est souple comparé aux matériaux piézoélectriques conventionnels. Le processus de fabrication à coût réduit est présenté après avoir décrit les étapes de simulations permettant de se fixer le jeu de paramètres géométriques afin d’optimiser la réponse piézoélectrique du matériau. Une étude de la piézoélectricité inverse et un test électromécanique des échantillons préparés sont également discutés. 1. Introduction Un piézo-électret est un matériau micro-structuré qui présente des propriétés analogues à celles des matériaux piézoélectriques conventionnels [1, 2]. L’épaisseur des piézo-électrets est généralement comprise entre quelques dizaines à quelques centaines de micromètres. L’air emprisonné dans les micro-cavités introduites dans la matrice hôte polymère est susceptible d’être ionisé suite à l’application d’un champ électrique élevé sur ces matériaux. L’ionisation de l’air génère des charges de signe opposé qui s’implantent au niveau des surfaces de séparation air/polymère. Ainsi, chaque micro-cavité s’apparente à un macro-dipôle. Ce dernier peut être déterminé à travers la quantité de charges implantées et la distance séparant les charges positives des charges négatives. Si le matériau piézo-électret subit un stress électrique ou mécanique, son volume décroît et une distribution de charges surfacique apparaît sur les surfaces des électrodes qui sont préalablement déposées sur le matériau [3, 4]. Ce comportement macroscopique du piézo-électret est similaire à ceux des matériaux piézoélectriques conventionnels, mais le mécanisme microscopique de la génération des charges est complètement différent de celui de ces derniers. Donc, pour un matériau piézo-électret, les micro-cavités qu’il contient permet non seulement de réduire sa masse globale et sa rigidité mais aussi de générer des dipôles macroscopiques. En raison des effets combinés du moment dipolaire interne et de la structure du polymère cellulaire anisotrope, le changement important se produit dans l’espace des micro-cavités. Par conséquent, en subissant un stress, la distance entre les charges positives et négatives diminue, le moment dipolaire diminue et une distribution de charges apparaît sur les électrodes, ce qui présente un effet piézoélectrique important pour ce type de matériau. Cela explique l’utilisation étroite des piézoélectrets comme des matériaux fonctionnels dans les capteurs, les actionneurs ou encore comme des couches chargées dans les transducteurs électrostatiques. Les propriétés piézoélectriques de ces méta-matériaux ont été étudiées théoriquement. Néanmoins, les piézo-électrets sont généralement fabriqués par une injection de gaz dans des polymères afin de créer les micro-cavités de manière aléatoire suivie d’une extrusion longitudinale [3]. Ce processus de fabrication ne permet ni de bien contrôler la géométrie des micro-structures, ni de prévoir à travers les modèles théoriques les propriétés piézoélectriques des structures obtenues. Dans ce papier, une technique à faible coût se basant sur le moulage pour la microfabrication suite à une étude théorique pour optimiser la réponse piézoélectrique est utilisée. Une distribution régulière des micro-cavités dans le polymère pour pouvoir contrôler ses propriétés à travers une cellule élémentaire contenant une seule micro-cavité est choisie. Ces méta-matériaux sont également étudiés via la piézoélectricité inverse et directe. (Figure 1.a et 1.b). Ces paramètres permettent à leur tour d’optimiser la FOM (Figure 1.c). (a) 2. Modèle et simulations La réponse piézoélectrique de ces méta-matériaux a été traitée théoriquement à travers un modèle simplifié basé sur une alternance de couches massives et de couches micro-structurées de polymère. Une configuration d’une couche micro-structurée contenant des micro-cavités cylindriques avec un pas régulier placée entre deux couches massives de polydimethylsiloxane (PDMS) a été choisie lors de cette étude. En supposant que la densité de charges est uniforme au niveau des surfaces internes des microcavités, la variation de la distribution surfacique de charges sur les électrodes peut être déterminée à travers la moyenne des déformations subies suite à la force extérieure appliquée aux matériaux piézo-électrets. Le coefficient piézoélectrique longitudinal d33 peut être calculé par l’équation (1). 