les troubles comportementaux dans le cadre de traitements

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LES TROUBLES COMPORTEMENTAUX
DANS LE CADRE DE TRAITEMENTS
ANTIPARKINSONIENS ET LE DROIT
Aurélie Moriceau*
La présente contribution offre aux lecteurs une étude sur les conséquences des
effets indésirables des traitements antiparkinsoniens (troubles comportementaux)
et le droit sous trois angles: les actes répréhensibles pénalement, les mesures de
protection des personnes et la réparation des préjudices subis. Cette contribution
est également l'occasion de mettre en lumière les failles du système de sécurité
sanitaire du médicament à usage humain (notamment la pharmacovigilance) tant
au niveau national qu'au niveau européen, même si ce système est en mutation
suite à la médiatique affaire du Mediator.
This contribution enables readers to understand the consequences of the side
effects of Parkinson's disease treatments (behavioural disorders) and the law from
three angles: Penally reprehensible acts, measures guaranteeing the protection of
people, and compensation for damage. It is also an opportunity to highlight the
weaknesses of the medication safety system (including pharmacovigilance) both at
the national and European levels, even if the system is changing following the
media sensation created by the Mediator scandal.
I INTRODUCTION
Depuis Descartes, la pensée est considérée par certains comme dissociée du
corps. C'est l'une des raisons qui explique pourquoi il existe encore aujourd'hui des
difficultés à voir dans le cerveau, siège de la pensée, un organe comme les autres.
Même si l'on admet cette idée, force est de reconnaître que le cerveau est cependant
une machine très complexe.
Les substances chimiques médicamenteuses peuvent avoir des répercussions,
non seulement sur le corps, mais aussi sur le cerveau. Certains patients atteints de
* Docteur en droit de l'Université de Rennes 1, Institut Mines lécom Bretagne.
142 NEUROLEX SED ... DURA LEX?
la maladie de Parkinson
1
veloppent d'ailleurs des troubles comportementaux
2
dans le cadre de leurs traitements
3
composés d'agonistes dopaminergiques et/ou
levodopa
4
.
A titre de rappel, la maladie de Parkinson est la seconde maladie
neurodégénérative après la maladie d'Alzheimer
5
. Elle se manifeste de trois
manières: les tremblements au repos, les raideurs musculaires et la lenteur des
mouvements. Autrement dit, elle atteint la régulation de l'initiation du mouvement
volontaire et de l'automatisme de certains mouvements. Cette pathologie est
chronique, évolutive et d'étiologie inconnue. Comme il n'existe pas de traitement
curatif de la maladie, le traitement a donc pour but de corriger les symptômes du
patient, principalement les symptômes moteurs.
Ces traitements, en cas de dosages élevés ou surdosage peuvent cependant
entraîner des troubles comportementaux
6
, ce qui pose la question de la
1
Ces traitements sont également préconisés dans d'autres maladies neurogénératives, telles le
syndrome des jambes sans repos et dans certains troubles endocriniens (Lettre aux professionnels
de santé: Levodopa, agonistes dopaminergiques et troubles du contrôle des impulsions, 29 juillet
2009, disponible sur le site de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de
santé ANSM <http://ansm.sante.fr>).
2
Ces troubles comportementaux sont décrits soit dans le cadre d'une addiction au traitement
dopaminergique sous le terme de syndrome de dysrégulation dopaminergique, soit dans les
troubles du contrôle de l'impulsion (C Ardouin, I Chéreau, PM Llorca, E Lhommée, F Durif, P
Pollak et al "Assessment of hyper- and hypo-dopaminergic behaviours in Parkinson's disease"
Rev Neurologique, 2009; 165: 845-56).
3
Si l'étude se cantonne à la France, des faits identiques ont été rapportés aux Etats-Unis, au Canada
et en Europe. A titre d'exemple, voir l'affaire Simon Bent au Royaume-Uni sur le site d'un grand
cabinet juridique anglais (<www.leighday.co.uk>).
4
Les agonistes dopaminergiques (bromocriptine, lisuride, piribédil, ropinirole...) ont une efficacité
habituellement moindre que celle de la levodopa mais ils entraînent moins d'effets moteurs
indésirables. En effet, avec la levodopa, des complications motrices, parfois sévères, à type de
fluctuations motrices et de dyskinésies, apparaissent dans 86% des cas après la période de " lune
de miel " (période pendant laquelle les traitements sont efficaces). C'est la raison pour laquelle les
agonistes dopaminergiques sont aujourd'hui prescrits en première intention chez le parkinsonien
jeune (Fédération française de neurologie, Recommendations of the jury on diagnosis and
treatment of Parkinson's disease. Long text. Rev Neurologique, 2000; 156 (suppl 2 pt 2): 281-94).
5
Des études étrangères tentent de chiffrer le nombre de personnes concernées par les troubles
comportementaux. Le chiffre varie entre 5% (il y a quelques années) et 17% (en 2010). Ce
dernier chiffre est important, d'autant qu'en France, la maladie de Parkinson touche près de 130
000 personnes avec environ 8 000 nouveaux cas par an. Cette maladie détruit principalement les
neurones du système nerveux central. Elle touche aussi les systèmes nerveux périphériques,
notamment le système nerveux entérique (SNE) conduisant parfois à d'autres types de symptômes
(constipation chronique, chutes fréquentes…). Il existe aussi parfois des atteintes intellectuelles
(détérioration de la mémoire et difficulté à adapter son comportement au changement de
situation).
