CONSOMMATION COLLABORATIVE :
QUELS ENJEUX ET QUELLES LIMITES POUR LES CONSOMMATEURS ?
Colloque INC 7 novembre 2014 - Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique
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Table ronde 1
PÉRIMÈTRE ET OPPORTUNITÉS
Modérateur : Rémy GERIN, directeur exécutif de la chaire Grande Consommation de l’ESSEC
Rémy GERIN
En écoutant Laurence BILLOT-DAVID, je me rends compte que la consommation collaborative n’est ni
sociale ni solidaire. Elle crée du lien tout en obéissant à une logique économique. L’ambition de cette
première table ronde est de tracer les contours entre les différents modes de consommation et
d’économie. Quels sont les contours de l’économie sociale et solidaire ? Est-il exact de la distinguer
de la consommation collaborative ?
QUELLE ARTICULATION AVEC LECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE ?
JEAN-LOUIS CABRESPINES, PRESIDENT DU CONSEIL NATIONAL DES CHAMBRES REGIONALES DE
LECONOMIE SOCIALE (CNCRES)
L’économie sociale et solidaire n’est ni une mode ni une récupération. Cette forme d’économie est
ancienne puisque certains en retracent l’existence jusque dans l’Antiquité. Prenons l’exemple des
premières caisses de secours mutuel fondées à la fin du XIXème siècle. Les ouvriers des entreprises de
la révolution industrielle organisaient ainsi la solidaripour mettre une partie de leurs salaires de
côté afin d’apporter une ressource aux ouvriers accidentés ou malades. Nous pourrions également
évoquer le regroupement des producteurs de lait en Franche-Comté au XIIIème siècle. Ils s’étaient
regroupés pour fabriquer du fromage ensemble. Cette démarche est donc très ancienne.
La loi portée par le Gouvernement correspond à une revendication forte des acteurs de l’économie
sociale et solidaire. En effet, une reconnaissance par l’Etat et les partenaires était nécessaire pour
faire émerger cette économie importante, qui représente 10 % des emplois et 10 % des entreprises.
Elle représente ainsi une force non-négligeable de production, bien qu’elle ne se limite pas à cette
dimension. Elle ne se limite pas non plus à une économie de la réparation, bien qu’un nombre
important d’entreprises de cette économie répare des produits ou aide des personnes en difficulté.
Cette économie comprend également des entreprises de production pleines et entières qui créent de
la richesse. Cependant, dans l’économie traditionnelle capitaliste, les gains financiers constituent la
finalité alors que l’économie sociale et solidaire est une économie partagée qui repose sur un projet
économique et un projet de société différents. Ce projet se caractérise notamment par la solidarité
entre les personnes qui composent l’entreprise pour produire autrement. Celui qui produit en tire
ainsi les bénéfices financiers, ainsi que des bénéfices d’une autre nature lui permettant d’évoluer.
Des liens étroits existent avec l’économie collaborative et l’économie circulaire. Un nombre
important d’acteurs de l’économie sociale et solidaire a déjà mis en place des initiatives de
consommation collaborative. Ce rapprochement entre l’économie sociale et solidaire et d’autres
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formes d’économie est nécessaire. Le nombre toujours croissant de nouvelles appellations
d’économies, qui traduit un certain dynamisme pour une économie autrement, ne cesse de me
surprendre. Nous devons parvenir à fédérer et à développer ensemble ces économies autrement.
Rémy GERIN
Sans porter de jugement de valeur, je note que l’activité de Laure WAGNER n’est ni sociale ni
solidaire. Peut-elle le devenir ou l’est-elle déjà un peu ?
Jean-Louis CABRESPINES
Airbnb ne peut pas appartenir à l’économie sociale et solidaire. Il convient de distinguer l’activité et
la manière de conduire l’activité. Par exemple, nous pourrions considérer que les services à la
personne, qui visent à s’occuper des personnes les plus en difficulté, relèvent de l’économie sociale
et solidaire. Or ce n’est pas le cas. Certaines entreprises du secteur génèrent des profits colossaux en
commercialisant leurs services auprès de ces personnes. Cependant, sur ce même secteur, certaines
entreprises s’inscrivent dans une démarche d’économie sociale et solidaire. Elles privilégient ainsi
des structures à gouvernance démocratique les salariés peuvent s’exprimer sur la gestion de
l’entreprise, voire en sont les patrons comme dans les coopératives. De plus, l’objectif de ces
entreprises n’est pas de partager des bénéfices dans la mesure ceux-ci sont réinvestis dans
l’entreprise.
