la vérité - Abalo Awesso

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LA VÉRITÉ
Introduction
Le concept de vérité désigne le jugement de réalité que l’on porte sur un événement, une chose
ou sur une proposition. On distingue plusieurs types de vérités : les vérités de faits qui se
rapportent à un événement ou à un fait particulier (il pleut) ; les vérités mathématiques qui sont
de type conventionnel (3 + 4 = 7) ou démonstratif, les vérités logiques, etc. On peut donc dire
que la notion de vérité varie selon la nature des disciplines concernées. La vérité dans les
sciences de la nature (physique, astronomie) est ainsi différente de la vérité à laquelle on accède
dans les sciences de l’homme (sociologie, ethnologie) ou dans les sciences pures (logique,
mathématiques). Le projet de ce cours consiste à relever les différentes conceptions de la notion
de vérité et les débats qu’elle a pu susciter, en tâchant de voir comment elle peut évoluer d’une
discipline à une autre. Les principales questions qui définiront les grands axes de cette étude sont
les suivantes : Quelle est la nature de la vérité ? Si la vérité peut varier selon les disciplines
d’étude, les propositions vraies, nous révèlent-t-elles ce que les choses sont, ou alors ce que les
hommes en pensent ? Dans la mesure où le sujet connaissant est par nature différent de l’objet de
connaissance, peut-on espérer accéder à la vérité totale et absolue, ou alors faut-il simplement
parler d’une vérité approchée, voire relative ? Autrement, peut-on accéder à la certitude, c’est-àdire, à la vérité totale ? Ce qui importe pour l’homme, est-ce la recherche de la vérité des choses
extérieures, des phénomènes, ou bien celle de son être profond et de son existence ?
I. DÉFINITION ET PROBLÈME DE CONCEPTION
1. La vérité, est-elle relative ou universelle ?
Il est intéressant de commencer cette réflexion en évoquant le problème de la vérité tel qu’il s’est
posé aux Grecs. La première conception que retient l’histoire de la philosophie est celle des
sophistes. Grands érudits et hautement instruits, les Sophistes considèrent que la vérité dépend de
l’homme. Pour le Sophiste, seul l’homme peut décider de ce que sont les choses du monde. La
tradition philosophique retient le nom de Protagoras, et de son idée qui devint célèbre :
« L’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui sont pour ce qu’elles sont, de celles qui
ne sont pas pour ce qu’elles ne sont pas ». En d’autres termes, la vérité est relative aux hommes.
Les jugements que l’homme émet sur les choses ne sont pas fonction de ce que sont les choses
elles-mêmes, mais plutôt de ce qu’il pense de ses choses. La vérité serait donc relative aux
sentiments ou au but que l’homme poursuit. Platon illustre cette conception des sophistes dans
un dialogue qui oppose Socrate à son interlocuteur Gorgias :
« Chacun de nous est mesure de ce qui est et de ce qui n’est pas. Et de l’un à
l’autre, il existe des différences à l’infini, du fait même que ce qui apparaît et qui
est tel à l’un, apparaît différemment à l’autre ». Platon, Théétète, 166 d – 167 d.
Pour les Sophistes, la vérité est fonction des convenances des hommes. Par elles-mêmes, les
choses n’ont pas de propriétés fixes et ultimes que l’homme devraient chercher à connaître telles
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quelles ; c’est plutôt le jugement de l’homme qui fixe leur état et leur être. Cette conception de la
vérité constitue le relativisme : ce que sont les choses dépend de l’homme et la vérité dépend du
sujet, et, même si elle porte sur une chose identique, elle peut changer d’un sujet à un autre. La
vérité est relative aux convenances des hommes, à leurs intérêts ou à leurs goûts. On pourrait
dire que la conception des Sophistes revient à l’idée selon laquelle « à chacun sa vérité ».
