1
Individuation et vision du monde :
Enquête sur l’héritage ontologique de la phénoménologie
Élodie Boublil
Département de Philosophie
Université McGill, Montréal
Avril 2013
A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment
of the requirements of the degree of Doctor of Philosophy.
© Élodie Boublil 2013
i
Remerciements
Je remercie en premier lieu l’Université McGill et les membres du département de
philosophie. Les professeurs Alia Al-Saji et Bettina Bergo doivent être remerciées
pour leur supervision et la liberté offerte au cours de la rédaction de ce travail.
Cette « enquête » n’aurait pas été possible sans le concours des personnes et des
institutions suivantes : le Centre Canadien d’Etudes Allemandes et Européennes
(CCEAE, Montréal), les Archives Husserl de Cologne, Stefan Kristensen qui nous
a communiqué sa transcription des manuscrits inédits de Merleau-Ponty,
consultés à la Bibliothèque Nationale de France. Qu’ils soient ici remerciés.
Je remercie également, chaleureusement, Françoise Bonardel. La plupart des
questions ici traitées sont nées de la culture philosophique transmise par son
enseignement à l’Université Paris I et n’auraient pu être élaborées sans ses
encouragements, son amitié et sa confiance. Je remercie également Renaud
Barbaras pour avoir soutenu ce projet et suivi les étapes de son développement.
Selon le mot de Nietzsche, il n’y a pas de meilleure advenue à soi-même « que de
se souvenir de ses maîtres et de ses éducateurs ».
Je remercie par ailleurs Christine Daigle avec laquelle j’ai travaillé
quotidiennement en vue de la coédition du volume Nietzsche and
Phenomenology, élaboré parallèlement à la rédaction de cette thèse doctorale. Son
soutien et sa rigueur m’ont inspirée. Je remercie également Amy Macdonald pour
son assistance dans la préparation et la mise en page finale de ce document.
ii
Résumé
Dans cette thèse, je démontre que la tradition phénoménologique développe
une redéfinition ontologique de l’individuation du sujet fondée sur la notion
d’intentionnalité opérante. J’explique comment cette redéfinition offre une
nouvelle approche de la vision du monde et des relations intersubjectives qui ne
serait ni réflexive ni représentative. Néanmoins, cette configuration montre le
développement parallèle de l’individuation du sujet et de ses expressions, grâce à
une ontologie relationnelle, aux implications épistémologiques et éthiques.
Analysant la phénoménologie de Husserl, je mets au jour le rapport entre
individuation et intentionnalité en montrant que cette relation permet de repenser
les problèmes de l’ipséité et de la différence (1). A la lumière de lanalyse
heideggérienne du Dasein et de la description merleau-pontienne du corps propre,
je montre alors que l’individuation doit être conçue comme un processus
permanent de différenciation qui ne repose plus sur le schéma hylémorphique ou
sur la représentation cartésienne du sujet (2). Je décris le type de « mouvement »
ontologique qui caractérise l’individuation, en m’appuyant sur Patočka et
Simondon, afin de montrer la corrélation de la manifestation du monde et de
l’individuation du sujet (3). Celle-ci suppose la nécessité paradoxale de la
contingence afin de pouvoir penser l’individuation comme ouverture radicale,
modelée par une certaine forme d’altérité. En m’appuyant sur l’ontologie tardive
de Merleau-Ponty, la psychanalyse et l’herméneutique, je cherche ensuite à
dévoiler la structure analogique mais non représentationaliste du sensible et à
repenser la corrélation à la lumre du processus d’individuation éprouvé par le
sujet (4). Rendant compte de la généralité et de la générativité du mouvement
charnel, je démontre pour finir que cette structure analogique permet d’élaborer
des conceptions de l’individuation et de la réflexivité requérant moins la « mort
du sujet », comme dans l’optique poststructuraliste, que sa métamorphose et son
advenue. Cette thèse conclut en ouvrant des perspectives utiles à la
compréhension de la vie, dans les recherches épistémologiques contemporaines
(5), et à l’examen éthique de nos visions du monde et de la responsabilité qui
incombe au sujet, dans l’épreuve contingente de ses désirs (6).
