Les passerelles entre les dramaturgies pour le théâtre et pour la
radio : transcription d’un débat important
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version sans image de l’écriture pour le cinéma : on appelle parfois les pièces
radiophoniques « scénarios ». Cela tient à la manière dont on les réalise, c’est-à-dire à la
manière dont sont construites les productions. Je pense que si l’on produisait autrement, on
envisagerait l’écriture autrement. J’écoutais par exemple des trucs du Belge Sebastian
Dicenaire, qui ne travaille pas du tout comme nous : du fait qu’il n’a pas les mêmes
impératifs de calendrier de production, cela donne des textes complètement différents, dans
lesquels les questions d’espace et de temps n’ont rien à voir avec le cinéma. On peut être
dans plusieurs lieux simultanément ; on peut être dans la tête du personnage ou à
l’extérieur. Il peut y avoir des personnages sans corps ou même avec, mais pas de la même
manière qu’au théâtre.
On a souvent l’impression de devoir se limiter à des successions de séquences intérieur-jour
et extérieur-nuit, alors que nous avons en réalité beaucoup de possibilités, autant qu’au
théâtre. À la radio, on a du mal à coloniser tout cet espace là. Quand ont été enregistrées les
premières fictions, tout le monde croyait que c’était pour de vrai ; il y avait un effet de réel.
Dans l’écriture radiophonique, peut-être même qu’on a régressé par rapport à une époque
durant laquelle on pouvait l’envisager, à la manière du théâtre, comme un champ de
possibles, sans limitation, sans borne. Cela tient pour moi au mode de production, au temps
que l’on passe à écrire, à l’ordre dans lequel on fait les choses – écrire, produire, enregistrer
–, la place de l’improvisation ou pas, le travail avec les comédiens… Au théâtre, l’écriture
dramaturgique ne veut parfois plus dire grand chose : on ne sait plus qui écrit ; certaines
créations sont collectives, avec 12 personnes qui écrivent en même temps ; certaines parties
sont improvisées, d’autres non. Tout cela nourrit l’écriture théâtrale. À la radio, cela reste
encore difficile. Ce doit être possible, mais ça demande d’inventer des façons d’écrire qui
soient aussi des façons d’envisager l’art radiophonique en soi, avec sa spécificité, avec ce
qu’il est le seul à pouvoir faire.
Sophie-Aude Picon
Je suis complètement d’accord avec ce que vient de dire Benjamin. On manque un peu
d’imagination pour les écritures radiophoniques. Effectivement, c’est beaucoup plus proche
de l’écriture scénaristique que de l’écriture théâtrale. Il existe des textes dans lesquels nous
trouvons une espèce d’ubiquité, un personnage à l’intérieur de la tête duquel on est, avec
l’écriture de monologue intérieur, tout en étant dans un espace et pouvant passer d’un
espace à l’autre, par le travail des ellipses temporelles. Tout cela est formidable : on peut
faire très facilement à la radio, alors que c’est plus délicat au théâtre. J’ai toutefois
l’impression qu’on ne nous provoque pas accès au niveau de la réalisation, pour trouver des
solutions. Nous sommes prêts à imaginer, mais parfois nous en rajoutons un peu par rapport
aux textes qui nous sont proposés, parce que nous voulons tenter des choses… Nous venons