Troubles anxieux chez le sujet âgé

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Diagnostic et prise en charge
Troubles anxieux chez le sujet âgé
L’anxiété chez le sujet âgé relève régulièrement d’une association complexe, voire trompeuse, entre des affections psychiatriques et somatiques qui se renforcent mutuellement.
Un diagnostic de trouble anxieux ne peut être posé sans une
évaluation globale et méticuleuse, car les comorbidités et diagnostics différentiels sont nombreux. La prise en charge des
troubles anxieux est individualisée, et inclut généralement un
traitement antidépresseur associé à une psychothérapie.
L
’anxiété est un symptôme très fréquent dans la population gériatrique, qui peut être secondaire à une affection psychiatrique
ou somatique, ou relever d’un trouble anxieux isolé dont les variantes sont nombreuses. Si leur apparition intervient généralement
plus tôt à l’âge adulte, ces troubles se développent parfois plus tardivement sous l’incidence des affections liées au vieillissement, à
l’approche de la mort, dans des contextes de pertes affectives et de
solitude, ou suite à des changements d’environnement choisis ou
imposés. Ces troubles anxieux, qui touchent 11 % des personnes de
plus de 60 ans (1) et sont souvent mal diagnostiqués du fait d’une
présentation trompeuse, engendrent d’importantes souffrances et
font le lit de l’isolement social et de la perte d’autonomie.
Présentations cliniques
À l’opposé des adultes jeunes, où l’expression d’un sentiment de
détresse est prévalente, les sujets âgés présentent davantage de
manifestations corporelles telles que dyspnée, troubles digestifs ou
douleurs. Devant la coloration atypique de la plainte anxieuse, il
peut être difficile d’en attribuer correctement les symptômes. L’évaluation peut être facilitée par l’usage d’une échelle telle que l’Inventaire de l’anxiété gériatrique (GAI) à 20 items, dont la spécificité
pour le trouble anxieux généralisé est de 84% et la sensibilité de 75%
(2). Le tableau 1 synthétise les principaux troubles rencontrés, leur
symptomatologie détaillée étant par ailleurs très diversifiée.
Comorbidités et diagnostic différentiel
La dépression est une importante comorbidité qui devrait toujours
être recherchée devant une plainte anxieuse, car elle en complique
et ralentit la réponse thérapeutique tout en majorant la détresse,
parfois de manière masquée. Chez les patients âgés, la dépression
est accompagnée d’un trouble anxieux dans 85% des cas (3), qui
accroît alors le risque suicidaire. Des consommations excessives
d’alcool ou de psychotropes sont fréquemment associées.
Les symptômes anxieux ou obsessionnels-compulsifs peuvent
également être observés au cours de l’évolution des démences de
tout type. Ils revêtent parfois la forme de questionnements stéréotypés vis-à-vis d’événements à venir (syndrome de Godot), d’une
crainte de l’abandon ou de réactions de catastrophe dans des situations d’échec. La présence de troubles anxieux, et notamment
la gazette médicale _ info@gériatrie _ 01 _ 2016
Dr Guillaume Etienney
Lausanne
Pr Armin von Gunten
Lausanne
d’anxiété généralisée, pourrait à l’inverse constituer un facteur de
risque de déclin cognitif chez le sujet âgé (4).
Sur le plan somatique, un grand nombre d’affections sont
associées de manière réciproque à de l’anxiété ou à des troubles
anxieux. Si l’étiologie psychiatrique n’est pas mise à jour, les symptômes liés à une hyperactivité sympathique, tels qu’hypertension
artérielle, dyspnée ou douleurs, peuvent entraîner une multiplication inadéquate des investigations et des prescriptions (5). À
l’inverse, un grand nombre de problématiques aussi diverses que
l’asthme, l’anémie, l’épilepsie ou l’excès de caféine sont connues
pour entraîner fréquemment une anxiété secondaire, dont le traitement est alors celui de son étiologie.
Principes généraux du traitement
Les recommandations thérapeutiques vis-à-vis des troubles
anxieux chez les personnes âgées souffrent d’un manque d’études
réalisées spécifiquement dans cette population, et sont souvent le
reflet d’extrapolations de résultats obtenus chez les sujets jeunes.