Cette idée des Sophistes sera rejetée par Platon. Pour lui, s’il y a une vérité, elle doit être une et
universelle. L’intelligence humaine doit pouvoir accéder à la connaissance des choses de
manière absolue. La vérité ne change pas selon les individus. Platon soutient que la vérité, ce
n’est pas les choses telles qu’elles apparaissent à nos sens, mais c’est plutôt la connaissance de
l’essence des choses, c’est-à-dire ce qu’elles sont en elles-mêmes. La raison doit faire l’effort
pour dépasser les apparences sensibles, et toucher comme du doigt les Idées immuables et
éternelles dont les phénomènes du monde ne sont que des reflets imparfaits, des images.
Or, Platon pense aussi que ces Idées sont déjà en nous mais nous les ignorons. Notre esprit aurait
déjà contemplé les Idées des choses. L’auteur de La République en prend pour preuve la
connaissance des vérités mathématiques, qui ne découlent pas de l’expérience que nous avons du
monde. Les idées pures, à l’instar des mathématiques, préexistent en l’homme, indépendamment
des sens et de toutes facultés. Connaître revient donc à se ressouvenir de ces Idées. C’est
d’ailleurs pour cette raison qu’on peut avoir une idée juste des choses sans en avoir la science ou
l’expérience : on parle de la théorie platonicienne de la réminiscence.
2. La vérité comme adéquation entre le jugement et la réalité
Si la vérité dépendait de l’homme, comme le veulent les sophistes, la connaissance, aurait-elle
encore un sens ? Une telle vérité, en serait-elle encore une ? On le voit bien, en substituant la
convenance, les intérêts, voire l’humeur à la vérité ou à la connaissance vraie, les sophistes ne
nous permettent pas de saisir le sens réel du mot vérité. La conception platonicienne de la vérité
est elle-aussi critiquable. On ne peut non plus dire que la vérité existe au préalable dans l’esprit.
Car si c’était le cas, on n’aurait même pas besoin de se ressouvenir, et il n’y aurait pas d’avis
différents sur les choses : elles apparaîtraient de la même manière à tous. Mais alors, au fond,
qu’est-ce que la vérité ?
La vérité consiste dans l’accord entre l’intelligence de l’homme et la réalité phénoménale. Ce
n’est pas une chose qui est vraie ou fausse, c’est plutôt le jugement de l’homme qui peut être vrai
ou faux. Les choses sont ce qu’elles sont et leur existence ne dépend pas de l’homme. L’homme
peut seulement juger les choses autrement ou telles qu’elles sont. La vérité consiste donc à ce
que notre jugement corresponde aux choses. C’est la conception d’Aristote pour qui « être dans
le faux, c’est penser contrairement à la nature des objets ». Cette idée d’Aristote sera reprise par
certains penseurs du Moyen-âge tel Saint Thomas d’Aquin. Il dira que la vérité consiste dans
l’adéquation de notre intelligence à la chose.
Dans le prolongement de cette idée, et dans le cadre plus restreint du langage, on distingue la
véridicité et la véracité. La véridicité désigne la propriété d’un énoncé ou d’un discours qui est
en conformité avec la réalité. La véracité, se définit comme la qualité morale d’un discours qui
ne trompe pas et auquel on peut donc faire confiance par assentiment. La véracité s’oppose donc
au mensonge (dire délibérément ce qui est contraire à la vérité).
3. Vérité et doute
La vérité exclut-elle tout doute ? Douter, c’est être dans l’incertitude, ne pas savoir si notre
jugement est totalement vrai ou s’il contient encore quelque fausseté ou erreur. L’histoire des
idées philosophiques retient deux types de doute. Le doute sceptique et le doute cartésien.
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Le scepticisme est une doctrine philosophique qui soutient que l’intelligence humaine ne
peut accéder à la vérité certaine. Pyrrhon fut le fondateur de l’École sceptique. L’homme ne
pouvant pas connaître la nature profonde des choses, il lui est plus bénéfique, pour assurer la
tranquillité de son âme, de suspendre tout assentiment. « Il n'y a jamais eu, il n'y aura jamais un
homme qui connaisse avec certitude ce que je dis des dieux et de l'univers. Quand même il
rencontrerait la vérité sur ces sujets, il ne serait pas sûr de la posséder : l'opinion règne en
toutes choses » (Xénophane). Pour cela, cette doctrine stipule que la recherche de la certitude est
un travail vain. Le scepticisme conseille alors de douter de tout. On doute pour douter, au sens
où à toute vérité valable au toujours opposer une autre vérité elle aussi convaincante. Le doute ici
est une fin en soi, au sens où la finalité du doute c’est le doute lui-même.