6
Ces effets indésirables sont généralement réversibles après réajustement thérapeutique.
TRAITEMENTS ANTIPARKINSONIENS ET LE DROIT 143
responsabilité du médecin prescripteur. Les plus fréquents sont le jeu pathologique,
les achats compulsifs, le "punding" (comportement répétitif sans but), les troubles
alimentaires, l'hypersexualité, la paraphilie
7
et peuvent se cumuler. Ces effets
indésirables sont étonnamment souvent élus lors des consultations, malgré une
littérature médicale abondante depuis une vingtaine d'années devenue ts précise
depuis l'année 2000
8
, leur mention dans les notices d'information des dicaments
concers depuis 2006 et les recommandations de l'Agence nationale de sécurité du
dicament et des produits de santé (ANSM)
9
de juillet 2009
10
. Ce silence est
d'autant plus surprenant que lesdits effets, s'ils ne sont pas rapidement détectés, ont
des répercussions conséquentes voire dangereuses sur le patient et son entourage
11
.
Ces troubles comportementaux exposent voire conduisent le patient à plus ou
moins long terme à commettre des actes qui peuvent dans certains cas être
répréhensibles pénalement.
Il est donc intéressant d'étudier les relations entre ces troubles comportementaux
et le droit. Comment le droit les appréhende-t-il?
7
La paraphilie est un comportement sexuel atypique et extrême mettant dans la sexualité des
composantes non sexuelles: enfants, animaux, sous-vêtements, douleur, etc. Le comportement est
considéré comme déviant ou paraphilique quand le patient consulte lui-même et demande de
l'aide (fétichisme sévère par exemple, zoophilie, etc) le comportement peut mettre la vie ou le
bien-être du patient en danger (pratiques d'asphyxie, etc) le comportement sexuel peut mettre le
bien-être ou la vie des autres en danger (viol, pédophilie) (Voir MC Scheiber-Nogueira "Sexualité
et troubles du comportement sexuel dans la maladie de Parkinson" Revue Neurologique, 2008,
185-190).
8
HP Vogel et R Schiffer "Hypersexuality, a complication of dopaminergic therapy in Parkinson's
disease" Pharmacopsychiatra, 1983, Jul; 16 (4): 107-10; JL Cummings "Editorial commentary, A
Window on the role of dopamine in addiction disorders" and G Giovannoni, JD O'Sullivan, K
Turner, AJ Manson et AJL Lees "Hedonistic homeostatic dysregulation in patients with
Parkinsons disease on dopamine replacement therapies" (2000) 68 Journal of Neurology,
Neurosurgery and Psychiatry with Practical Neurology 423-428.
9
Ex-Agence française de Sécurisanitaire et des produits de santé (AFSSAPS).
10
Lettre aux professionnels de santé: Levodopa, agonistes dopaminergiques et troubles du contrôle
des impulsions, 29 juillet 2009, supra n 1.
11
Il faut distinguer l'addiction du syndrome de dysrégulation dopaminergique (qui correspond quant
à lui à l'addiction aux médicaments dopaminergiques avec quelquefois automédication abusive
responsable de troubles comportementaux). Dans ce dernier cas, il est nécessaire que le corps
médical intervienne.
Le retentissement des modifications comportementales sur la vie sociale, professionnelle
et familiale des patients peut être dramatique, parfois largement plus néfaste que les
symptômes moteurs eux-mêmes. Ignorer cet aspect de la maladie peut avoir des
conséquences très lourdes, pour le patient mais aussi pour le neurologue. Leur
reconnaissance est relativement récente: ils étaient peu ou pas évalués, par
méconnaissance mais aussi par manque d'instrument d'évaluation" (C Ardouin et al, op
cit, n 2, 2009, § 2.3).
144 NEUROLEX SED ... DURA LEX?
D'abord, comme les actes consécutifs aux troubles comportementaux oscillent
entre actes pénalement répréhensibles et causes d'irresponsabilité pénale, il
convient d'étudier la manière dont les juges statuent lorsqu'ils sont saisis pour
terminer s'ils sont pénalement répréhensibles ou au contraire justifiés (I). Par
ailleurs, notre étude vise à démontrer que, lorsque de tels comportements se
manifestent, les mécanismes de protection de la personne ne sont pas toujours
efficaces, que ce soit pour assurer, non seulement la prise en charge médicale du
patient, mais aussi la protection de son patrimoine (dans l'hypothèse d'achats
compulsifs ou de jeu pathologique) (III). C'est pourquoi aujourd'hui, plusieurs
affaires relatives à la réparation des préjudices subis par des patients parkinsoniens
existent en France. Il est donc opportun de voir comment les Commissions
Régionales de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux (CRCI) et
les juges l'envisagent. L'étude conduira tant à l'évaluation de ce système dual de
réparation des victimes qucelle de la pharmacovigilance (IV).