L’économie sociale et solidaire met donc l’accent sur la démarche économique plutôt que sur
l’activité. A ce titre, BlaBlaCar peut être une entreprise de l’économie sociale et solidaire si elle
respecte ces principes et ces valeurs. L’activité ne constitue pas le point d’entrée de l’économie
sociale et solidaire. Certains grands groupes du secteur de l’eau ou du recyclage des déchets
souhaiteraient créer des entreprises au sein de cette économie, notamment pour des raisons
d’image. Nous défendons la nécessité d’adopter une démarche citoyenne.
PRATIQUES COLLABORATIVES ET ECONOMIE CIRCULAIRE :
QUELLES RELATIONS ?
ANNE DE BETHENCOURT, VICE-PRESIDENTE DE L’INSTITUT DE LECONOMIE CIRCULAIRE ET
RESPONSABLE ECO-INNOVATION DE LA FONDATION NICOLAS HULOT
Rémy GERIN
Madame DE BETHENCOURT, pouvez-vous nous rappeler le périmètre de l’économie circulaire et
tracer les frontières entre cette économie et la consommation collaborative ?
Anne DE BETHENCOURT
Je vous remercie de me donner l’opportunité d’intervenir ce matin. Cela démontre la dynamique
actuelle sur l’ambition de produire et de consommer autrement. Je considère que c’est une bonne
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nouvelle. Par ailleurs, la France est bien positionnée dans cette créativité. Elle se caractérise par une
réelle envie de consommer et de produire autrement.
Il convient de rappeler les bases du modèle économique qui nous a permis de nous développer
depuis la révolution industrielle. Ce modèle est fondé sur l’extraction des ressources naturelles que
nous transformons afin de les consommer puis de les jeter. Cette économie linéaire a engendré le
progrès moderne. La création de richesses est ainsi basée sur la production et la possession de biens.
Force est de reconnaître que ce modèle a engendré un développement ayant abouti à une forme de
prospérité supérieure à celle du XIXème siècle. Néanmoins, ce modèle de production basé sur
l’extraction de ressources naturelles ne prend pas en compte la finitude de la planète, limitée en
ressources naturelles.
Par conséquent, ce modèle d’extraction, de transformation et de déchets a aujourd’hui atteint sa
limite. L’économie circulaire remet en cause cette économie linéaire pour revaloriser la matière et le
produit en intégrant la performance d’usage de la matière et des produits. La performance d’usage
prend en compte l’utilisation et le temps d’usage d’une matière. Cette économie circulaire
ambitionne de créer des boucles de création de valeur positive depuis la conception des biens
jusqu’à la réparation, la réutilisation, le recyclage et la réintroduction. Contrairement aux idées
reçues, l’économie circulaire ne se limite pas à la gestion des déchets ou au recyclage. L’idée centrale
de cette économie est d’imiter la nature : dans la nature, les déchets n’existent pas puisque tous les
éléments sont des nutriments. L’enjeu du modèle économique du XXIème siècle est de s’assurer que
toute matière est utile.
La consommation collaborative, l’économie du partage ou l’économie de la fonctionnalité
permettent d’améliorer la performance d’usage. Le partage d’un produit comme une voiture
améliore sa performance d’usage : le rendement de la matière utilisée est ainsi augmenté. En
moyenne, une voiture est utilisée 5 % de son temps. En partageant cette voiture à plusieurs, la
performance d’usage de la matière est augmentée. Le lien entre l’économie circulaire et l’économie
collaborative est donc très étroit. Selon moi, la consommation collaborative est une étape pour
améliorer l’usage des matières et des biens. Cependant, je ne suis pas certaine que l’économie
collaborative remette en cause le modèle capitaliste. Au sein de la consommation collaborative, les
échanges entre particuliers coexistent avec des modèles capitalistiques qui permettent d’accélérer
cette forme de consommation.
Rémy GERIN
Réinventons-nous le modèle coopératif ? En d’autres termes, la consommation collaborative est-elle
la coopérative 3.0 ?
Anne DE BETHENCOURT
Oui, dans une certaine mesure. Cependant, la consommation collaborative est caractérisée par une
grande diversité de pratiques, de l’association de quartier d’échanges d’appareils électroménagers
jusqu’à l’exemple d’Airbnb, qui atteint des milliards de capitalisation. Qu’appelons-nous
consommation collaborative ? Ce nouveau mode de consommation prouve qu’il n’est plus possible
d’agir seul. En d’autres termes, le consommateur ne souhaite plus être limité à son rôle de
consommateur. Au XXème siècle, le bon citoyen était le bon consommateur qui possédait des biens.
Aujourd’hui, le consommateur aspire à disposer de l’usage des biens sans nécessairement les
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posséder. Cette tendance questionne le rôle du consommateur, qui veut devenir acteur tout en
devenant sa propre entreprise.
