le régime Moubarak va changer avec des dirigeants favorables à l’économie de marché comme Malek et
Al-Shater à la barre. Bien que la confrérie ait traditionnellement œuvré pour soulager les pauvres, “les
travailleurs et les paysans vont souffrir à cause de cette nouvelle classe d’hommes d’affaires”, dit
M. Elbarqy. “Un des grands problèmes avec la confrérie à présent — qu’ils ont en commun avec l’ancien
parti politique de Moubarak —, c’est le mariage du pouvoir avec le capital” (4). »
Le principal obstacle à la collaboration de la confrérie avec le capitalisme égyptien, la répression qu’elle
subissait sous M. Moubarak, est maintenant levé. Les Frères musulmans s’efforcent de prendre exemple
sur l’expérience turque en créant une association d’hommes d’affaires s’adressant en particulier aux
petites et moyennes entreprises, l’Egyptian Business Development Association (EBDA) (5). A l’instar du
Parti de la justice et du développement (AKP) et du gouvernement de M. Recep Tayyip Erdogan, la
confrérie et M. Mohamed Morsi estiment toutefois représenter les intérêts du capitalisme égyptien dans
toutes ses composantes, sans exclure la plupart des collaborateurs de l’ancien régime qui, par la force des
choses, en constituent une partie importante, surtout au sommet.
Ainsi, une délégation de quatre-vingts hommes d’affaires a accompagné M. Morsi en Chine en août 2012.
Le nouveau président souhaitant, à la manière des chefs d’Etat occidentaux, jouer les commis voyageurs
du capitalisme national, plusieurs chefs d’entreprise liés à l’ancien régime furent invités à faire partie du
voyage. Parmi eux, M. Mohamed Farid Khamis, patron d’Oriental Weavers, qui se vante d’être le plus
grand fabricant du monde de tapis et de moquettes tissés à la machine. M. Khamis appartenait au bureau
politique du Parti national démocratique (PND), l’ex-parti au pouvoir du temps de M. Moubarak, et était
alors parlementaire. Un autre membre du bureau politique du PND, réputé proche de M. Gamal
Moubarak, le fils de l’ancien président, participa également à la délégation : M. Sherif Al-Gabaly, membre
du conseil d’administration de la Fédération égyptienne des industries et patron de Polyserve, un groupe
spécialisé dans les engrais chimiques (6).
Comme M. Erdogan, M. Morsi se situe à la confluence des diverses fractions du capitalisme de son pays et
dans la continuité de sa trajectoire globale. La principale différence entre les Frères musulmans et l’AKP
— et donc entre MM. Morsi et Erdogan — n’est pas tant le poids relatif de la petite bourgeoisie et des
couches moyennes dans les deux organisations que la nature du régime dont elles représentent les
intérêts : dans le cas turc, un capitalisme de pays « émergent » à dominante industrielle et exportatrice ;
dans le cas égyptien, un Etat rentier et un capitalisme à dominante commerciale et spéculatrice, largement
marqué par des décennies de népotisme.
Le voyage en Chine visait à promouvoir les exportations égyptiennes, afin de réduire un déficit
commercial de 7 milliards de dollars dans les échanges bilatéraux. Il avait également pour but de
convaincre les dirigeants chinois d’investir en Egypte — sans grand succès. La continuité entre
MM. Moubarak et Morsi s’est toutefois manifestée par le maintien de la dépendance égyptienne envers les
capitaux des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) — à la différence près que le Qatar a pris la
place du royaume saoudien en tant que principal bailleur de fonds du nouveau régime, ce qui est
conforme aux rapports entre les Frères musulmans et l’émirat (7). Le Qatar a accordé un prêt de
2 milliards de dollars au Caire et s’est engagé à investir 18 milliards de dollars sur cinq ans dans des
projets pétrochimiques, industriels, touristiques ou fonciers, ainsi que dans le rachat de banques
égyptiennes. Par ailleurs, le gouvernement de M. Morsi a sollicité un prêt de 4,8 milliards de dollars
auprès du Fonds monétaire international (FMI), en indiquant qu’il était disposé à se conformer à ses
conditions, austérité budgétaire comprise.
Mise en cause des libertés syndicales
On trouve un avant-goût de ces exigences dans la note sur la région préparée par le FMI pour le sommet
des pays du G8 de mai 2011 : « Près de sept cent mille personnes entrent sur le marché du travail
égyptien tous les ans. Les absorber et réduire le nombre de celles qui sont actuellement au chômage
exigera une économie plus dynamique. Cela requiert des mesures courageuses, dont plusieurs devront
être mises en œuvre par le gouvernement issu des élections générales qui interviendront cette année. Les
principales réformes comprennent le renforcement de la concurrence afin que les marchés deviennent