D’abord, un cocorico : parmi
les 5 000 communications
présentées au congrès
annuel de l’Association américaine
d’oncologie clinique (American
Society of Clinical Oncology ; ASCO),
qui s’est tenu à Chicago (Illinois) du
30 mai au 3 juin, près de 10 % ont
au moins un auteur français. Un
score en nette hausse par rapport
à 2013, et qui place la France au
premier rang des pays européens
présents, se réjouit l’Institut natio-
nal du cancer (INCa).
Ensuite, une bouffée d’oxygène
pour les chercheurs et surtout pour
les patients. De nombreuses études
présentées à cette 50e édition de
l’ASCO confirment que l’immu-
nothérapie est bien une nouvelle
arme thérapeutique contre les
cancers. Cette approche permet
même, dans certains cas, d’avoir
des espoirs de guérison pour des
tumeurs métastatiques, notam-
ment les mélanomes.
Alors que les traitements anti-
cancéreux classiques cherchent à
détruire les cellules malignes, l’im-
munothérapie consiste à mobiliser
nos propres cellules de défense
pour faire ce travail. Les cellules
cancéreuses ont en effet acquis
la fâcheuse capacité d’échapper
au contrôle des lymphocytes T,
chargés d’éliminer les éléments
étrangers de notre organisme.
L’idée de l’immunothérapie date de
plus d’un siècle, mais les multiples
tentatives (vaccins, médicaments,
tels l’interféron) se sont longtemps
révélées décevantes. Aujourd’hui,
les succès se multiplient avec
des stratégies plus modernes :
anticorps d’action ciblée, nou-
veaux vaccins et même thérapies
cellulaires.
La donne a commencé à changer
en 2010 avec un anticorps mono-
clonal, l’ipilimumab, qui, pour la
première fois, a permis de prolon-
ger la survie de patients atteints
de mélanomes métastatiques,
des tumeurs quasi insensibles
à la chimiothérapie. Le taux de
réponse obtenu (une activité chez
environ un malade sur cinq) pou-
vait sembler modeste et la toxi-
cité importante (réactions auto-
immunes notamment digestives,
sévères, voire mortelles), mais les
résultats étaient inédits. Certains
de ces patients sont d’ailleurs tou-
jours en rémission complète avec,
jusqu’à dix ans de recul, même si
leurs médecins sont réticents à
prononcer le mot de « guérison ».
Désormais commercialisé sous
le nom de Yervoy (laboratoires
Bristol-Myers-Squibb) pour
le traitement des mélanomes
métastatiques, l’ipilimumab agit
en bloquant un récepteur des
lymphocytes T appelé « CTLA-
4 », récepteur qui joue un rôle de
frein du système immunitaire. En
neutralisant ce frein, l’ipilimumab
libère en quelque sorte les défenses
de l’organisme contre la tumeur.
Pour savoir s’il serait utile de le
prescrire à un stade moins avancé
de la maladie, l’équipe du profes-
seur Alexander Eggermont (Insti-
tut Gustave-Roussy ; IGR) a mené
une étude chez 951 patients ayant
un mélanome sans métastases,
mais à haut risque de rechute. Les
résultats, présentés lundi 2 juin,
confirment que cette immunothé-
rapie réduit le risque de récidive
d’environ 25 % avec trois ans de
recul. Mais le traitement a été mal
toléré : plus d’un malade sur deux
l’a interrompu en raison d’effets
indésirables, et cinq sont décédés.
D’autres anticorps monoclonaux,
semble-t-il bien moins toxiques
que l’ipilimumab et efficaces chez
une proportion plus importante
de patients, font l’objet d’essais
dans de multiples indications.
Il en va ainsi des anticorps anti
PD-1 (pour programmed death
ou « mort programmée ») et anti
PDL-1, que développent plusieurs
laboratoires. « Agir au niveau des
récepteurs CTLA-4, c’est comme
activer de jeunes soldats qui vont
courir partout, mais de façon un
peu désordonnée, alors que viser
les récepteurs PD-1 permet de réveil-
ler les lymphocytes plus spécifi-
quement sur le site de la tumeur,
explique le docteur Caroline Robert
(IGR), qui a participé à plusieurs
essais sur les mélanomes. Les anti
PD-1 agissent plus rapidement, et
de façon plus ciblée que l’ipilimu-
mab, ce qui explique leur meilleure
tolérance. »
Ainsi, le nivolumab (anti PD-1 du
laboratoire BMS) obtient, seul ou
en association avec l’ipilimumab,
des résultats encourageants dans
les mélanomes, mais aussi dans
d’autres cancers en phase avancée,
notamment du rein et du poumon.
