A Libreville, l'enquête de terrain a été principalement réalisée auprès de dix
groupes de rap. De façon à limiter l'influence exercée sur les choix
linguistiques par les stratégies commerciales des auteurs ou de leurs
producteurs, elle a porté sur des groupes qui bénéficiaient tout au plus d’une
audience nationale. De ce fait, la majorité des 81 chansons recueillies auprès
des dix groupes n’avaient pas donné lieu à la production d’un album
commercialisé, ni n'avaient été enregistrées par l’organisme de la protection
des droits d’auteurs. Les rappeurs solo ou les membres des groupes ayant
participé à cette recherche sont essentiellement des garçons (parmi les 42
rappeurs des ces groupes, trois sont des filles dont deux solos). Au moment du
recueil des données, en 1999, ils étaient âgés de 17 à 28 ans et sont entrés dans
le mouvement rap entre 12 et 21 ans. Ils avaient été ou étaient alors scolarisés
dans le secondaire et, pour quelques uns d'entre-eux, dans le supérieur. Ils
résident à Libreville et, pour la plupart, y sont nés.
Les langues parlées par les rappeurs
Dans leurs chansons, ils emploient, en dehors du français, quatre langues
gabonaises - pour faciliter la présentation, je n'incluerai dans cette catégorie ni
le français ni les langues de migration, bien qu'elles puissent être parfois
considérées par leurs locuteurs comme telles - sur la quarantaine présentes à
Libreville, à savoir le fang, le téké, le punu et le nzébi. Dans le cadre de leur
communication quotidienne, ils parlent généralement une à deux langues, le
français seul ou le français et une langue gabonaise, ou encore le français et
une langue de migration. Les langues parlées par cette population connaissent
des variations liées à l'appartenance sociale des locuteurs, à leur origine
géographique, au registre de langue qu'ils emploient ou encore aux
changements linguistiques qui se produisent avec le temps. Ces variations sont
particulièrement notables concernant le français (cf. Ploog, 2001). Cette
langue, qui se présente donc sous des formes plus ou moins standard, est
soumise à deux types de d'influences: celle exercée par la norme du français
de France ("norme exogène"), celle exercée par des normes produites
localement ("normes endogènes"), du fait du contact de langues et de
l'adaptation du français aux réalités socio-culturelles gabonaises. L'influence
des normes endogènes donne lieu à des formes de français particulières,
constituant le français dit "de Libreville" et relevant essentiellement du niveau
lexical. Les unités lexicales de ce français correspondent à diverses
transformations sémantiques et/ou formelles des unités du français, à des
emprunts à différentes langues (anglais, langues africaines, parfois espagnol) -
emprunts pouvant eux-mêmes avoir subi des transformations - ou à des
néologismes. Elles sont importées de France ou produites localement. Ce