A l’opposé du doute sceptique, nous avons le doute méthodique (communément appelé doute
cartésien, du nom de Descartes qui l’a investi comme une méthode de connaissance). Celui-ci
propose qu’on doute de tout jugement jusqu’à ce qu’il n’existe plus aucun doute. « Je suivrai la
même voie (…), en m’éloignant de tout ce en quoi je pourrai imaginer le moindre doute (…), et
je continuerai toujours dans ce chemin, jusqu’à ce que j’ai rencontré quelque chose de certain »
(Descartes, Méditations métaphysiques). Le doute cartésien est une suspension provisoire de la
pensée en vue d’un jugement certain. C’est une « voie », une méthode pour parvenir à la vérité
certaine. On dit que c’est un doute méthodique.
A la suite de Descartes, Claude Bernard recommande le doute dans toute investigation
scientifique. Douter consiste alors à remettre en cause les premières expériences et les premiers
résultats de l’expérimentation. Le scientifique doit prendre du recul, approfondir l’analyse à
toutes les étapes de la méthode expérimentale (Claude Bernard, Introduction à la méthode
expérimentale).
Si le doute cartésien met en exergue l’importance du doute dans la connaissance, en revanche, en
suivant le propos de Descartes, on court le risque de céder dans le dogmatisme. Le dogmatisme
est un courant de pensée qui considère que la raison peut atteindre l’évidence ou la vérité absolue
dans tous les domaines de la connaissance. On retrouve cette idée chez certains modernes
comme Descartes, Leibniz ou encore Spinoza. Cependant, on peut se demander, l’homme, peutil être sûr de la certitude de ses jugements ? L’homme peut-il espérer atteindre la vérité certaine,
dans quelque discipline de connaissance ? La suite de notre analyse proposera progressivement
des éléments de réponse à ces interrogations.
II. L’OPINION – L’ERREUR – L’ILLUSION
1. Vérité et opinion
Le mot opinion vient du grec doxa et signifie la connaissance communément acquise, plus ou
moins confuse. Mais l’opinion, c’est aussi la conception qu’un individu se fait au sujet des
choses et parfois de lui-même, et qui se fonde sur l’éduction, les sentiments, les passions et
désirs, l’expérience de la vie ou encore la croyance religieuse. En grandissant dans la société et
dans le monde, la personne humaine se construit une opinion sur le monde qui l’entoure. On peut
donc dire que l’opinion est chargée de préjugés, au sens où avant même d’analyser la réalité,
l’homme semble la connaître déjà, il en a une idée et celle-ci repose dans la plupart du temps sur
les pensées communément reçues. L’opinion, semble-t-il, n’est donc pas nécessairement vraie. Il
est donc intéressant, du point de vue de l’analyse qui est la nôtre, de nous interroger sur le
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rapport entre l’opinion et la vérité. Quel est le statut de l’opinion dans la connaissance ?
L’opinion correspond-elle vraiment à la réalité ? Peut-on dire que l’opinion constitue un savoir
au sens propre du terme, ou alors, ne représente-t-elle qu’un certain savoir qui n’est pas
nécessairement vrai ?
