Dyslexie au Maroc : nécessité d`institutionnaliser ce trouble cognitif

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Dyslexie au Maroc : Constat et interrogations
légitimes
BADDA Benaissa1, 2
1
Laboratoire de Neurosciences et de Nutrition, U.F.R. de Biologie Humaine et Santé des
Populations, Département de Biologie, Faculté des sciences, B.P. 133, 14000 Kenitra, Maroc.
2
Centre de Recherches en Psychologie Cognition Communication (EA 1285), Laboratoire de
Psychologie du Développement et de l’Éducation, Université Rennes 2, place Henri Le Moal,
35043 Rennes Cedex.
E-Mail: [email protected]
Selon Gombert (2004), la dyslexie développementale est un trouble
spécifique de l’installation des mécanismes de traitement des mots écrits qui
perturbe gravement l’apprentissage de la lecture. Au Maroc, le
département de l’enseignement scolaire ne reconnaît pas l’existence de ce
trouble cognitif. Pourtant, certains travaux ont pu dépister, au niveau
scolaire marocain, des enfants dyslexiques en langue arabe et en français
langue seconde (Badda, 2008). Faut-il institutionnaliser ce désordre cognitif
de la lecture et permettre aux enfants dyslexiques marocains une meilleure
prise en charge pédagogique?
La lecture est une activité cognitive complexe de premier ordre (Gombert, 1990). C’est une
habileté mentale qui résulte de plusieurs composantes distinctes, toutefois complémentaires,
mettant en jeu aussi bien des habiletés spécifiques au domaine particulier du traitement de
l’information écrite que des compétences cognitives beaucoup plus générales qui ne sont pas
spécifiques à l’acquisition de la lecture (Fodor, 1983). Selon Demont & Gombert (2004),
l’apprentissage de la lecture reste l’apprentissage le plus important des premières années de
scolarité. En outre, la lecture reste l’une des objectifs prioritaires de l’école primaire (Badda
& al, .2007). L’importance de cette activité aux plans scolaire, social et professionnel est bien
établie. En effet, selon Smith (1971), pour qu’un individu soit fonctionnel en société et à
l’école, il doit savoir lire. Il convient de noter qu’une difficulté en apprentissage de lecture est
à l’origine de répercussions importantes dans les autres matières scolaires (Demont &
Gombert, 2004). Ainsi, on peut supposer que des difficultés rencontrées au cours de
l’apprentissage de la lecture peuvent, pour beaucoup d’enfants, être à l’origine de l’échec et
voire même à l’abandon scolaire. Kail & Fayol (2000), font remarquer que ces échecs peuvent
avoir des causes multiples et sont souvent le résultat de difficultés sociales ou de déficits
intellectuels. Toutefois, un nombre important d’enfants sont incapables d’effectuer un
apprentissage de la lecture en dépit de conditions favorables (Braibant, 1994 ; Casalis, 1995 ;
Gombert & al., 2000 ; Kail & Fayol, 2000).
Selon Valdois (2000), 20 à 25% des enfants scolarisés n’atteignent pas un niveau de lecture
leur permettant de bien comprendre les textes et de les utiliser pour d’autres apprentissages.
Un petit nombre de ces lecteurs souffrent d’un trouble spécifique les empêchant d’acquérir
certains mécanismes de base indispensables à la lecture (Bisaillon, 2004). Ces sujets qui
représenteraient entre 3 et 6%, selon les études, sont qualifiés de dyslexiques (Ruter & al.,
1976 ; Lewis & al., 1994).
Le problème majeur des enfants dyslexiques est un déficit des capacités métaphonologiques
qui entraîne des difficultés majeures en lecture (Badda & al, 2010). En effet, les enfants
dyslexiques souffrent d’un déficit du système de représentation mentale et de traitement
cognitif de sons de la parole, ce qui nuit à l’apprentissage des correspondances
graphèmes/phonèmes et à leur manipulation au cours de la lecture (Ramus, 2002 ; Snowling,
2000 ; Sprenger-Charolles & Colé, 2003). Ainsi, les sujets dyslexiques, en dépit d’une
intelligence et d’une compréhension orale normales, sont confrontés à l’échec en raison de
leurs importantes difficultés à reconnaître les mots écrits. Il est important de souligner que le
dépistage en milieu scolaire se dégage comme une nécessité indispensable pour le
développement et la santé de l’enfant (Ahami, 2002 ; 2005 ; Ahami & al, 2006 ; Badda & al,
2008).
Par ailleurs, une revue de littérature concernant les traitements et méthodes de rééducation
de la dyslexie nous a permis de constater qu’il existe plusieurs méthodes de rééducation et
d’entraînement, dont une partie découlent directement des différentes théories de la dyslexie.
Toutefois, selon Ramus (2002 ; 2003), un très grand nombre de traitements et méthodes
préconisés pour la dyslexie n’ont fait l’objet d’aucune étude scientifique, ni d’un point de vue
théorique, ni du point de vue de l’évaluation de l’efficacité du traitement. Par conséquent, tous
ces traitements non évalués sont à considérer avec la plus grande prudence (Ramus, 2003).