Les modalités thérapeutiques devraient être individualisées et
inclure au besoin plusieurs composantes. Quelques messages
généraux peuvent guider le clinicien dans cette démarche (6):
ll réaliser comme préalable à toute prescription une évaluation globale de l’anxiété, de son retentissement fonctionnel, de ses comorbidités psychiatriques et somatiques
ll rappeler quelques consignes hygiéno-diététiques: tempérance ou
abstinence vis-à-vis des excitants centraux, bon équilibre alimentaire, quantité de sommeil suffisante, pratique régulière d’une activité physique
ll évaluer les possibilités d’aide alternative à la médication, telles
que le soutien familial dans les situations aiguës, les soins médicosociaux, la psychothérapie ou les approches corporelles
ll préférer une monothérapie anxiolytique, et utiliser si possible un
antidépresseur
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TAB. 1
Les principaux troubles anxieux et leurs
objets de l’anxiété
Type de trouble anxieux
Anxiété généralisée
Trouble panique
Phobie spécifique
Phobie sociale
Agoraphobie
Objet de l'anxiété
Trouble obsessionnelcompulsif
Pensées intrusives et comportements
absurdes
État de stress
post-traumatique
Stimuli associés au souvenir traumatique
Toute issue incertaine
Survenue d’une attaque de panique
Objet ou situation spécifique
Situation sociale ou de performance
Lieu sans échappatoire ou secours potentiel
introduire généralement la médication à une dose moitié
ll moindre que celle conseillée chez le sujet jeune, l’augmenter lentement, mais atteindre un seuil suffisant avant de conclure à une
éventuelle inefficacité
Antidépresseurs
Parmi les différentes classes de traitements antidépresseurs, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) tels que le citalopram, l’escitalopram, la fluvoxamine, la paroxétine ou la sertraline
occupent une place centrale dans le traitement des troubles anxieux,
et s’utilisent en première intention (7). Les effets indésirables les plus
fréquents sont digestifs, et souvent transitoires. Certains risques sont
à prendre particulièrement en compte chez le sujet âgé, notamment
ceux d’hyponatrémie par sécrétion inappropriée d’ADH, d’interaction médicamenteuse, de saignement, d’allongement de l’intervalle
QT ou de syndrome des jambes sans repos.
Les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et
de la noradrénaline (IRSNa) tels que la venlafaxine ou la duloxétine,
quant à eux, ont également des indications dans les troubles anxieux
mais leurs effets noradrénergiques, notamment sur le plan cardiovasculaire, en restreignent souvent l’utilisation dans cette population.
D’autres classes thérapeutiques, auxquelles appartiennent des
molécules telles que la mirtazapine, la trazodone ou la miansérine,
ne possèdent pas d’indication directe dans les troubles anxieux
mais peuvent être choisies pour leurs effets anxiolytiques et sédatifs lors d’épisodes dépressifs.
Les antidépresseurs tricycliques, enfin, sont peu prescrits chez
le sujet âgé compte tenu notamment de leurs effets anticholinergiques prononcés.
Autres traitements médicamenteux
Les benzodiazépines (BZD) sont largement prescrites, en dépit de la
dépendance, de la tolérance et des multiples effets indésirables qu’elles
entraînent. Si leur usage s’avère nécessaire, dans une situation d’anxiété récente avec retentissement important et après évaluation soigneuse des risques et des bénéfices, le choix doit s’orienter vers des
molécules à demi-vie courte, telles que l’oxazépam, l’alprazolam ou
le lorazépam, et leur prescription doit être la plus brève possible (8).
La prégabaline est utilisée dans le trouble anxieux généralisé, et
améliore significativement les symptômes somatiques et psychiques
de l’anxiété. Des effets indésirables gênants, tels que somnolence ou
confusion, sont cependant fréquents et incitent à la prudence.
Les bêtabloquants, quant à eux, présentent des contre-indications fréquentes en gériatrie. Ils ne sont généralement pas introduits dans le cadre de troubles anxieux, même s’ils en diminuent
les manifestations neurovégétatives.
Les neuroleptiques, enfin, ne doivent pas être prescrits pour un
trouble anxieux isolé compte tenu de leurs fréquents effets indésirables, notamment sur le plan moteur et cognitif. Leurs effets anxiolytiques sont en revanche souvent recherchés lors des troubles délirants.
