Institut de Formation de Professions de Santé Formation infirmière 44 chemin du Sanatorium 25030 Besançon Cedex LE SOIN À L’ÉPREUVE DE LA SCHIZOPHRÉNIE UE 3.4 S6 UE 5.6 S6 UE 6.2 S6 Alexandre Van Gheluwe Olivier Lombaert Philippe Maigrot Formateur de guidance : Florence Blondelle REMERCIEMENTS Nous remercions particulièrement notre formatrice de guidance qui nous a inspirés durant l’élaboration de notre travail ainsi que les différents professionnels de santé interviewés pour leur disponibilité ainsi que leur professionnalisme. Un remerciement particulier à Anne-Rafaèle pour sa relecture. SOMMAIRE 1. Introduction p1 2. Choix de la situation interpellante p1 3. Questionnements p2 4. Contexte clinique : la schizophrénie p2 5. Cadre législatif p3 41. Rôle propre infirmier p3 42. Soins infirmiers, qualité technique, qualité des relations avec le malade p3 43. Soins libres et droit du patient p4 6. De l’adhésion thérapeutique à la non adhésion p5 61. Définition de l'adhésion thérapeutique p5 62. Caractéristiques de l’adhésion p6 63. Facteurs de non adhésion du patient schizophrène p6 6.3.1 La pathologie 6.3.2 Le Déni 6.3.3 Durée des traitements 6.3.4 Les effets indésirables des neuroleptiques 63. Représentations professionnelles et pratiques observées p6 p7 p7 p8 p9 7. La qualité des soins p 10 71. Définition p 10 72. Évaluation de la qualité des soins p 12 73. Les outils d’évaluation p 12 74. Représentations professionnelles et pratiques observées p 12 8. Le cadre thérapeutique p 14 81. Définition p 14 82. Représentations professionnelles et pratiques observées p 15 9. Synthèse : problématique p 16 10. Conclusion p 18 11. Bibliographie 12. Annexes 1 1. INTRODUCTION Dans le cadre de l’UE 5.6 S6 (analyse de la qualité et traitement des données scientifiques), nous avons réalisé un travail de recherche et d’analyse ayant pour sujet une question de départ issue d’une situation d’appel. Le groupe formé pour ce travail de fin d’études s’est constitué autour d’une accointance commune pour la psychiatrie qui s’est révélée au cours de la formation grâce aux différents stages que nous avons effectués et de par une expérience commune caractérisée par des situations d’appel similaires. Notre souhait à l’origine était de traiter de la place du droit et de la volonté du patient dans les mesures de contraintes en psychiatrie. Au regard de la situation d’appel que nous avons choisie et suite au cheminement de notre réflexion, notre sujet a progressivement évolué vers l’influence de la non adhésion du patient schizophrène en hospitalisation libre sur la qualité des soins infirmiers. 2. SITUATION INTERPELLANTE Notre situation de départ se déroule au sein d'une unité d'admission d'un centre hospitalier spécialisé et concerne un patient âgé de 28 ans qui s'est présenté de lui-même à la porte de l'institution afin d'être hospitalisé suite à une rupture thérapeutique qui a entraîné un voyage pathologique. Celui-ci avait déjà agi de la sorte quelques mois auparavant et cela pour des raisons identiques. D'un point de vue clinique, le patient est dissocié et exprime des idées délirantes relevant du domaine mystique. En effet, il pense que ses hallucinations visuelles et auditives sont dues à « de mauvais esprits ». Après 15 jours d'hospitalisation, son délire est toujours présent mais il l'exprime de façon plus modérée ; ses propos commençant à retrouver une certaine cohérence. Malgré cette démarche volontaire qui pourrait laisser sous-entendre l’adhésion du patient, celui-ci confronte l'équipe à une difficulté puisqu’il adopte un comportement déviant et inadapté avec certaines résidentes. À ceci s'ajoute un non respect de certaines règles de vie en communauté de l'unité ainsi qu'une négociation permanente voire un refus du traitement qui, par ailleurs, a été modifié plusieurs fois à la demande du patient par le médecin psychiatre. Cette contradiction entre la démarche initiale de demande de soins et le comportement du patient nous a interpellés. En effet, la non adhésion aux soins d’une personne psychotique hospitalisée en soins libres peut-elle influencer la qualité des soins infirmiers ? 2 3. QUESTIONNEMENTS Cette question de départ fait référence à différents champs conceptuels intimement liés. L’adhésion aux soins et par opposition la non adhésion, la représentation infirmier de la démarche qualité dans le cadre de son rôle propre, ainsi que les outils d’évaluation de la qualité des soins. Très rapidement, nous nous sommes rendu compte que l’approche conceptuelle de la non adhésion aux soins est indissociable d’une bonne connaissance de la pathologie ; comme il est indissociable de traiter le concept de qualité des soins sans aborder l’aspect législatif. C’est à travers l’approche théorique des ces thèmes et concepts ainsi que leur traduction pratique sur le terrain que nous veillerons à répondre de la façon la plus exhaustive à notre question de départ. 4. CONTEXTE CLINIQUE : LA SCHIZOPHRÉNIE Comme susmentionné, la connaissance de la pathologie est la condition sine qua non d’une bonne compréhension de notre situation de départ et de son analyse. Certes, ce chapitre n’a pas pour objectif de dresser l’ensemble des données épidémiologiques, de diagnostics et de formes cliniques mais d’apporter un éclairage non exhaustif sur la pathologie. Le mot « schizophrénie » provient du grec Schizein qui signifie couper, diviser et Phrên qu’on assimile au crâne, au cerveau, à la pensée. Par association, « cerveau divisé », on voit que le syndrome dissociatif a donné son nom à la schizophrénie. La schizophrénie [1, p.278] est un trouble psychotique chronique caractérisé par un trépied diagnostique associant le délire de type paranoïde, le syndrome dissociatif et une évolution déficitaire pouvant aller jusqu’au repli autistique. Le syndrome dissociatif est l’ensemble des altérations intellectuelles qui peuvent se traduire par une altération du système de logique et du langage, des troubles du cours de la pensée et une altération affective pouvant se manifester par un émoussement affectif et une sexualité « désaffectivée » ainsi qu’une altération comportementale pouvant s’exprimer par de la bizarrerie, du maniérisme et un syndrome catatonique. Le mode d’entrée dans la schizophrénie est aigu ou progressif [1, p.279], les formes cliniques sont principalement paranoïdes, hébéphréniques et indifférenciées. L’évolution de 3 la pathologie est chronique et vers un tableau déficitaire. Les complications sont les addictions, la désinsertion socioprofessionnelle et peuvent aller jusqu’au suicide. La prise en charge est multidisciplinaire, associant traitement neuroleptiques, psychothérapie et sociothérapie. 