En tenant compte de l’état actuel des connaissances scientifiques, il semble que la stratégie
de remédiation la plus adaptée en règle générale, reste celle basée sur l’entraînement de la
conscience phonologique et sur un enseignement adapté de la lecture. Néanmoins, comme le
souligne Ramus (2005), compte tenu de la comorbidité entre la dyslexie et d’autres troubles
développementaux, lorsque le profil neuropsychologique de l’enfant l’exige, d’autres
traitements peuvent s’avérer utiles.
En outre, un entraînement phonologique est pertinent sur le plan de l’intervention
pédagogique pour faciliter l’apprentissage ultérieur mais également sur le plan curatif
(Stanké, 2000). La rééducation d’enfants marocains arabophones dont le profil évoque une
dyslexie en langue maternelle, via le logiciel « Itinéraire Combinatoire » a permis d'améliorer
significativement leurs performances dans les différentes épreuves de lecture à voix haute en
arabe et, également, dans les différents tests permettant d'estimer le niveau de conscience
phonémique de ces sujets, dans les deux répertoires arabe et français (Badda & al, 2010).
Selon le rapport élaboré par le conseil supérieur de l’enseignement sur l’état et les
perspectives du système de l’éducation et de formation au titre de l’année 2008 (PNEA,
2008), il semble qu’il existe à l’enseignement primaire marocain, un nombre considérable
d’élèves marocains présentant des difficultés importantes d’apprentissage de lecture en arabe
langue maternelle et en français langue seconde. Parmi des élèves dont les difficultés
s’expliquent par un contexte socioéconomique défavorable, il est possible, à l’intérieur de
cette population, de distinguer un autre groupe d’enfants dont les difficultés seraient
spécifiques à l’identification des mots écrits (Badda, 2008).
Le pourcentage trop faible de la population d’enfants marocains présentant des troubles
dyslexiques par rapport aux enfants normaux lecteurs, n’a pas attiré l’attention des
responsables du département de l’enseignement scolaire pour trouver des solutions à leurs
devenirs. Pourtant, ils existent bien (Badda, 2008), et méritent que nous nous intéressions à
leurs problèmes.
Par ailleurs, au niveau national, nos connaissances concernant ce trouble développemental et
sa prévalence dans le milieu scolaire sont très limitées. Seulement, quelques travaux de
recherches montrent l’existence d’enfants marocains dont le profil évoque une dyslexie en
arabe et en français (Badda, 2008). Toutefois, il faudrait saluer les efforts déployés par
certaines associations marocaines de parents d’enfants dyslexiques.
Au Maroc, le département chargé de l’enseignement scolaire pourrait prévoir des mesures
appropriées à cette catégorie d’enfants dont le profil évoque une dyslexie. Il s’agit d’abord de
reconnaître l’existence de ce trouble cognitif. L’étape suivante consiste à mettre à la
disposition des praticiens (enseignants, formateurs, inspecteurs…) les données scientifiques
actuelles, ainsi que les expériences de certains pays concernant le repérage, le dépistage et les
protocoles de remédiation. L’enseignant marocain pourrait aider l’enfant dyslexique en
l’incitant à développer des stratégies compensatoires et en adaptant son approche
pédagogique. Plusieurs travaux de la littérature abordent les effets positifs des aménagements
pédagogiques qui permettent à l’enfant présentant un trouble spécifique dans un domaine,
d’acquérir les connaissances requises à son niveau de classe dans les autres matières
(INSERM, 2007). Les connaissances relatives à la nature des troubles spécifiques des
apprentissages et à leurs manifestations, en particulier les troubles dyslexiques pourraient
faire partie d’une véritable formation initiale des enseignants de même que l’intégration de
nouvelles connaissances aux pratiques pédagogiques.
La dyslexie est un problème qui interpelle tous les intervenants dans les domaines de
l’éducation et la santé. Les sujets qui présentent des troubles d’apprentissage de la lecture
nécessitent qu’on mette en place un programme spécifique visant à remédier au déficit
diagnostiqué. Institutionnaliser la dyslexie demeure une priorité pour cette catégorie
d’enfants. Faire connaître ce trouble développemental et les différents moyens de prise en
charge possibles, permettraient d’améliorer les situations d’apprentissage de lecture de ces
enfants dyslexiques marocains en milieu scolaire. Nous pensons que l’Unité Centrale de la
Recherche Pédagogique (UCRP) et certains laboratoires universitaires marocains pourraient
jouer un rôle considérable en encourageant les recherches ‘’action et développement’’ afin de
déterminer la prévalence de ce trouble au niveau national et de valider certains protocoles de
remédiation efficaces à l’étranger. Enfin, il serait inutile de vous convaincre de l’intérêt d’un
engagement du département de l’enseignement scolaire marocain pour offrir une assistance
précieuse à cette catégorie d’enfants marocains dyslexiques.
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universitaires de France.
Remerciements
Merci au Professeur GOMBERT Jean-Émile Président de l’Université Rennes
2 France d’avoir accepté de corriger cet article et au Docteur AHAJI Khalid
Responsable de la Division de Coordination et d’Orientation de la Recherche
Pédagogique (UCRP) pour ses commentaires avant la publication au site
Dafatir Ouarzazate. Merci au Professeur AHAMI Ahmed Directeur de l’UFR
de Biologie Humaine et Santé des Populations Faculté des Sciences Kenitra
pour ses conseils. Merci au Docteur JANDARI Driss pour ses
encouragements.
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