Vers une historicisation des critères de l’ « art pur » : l’esthétique de l’avant-garde actuelle du rap en France Si, en France, nous tenons compte du nombre croissant de productions scientifiques ou de séminaires à son sujet, et bien qu’il n’ait pas encore égalé le Jazz ou, plus récemment le Rock, le Rap peut être considéré comme un genre musical en voie de légitimation dans l’hexagone. De plus, comme dans la plupart des genres, celui-ci a vu naître, au début des années 2000, un rap d'avant-garde dont Casey, Rocé ou encore le groupe La Rumeur sont trois des représentants les plus actifs. Cependant, alors que l’une des caractéristiques des productions artistiques « pures » est, nous dit Bourdieu, de privilégier la forme stylistique sur le contenu, l’ « objet de la représentation » sur le « sujet de la représentation », érigeant ainsi la neutralité éthique et morale en condition nécessaire de l’accès au statut d’œuvre artistique, nous tenterons de démontrer que le rap d’avant-garde actuel en France est une forme artistique dont l’une des spécificités est la sublimation de la forme au service du contenu ; la sublimation du style au service du message véhiculé. Ainsi, bien loin que la forme dilue les sujets traités et ne communiquent aucun message social, celle-ci les met bien au contraire en valeur, et en redouble même la puissance. Pour argumenter ce propos, nous effectuerons une analyse stylistique d’une série de morceaux musicaux de ces groupes. En se limitant à des morceaux que l’on peut classer au sein des thématiques de la défense d’une position artistique et politique, nous souhaiterions souligner ce renversement des critères de la « forme pure » qu’entreprennent ces artistes pour tenter d’imposer une nouvelle position au sein du champ de production artistique. Comme Bourdieu le suggère lui-même, les caractéristiques qui fondent l’ « art pur » qu’il mobilise sont issues du contexte social et culturel dans lequel a émergé le champ de production artistique au milieu du XIXe siècle. L’exigence de neutralité éthique et morale dont les défenseurs de l’art pour l’art se faisaient les garants était largement dépendante du contexte politique et social qui succédait à l’instauration du seconde Empire. Désabusés des conséquences politiques et sociales de la Révolution ratée de 1848, les membres de la seconde bohème mirent un point d’honneur à sublimer la forme au détriment du contenu. Or, le contexte actuel est tout autre et se répercute sur les productions artistiques des tenants de l’avant-garde actuelle du rap français. Il s’agira donc d’historiciser les caractéristiques qui fondent « l’art pur » pour ces artistes. De manière plus générale, à travers cette historicisation du concept d’ « art pur » circonscrit à un sous-champ spécifique et à un moment donné du temps, cette contribution se propose de souligner la nécessité toujours renouvelée d’historiciser les concepts afin qu’ils conservent leur dimension de portée générale tout en permettant d’aborder des contextes sociaux plus circonscrits.