II LES TROUBLES COMPORTEMENTAUX, ACTES
REPREHENSIBLES PENALEMENT OU CAUSES
D'IRRESPONSABILITE PENALE?
Certains troubles comportementaux causés par des traitements médicamenteux
peuvent avoir des conséquences judiciaires. En effet, les personnes atteintes de ces
troubles peuvent causer des actes pénalement répréhensibles, causant des
préjudices à des tiers. Toutefois, des causes d'irresponsabilité pénale peuvent être
soulevées.
A L'exemple de Troubles Comportementaux Pénalement Répréhensibles
Les actes pénalement répréhensibles sont dus à une induction de sinhibition
sexuelle avec augmentation de la libido (voyeurisme, exhibition sexuelle, agression
sexuelle), et à une pratique du jeu pathologique (tournement de fonds et abus de
confiance)
12
. A titre d'exemple, un patient atteint d'addiction au jeu va d'abord
penser son argent, puis celui de son conjoint (le vol entre époux n'existant pas en
vertu de l'article 311-12 du Code pénal) et finir par voler des tiers. Les rapports
scientifiques exposent clairement cet enchaînement inéluctable
13
. Ainsi, dans une
affaire de la région nantaise, M J, surdosé pendant deux ans (2003-2005), a relevé
et utilisé les numéros de cartes bleues d'une douzaine de personnes (famille, amis,
12
Cas d'une condamnation d'un employé de la poste à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à
l'épreuve pendant une durée de trois ans et le remboursement de la somme détournée.
13
L Boissière Le syndrome de dysrégulation dopaminergique dans la maladie de Parkinson,
Mémoire de Master 1 Biologie Santé, UFR decine, Sciences et Techniques médicales &
Service de Pharmacologie clinique, CHU Nantes, 25 août 2009, disponible sur le site
<www.remede.org>, spéc p 11-15.
TRAITEMENTS ANTIPARKINSONIENS ET LE DROIT 145
collègues, agent immobilier…) pour une valeur totale estimée à 100 000 euros dans
le but d'assouvir son addiction
14
. Autre exemple, un patient atteint de troubles
sexuels peut commettre des actes mettant en danger des tiers. Des cas d'exhibitions,
d'agressions sexuelles et de pédophilie ont été rapportés
15
.
La justice a donc été amenée à se prononcer
16
. Il s'agit ici d'étudier la manière
dont la justice s'empare de ces infractions. Dans les faits, il semble exister une
différence de traitement en fonction des connaissances des decins experts
relatives aux effets engendrés par les troubles comportementaux dans le cadre de
traitements antiparkinsoniens, et du fait reproché. Ainsi, une personne atteinte de la
maladie de Parkinson a bénéficié d'un non-lieu pénal en novembre 2006 suite à
l'utilisation frauduleuse de cartes bleues. Une expertise a clairement démontque
le médicament antiparkinsonien était à l'origine de ces troubles. De même, le
Tribunal correctionnel d'Argentan a reconnu un homme d'une soixantaine d'années
atteint depuis vingt ans de la maladie de Parkinson d'avoir perpétré des
attouchements sur ses petits-enfants qui lui étaient confiés durant les vacances
scolaires durant deux ans, coupable des faits mais l'a jugé irresponsable.encore,
le point de vue des experts semble avoir été déterminant. Si un premier estime que
les enfants souffraient sur le plan psychique de percussions de ces abus sexuels,
deux autres experts psychiatres clarent que les effets secondaires du traitement
peuvent avoir conduit à de tels faits et qu'il existe des "éléments cliniques de
syndrome démentiel" qui induiraient une irresponsabilité pénale
17
. A l'inverse, un
parkinsonien de 60 ans ayant commis une agression sexuelle, mais dont les
expertises médicales ne mentionnaient pas les éventuelles conséquences de ses
traitements médicamenteux pour expliquer ses troubles, a été condamné en
novembre 2010 à quatre mois de prison avec sursis et à verser 1.000 euros à la
victime
18
. Cette décision a provoqué de nombreuses réactions des lecteurs
parkinsoniens du quotidien régional qui avait relaté l'affaire. Le journal a donc
enquêté sur ces troubles, et publié un nouvel article pour dénoncer les effets
14
Ces faits sont mentionnés dans le jugement du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Nantes du
31 mars 2011 (inédit) dans lequel le patient demande réparation des préjudices subis lors de son
traitement contre la maladie de Parkinson.
15
MC Scheiber-Nogueira, op cit, n 7, 2008.
16
Des neurologues allemands se sont intéressés dès 2003 aux conséquences judiciaires des troubles
comportementaux sexuels (C Berg, FW Mehroff, KM Beier, HM Meinck Sexual delinquency and
Parkinson's disease Nervenarzt, 2003 74: 370-375).
17
Le journal de l'Orne, 20 janvier 2011.
18
Affaire relatée dans un quotidien régional L'Union du 17 novembre 2010 (voir également le lien
internet: <www.lunion.presse.fr/article/marne/prison-avec-sursis-une-embrassade-qui-derape>).
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