A leur temps, les philosophes grecs se sont déjà penchés ces questions. Et Platon est celui dont la
réponse retient notre attention. Selon ce dernier, l’opinion n’est pas un savoir, une vérité à
proprement parler, mais une étape vers la vérité. Le savoir (vérité) chez Platon, c’est la
connaissance des réalités dans ce qu’elles ont d’universelle (la connaissance de l’Idée), alors que
l’opinion n’est que la connaissance de l’apparence. Si l’opinion s’intéresse davantage à
l’apparence des choses, Platon estime néanmoins qu’elle est un niveau non négligeable du
savoir. C’est le sens de cette déduction du philosophe : « L’opinion est donc quelque chose
d’intermédiaire entre la science et l’ignorance » (Platon, République, Livre V). Mais si l’opinion
porte sur ce qui apparaît à tous, elle est donc entachée de préjugés. Dans ces circonstances, n’y-til pas le risque d’enfermement dans les préjugés, et donc, l’opinion, ne fait-elle pas finalement
obstacle à la connaissance vraie ?
Le philosophe et historien des sciences Gaston Bachelard (XXe) s’est interrogé à ce sujet sur le
statut de l’opinion dans la connaissance, en général, et dans l’activité scientifique, en particulier.
Celui-ci indique que l’opinion constitue un obstacle à la connaissance vraie et plus
particulièrement à la connaissance scientifique. Pour lui, l’opinion se pense pas, elle se trompe,
elle traduit ses besoins et ses passions en connaissance vraie. La connaissance scientifique
suppose une construction rationnelle et rigoureuse, démarche hélas presque inexistante dans
l’opinion. On peut déduire du propos de Bachelard que pour connaître, il faut analyser, c’est-àdire qu’il faut que l’intelligence humaine étudie la réalité dans ses détails. La connaissance vraie
exige une confrontation entre l’intelligence et le réel. L’opinion ne permet pas de saisir le vrai,
car elle n’analyse pas.
Quelle solution peut-on envisager face à ces conceptions multiples et opposées ? D’abord, il faut
noter que les différentes considérations qui ont été évoquées montrent qu’il y a une sorte de
relation dialectique (dépassement) entre l’opinion et la vérité. Nous pouvons dire que même si
l’opinion n’est pas toujours fausse comme le soutient Bachelard, on ne peut pas compter sur elle
pour connaître la vérité. L’intelligence humaine doit toujours décrypter la réalité ou les
événements de la vie, pour distinguer le vrai du faux.
2. Vérité et erreur
S’il était permis d’emprunter cette analogie, on pourrait comparer celui qui est dans l’erreur à un
randonneur qui s’égare dans la montagne. Involontaire et inconsciente, l’erreur est la marque des
limites de l’intelligence humaine. L’erreur n’est pas volontaire, certes ; mais quand on se rend
compte qu’on est dans l’erreur, il faut changer de voie. Un adage latin dit justement : « Errare
humanum est, sed perseverare diabolicum », autrement dit « l’erreur est humaine, mais
persévérer dans l’erreur est diabolique ».
On peut se demander, au fond, quel est le statut de l’erreur dans la connaissance ? A priori (avant
toute expérience), l’erreur nous éloigne de la vérité. Par exemple, l’opinion peut nous égarer, elle
peut nous induire en erreur et nous pousser à des jugements faux. Si l’homme qui est dans
l’erreur se trompe, on peut donc dire que l’erreur elle-aussi s’oppose à la vérité, ou qu’elle nuit à
la vérité. C’est donc à juste titre qu’on pense que l’erreur est nuisible à l’homme. Or, il semble
bien que l’erreur joue un rôle positif dans la découverte de la vérité. L’erreur permet
indirectement à l’homme d’accéder à la vérité. Mais comment et à quel prix ? En prenant
conscience de nos erreurs et en les corrigeant, nous avançons vers le vrai. On retiendra à ce
propos la célèbre idée du philosophe allemand Hans Reichenbach : « Si l’erreur est corrigée
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chaque fois qu’elle est décelée, alors le chemin de l’erreur est celui de la vérité » (Hans
REICHENBACH).
