P. LAROCHELLE / Le patrimoine bâti au Québec : quand lʼignorance fait loi 5
Dans les années quatre-vingt, cʼest sur la base dʼune telle connaissance
approfondie du milieu bâti existant quʼune équipe pluridisciplinaire comprenant des
architectes et des ingénieurs a élaboré pour la Ville de Rome le premier dʼun nouveau
type de manuels — le manuel de réhabilitation (manuale del recupero) — qui allait
devenir le principal outil de travail des instances responsables de la préservation du
patrimoine et de lʼensemble des intervenants qui participent à lʼentretien ou à la
restauration des édifices dans les centres historiques de plusieurs villes. Le manuel
décrit sous divers angles, y compris statique, les types structuraux exposés à lʼusure et
à la substitution par des produits de construction industriels.
Une nouvelle forme de réglementation a également été élaborée, à partir
dʼanalyses morphologiques détaillées du milieu existant, pour le contrôle des
transformations et lʼencadrement des projets dʼintervention dans les centres
historiques2. Contrairement aux guides dʼintervention architecturale qui énoncent des
prescriptions qui sʼappliquent à lʼensemble des édifices compris à lʼintérieur dʼune aire
protégée, ces règlements définissent des règles différentes selon le type architectural
auquel lʼédifice appartient. Ils imposent des modalités dʼinterventions particulières pour
chaque composante majeure de lʼédifice : lʼenveloppe, la toiture, les murs porteurs,
lʼorganisation spatiale. Il sʼagit dʼassurer la conservation ou la réfection des constantes
qui définissent la typologie et qui caractérisent lʼarchitecture de lʼédifice. Ils précisent
également les usages admis en fonction des caractéristiques intrinsèques propres à
chaque genre dʼédifice et du processus typologique dans lequel il sʼinscrit.
Dʼautres recherches universitaires subventionnées par le Gouvernement italien ont
porté sur le rôle de la mémoire collective dans la manière dʼappréhender le cadre bâti.
Elles ont mené à la promotion dʼune nouvelle approche dans les pratiques de
lʼarchitecture et de lʼurbanisme, une approche caractérisée par une relation étroite entre
le « lecture » du milieu existant et lʼélaboration dʼun projet dʼintervention.
Compte tenu de la distinction nécessaire entre « histoire » et « mémoire », on a
conclu à la nécessité de mettre lʼaccent moins sur la primauté de la conservation
matérielle des objets construits hérités que sur le maintien du sens des lieux et sur le
respect des règles fondatrices de lʼidentité territoriale3.
Cet important développement des connaissances, qui a coïncidé avec
lʼélargissement de la notion de patrimoine aux structures anthropiques urbaines et
2 La réglementation élaborée par Luigi Cervellati et al. dans le cadre de lʼélaboration dʼun plan directeur
de restauration du centre historique de Palerme représente un exemple à suivre.
3 Le cas du silo numéro 5 à Montréal représente un bon exemple de confusion entre « mémoire » et
« histoire » dans les discours sur le patrimoine. On réclame sa conservation matérielle bien quʼelle soit
contraire au sens commun et à lʼIntérêt public, notamment parce quʼelle fi des principes fondamentaux
dʼaménagement des rives en milieu urbain.