Un autre anti-PD1 (MK 3475 ou
pembrolizumab, Merck) s’est, lui,
montré très efficace lors d’ un essai
chez plus de 400 patients atteints
de mélanomes métastatiques, dont
la moitié n’avait pas eu d’amé-
lioration avec l’ipilimumab. Une
régression tumorale a été obtenue
chez un malade sur trois, avec
un effet durable dans le temps et
« seulement » 12 % d’effets indési-
rables graves.
Plusieurs de ces molécules devraient
rapidement obtenir une autorisa-
tion de mise sur le marché, mais
beaucoup de questions restent en
suspens. Pour l’heure, il n’existe
pas de biomarqueur idéal pour pré-
dire leur efficacité chez un malade
donné. Reste aussi à déterminer
les meilleures combinaisons thé-
rapeutiques, la durée optimale du
traitement. Sans compter les enjeux
économiques : l’imilimumab coûte
environ 80 000 euros pour quatre
injections.
L’immunothérapie anticancer peut
aussi faire appel à diverses ap-
proches de thérapie cellulaire, réali-
sées à façon. Une équipe américaine
a ainsi présenté à l’ASCO une straté-
gie originale pour traiter des cancers
du col utérin métastasés, consécutifs
à une infection à papillomavirus
(HPV). Pour chacune des neuf pa-
tientes, les chercheurs ont prélevé
un échantillon tumoral, isolé des
lymphocytes T qu’ils ont fait proli-
férer en présence d’antigène d’HPV
avant de les réinjecter. Une rémis-
sion complète a été obtenue chez
deux femmes (avec un recul de onze
et dix-huit mois), et une réponse
partielle chez une troisième, au prix
d’effets secondaires parfois sévères.
L’étude doit se poursuivre avec de
nouveaux patients, atteints d’un
cancer du col utérin ou d’autres tu-
meurs liées à une infection par HPV,
au niveau de la gorge ou de l’anus.
Sandrine Cabut
Le Monde daté du 04.06.2014
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LES ARTICLES DU
Le maintien de l’intégrité de l’organisme : quelques aspects de la réaction immunitaire
Cancers : cap sur l’immunothérapie
Le congrès de l’Association américaine d’oncologie clinique à Chicago a permis de
mesurer les progrès récents d’une stratégie thérapeutique imaginée il y a plus d’un
siècle : mobiliser nos cellules immunitaires pour combattre la maladie.
POURQUOI CET ARTICLE ?
Plusieurs stratégies thérapeu-
tiques existent pour lutter
contre les cancers : la chirurgie,
qui consiste à éliminer phy-
siquement les tumeurs et les
métastases ; la chimiothérapie,
qui tue les cellules cancéreuses
avec des molécules cytotoxiques ;
la radiothérapie, qui détruit les
cellules cancéreuses en les expo-
sant à des radiations, et, enfin,
l’immunothérapie.
L’immunothérapie vise à utiliser
le système immunitaire du pa-
tient pour qu’il élimine lui-même
les cellules tumorales.
Le concept de l’immunothérapie
est ancien mais n’a pas encore
totalement prouvé son efficacité
thérapeutique. Actuellement, cer-
tains traitements intéressants
sont à l’essai. Cet article détaille
les différentes stratégies en
cours d’étude en immunothé-
rapie : certaines d'entre elles
semblent particulièrement pro-
metteuses. La progression des
connaissances des mécanismes
cancéreux d’une part, et des méca-
nismes immunitaires d’autre part
devrait permettre d’améliorer
l’approche immunothérapique
du traitement des cancers.
rue des écoles & Le Monde, 2016. Reproduction, diffusion et communication strictement interdites.