Cette idée a été soutenue par deux philosophes des sciences, à savoir, Bachelard et Popper. Selon
Bachelard, le savant devrait rechercher les erreurs et les corriger au fur et à mesure. C’est ainsi
qu’on peut avancer vers la vérité. Selon le philosophe des sciences Popper, l’erreur nous instruit
car elle nous dit ce que la chose n’est pas. Popper semble dire finalement qu’une erreur
découverte vaut mieux qu’une vérité. Si celle-ci restera toujours incertaine, en revanche, celle-là
est souvent certaine. L’erreur nous instruit, elle nous renseigne mieux sur la réalité dans le sens
où elle dit ce que la réalité n’est pas. En étant sûr de ce que la réalité n’est pas, on a plus de
« chance » de trouver des pistes qui conduisent vers le vrai.
3. Vérité et illusion
L’illusion consiste à prendre le faux pour du vrai. Dans l’illusion, l’individu croit que ce qu’il
pense, voit ou ressent est du vrai alors que cela ne correspond pas à la réalité. Le jugement est
faux mais l’individu a plutôt l’impression que c’est vrai. Le phénomène de mirage est un
exemple bien connu d’illusion. Dans le domaine des relations amoureuses, par exemple, on peut
avoir l’impression de connaitre l’autre depuis plusieurs années, alors que la première rencontre
relève seulement de quelques jours. Les sentiments que le sujet éprouve pour son amoureux
présumé influent sur son propre jugement et sa perception.
Freud et Marx, ou encore Nietzsche ont employé le concept d’illusion dans la critique qu’ils
adressent à la religion. Ils estiment que la religion illusionne les hommes, au sens où elle
enseigne des pensées complètement différentes de leur réalité existentielle. Les hommes mènent
une existence dure et parfois misérable ; mais les enseignements de la religion leur font croire ou
les persuadent que cette situation est bonne et supportable. De ce point de vue, on peut dire que
les enseignements religieux sont des illusions. Mais tenir un tel propos, n’est-ce pas ignorer la
question de la croyance ? On bute ici sur le problème du rapport entre la vérité religieuse (de
cœur, de foi) et la vérité de l’intelligence pure (savoir).
III. LA VERITE SCIENTIFIQUE : CERTITUDE OU CONJECTURE ?
Quelle est la nature de la vérité en science ? Si la science nous permet d’accéder à une vérité
consensuelle, a-t-elle pour autant le monopole de l’objectivité ? Les vérités scientifiques sontelles éternelles ou provisoires, absolues ou relatives ?
1. La vérité en science comme quête de la certitude
L’application des mathématiques et de la méthode de démonstration a contribué au progrès des
sciences de la nature. De ce point de vue, il faut avouer que la méthode d’observation et de
vérification mise en place par Bacon et exécutée par les savants modernes (Descartes, Newton,
Lavoisier, etc.) a fait de la science une discipline qui atteint un haut niveau de crédibilité. Les
savants modernes pensèrent alors que la science produit des vérités universelles et éternelles.
Mais si la science permet une connaissance objective, ces vérités, sont-elles pour autant des
certitudes ? Pour certains penseurs, la science devrait renoncer à la connaissance si telle est que
la certitude n’est pas son but. Le but de la science est de lever toute possibilité de doute sur les
vérités qu’elle découvre concernant les lois de l’univers. Cette idée a été fortement soutenue par
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Descartes. Pour justifier sa pensée, Descartes n’hésitera pas à faire appel à Dieu : il est parfait, il
existe en nous et c’est lui qui nous inspire les vérités certaines sur les choses.
Cette idée trouve aussi une illustration dans la notion de déterminisme. Les savants modernes
comme Descartes ou Laplace ont pu estimer que la science pouvant maîtriser les lois de la nature
et prévoir le futur avec certitude. Newton a pu avancer qu’il faut accepter que la nature
fonctionne selon les lois de la gravitation ou alors renoncer à la connaissance. Ces propos
montrent clairement que pour la plupart des modernes, le but de la science est de dire la vérité
certaine sur le monde.
2. La science ne peut atteindre la vérité certaine
Malgré les progrès de la science moderne, l’idée de certitude va se révéler très vite comme une
illusion. Les difficultés vont venir de l’intérieur de la science elle-même. Plus la science
progresse, plus on se rend compte de la complexité des phénomènes de la nature et de
l’impossibilité pour la connaissance scientifique d’atteindre des vérités intangibles et éternelles.