5. CADRE LEGISLATIF 4.1. Rôle propre infirmier Article R4311-1 du Code de la santé publique [2]: « L'exercice de la profession d'infirmier ou d'infirmière comporte l'analyse, l'organisation, la réalisation de soins infirmiers et leur évaluation, la contribution au recueil de données cliniques et épidémiologiques et la participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d'éducation à la santé. » 4.2. Soins infirmiers, qualité technique, qualité des relations avec le malade Article R4311-2 du Code de la santé publique [2] : « Les soins infirmiers, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité technique et qualité des relations avec le malade. Ils sont réalisés en tenant compte de l'évolution des sciences et des techniques. Ils ont pour objet, dans le respect des droits de la personne, dans le souci de son éducation à la santé et en tenant compte de la personnalité de celle-ci dans ses composantes physiologique, psychologique, économique, sociale et culturelle : 1° De protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale des personnes ou l'autonomie de leurs fonctions vitales physiques et psychiques en vue de favoriser leur maintien, leur insertion ou leur réinsertion dans leur cadre de vie familial ou social ; 2° De concourir à la mise en place de méthodes et au recueil des informations utiles aux autres professionnels, et notamment aux médecins pour poser leur diagnostic et évaluer l'effet de leurs prescriptions ; 3° De participer à l'évaluation du degré de dépendance des personnes ; 4° De contribuer à la mise en œuvre des traitements en participant à la surveillance clinique et à l'application des prescriptions médicales contenues, le cas échéant, dans des protocoles établis à l'initiative du ou des médecins prescripteurs ; 4 5° De participer à la prévention, à l'évaluation et au soulagement de la douleur et de la détresse physique et psychique des personnes, particulièrement en fin de vie au moyen des soins palliatifs, et d'accompagner, en tant que de besoin, leur entourage. » Article R4311-6 du Code de la santé publique [2] : « Dans le domaine de la santé mentale, outre les actes et soins mentionnés à l'article R. 4311-5, l'infirmier ou l'infirmière accomplit les actes et soins suivants : 1° Entretien d'accueil du patient et de son entourage ; 2° Activités à visée sociothérapeutique individuelle ou de groupe ; 3° Surveillance des personnes en chambre d'isolement ; 4° Surveillance et évaluation des engagements thérapeutiques qui associent le médecin, l'infirmier ou l'infirmière et le patient. » 4.3. Soins libres et droit du patient Un patient hospitalisé en service libre de psychiatrie dispose des mêmes droits que tout autre patient. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 [3] relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Art. L. 1111-4. Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables, « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.». On ne peut en aucun cas imposer par la contrainte un traitement thérapeutique à un patient non adhérent en hospitalisation libre sauf si celui-ci est, à un moment donné, dangereux pour lui-même ou autrui. Auquel cas, le patient sera placé en Soins psychiatrique à la demande d’un tiers [4], en soins psychiatrique en cas de péril imminent ou en soin psychiatrique à la demande d’un représentant de l’état. Le respect de l'autonomie du patient est aussi inscrit dans l'article 36 du code de déontologie médicale [2] : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. » 5 6. DE L’ADHÉSION THÉRAPEUTIQUE À LA NON ADHÉSION 6.1. Définition de l'adhésion thérapeutique : E. Languérand définit dans son travail de recherche « De l'observance à une adhésion sans adhérence » [5], l'adhésion thérapeutique de la façon suivante : « Les termes utilisés dans la littérature sont variés. Il est fait référence à l’adhérence, à l’adhésion thérapeutique, à la compliance (par anglicisme) ou à l’observance. Les champs sémantiques diffèrent d’un terme à l’autre en fonction de l’importance que l’on attache à l’accord du patient avec la thérapeutique proposée. De l’observance à l’adhérence, la nature de la relation thérapeutepatient passe d’un rapport de subordination de l’un envers l’autre à une union fusionnelle. L’observance fait référence à l’exécution d’une règle, d’une loi, surtout en matière religieuse et ne suppose pas l’accord de celui qui exécute. À l’inverse, l’adhérence évoque une «soudure» de deux éléments d’égale valeur. Entre ces deux pôles, l’adhésion s’intéresse à la dimension contractuelle de la relation médecin-patient en incluant le sens de consentement et d’approbation. Ce terme nous semble le plus approprié pour définir ce qui serait le mode de relation idéal entre le soignant et son patient autour de la question du traitement. Il symbolise à notre sens cette alliance thérapeutique, ce partenariat entre deux individus qui ne possèdent pas le même savoir, n’ont pas la même place mais doivent avancer dans la même direction, pour un même objectif.» Au cours de nos recherches sur la non adhésion, nous avons donc beaucoup entendu parler de la notion d'observance qui selon l'OMS se définit comme «la mesure selon laquelle le comportement d'une personne, la prise de médicaments, le suivi d'un régime, et/ou l'exécution de changement de style de vie, correspond aux recommandations d'un professionnel de santé » [6] Ainsi, certains spécialistes ont différencié plusieurs types de mal observance [7]: la non observance : absence totale de prise médicamenteuse la sous observance : omission des prises médicamenteuses, interruption prématurée la sur observance : respect excessivement strict des prescriptions, majoration des doses, anticipation des prises l'observance variable : patients qui adaptent chaque jour la posologie en fonction de leur état. 6 En psychiatrie, l'observance ne se résume plus à la bonne prise des traitements médicamenteux mais s'est élargie au respect du patient des rendez-vous qui lui sont donnés ainsi qu'à sa participation aux différentes activités thérapeutiques proposées. Communément, on qualifie de bonne observance la prise d'au moins 80% des traitements prescrits. 