MNEMOSYNE ET NOUS
Le débat sur les lois mémorielles s’apaise. Soyons certains pourtant
que les problèmes qu’il a soulevés feront retour sur la scène
publique. Et les mémoires minoritaires rivalisent encore. « Ma mémoire
plutôt que la tienne ! La leur plutôt que la vôtre ! » Tel est en
substance le rapport rival et imaginaire qui se dessine dans ce qu’il est
convenu d’appeler « concurrence des mémoires ». Cette concurrence
s’alimente assez de la haine de l’autre pour que l’enjeu ait semblé
sérieux et qu’il faille s’y pencher. « Souffre et souviens-toi :
Memento », écrivait Michelet. Rivaliser de souffrances serait-il donc
devenu l’un des modes contemporains du rapport à l’autre ? Si nous
ne sommes pas les enfants de la guerre, nous sommes ceux de la
« guerre des mémoires », semble-t-il.
Et que dire de cette lettre de Guy Môquet resurgie du passé et promise
dorénavant à une postérité inouïe ? On s’en réjouit, on le déplore.
Si l’histoire s’élabore à partir des mémoires, peut-elle servir une
mémoire harmonieuse ?
En abordant ce thème, nous nous proposions de saisir comment la
mémoire est devenue l’un des sujets les plus vifs de l’actualité.
Chacun s’est donc engagé sur l’un de ses terrains, dans l’une de ses
tranchées. Espérant agir d’une façon inactuelle, c’est-à-dire contre
le temps, et par là même sur le temps, en faveur d’un temps à venir,
c’est en compagnie de Pierre Nora, Jean-Paul Dollé et Éric Marty que
le Diable livre ici des considérations sur la mémoire qui entendent
prendre la mesure de notre époque.
Anaëlle Lebovits