De nouvelles expérimentations et observations remettent en cause d’anciennes théories autrefois
réputées certaines. La théorie de la relativité d’Einstein par exemple, remet en cause celle de la
gravité universelle de Newton. La science n’est donc pas une accumulation de vérités certaines.
Dans le domaine de la microphysique, on découvre que quelle que soit la vérité d’une théorie,
elle conserve toujours une marge d’erreur. Pascal disait déjà à ce sujet :
« La vérité est une pointe si subtile que nos instrument sont trop émoussés pour y
toucher exactement. S’ils y arrivent, ils en écachent la pointe, et appuient tout
autour, plus sur le faux que sur le vrai » Pascal, Pensées
Mais si la science n’est pas toute puissante, doit-elle pour autant renoncer à la vérité ?
3. La vérité en science comme erreur corrigée
Si la science ne consiste plus à l’accumulation de vérités certaines, que doit-elle viser de sorte à
conserver le caractère objectif de ses vérités ? La science vise à poser des vérités qu’elle
considère comme toujours provisoires. Si le savant ne peut pas trouver une confirmation
définitive et certaine à ses théories, en revanche, il peut, grâce à la critique et à des tests de plus
en plus sévères, éliminer progressivement les erreurs. Mais les erreurs instruisent aussi le savant
sur la réalité qu’il étudie et ainsi, il s’approche de la vérité (voir le propos sur l’erreur). Les
vérités scientifiques sont désormais considérées comme des conjectures, c’est-à-dire des
propositions à titre d’essai. Un des philosophes des sciences qui a le plus nourri cette conception
est Karl Popper. Ses propos sont clairs :
« La connaissance scientifique (…) devine, elle essaie des solutions, elle construit des
conjectures. Celles-ci (…) ne sauraient être justifiées de manière positive : il n’est pas possible
d’établir avec certitude qu’elles sont vraies, ni même qu’elles sont probables ». Karl Popper,
Conjectures et réfutations
IV. LA VERITE COMME RECHERCHE DE SENS
La réflexion sur la vérité ne saurait se limiter à la sphère scientifique. L’homme a un désir de
vérité qui ne peut se limiter aux solutions étriquées de la connaissance scientifique. La vérité est
convoquée dans l’existence humaine, en tant qu’elle a un lien avec la quête de sens de la vie.
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Plus qu’une question extérieure à l’homme, la vérité devient une question d’ordre existentiel,
c’est-à-dire qu’elle est liée au vécu quotidien de l’homme.
1. La vérité philosophique : vision du monde
La recherche de la vérité en philosophie se démarque de la démarche scientifique. La science
veut saisir les lois physiques qui sont au fondement des phénomènes. La philosophie est une
quête de sens. Comme telle, elle est une vision du monde et de l’homme. La vérité ne se trouve
pas dans l’explication du monde, mais dans sa compréhension, c’est-à-dire dans la possibilité
pour l’homme de donner sens au monde et à son existence. On trouve une telle attitude chez
Socrate, qui fait de la connaissance de soi, le but de la philosophie. C’est aussi tout le sens de la
philosophie de Husserl et de la critique qu’il adresse aux sciences expérimentales. Pour lui, les
sciences recherchent le vrai hors de l’homme, dans les faits. Comme telles, elles éloignent
l’homme du but ultime de la connaissance, qui consiste dans la compréhension philosophique du
monde.
La vérité que l’homme doit rechercher est donc d’ordre philosophique et non scientifique, car
c’est celle-là qui « est en mesure, de déchiffrer l’énigme du monde et de la vie » (Husserl, La
philosophie comme science rigoureuse). Le champ de la vérité réside donc dans la recherche du
sens de la vie et du monde (sens dans la double acception du terme, à savoir orientation et
recherche de signification).
2. La vérité philosophique est inépuisable
On peut se demander quelle est la nature de la vérité philosophique. La caractéristique de la
vérité en tant que compréhension du monde et de la vie est qu’elle ne s’épuise dans aucune
théorie. Car, elle est essentiellement une interprétation continue, elle fait ressurgir des
interrogations. Elle ne relève pas de la preuve ou de la démonstration.