2ε t (1− sr )2 σ d33 = 1 r (1) sr (2 + ε1tr )2 c33 Où ε1 est la permittivité relative du PDMS, σ est la densité de charges au niveau des surfaces intérieures des micro-cavités, sr est le rapport de la surface effective de la couche miro-structurée par la surface effective des couches massives, tr est le rapport des épaisseurs des couches micro-structurées par les couches massives et c33 est le module élastique en épaisseur des méta-matériaux. Néanmoins, pour optimiser la réponse piézoélectrique de ces structures, il faut optimiser la figure de mérite (FOM) de l’équation (2) . d2 FOM = 33 (2) ε 0ε33 Où ε0 est la permittivité du vide et ε33 est la permittivité relative du matériau en épaisseur. En tenant compte de l’équation (2), optimiser la figure de mérite revient donc à minimiser la partie réelle et imaginaire de la permittivité relative ε33 si elle est considérée comme une grandeur complexe. Cela peut être réaliser à travers les paramètres géométriques précédemment cités sr et tr. En se basant sur un modèle théorique qui a montré sa fiabilité dans nos travaux antérieurs qui a montré sa fiabilité pour ce type de structures [5], les paramètres géométriques minimisant la partie réelle ε33’ et imaginaire ε33’’ de la permittivité relative ε33 peuvent être fixés (b) (c) Figure 1. Simulations de la partie réelle de la permittivité ε33’ (a), la partie imaginaire de la permittivité ε33’’ (b) et de la FOM (c). Les paramètres optimisant la réponse piézoélectrique issus de la simulation étant sr=0,65 et tr=0,75. 3. Micro-fabrication des structures Le polymère électro-actif (PDMS) utilisé dans cette étude était préparé en utilisant le kit du Sylgard 184 d’élastomère silicone de Dow Corning. Le kit se compose de deux éléments: un pré-polymère (polymère à terminaison dimethylvinyle à base de silicone) et l’agent réticulant. Ces deux éléments ont été mélangés dans les proportions 1:10 recommandées par les fournisseurs et utilisées par d’autres auteurs [6]. Le mélange de PDMS est dégazé dans un dessiccateur sous vide. Pour développer des matériaux PDMS micro-structurés, une méthode à faible coût est choisie qui permet de contrôler les dimensions des micro-cavités. Ce processus est effectué en trois étapes: tout d’abord, la préparation des moules pour les couches micro-structurées qui sont réalisés en utilisant un film photosensible (Riston®MM540, Dupont) collé à un substrat et un photomasque, l’ensemble est placé dans la machine UV (Krub, Kloé) pour la photolithographie. Le film photosensible a été développé en utilisant une solution de carbonate de sodium (Na2CO3). Les moules obtenus sont constitués de plots cylindriques de hauteur de 40µm, un diamètre de 100µm avec un pas régulier de 150µm. Les couches micro-structurées sont obtenues par la tournette du PDMS sur les moules obtenus. Des couches massives de 55µm d’épaisseur sont obtenues par le même procédé. Les différentes couches ont subies un recuit à 80°C pendant 24 heures. Le matériau final est sous la forme d’un sandwich composé de trois couches: deux couches massives de 55µm d’épaisseur séparées par une couche micro-structurée de 40µm d’épaisseur. Les trois couches sont collées par un traitement plasma d’oxygène. Les structures finales ont une surface de 2cm×2cm et une épaisseur de 150µm. Les échantillons sont munis d’électrodes en or déposées par PVD (Figure2). Figure 4. Le principe de chargement électrique. 5. Spectroscopie diélectrique Le procédé de spectroscopie de résonance diélectrique repose sur la piézoélectricité inverse des piézo-électrets. En effet, les structures se déforment lors de l’application d’une tension et vibrent périodiquement si elles sont soumises à une tension alternative. Si la fréquence de cette dernière coïncide avec un mode de vibration mécanique de la structure, une résonance sera détectée. Les propriétés diélectriques des échantillons sont étudiées avec l’analyseur d’impédance (Novocontrol, BDS20). Les échantillons sont placés dans une enceinte à vide afin d’éviter les effets parasites et les interférences durant les mesures qui sont faites sous gaz inerte (azote). Les échantillons sont soumis à une tension alternative de 1Vrms dans la gamme de fréquence de 100Hz à 1MHz. Les matériaux sont mis en contact avec deux pointes de mesure pouvant vibrer librement en fonction de la tension sinusoïdale appliquée. La figure 5 représente les pertes diélectriques C’’ du matériau chargé en fonction de la fréquence. -13 Après la fabrication, les échantillons sont polarisés par contact direct avec une tension triangulaire quasistatique avec des amplitudes entre 1kV et 4kV et de fréquence 0.5Hz pendant 15 minutes. Ces amplitudes sont fixées par la loi de Paschen (Figure 3) donnant le minimum de tension à appliquer pour chaque gap d’air pour l’ioniser et générer les macro-dipôles (Figure 4). Le chargement électrique est réalisé à température ambiante et à pression atmosphérique. Simulation analytique 4. Chargement électrique Partie imaginaire de la capacité C''(F) 10 Figure 2. Une illustration schématique en coupe (a) et une image (b) du matériau final. 2 3 10 10 4 10 Fréquence (Hz) 5 10 6 10 Figure 5. Simulation analytique de la réponse diélectrique du piézo-électret en fonction de la fréquence à partir de la partie imaginaire de la capacité C’’. La courbe relative à C’’ présente un pic de résonance. Ce pic peut être simulé analytiquement par le mode d’extension en épaisseur en fonction de la fréquence par la méthode des moindres carrés par la partie imaginaire de l’équation (3) [7, 8]. C* ( f ) = Figure 3. Simulation de la tension minimale de l’ionisation de l’air en fonction de la hauteur des cavités. * ε 0ε33 A h 1 − iCloss * *2 tan(π f / 2 fr ) 1− k33 (π f / 2 fr* ) (3) Où fr* est la fréquence d’anti-résonance qui est donnée par l’équation (4). fr* = * 1 c33 2h ρ (4) géométriques des structures optimisant la réponse piézoélectrique. Le coefficient de couplage électromécanique k33* est exprimé par l’équation (5). * * k33 = d33 * c33 * ε 0ε33 (5) Où A et h sont respectivement la surface des électrodes et l’épaisseur de l’échantillon. ρ est la masse volumique des structures. Closs sont les pertes figurant dans le matériau autre que celles de la résonance. La simulation de la courbe a fourni un module de Young de 300kPa pour le matériau. Cela prouve bien que ce dernier est très souple par rapport à d’autres candidats dans le même domaine d’applications comme le PVDF et le polypropylène (PP) cellulaire. Le PDMS piézo-électret présente un coefficient de couplage électromécanique de 5,5% qui est comparable à celui du PP cellulaire. 6. Etude électromécanique Pour mesurer le coefficient piézoélectrique longitudinal d33 dynamique, le piézo-électret est placé avec une masse par dessus et il est accéléré d’une façon sinusoïdale par un pot vibrant (Data Physics V20). Dans ce cas, l’échantillon subit l’action de deux forces: une force statique mg et une force dynamique ma où a est l’accélération du pot vibrant. Cette accélération est contrôlée par un accéléromètre (Piezotronics 352C33) qui permet de déterminer la force dynamique F=ma. La charge Q générée par le film piézo-électret est mesurée par un amplificateur de charge (B&K 2634), ainsi le coefficient piézoélectrique dynamique est déterminé par l’équation (6) [9]. Q d33 = (6) F Le montage utilisé pour la mesure dynamique du coefficient piézoélectrique d33 est représenté par la Figure 6. Amplificateur Data physics PC NI DAQ 6361 Amplificateur de charge B&K 2634 Accéléromètre Masse PDMS piézo-électret Pot vibrant Data Physics V20 Figure 6. Le montage de la mesure dynamique du coefficient piézoélectrique d33. La figure 7 représente la variation du coefficient piézoélectrique en fonction de la fréquence d’excitation. Le piézo-électret possède un d33 de 34pC/N qui dépasse celui obtenu avec le PVDF en tant que matériau polymère intrinsèquement piézoélectrique qui est de 20pC/N. Cela est issu des simulations qui ont été réalisées à travers les modèles analytiques permettant de se fixer les paramètres Figure 7. Variation de d33 en fonction de la fréquence. 7. Conclusion Un matériau piézo-électret en PDMS pour des applications en tant que matériau souple avec un module de Young de 300kPa a été fabriqué. Suite à des simulations analytiques fixant un jeu de paramètres géométriques des structures en question et optimisant sa FOM, une étude électromécanique a montré un coefficient piézoélectrique de 34pC/N qui dépasse celui obtenu pour le PVDF. Des travaux futurs visent à améliorer ce coefficient piézoélectrique tout en gardant les mêmes les dimensions. Références [1] S. Bauer, S. Bauer-Gogonea, F. Camacho-Gonzales, M. Dansachmuller, I. Graz, M. Kaltenbrunner, J. G. Leonhartsberger, and R. 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