4 Le cœur à chœur - Printemps 2011
C‘est en consultant un psy,
après la séparation, que j’ai
appris que mon ex-mari souf-
frait du trouble de personnali-
té narcissique. Renversée par
cette découverte tardive, je
veux témoigner pour que
d’autres femmes, qui se trou-
vent peut-être dans la même
situation sans le savoir, puis-
sent agir plus vite que moi.
J
’ai beau avoir 52 ans,
être une profession-
nelle scolarisée et infor-
mée, jamais je n’aurais pu
soupçonner que mon ex-mari
était atteint d’un trouble de
personnalité narcissique.
Avant que le psychologue
que j’ai consulté lors de notre
rupture m’en parle, je croyais
qu’une personne narcissique
était quelqu’un qui passait
son temps à se contempler.
Car Narcisse, ce héros mytho-
logique épris de sa propre
image, ne s’était-il pas donné
la mort faute de pouvoir saisir
son reflet dans l’eau? Or mon
ex, que je nommerai Narcis-
sio, ne passait évidemment
pas ses journées devant le
miroir et n’attachait pas non plus d’importance à ses
vêtements. Narcissique, lui?
Chose certaine, il était très fier de sa haute stature et
de sa vaste culture. Et il avait toujours besoin de se
mettre en évidence, un comportement que j’attri-
buais à de l’insécurité. En fait, je croyais qu’il avait un
problème d’estime de soi. J’imputais son manque
d’assurance et sa fragilité à son tempérament artis-
tique—il fait de la musique, de la photo, et il écrit.
Bref, à l’époque, je ne savais pas du tout ce qu’était
un individu narcissique… Mais quand mon psy s’est
mis à me décrire les comportements de mon ex, je
suis tombée des nues! Je reconnaissais Narcissio:
c’était son portrait tout craché!
Dès le début de notre vie commune, un indicent au-
rait pu m’alerter. Nous étions allés jouer aux quilles et,
à chacun de ses abats, Narcissio regardait autour de
nous pour voir si les gens avaient
remarqué ses bons coups.
C’était tellement agaçant qu’un
quilleur qui en avait assez d’être
dévisagé lui a fait un doigt
d’honneur. J’avoue que ça m’a
troublée. Mais j’ai aussitôt pensé
qu’il avait besoin de reconnais-
sance parce qu’il manquait de
confiance en lui, peut-être une
conséquence de son divorce
récent. Il vivait alors séparé de
ses jeunes enfants. La pension
alimentaire qu’il versait à leur
mère, et qui grugeait son salaire,
le frustrait et l’insécurisait. Je me
disais que tout cela devait le mi-
ner.
Au boulot, Narcissio se faisait un
devoir de remettre des rapports
impeccables bien avant
l’échéance prévue pour montrer
qu’il était un employé exception-
nel. Il se créait ainsi une pression
qui le stressait et le rendait diffi-
cile à vivre. La moindre contra-
riété le mettait hors de lui. Un
enfant toussait? Il menaçait de
prendre une chambre à l’hôtel.
Le photocopieur du bureau ne
fonctionnait pas? Il sortait de ses
gonds! Le café n’était pas assez
chaud? Sa performance au golf n’avait pas été
digne de mention? Ses collègues ne l’appréciaient
pas a sa juste valeur? Le voilà qui explosait, lançait
des objets, pestait contre la vie, blâmait son ancienne
femme et ses compagnons de travail qui, selon lui,
étaient tous des imbéciles…
Peut-être parce que ça ne lui procurait aucune
gloire, Narcissio ne participait à aucune tâche ména-
gère. À cette époque-là, nous avions quatre enfants
à la maison: ses trois fils, dont il avait obtenu la garde,
et la fille que nous avons eue ensemble. On peut cer-
tainement dire que j’étais une maman occupée: je
travaillais à temps plein, j’oeuvrais aussi comme bé-
névole dans diverses associations et, pendant un cer-
tain temps, je suivais des cours à l’université. Or,
chaque fois que je lui demandais un coup de main, il
me répondait de me débrouiller. Comme c’était moi
qui avais voulu une maison—plus confortable qu’un