iii
Abstract
In this dissertation, I argue that the phenomenological tradition develops an
ontological redefinition of the subject’s individuation based on operative
intentionality. I explain how this redefinition offers a new approach to world’s
perception (vision du monde) and intersubjective relations that is paradoxically
neither reflective nor representational. This new approach rests on a perceptive
imaginary relying on prereflective and embodied processes. Yet, this
configuration exhibits the parallel development of the individuation of the subject
and its expressions, thanks to a relational ontology that bears epistemological and
ethical outcomes. Analyzing Husserl’s phenomenology, I recast the relation
between individuation and intentionality by showing how this relation thinks
anew the issues of ipseity and difference (1). Thanks to Heidegger’s analysis of
Dasein and Merleau-Ponty’s description of the corps propre, I then show that
individuation has to be conceived as an ongoing differentiation process that no
longer relies on the hylemorphic principle or the Cartesian picture of the subject
(2). I describe the kind of ontological “movement” that characterizes
individuation, referring to Patočka and Simondon in order to show that the
subject’s individuation is tied to the world’s manifestation and that the
phenomenological perspective poses the paradoxical necessity of contingency in
order to consider individuation as radical openness shaped by otherness (3).
Taking my lead from Merleau-Ponty’s late ontology, psychoanalysis, and
hermeneutics, I uncover the analogical yet nonrepresentational feature of
the sensible in order to reframe the phenomenological correlation according to the
individuation process that the subject undergoes (4). Accounting for the generality
and the generative movement of the flesh, I ultimately argue that this analogical
structure provides us with conceptions of individuation and reflexivity that require
not the “death of the subject,” as in poststructuralist thought, but its
metamorphosis and advent. New paths are therefore opened, both for
contemporary epistemological endeavors to understand life (5) and for ethical
concerns about contemporary worldviews and the self-responsibility to be lived
through the contingency of our intersubjective desires (6).
iv
Préface : Une phénoménologie de l’individuation personnelle et collective
Cette thèse propose une élucidation du traitement phénoménologique du problème
de l’individuation personnelle et collective. Elle représente une contribution à la
fois historique et philosophique : historique, car elle rend explicite et analyse les
différentes reformulations du concept d’individuation dans les œuvres des
principaux penseurs de la tradition phénoménologique ; philosophique, car elle
élabore, au fil de cette enquête, une redéfinition de l’individuation, pensée à partir
de la manière dont le sujet perçoit le monde et dont celui-ci apparaît au sujet, en
vertu d’une dynamique de phénoménalisation étrangère aux réifications de la
pensée représentative.
Si les concepts d’individuation et de vision du monde, dans leur acception
métaphysique, ont été explicitement déconstruits et critiqués, tant par la
phénoménologie que par la philosophie analytique, leur examen à titre de
« phénomènes » et leur réélaboration théorique sont restés en toile de fond des
analyses philosophiques alors développées. L’individuation et la vision du monde
qui conditionnent le rapport du sujet à son environnement paraissent alors aller de
soi, sans que soient véritablement remises en question et explicitées la structure et
la genèse de ces phénomènes. En effet, hormis la thèse doctorale de Simondon,
L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, peu de
traitements directs ont été proposés, conduisant alors une partie de l’épistémologie
et de l’éthique contemporaines à fonctionner, malgré elle, avec les paradigmes
théoriques de l’ontologie cartésienne ou du criticisme kantien.
En prenant pour fil conducteur, la notion d’intentionnalité opérante présentée par
Husserl, notre flexion offre une relecture du projet phénoménologique et de ses
ambitions, autant d’un point de vue méthodologique qu’ontologique deux
dimensions réunies inexorablement au sein d’une philosophie qui est avant tout
pratique et expérience de soi-même comme du monde. Interrogeant de manière
critique les projets de « synthèse » et de « système », notre thèse pose les
prémisses d’une compréhension de la phénoménologie comme ontologie
relationnelle et praxis toujours ouverte de l’individuation, personnelle et
collective.
1 / 311 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !