iv
Préface : Une phénoménologie de l’individuation personnelle et collective
Cette thèse propose une élucidation du traitement phénoménologique du problème
de l’individuation personnelle et collective. Elle représente une contribution à la
fois historique et philosophique : historique, car elle rend explicite et analyse les
différentes reformulations du concept d’individuation dans les œuvres des
principaux penseurs de la tradition phénoménologique ; philosophique, car elle
élabore, au fil de cette enquête, une redéfinition de l’individuation, pensée à partir
de la manière dont le sujet perçoit le monde et dont celui-ci apparaît au sujet, en
vertu d’une dynamique de phénoménalisation étrangère aux réifications de la
pensée représentative.
Si les concepts d’individuation et de vision du monde, dans leur acception
métaphysique, ont été explicitement déconstruits et critiqués, tant par la
phénoménologie que par la philosophie analytique, leur examen à titre de
« phénomènes » et leur réélaboration théorique sont restés en toile de fond des
analyses philosophiques alors développées. L’individuation et la vision du monde
qui conditionnent le rapport du sujet à son environnement paraissent alors aller de
soi, sans que soient véritablement remises en question et explicitées la structure et
la genèse de ces phénomènes. En effet, hormis la thèse doctorale de Simondon,
L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, peu de
traitements directs ont été proposés, conduisant alors une partie de l’épistémologie
et de l’éthique contemporaines à fonctionner, malgré elle, avec les paradigmes
théoriques de l’ontologie cartésienne ou du criticisme kantien.
En prenant pour fil conducteur, la notion d’intentionnalité opérante présentée par
Husserl, notre réflexion offre une relecture du projet phénoménologique et de ses
ambitions, autant d’un point de vue méthodologique qu’ontologique – deux
dimensions réunies inexorablement au sein d’une philosophie qui est avant tout
pratique et expérience de soi-même comme du monde. Interrogeant de manière
critique les projets de « synthèse » et de « système », notre thèse pose les
prémisses d’une compréhension de la phénoménologie comme ontologie
relationnelle et praxis toujours ouverte de l’individuation, personnelle et
collective.