6.2. Caractéristiques de l'adhésion : Selon la brochure STAY [annexe1] (six principles to adherence in your patient) initiée par un groupe de treize médecins psychiatres, « environ un tiers des patients schizophrènes en ambulatoire n'adhèrent pas à leur traitement à un moment ou à un autre et présentent donc un risque de rechute cinq fois supérieur à ceux qui poursuivent leur traitement. La non adhésion au traitement est un facteur majeur de rechute, de ré-hospitalisation, de mauvaise réponse au traitement et de coûts élevés pour la société. En général, plus le niveau social et professionnel de l'individu est élevé, plus l'impact sera important au moment de la rechute » 6.3. Facteurs de non-adhésion du patient schizophrène 6.3.1 La pathologie : Selon l'étude menée par le professeur Patrick Hardy et le docteur Patricia Cailliez et ayant pour thème : « Le refus de soins somatiques en psychiatrie : aspects éthiques » [8], la schizophrénie est un facteur d'altération de l'autonomie du patient et de sa capacité à consentir aux soins. L'aptitude à consentir est une compétence qui suppose des capacités efficaces dans 4 domaines : capacité à comprendre les informations capacité à apprécier une situation et ses conséquences capacité à traiter les informations de façon rationnelle (capacité de raisonnement : mise en balance des avantages et des inconvénients de chacune des options thérapeutiques) capacité à communiquer, à exprimer ses choix Ainsi, si le patient schizophrène souffre d'un déficit cognitif du fait de sa maladie, son adhésion aux soins risque d'être compromise. 7 6.3.2. Le Déni : Le docteur Jean Desclin, à travers ses parutions sur le site www.mens-sana.be [9], explique que de nombreuses personnes schizophrènes paraissent croire - voire sont persuadées qu'elles se portent bien et qu'elles n'ont besoin d'aucun traitement. C'est ce que l'on appelle « l'anosognosie ». Ce terme se définit par le fait qu'une maladie rend celui qui en souffre, incapable d'en prendre conscience. Les psychiatres reconnaissent aujourd'hui que l'anosognosie chez la personne schizophrène est la conséquence d'altérations du cortex cérébral, principalement préfrontal. Une question s'impose alors : Qui accepterait de se faire soigner pour une maladie dont on ne se croit pas atteint ? Qui accepterait de prendre des médicaments alors que l'on est convaincu de ne pas en avoir besoin ? Dès lors, la première étape -et non moins primordiale- de l'adhésion aux soins du patient schizophrène, est son acception des raisons qui l'ont conduit à son hospitalisation. Cependant, il est fréquent chez les patients schizophrènes, alors que la phase aiguë s'est estompée, qu’ils restent dans une position de déni partiel ou complet des troubles. Fait important : ce déni des troubles entrave grandement la relation soignant/soigné et rend extrêmement difficile l'adhésion aux soins du patient sans même parler des notions de consentement éclairé et d'alliance thérapeutique, dès lors impossibles à établir. Précisons que chez certaines personnes schizophrènes, le fait de reconnaître la maladie peut parfois prendre des années voire ne jamais arriver. 6.3.3. Durée des traitements : E. Corruble et P. Hardy [7] établissent que la durée de prise du traitement ainsi que le nombre de médicaments est un facteur influant sur l'adhésion du patient car l'observance est plus difficile à maintenir avec des traitements de longue durée que ceux prescrits sur une période courte. « La durée du traitement est un facteur déterminant de l’observance. La plupart des traitements médicamenteux psychotropes doivent être poursuivis au long cours. Le risque de mal observance avec la durée du traitement et l’ancienneté de la rémission. Maddox et al ont ainsi montré que, pour les patients déprimés traités par antidépresseurs, le pourcentage de patients interrompant leur traitement est corrélé positivement à la durée de ce traitement : 11% au cours de la première semaine de traitement, 32% après 6 semaines de traitement et 52% après 12 semaines de traitement. De même, Charney a montré que le pourcentage d’incidence des erreurs dans la posologie de traitement est de 30% après 1 à 5 ans de traitement et de 80% après 20 années de traitement » E. Languérand dans son mémoire de maîtrise [5] va aussi dans ce sens « Le traitement 8 chimiothérapique des schizophrénies est donc un traitement à moyen, voire à long terme, nécessitant la prise quotidienne de médicaments ou une consultation régulière, le plus souvent mensuelle, pour les formes retards administrées par injection. De telles durées de traitements sont défavorables pour la qualité de l’observance (Sackett, Haynes, 1976). Un tiers des schizophrènes serait mal-observant lors d’une hospitalisation initiale, la moitié un an après la première hospitalisation et les deux tiers deux ans après (Corruble, Hardy, 2003)» 6.3.4. Les effets indésirables des neuroleptiques E. Languérand [5] établit que « Contrairement aux idées reçues, les auteurs sont loin d’être unanimes sur le sujet. Selon les études, la corrélation entre les effets non souhaités et la non-observance est ou n’est pas retrouvée. Pour Blondiaux (1994), l’impact sur l’adhésion serait surtout lié au type d’effets secondaires, certains étant plus pénibles et invalidants que d’autres. Pour Sackett et Haynes, l’existence d’études aux résultats contradictoires sur le lien entre effets secondaires et observance pourrait être la conséquence de plusieurs facteurs : la sélection des participants qui éliminerait de fait les moins observants, le système de contrôle des médicaments mis sur le marché qui n’autorise pas des effets secondaires trop importants et enfin l’effet inconscient d’un conditionnement intéroceptif d’aversion. La fonction intéroceptive suppose une aptitude de l’individu à percevoir des variations se produisant à l’intérieur du corps. Une perception négative peut conditionner le comportement futur du sujet à son insu. Plusieurs auteurs accordent de l’importance à ce phénomène de conditionnement intéroceptif car il aurait une durée de vie longue et pourrait expliquer la persistance d’une mauvaise observance malgré les changements de traitement. L’expérience diffuse issue de la prise de traitement associée à un éventuel conditionnement intéroceptif serait donc plus importante que les effets secondaires réellement éprouvés. Hogan et al. (1983) privilégient l’expérience subjective au détriment des seuls effets indésirables, c’est-à-dire la manière dont le patient ressent son traitement. Les croyances ou les connaissances sur les aspects bénéfiques, les effets indésirables et l’action des médicaments influenceraient de manière moins significative l’adhésion. Haynes (1976) s’intéresse au health belief model : la compliance au traitement serait en lien avec la perception de la gravité de la maladie et la croyance dans l’efficacité du traitement prescrit (indépendamment des connaissances factuelles du sujet et de leurs justesses). L’altération de ses convictions précéderait la survenue d’une détérioration de l’observance.» 9 6.4. Représentations et pratiques observées Au cours de nos entretiens, il est apparu qu’il fallait nuancer la non adhésion totale de la non adhésion partielle. Dans une situation de non adhésion totale, il ne peut pas y avoir de soins. Les IDE s’accordent à dire qu’à partir du moment où le patient a fait une démarche de prise en charge, il s’inscrit déjà dans l’adhésion. L’infirmier 1, 2 et 4 précisent : « pour nous, du moment qu’il est ici, c’est qu’il adhère… », « on ne peut pas dire qu’il y a non adhésion totale, mais plutôt partielle, car si totale, il sort du cadre et plus rien n’a lieu d’être… », « s’il est là, c’est que l’adhésion est partielle, du lien a été fait préalablement ». Au regard des entretiens réalisés, il apparaît que la non adhésion aux soins est, pour l’ensemble des IDE interviewés, la résultante de la pathologie car il y a fréquemment déni des troubles, l’infirmier n°2 dit : « c’est souvent quand ils sont dans le déni de leur problématique et de leurs difficultés… », « ici, il faut déjà qu’il ait conscience de leurs difficultés pour se soigner ». A ce sujet, un des infirmiers observe que l’anosognosie du patient entraîne une non adhésion qui se caractérise par la non observance du traitement, voire le refus de soins. L’infirmier 2 précise : « C’est déjà une non acceptation de la maladie, pour moi ça sera déjà ça, ça peut se caractériser par une mauvaise prise des traitements ou une non prise des traitements ». Si le patient ne se pense pas malade, comment peut-il être enclin à prendre son traitement ? Par ailleurs, la non adhésion s’inscrit dans une notion de temporalité. Au vu des symptômes de la pathologie, il convient d’établir et de comprendre que cette non adhésion peut-être en lien avec une période d’adaptation dans les premiers temps de la prise en charge, pour intégrer le cadre thérapeutique. L’infirmier 1 précise : « la prise en charge fait que le patient doit forcement changer ses habitudes, ça leur fait un sacré coup, on leur donne un temps d’adaptation ….». Compte tenu de la chronicité de la maladie et de ses fluctuations, les infirmiers sont unanimes pour dire que le soin s’inscrit dans un contexte de lieu, de temps et de cheminement individuel du patient face à sa maladie. Le patient est libre de consentir aux soins, c’est un droit que le soignant doit considérer. L’infirmier 2 précise : « Il faut leur montrer aussi que la porte est ouverte qu’ils ne sont pas obligés de se soigner. On peut les amener à la réflexion après on peut montrer aussi qu’ils peuvent aller ailleurs qu’il y a d’autres structures… ». Les infirmiers confirment que le travail soignant est d’accompagner le patient à la compréhension, à la réflexion et à l’acceptation de sa pathologie afin de tendre vers l’adhésion. L’infirmier 4 corrèle ces éléments en précisant : « dans une démarche soignante face a quelqu’un qui est dans la non adhésion parce qu’il est dans la non connaissance des troubles, donc dans l’anosognosie, là oui la démarche soignante va être 10 particulière car ça consiste à essayer d’amener le patient tout en douceur à comprendre que certaines de ses idées, de ses symptômes ne sont pas en rapport avec le réel… », « …le patient il peut dire oui je suis malade en hospitalisation libre et il peut ne pas prendre son traitement, il est complètement libre de faire ce qu’il veut, à un moment on ne peut pas le forcer…. ». Les infirmiers 1 et 4 expriment que l’alliance thérapeutique est la condition sine qua non à une prise en charge de qualité. L’infirmier 1 précise qu’il faut une « libre circulation de la parole, une confiance mutuelle ». Il faut créer l’alliance pour mettre en confiance le patient et instaurer ainsi un espace de dialogue. La confiance est donc le vecteur principal de l’alliance thérapeutique. L’infirmier 2 l’exprime en précisant : « vous allez parler d’alliance, moi je vais parler de confiance car c’est la même chose dans les termes… ». Ces entretiens nous confortent dans l’idée que l’alliance thérapeutique représente la pierre angulaire d’une adhésion aux soins optimale. 7. LA QUALITE DES SOINS La qualité des soins est un champ conceptuel sociétal qui fait débat auprès de nombreux acteurs de santé. C’est un concept très large qui s’inscrit autant dans une démarche de santé publique que dans une approche statistique normative ou encore dans l’anthropologie des soins. Dans un premier temps, c’est au travers de ces diverses approches que nous définirons ce champ conceptuel. Puis, au regard de notre questionnement, nous déclinerons la perception que nous en avons eu, et enfin, nous développerons l’intérêt d’une approche qualitative du soin. 7.1. Définition La qualité des soins associe deux items, celle de la qualité et celle du soin. La qualité selon le Larousse [10] est « ce qui rend quelque chose supérieur à la moyenne », mais aussi « chacun des aspects positifs de quelque chose qui font qu'il correspond au mieux à ce qu'on en attend » ainsi qu’un « trait de caractère, manière de faire, d'être que l'on juge positivement : Qualités morales. Des qualités de cœur. ». Cette dernière définition correspond au sens que nous avons souhaité donner à notre travail. L’OMS [11] définit la qualité des soins comme « Une démarche qui doit permettre de garantir à chaque patient la combinaison d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le 11 meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, de résultats et de contacts humains à l’intérieur du système de soins ». Il y a qualité des soins quand les modalités de prise en charge (diagnostic, traitement, suivi) sont conformes aux règles médicales et adaptées au malade. Le soin, selon Francine Saillant [12], « constitue au premier abord un ensemble de gestes et de paroles, répondant à des valeurs et visant le soutien, l'aide, l'accompagnement de personnes fragilisées dans leur corps et leur esprit, donc limitées de manière temporaire ou permanente dans leur capacité de vivre de manière « normale » ou « autonome » au sein de la collectivité ». Cette approche du soin est en parfaite adéquation avec nos représentations. Le soin n’est pas uniquement un acte thérapeutique qui vise au bien-être et à la santé du patient. Celui-ci ne doit pas être considéré comme un corps objet, il est avant tout un corps sujet avec son histoire, ses valeurs, son savoir-être et ses connaissances. Cette vision holistique définie par Walter Hesbeen [13] nous amène à nous questionner sur notre représentation, le sens et l’éthique associés à la qualité de nos soins. Nous considérons la pratique soignante avant tout comme une attention particulière à l’autre, à ce qu’il est, à son entourage, à la mise en œuvre cohérente des moyens et ressources dont dispose l’ensemble du personnel soignant. Il est entendu que cette démarche soignante s’inscrit dans un contexte politique, économique, thérapeutique et organisationnel qui conditionne aussi l’efficacité de la prise en charge donc de la qualité des soins. Au regard de ces lectures la qualité des soins est donc un concept multidimensionnel, requérant des critères de jugement multiples : qualité des contacts humains, qualité du « parcours » du patient dans un établissement, qualité du raisonnement médical devant un examen diagnostic … « La qualité des soins consiste à mettre en œuvre le plus d'éléments possible pour garantir aux patients une qualité de prise en charge diagnostique et thérapeutique. À travers cette démarche, le patient doit bénéficier naturellement des meilleurs résultats possibles en fonction de sa pathologie » [14]. Nous constatons donc que l’approche humaine, technique, économique sont des critères d’évaluation qualitatifs du soin, mais au regard de notre situation, comment évaluons-nous et percevons-nous ces éléments ? 12 Il est dès lors intéressant d’identifier les éléments avec lesquels nous sommes en mesure d’évaluer la qualité de nos soins. 7.2. Evaluation de la qualité des soins En terme de santé publique, l’évaluation de la qualité des soins est définie « par un ensemble de méthodes pour aider les professionnels à faire des choix à tous les niveaux des soins, qu’il s’agisse de la décision diagnostique ou thérapeutique ou à la décision d’investissement dans le cadre d’une politique hospitalière. » [11]. Dans le cadre qui est le nôtre, nous nous sommes interrogés sur les outils qui servent à évaluer la qualité des soins. 7.3. Les outils d’évaluation Le guide du soin infirmier [15] définit deux démarches soignantes fondamentales qui conditionneront à postériori la qualité des soins. Tout d’abord, l’accueil de la personne soignée, les soins immédiats si nécessaires ainsi que le recueil de données et la saisie dans le dossier de soins. Cette première étape est à la fois le premier contact patient / soignant, l’instauration d’une confiance, un moment d’écoute, d’échange et d’information sur le cadre thérapeutique. Dans un second temps, la prise en charge du patient se caractérise par la mise en œuvre du projet de soin. Ce dernier suppose l’identification du problème de santé, des ressources du patient et de ses proches. Ces derniers seront acteurs, sollicités dans l’élaboration du projet de soin, c’est un processus dynamique, réajustable. Cette nouvelle étape est un moment d’échange important au cours duquel chacun s’exprimera sur ses attentes et ses besoins. Cette étape conditionne l’évolution de la prise en charge du patient. Michel Martin reprend l’idée de l’accueil de la personne soignée et de l’élaboration d’un projet comme base fondamentale du soin, mais il décrit une troisième condition qui est le cadre de ce projet, le cadre thérapeutique [16]. Il sera abordé en troisième partie. 7.4. Représentations et pratiques observées Les quatre infirmiers s’accordent à dire qu’une prise en charge efficace est indissociable de la prise en compte de la parole du patient. L’infirmier 4 dit : « ce qui va faire le critère de la qualité du soin qu’on va faire au patient…, à titre individuel pour moi je vais avoir un temps de parole avec un patient en entretien où il a pu progresser dans sa réflexion par rapport à 13 sa maladie et aux traitements de sa maladie et par rapport à l’expression qu’il en a même si ça va pas dans le sens de : je vais prendre mes médicaments ; je me dis déjà c’est bien. Si un patient me dit ce médicament j’en ai marre parce qu’il m’entraîne des troubles ; je me dis que déjà c’est constructif. », « le sens de la qualité du soin que l’on va pouvoir donner en tant qu’équipe c’est que le patient, même si on le voit ressortir en le sentant pas dans une stabilité phénoménale, on se dit qu’au moins il a un peu pu évoluer et un peu et mieux comprendre ses troubles. C’est ce qui se développe un peu et je pense que votre génération, elle sera plus au clair que la mienne sur la notion d’éducation thérapeutique, on fait passer cette notion là, de construire le projet avec le patient et pas pour le patient… ». Les soins doivent être réfléchis avec le patient, adaptés en fonction de ses objectifs et de ses capacités. Pour ce faire, nous relevons l’importance du rôle infirmier et des outils d’évaluation de la qualité des soins qui sont à sa disposition tels que : le projet de soins, le contrat de confiance, l’établissement du cadre thérapeutique, la symbolisation de contrats de confiance patient / soignants et soignants / famille. Pour deux infirmiers, le projet de soins est mis en place avec le patient et fait appel à un contrat tacite de confiance entre soignant et soigné. Dans la mise en place de ces outils, l’équipe soignante doit constamment faire preuve de réflexion, de questionnement, de remise en question et de repositionnement. L’infirmier 2 confirme l’argument que cette démarche est tout l’intérêt du travail en équipe : «.. douter cela permet aussi de poser des questions. De se poser des questions en équipe justement, c'est le travail en équipe. Cela permet de repositionner ce qu'on fait ici... » Pour la qualité des soins, au même titre que l’adhésion, il apparaît que la priorité d’une prise en charge de qualité est avant tout la volonté d’instaurer une confiance réciproque. Pour créer une alliance thérapeutique, les infirmiers priorisent l’échange, la parole et l’écoute. L’infirmier 2 dit : « la qualité des soins c’est que le patient puisse adhérer à ce qu’il fait, se rendre compte … l’amener à ce que lui puisse se soigner… on fait avec lui, c’est lui qui nous mène donc on fait ensemble. Donc pour moi, c’est Ça la qualité du soin c’est de faire ensemble et de faire une relation de confiance… ». L’Infirmier 4 soulève une difficulté pour le soignant dans sa capacité à avoir une écoute active, à savoir que celui-ci n’a ni le vécu, ni l’expérience de la pathologie et que cela rend parfois la compréhension délicate. « Mais voila c’est comment lui il vit sa maladie, car je ne peux pas accéder complètement à son expérience de vécu. Parce que voilà un patient anxieux ou dépressif, je peux comprendre ce qu’il vit, parce qu’un schizophrène, je n’ai pas accès à cette expérience de vie n’ayant jamais été délirant, donc l’idée c’est de lui permettre d’avoir une qualité d’écoute un peu particulière et d’écouter son symptôme et puis au-delà du symptôme, de déréalisation…. » l’idée délirante et des sentiments de dépersonnalisation et de 14 Pour deux infirmiers, la qualité de prise en charge peut être altérée par l’absence d’interaction soignant/soigné et d’objectifs de soins inadaptés. Ils relatent également que le soignant lui-même et la famille peuvent devenir des freins : « il y a des familles qui sont complètement pathogènes », « la question est de savoir qu’est ce qui vient de nous, équipe ? Qu’est ce qui vient de moi soignant ? Ou qu’est ce qui vient du patient lui-même ? Qu’est ce qui vient de la famille éventuellement ? Donc voilà c’est de ne pas réussir à créer l’espace de dialogue nécessaire entre le patient et nous, ou alors être partis sur un objectif de soin qui n’était pas raisonnable. » Un des trois infirmiers dit qu’il peut parfois ressentir un « sentiment d’impuissance », l’infirmier 4 précise alors que le professionnel a toujours cette possibilité de « passer la main » quand il se sent en difficulté. Par ailleurs, il rejoint l’avis des autres infirmiers en s’accordant à dire qu’il n’y a pas d’échec face à une non adhésion totale car cela s’inscrit dans un processus d’évolution pour le patient. Le travail du professionnel soignant et médical est de s’assurer de la pérennité du lien afin que le patient ait conscience qu’une autre prise en charge sera toujours possible. 8. LE CADRE THERAPEUTIQUE 8.1. Définition Michel Martin exprime également qu’il est important que le cadre puisse être remis en question par le patient et précise que [16] : « Le cadre se pose, au départ, comme préoccupation explicite : il devient ensuite implicite, il est intériorisé, comme une instance psychique, et ne redevient explicite que dans les moments de rupture ou de crise du processus Anzieu D., quant à lui, décrit le cadre thérapeutique comme un « contenant maternel » ou encore comme « une seconde peau psychique » [17, p39 ]. Il doit être construit par le soignant et il doit en garantir sa pérennité. Le cadre thérapeutique doit permettre au patient de pouvoir exprimer ses pensées, ses excitations psychiques et physiques tout en les contenants Pour Thierry Albernhe, [18] le cadre thérapeutique est défini comme : « L’ensemble des conditions pratiques et psychologiques qui, ajustées aux possibilités du patient, permettent un processus soignant. Ce sont des éléments fixes non rigidifiés – un espace, un rituel, des repères temporels, des règles et des seuils, mais également des personnes, un objectif, une ambiance et surtout une conception, celle de l’esprit du soin.» 15 8.2. Représentations et pratiques observées Les entretiens nous ont permis de définir le cadre comme l’ensemble des éléments humains, matériels et organisationnels qui interagissent de manière cohérente et dans lequel va évoluer le patient. L’infirmier 1 nous dit : « le cadre thérapeutique c’est les horaires, les lieux, les personnes, les rythmes, les fonctions… tout ça conditionne le cadre, ce qui fait le cadre, c’est la cohérence de l’ensemble ». L’infirmier 4 précise que le cadre s’apparente à une sphère où est établi un accord entre le soignant et le soigné : « Le cadre thérapeutique c’est un espace conventionnel, une convention entre le patient et le soignant, thérapeute ou équipe, où ils peuvent avancer ensemble». D’après les soignants interviewés, le cadre doit être ferme, délimité, sécurisant. À ce sujet, l’infirmier 4 dit : « le cadre thérapeutique ça doit offrir un cadre de sécurité aux deux éléments, aux deux personnes qui sont en interaction, personnes ou groupes ». Toutefois, il est relevé par l’infirmier 4 que la déviance de l’aspect sécurisant du cadre est qu’il devienne sécuritaire : « Mais des fois, la déviance du cadre thérapeutique et que ne perçoivent pas les gens qui sont là dedans, c’est que souvent le cadre thérapeutique va être utilisé pour sécuriser les gens, les soignants, quelle que soit leur fonction qui va leur permettre de se sentir en sécurité face à un patient qui les inquiète qui n’a pour seul et unique but de contraindre la folie, de la mettre dans un cadre où elle fout pas trop la trouille et ça c’est plus un cadre thérapeutique, à ce moment là, c’est un cadre sécuritaire ». Le cadre thérapeutique doit être ferme mais aussi permettre au patient d’agir librement à l’intérieur comme le souligne l’infirmier 2 : « Je dis ça avec mes mots c’est un peu comme une membrane GorTex® étanche mais en même temps ça respire. J’ai été voir un colloque et il y avait un peintre qui disait qu’il travaillait avec les limites de son cadre et qu’il était libre à l’intérieur ». Le cadre thérapeutique peut parfois être plus souple en s’adaptant au patient à partir du moment où cela a un sens dans la prise en charge. C’est ce que nous rapporte l’infirmier1 : « À partir du moment où les choses ont du sens et où le patient propose ceci ou cela, des choses avec lesquelles nous sommes en accord, pas de problème, par contre si cela n’a pas de sens comme par exemple un patient qui décide de rentrer pour le WE pour s’alcooliser… ». Certains patients s’intègrent dans le cadre thérapeutique sans heurts et à l’opposé, d’autres stimulent le cadre en s’y confrontant, ce qui paraît être un signe d’avancement et d’évolution dans la maladie. À ce propos, l’infirmier 1 nous dit : « dès que l’on commence à avoir une position contrastée, quand le patient discute les limites du cadre, là, c’est intéressant et significatif, certains voient plus certains côtés, d’autres voient autre chose, c’est pour ça que je dis que les patients qui nous rentrent dedans c’est mieux ». 16 Bousculer le cadre thérapeutique et faire en sorte que le patient s’y confronte, certes. Mais des limites apparaissent lorsque celui-ci se met en danger ou met en danger le groupe. Il en va de même lorsque le comportement d’un patient prend le pas sur celui des autres et perturbe la bonne marche du groupe. Ce dernier est toujours privilégié sur l’individu. Ceci est rapporté par l’infirmier 2 : « ouais, je trouve que c’est la mise en danger de lui et des autres, la mise en danger du groupe, le groupe sera toujours mis en avant, le groupe c’est une fonction paternelle en fait qui est importante et euh…le groupe est privilégié à l’individu mais euh, si le groupe ne peut pas supporter certaines choses, il y a un moment, ben on n’ira pas plus loin … » Le soignant doit donner du sens au cadre, qu’il soit réfléchi et adapté au patient. Sa cohérence est assurée par un travail en amont de réflexion d’équipe et par une application unanime de celui-ci. Le cadre peut et doit évoluer. Mais pour autant, ne devient-il pas limitant dans la qualité des soins ? À cette question, la réponse est mitigée. Deux infirmiers sur trois précisent qu’à partir du moment où le patient sort du cadre thérapeutique il n’y a plus de soins, et donc pas de qualité de soins. Par ailleurs, en cas de mauvaise orientation, si le patient se retrouve dans une structure non adaptée à sa pathologie, à sa situation, le cadre thérapeutique peut être limitant dans la dispensation du soin. Un des infirmiers enquêtés précise que le fonctionnement institutionnel ne permet pas toujours d’adapter le cadre thérapeutique aux besoins du patient. « il peut être limitant sur pleins d’autres choses, par exemple si le patient dit : moi je veux aller en permission 4 jours et revenir 3 jours et qu'on dit non on peut pas vous proposer ça car en termes de gestion des lits on peut pas le faire, le cadre thérapeutique ne permettra pas d'accueillir ce patient correctement, alors que peut-être que pour certains patients c'est ce qu'il faut… ». 