Approches psychothérapeutiques
Les patients atteints de troubles anxieux nécessitent un accompagnement personnalisé. Le soutien, l’attention portée à leur vécu
émotionnel et la psychoéducation en sont le socle, et des interventions de psychothérapie plus structurée sont souvent nécessaires.
Parmi celles-ci, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)
ont une efficacité démontrée chez le sujet âgé par de nombreuses
études. Les différentes techniques d’exposition visent à confronter graduellement le patient à la situation redoutée, et à prévenir
sa réponse anxieuse. Des stratégies cognitives spécifiques sont utilisées pour compléter cette démarche, et traiter les symptômes ne
se prêtant pas à une approche comportementale. Ces techniques
permettent d’obtenir une réduction de 75 à 85% des symptômes
anxieux (9), avec une amélioration s’inscrivant dans la durée.
Les thérapies d’inspiration psychodynamique sont également fréquemment utilisées, mais elles souffrent de l’absence de
publication d’essai randomisé confirmant leur efficacité dans les
troubles anxieux chez l’âgé.
D’autres modalités d’intervention se sont développées ces
dernières années et ont obtenu des résultats tangibles au cours
d’études cliniques, comme la méditation de pleine conscience
(mindfulness) dans des indications variées (10), ou la désensibilisation et reprogrammation par mouvement des yeux (EMDR)
dans l’état de stress post-traumatique.
Approches corporelles
Ces modalités thérapeutiques sont connues pour être efficaces
chez l’adulte jeune, mais des études sont toujours nécessaires pour
confirmer leur utilité dans la population âgée, bien que l’expérience empirique soit satisfaisante. Elles incluent des techniques
individuelles et de groupe comme la psychomotricité, la relaxation
ou les massages, et pourraient permettre de limiter la médication.
Leur association à de la TCC en améliorerait également les effets.
Dr Guillaume Etienney
Pr Armin von Gunten
Centre Ambulatoire de Psychiatrie de l'Âge Avancé, CHUV
Mont-Paisible 16, 1011 Lausanne
[email protected]
B Conflit d’intérêts : Les auteurs n'ont déclaré aucun conflit d'intérêt
en relation avec cet article.
Messages à retenir
◆ Les troubles anxieux sont des pathologies fréquentes chez le sujet
âgé, dont le retentissement somatique peut être sévère
◆ Leur présentation est régulièrement trompeuse, et justifie une évaluation globale lors de toute plainte anxieuse
◆ Leur traitement associe généralement un ISRS à des approches non
pharmacologiques personnalisées
◆ Les benzodiazépines ont le plus souvent une balance bénéfice-risque
défavorable
_ 2016 _ la gazette médicale _ info@gériatrie
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Références:
1. Schuurmans J et al. The outcome of anxiety disorders in older people at 6-year follow-up: results from the Longitudinal Aging Study Amsterdam. Acta Psychiatr Scand 2005;111(6):420–8
2. Pachana NA et al. Development and validation of the Geriatric Anxiety Inventory. Int Psychogeriatr IPA 2007;19(1):103–14
3. Oxford Textbook of Old Age Psychiatry. 1st ed. Oxford ; New York: Oxford University Press;
2008: 798
4. von Gunten A et al. The impact of personality characteristics on the clinical expression in neurodegenerative disorders - a review. Brain Res Bull 2009;80(4-5):179–91
5. Yudofsky SC, Kim HF. Neuropsychiatric Assessment. 1st ed. Washington, DC: American Psychiatric Publishing; 2004:208
6. Stancu I, von Gunten A. Anxiety Disorders in the Elderly with an Emphasis on Generalized Anxiety Disorder. In: New Perspectives on Generalized Anxiety Disorder. New York: Nova Science
Publishers; 2014
7. Haute Autorité de Santé. Guide Médecin sur les troubles anxieux [Internet]. 2007. Disponible
sur : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/guide_medecin_troubles_anxieux.pdf
8. Wattis JP, Curren S. Practical Psychiatry of Old Age. 4th ed. Abingdon: Radcliffe Publishing;
2006:276
9. Copeland JRM et al. Principles and Practice of Geriatric Psychiatry. 2nd ed. Chichester: John
Wiley & Sons LTD; 2002
10.Gotink RA et al. Standardised Mindfulness-Based Interventions in Healthcare: An Overview of
Systematic Reviews and Meta-Analyses of RCTs. PLoS ONE 2015;10(4):e0124344
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