En poursuivant dans la même ligne de pensée, on peut et on doit poser le problème du progrès de
la vérité philosophique. C’est un progrès qui se réalise plutôt en profondeur et non dans
l’extension des théories. Platon ou Aristote sont encore d’actualité au sens où ils posent des
problèmes sur le monde et la vie. Or ces problèmes qui méritent toujours d’être davantage
interprétés. On ne peut dire que les théories philosophiques actuelles, de Husserl ou de Raymond
Aron sont supérieures à celles de Platon ou d’Aristote. La vérité philosophique, en tant que
compréhension du monde est une quête inachevée de sens du monde et surtout de l’existence
humaine.
3. La vie comme recherche de vérité
Nous pouvons avancer dans notre analyse en affirmant que la vie de l’homme devrait consister
dans une recherche de vérité. Saint Thomas avait fait de la recherche de la vérité l’activité ultime
de l’homme. Mais cette vérité est ici comme le veut l’étymologie du mot alèthéia, qui signifie
dévoilement. Mais de quoi est-elle le dévoilement ? Nous répondons qu’elle est dévoilement de
l’être. La vérité consiste dans la recherche de l’unité de l’être. Pour cette raison, on peut dire que
nos paroles, nos actions et nos décisions doivent viser la vérité, c’est-à-dire qu’elles doivent
exprimer notre être profond. L’homme doit enlever le voile qui le couvre et se contempler dans
sa nudité. On retrouve ici tout le projet que Socrate assigne à la l’homme : « Connais-toi toimême ». Se connaître, c’est être dans la vérité de soi et avec soi. L’homme évitera alors les
illusions et le mensonge. C’est ainsi que nous pouvons nous affirmer et prendre toute la place qui
est la nôtre dans le monde.
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Dans cette quête inlassable de la vérité, l’intelligence humaine doit se garder de deux dérives :
d’une part le dogmatisme qui prétend que la raison peut tout connaître, et, d’autre part, le
scepticisme qui pense que la raison ne peut rien savoir avec certitude.
Conclusion
La vérité est une valeur importante dans la vie de l’homme. Le désir de savoir que nourrit chaque
être humain s’accompagne du désir de vérité. Souvent nous entendons des personnes dire : « J’ai
ressenti une liberté profonde quand j’ai dit la vérité », « je le pardonnerai, s’il dit la vérité » ou
encore « maintenant qu’il a dit la vérité, je peux oublier le mal qu’il m’a fait », etc. Souvent dans
les assises judiciaires, les parents et proches de la victime viennent réclamer la vérité, comme si,
l’auteur présumé du crime rendait l’être disparu en avouant son crime. La vérité, abriterait-elle
l’Être ? A cette question, personne, en toute conscience et au regard des analyses précédentes, ne
saurait répondre par la négative. Mais la vérité ne fait pas que révéler l’être, elle est aussi
l’accomplissement de l’être. Paradoxalement, la vérité est une valeur que l’homme ne peut
prétendre posséder totalement. Les sciences ont avoué leur échec dans leur souci de certitude.
Même la vérité philosophique en tant que quête de sens de la vie et du monde ne peut être saisie
dans sa totalité. Cependant, si l’homme ne peut accéder à une vérité absolue, il ne saurait choisir
la voie étriquée qui consisterait à renoncer à toute recherche de vérité. Rechercher la vérité sans
se lasser, n’est-ce pas dans cette tâche que réside toute la grandeur de l’homme, en tant qu’être
doué de raison ?
Quelques sujets :
Douter, est-ce renoncer à la vérité ?
La vérité, exclut-elle tout doute ?
Peut-on douter de tout ?
Faut-il douter de tout ?
Est-elle absurde de dire que l’erreur sert la vérité ?
Faut-il avoir peur de nos erreurs ?
La science peut-elle connaître le vrai ?
Peut-on connaître la vérité absolue ?
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