9. SYNTHÈSE : PROBLÉMATIQUE Après l'identification de notre question de départ (la non adhésion aux soins d’une personne psychotique hospitalisée en soins libres peut-elle influencer la qualité des soins infirmier ?), le choix de réaliser des d'entretiens [annexe 2] s'est très vite imposé à nous. C’est un panel de quatre infirmiers d’expérience professionnelle allant de 9 à 17 ans qui compose la base de notre travail de recherche. Ces derniers œuvrent dans deux structures psychiatriques distinctes qui se différencient par leur capacité d'accueil et leur approche thérapeutique. Par 17 ailleurs, afin d'étayer les données d'entretiens recueillies, nous avons également interviewé un médecin psychiatre. Les recherches théoriques et les entretiens nous ont conduits à appréhender de façon non exhaustive ce qu’était la représentation d’infirmiers de l’adhésion, de la qualité des soins, des outils d’évaluation de cette dernière et plus précisément du cadre thérapeutique. L’adhésion aux soins fait référence à d’autres termes utilisés dans la littérature puisque l’on peut parler aussi d’observance, de compliance, ce qui nous mène à des divergences sémantiques en fonction de la place accordée au patient, face au traitement proposé. Nous avons vu que l’adhésion au soin pouvait être limitée du fait de la schizophrénie compte tenu de capacités cognitives altérées, du déni induit par la maladie, de sa chronicité et des traitements au long court. L’adhésion aux soins pour le patient schizophrène est un long cheminement et peut être sujet à variations. Elle fait appel à un élément central qui est la relation soignant / soigné, afin d’instaurer entre eux une alliance thérapeutique. Cette union entre deux individus qui avancent dans le même sens afin de parvenir à un objectif commun. La qualité des soins est un concept très large qui, suivant l’orientation de la recherche, peut être étudié sous de nombreux aspects. Pour ce travail, nous avons choisi celui du professionnel soignant avec toute la subjectivité de l’individu. La qualité des soins, au-delà d’une représentation individuelle et collective, est un ensemble d’outils, de réflexion, de partage avec lesquels le soignant compose et qui doit avoir du sens pour lui-même comme pour le soigné. Parmi, ces éléments structurants de la qualité des soins, le cadre thérapeutique apparaît incontournable. Le soin en psychiatrie prend place, vit à l’intérieur du cadre thérapeutique. Le cadre est donc indissociable du soin et va en conditionner la qualité. Il doit être réfléchi, adapté, structurant, sécurisant pour permettre le soin. C’est un lieu à la fois symbolique et réel d’échange, de partage entre le soignant et le soigné. Il apparaît également que le cadre thérapeutique est un outil d’évaluation de la qualité des soins. En effet, le comportement du patient dans la cadre thérapeutique ainsi que face aux limites de celui-ci va révéler la façon dont il l’intègre et se l’approprie. Cette confrontation au cadre permet d’évaluer le niveau d’adhésion du patient ainsi que son cheminement face aux soins. Le cadre thérapeutique est donc un espace partagé par le soignant et le soigné, les unissant dans une même réalité. Cet espace doit faciliter la création d’une relation de confiance, d’une alliance pérennisant ainsi la qualité du lien. 18 Après analyse des entretiens, nous constatons qu’il a convergence entre la représentation professionnelle et les champs conceptuels. C’est la dimension humaine qui participe à la richesse de la relation soignant / soigné mais peut aussi représenter une limite à la qualité des soins. Le soignant reste humain avec toute sa subjectivité et peut parfois avoir une approche soignante inappropriée. Il existe autant d’individualités que de raisons qui peuvent perturber la qualité de la prise en charge et il est dès lors impossible de tendre vers une objectivité idéale car nous sommes tous constitués de valeurs, de croyances, d’expériences professionnelles et personnelles qui influencent de façon inconsciente nos comportements. Ces conditions nous interpellent sur l’incertitude des situations de soins. En effet, en quoi le fait que rien ne soit jamais définitivement acquis dans la prise en charge d’un psychotique influence-t-il la pérennité de la démarche soignante ? 10. CONCLUSION La non adhésion aux soins d’une personne psychotique hospitalisée en soins libres n’influence pas la qualité des soins. Plusieurs constats viennent étayer cette réponse. En effet, dans un premier temps nous pouvons constater que le système de santé en psychiatrie offre tout un panel d’outils visant une prise en charge de qualité. À savoir un ensemble d’outils thérapeutiques tels que le projet de soins, le recueil de données, le contrat de soins, l’entretien infirmier, le cadre thérapeutique, les réseaux de structures de prise en charge ou encore les prises en charge pluridisciplinaires. Cette institution que représente le champ de la psychiatrie s’organise autour d’un cadre législatif structurant qui participe à limiter les déviances qualitatives. Enfin l’équipe soignante est aussi une ressource importante car elle permet le questionnement, la réflexion, le repositionnement vers un soin de qualité. Par ailleurs, nous pouvons aussi constater que la non adhésion aux soins d’une personne psychotique hospitalisée en soins libres peut influencer la qualité des soins car le système de santé connaît des limites. Il ne peut pas s’adapter à tous les types de prises en charge, du fait de contraintes environnementales, financières, organisationnelles, humaines… 19 BIBLIOGRAPHIE [1] CHATILLON Olivier, GALVAO Felipe. Psychiatrie Pédopsychiatrie. Paris : Editions Vernazobres-Grego, 2013, 489p. [2] MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES, DE LA SANTE ET DES DROITS DES FEMMES. Profession d’infirmier et d’infirmière. Décret numéro 2004-802 du 29 Juillet 2004 relatif aux parties IV et V, journal officiel, numéro 183, 8 août 2004. [3] MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES, DE LA SANTE ET DES DROITS DES FEMMES. La loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Journal officiel, n° 54, 5 mars 2002, 5 mars 2002. [4] MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES, DE LA SANTE ET DES DROITS DES FEMMES. Loi n° 2011-803, 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes. Journal officiel n° 0155, 5 juillet 2011, page 11705. [5] LANGUERANT E. De l’observance à une adhésion sans adhérence. Unité de Formation et Recherches en sciences humaines cliniques. Paris : Université Paris VII, 2005, 60p. [6] OMS (ORAGNISATION MONDIALE DE LA