Par conséquent, les indicateurs de richesse comme le PIB sont fondamentalement remis en cause.
Cet indicateur de flux financiers n’est pas un indicateur de richesse. A travers son élan vers la
consommation collaborative, le consommateur nous démontre que les indicateurs de richesse ne se
limitent pas à la comptabilisation des flux financiers. Ce phénomène oblige les sphères économiques
et politiques, ainsi que les institutions et les collectivités territoriales, à repenser de nouveaux
modèles de création de richesse et de valeur. Pour accompagner ce mouvement de nouvelle
consommation, nous sommes obligés de changer d’approche.
UN EXEMPLE DINITIATIVE COLLABORATIVE AVEC LE COVOITURAGE
LAURE WAGNER, MEMBRE DE LEQUIPE FONDATRICE DE BLABLACAR
Rémy GERIN
En repartant des propos exprimés par les Français à travers l’étude de Médiaprism, BlaBlaCar
apparaît comme une revanche contre le TGV couplée à un outil de création de lien. Ai-je raison
d’appréhender cette entreprise ainsi ? Ces paramètres composent-ils l’ADN de l’entreprise ?
Laure WAGNER
Non, la revanche sur le TGV n’a pas été une motivation. L’ADN de BlaBlaCar est la lutte contre le
gaspillage massif représenté par les places libres dans les voitures. Ce gaspillage pouvait être
acceptable tant que nous ne disposions pas des outils numériques pour l’optimiser. Il était également
accepté quand l’essence était moins chère et les budgets moins contraints. Aujourd’hui, la crise,
l’utilisation d’Internet et le développement des réseaux sociaux ont permis de mettre en relation des
particuliers en toute confiance. La consommation collaborative repose sur un tiers de confiance : une
organisation sérieuse est nécessaire pour garantir la fiabilité et l’organisation des transactions entre
les particuliers.
Rémy GERIN
Ce point est mis en avant par les Français qui perçoivent une forme de revanche sur le système.
Laure WAGNER
Sur certains trajets des liaisons TGV existent, la concurrence existe avec des prix différents. Les
personnes arbitrent en fonction de leurs contraintes de temps et de budget. J’insiste sur l’ADN du
projet, qui vise à enrayer le gaspillage massif pour revenir au bon sens en optimisant et en
s’entraidant.
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Rémy GERIN
La SNCF finance-t-elle l’un de vos concurrents ?
Laure WAGNER
Pas exactement. La SNCF a lancé un service de covoiturage, iDVROOM, entre le domicile et le travail,
et entre le domicile et les gares sur des trajets courts d’une vingtaine de kilomètres, alors que
BlaBlaCar se positionne sur du covoiturage longue distance. La distance moyenne de nos trajets est
de 330 kilomètres. Ces trajets correspondent à des départs en weekend ou en vacances.
Rémy GERIN
L’évolution de la marque évoque le développement des liens.
Laure WAGNER
Oui, nous étions covoiturage.fr avant de nous rebaptiser BlaBlaCar pour refléter les discussions
passionnantes en covoiturage. Nous avons choisi ce nom depuis 2008.
Rémy GERIN
Cette composante de création et de développement de liens constitue-t-elle une motivation majeure
des utilisateurs qui pratiquent le covoiturage ?
Laure WAGNER
Conformément à l’étude précédemment présentée, la première motivation, largement dominante,
est financière. L’objectif des conducteurs et des passagers est de réaliser des économies. La
dimension économique est dominante tandis que l’aspect sympathique de cette pratique, qui
permet de créer des liens humains, est secondaire. Malheureusement, la motivation écologique
arrive en dernier dans les critères de décision.
Rémy GERIN
Bon, et alors… Combien de mariages et bébés BlaBlaCar à ce jour ? ;)
Laure WAGNER
Nous n’en avons aucune idée. Nous aidons surtout des couples à distance à se voir plus
fréquemment. Les utilisateurs se déplacent pour rendre visite à leur famille et leurs amis ou pour voir
leur conjoint. Cependant, ces moments humains sont sympathiques. En tant qu’ambassadrice, j’ai
rencontré des personnes très différentes : une sage-femme, un pompier, une vendeuse à Rungis, etc.
Je n’aurais peut-être pas eu l’occasion de les rencontrer dans un autre contexte. Ces liens éphémères
sont sympathiques. Nous avions estimé que BlaBlaCar avait créé 35 millions de connexions humaines
en voiture.
Rémy GERIN
Les avis publiés entre les consommateurs et collectés par la plateforme forment la e-putation des
utilisateurs. Cela ne représenterait-il pas le casier judiciaire du XXIème siècle ?
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