SANTE), Adherence to long-term therapies : Evidence for action, juillet 2003. Disponible sur : http://www.who.int/chp/knowledge/publications/adherence_report/en/ . (Consulté le 01/03/2015) [7] CORRUBLE Emmanuelle, HARDY Patrick. Observance du traitement en psychiatrie. Disponible sur : http://psychologie-mfouchey.psyblogs.net/public/fichiers%20joints/psychiatrie/psychiatrie_Observance_du_traite ment_en_psychiatrie_37-860-A-60.pdf. (Consulté le 01/03/2015) [8] HARDY Patrick, CAILLIEZ Patricia. Le refus de soins somatiques en psychiatrie : aspects éthiques. Disponible sur : http://www.anp3sm.com/wpcontent/uploads/2014/06/Patrick_HARDY_Patricia_CAILLIEZ.pdf. (consulté le 01/03/2015) [9] DESCLIN jean. Mens sana. Disponible sur : http://www.mens-sana.be/index.htm. (consulté le 01/03/2015) [10] DICTIONNAIRE DE FRANÇAIS LAROUSSE. Qualité. Disponible sur : http//www.larousse.fr/dictionnaires/francais/qualit%C3%A9/65477. (Consulté le 24/02/2015) 20 [11] SANTE PUBLIQUE. Qualité des soins : définition. Disponible sur : http://www.santepublique.eu/qualite-des-soins-definition/. (Consulté le 24/02/2015) [12] SAILLANT Francine. Présentation. Vers une anthropologie des soins ?. Anthropologie et Sociétés, 1999, vol. 23, no 2, pp. 5-14. [13] HESBBEN Walter. La qualité du soin infirmier, Penser et agir dans une perspective soignante. Paris : MASSON, 2002, 208p. [14] SANTE MEDECINE. La qualité des soins-définitions. Disponible sur : http://santemedecine.commentcamarche.net/faq/45059-qualite-des-soins-definition. (Consulté le 24/02/2015). [15] MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES, DE LA SANTE ET DES DROITS DES FEMMES. Soins infirmiers : normes de qualité. Disponible sur : http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_du_service_de_soins_infirmiers.pdf [16] MARTIN Michel. Le cadre thérapeutique à l’épreuve de la réalité ( du cadre analytique au pact) ; les cahiers de psychologie clinique, février 2001, numéro 17, pp 103-120. [17] ANZIEU D. Les enveloppes psychiques. Paris : Bordas, 1987, 279p. [18] ALBERNHE Thierry, BOURGEOIS Didier. Qu’appelons-nous cadre thérapeutique. Santé mentale, novembre 2012, numéro 172, pp 27-33. 21 ANNEXES 22 ANNEXES 1 23 ANNEXE 2 1/ Avez-vous déjà été confronté à la prise en charge d’un patient psychotique en HL ? OUI / NON Si OUI ; Cette personne n’adhère pas aux soins, qu’est-ce qui caractérise, pour vous, cette non adhésion aux soins? 2/ Pour vous la non adhésion aux soins est-elle soignante ? OUI / NON Si réponse oui : la non adhésion est soignante, en quoi ? Si réponse NON, la non adhésion n’est pas soignante, pourquoi ? Pour vous, la qualité des soins passe – t- elle forcément par l’adhésion du patient ? 3/ Lors de la PEC d’un patient SCZ n’adhérant pas aux soins, qu’est ce que vous vous êtes dit ? Quelles ont été vos impressions ? Vos ressentis ? → En quoi estimez-vous avoir fait un soin de qualité ? → Dans cette PEC, quelles sont vos priorités ? → Est-ce que la parole du soigné est prise en compte ? oui / non Si oui comment (à travers quoi ? avec quoi ?) a été prise en considération la parole du soigné ? → Quelles sont les limites à la prise en compte de cette parole ? → Que mettez vous en place pour sa PEC ? (Liens avec les outils d’évaluation de la qualité des soins ; cadre thérapeutique ; Projet de soins personnalisé ; contrat de soins ; alliance thérapeutique). → Vous êtes vous déjà dit que la PEC n’était pas efficace ? oui / non Si oui quels ont été les freins à une PEC efficace ? 4/ Pour vous, comment définissez-vous la qualité des soins ? 5/ Comment définissez-vous le cadre thérapeutique ? 6/ Le cadre thérapeutique peut-il être limitant dans la qualité des soins ? 24 Si oui pourquoi ? Si non pourquoi ? 7/ Y a-t-il une limite dans la négociation du cadre thérapeutique ? (le cadre thérapeutique peut il être adaptable pour un patient?) 25 La qualité des soins et la coopération du patient Durant nos stages nous avons rencontrés certains patients qui ne sont parfois pas complètement coopératif pour participer aux soins. Après avoir recherché des informations sur la qualité des soins et les soins en psychiatrie puis avoir rencontré des infirmiers et un médecin, nous avons réalisé l’importance de l’accompagnement du patient pour qu’il soit conscient de sa maladie. Il est important de prendre du temps, d’écouter et de fixer des objectifs avec le patient. Tous pensent que la résultante de la pathologie est la non adhésion car il y a déni des troubles. Par contre la réponse est partagée sur le fait que la non adhésion est soignante ou pas ? Cette non adhésion s’inscrit dans un contexte de lieu, de temps et de cheminement individuel du patient. Les infirmiers comme le médecin pensent que la priorité est l’échange, la parole et l’écoute et de créer une alliance thérapeutique avec le patient. L’outil principal qui permet de créer cette alliance est le cadre thérapeutique. Il doit être ferme, délimité, sécurisant mais doit permettre au patient d’agir librement. En conclusion, l’adhésion ou non adhésion du patient en hospitalisation libre ne concerne que le patient, il est libre et seul décideur. Mais il n’est pas forcement conscient de ses actes. L’important pour l’équipe soignante est de créer du lien avec le patient afin de l’accompagner dans l’évolution de sa pathologie. The quality of the nurse’s practice and the cooperation of the patient In our internship, sometimes we met some patients who were not fully cooperative when asked to take part in their care. After reviewing information on the quality of care and on the care given in psychiatric units, and after meeting with nurses and a doctor, we understood the importance of accompanying the patient in order for him to cure his illness. It’s very important to take time, to listen and to fix adapted objectives with patients. They all thought pathologies were caused by patients refusing to comply as they deny their problems. However their answer about the relationship between healing and non-compliance is not unanimous, as nuances are needed when qualifying the process. It is moreover to be contextualised in the space and time of the patient’s individual path. Nurses and doctors think communication comes first, listening and dialoguing with the patient form a therapeutic alliance. The main tool needed for the alliance is the therapeutic framework. It has to be firm, with clear limits and reassuring yet has to allow the patients to act freely. To conclude, the patient decides freely and for himself whether he wants to comply or not in hospitals. But it does not necessarily understand the consequence of his actions. The health care team’s main goal will be connecting with the patients in order to support them through the evolution of his or her pathology.