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Complexité et Ruptures d’échelles
Sciences de la nature, techniques, sociétés
Vincent Bontems (CEA-Larsim)
« SCIGRAD 2011 »
Paris – 26-27 octobre 2011
Qu’est-ce qu’une situation complexe ?
La complexité appartient-elle au domaine objectif ou caractérise-t-elle une méthode
subjective ?
Elle se situe dans un « entre-deux », dans la relation entre sujet et objet :
Paul Valéry : La complexité désigne la propriété « d’un état de choses (…) qui nous
égare, nous interdit la moindre prévision, nous ôte la possibilité de raisonner sur
l’avenir » (Regards sur le monde actuel, 1931)
Elle signale les limites du réductionnisme :
Gaston Bachelard : « Alors que la science d’inspiration cartésienne faisait très
logiquement du complexe avec du simple, la pensée scientifique contemporaine essaie
de lire le complexe réel sous l’apparence simple fournie par les phénomènes
compensés » (Nouvel Esprit scientifique, 1934)
Elle présente plusieurs degrés de complexité, à différentes échelles :
Warren Weaver : La complexité relève des « problèmes qui impliquent de traiter
simultanément avec un grand nombre de facteurs qui sont en situation
d’interdépendance dans un système organique » (Science and Complexity, 1950)
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Les trois régimes épistémiques de
complexité
) La complication de la simplicité : la mécanique rationnelle.
) La complexité désorganisée : la thermodynamique et la mécanique
statistique.
) La complexité organisée : évolutions non-linéaires, turbulences,
transitions de phase du second ordre, mécanique quantique, etc.
Analyse épistémologique :
La complexité intervient dans les situations où le déterminisme linéaire ne
parvient plus à corréler l’évolution de plusieurs échelles de mesure d’un même
phénomène ; cette limite des horizons de prédictibilité est directement liée à la
limite de la résolution de l’information ; elle est révélée par les « ruptures
d’échelle » qui se produisent au cours des progrès de la
« phénoménotechnique ». « SCIGRAD 2011 »
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Insuffisance de la réponse simulationniste
En l’absence de modélisation adéquate, les scientifiques recourent à des simulations multi-scalaires.
Frank Varenne : « Une simulation est un processus automatisé (computation) opéré sur des symboles
discrets par d’autres symboles, en vue d’une finalité de symbolisation (avec ou sans définition
préalable du système symbolisé). Le passage à la signification est effectué soit par un opérateur
humain, soit par un logiciel de reconnaissance de patterns, mais il suppose toujours un changement
de niveau. Une simulation présente donc toujours une « hiérarchie dénotationnelle » (Nelson
Goodman) : il faut désagréger le processus complexe en éléments ; puis simuler la dynamique
d’interaction de ces éléments ; avant de réagréger l’information à un autre niveau ».
Trois points cruciaux sont à relever :
) On échappe pas à la méthodologie réductionniste. La simulation tente de ramener la complexité
organisée à un régime organisé ou de complication, sans assurance que la simulation soit une
modélisation.
) Même si la dynamique de l’échelle élémentaire est interprétable comme une modélisation du
processus réel, rien n’assure que l’émergence de ses effets à un autre niveau ne le soit : il y a deux
niveaux distincts de symbolisation.
) Le second niveau de symbolisation est « bricolé ». L’expédient simulationniste ne résout donc en
rien l’absence d’une modélisation transdéterministe en fonction de la relativité des échelles
(météorologie).
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La philosophie de l’individuation et le régime
épistémique de complexité organisante
Gilbert Simondon, L’Individuation à la lumière des notions
de forme et d’information, 2005.
L’individuation est un processus d’amplification à une échelle
médiate entre deux ordres de grandeur incommensurables :
« Le véritable principe d’individuation est médiation, supposant généralement
dualité originelle des ordres de grandeur et absence initiale de communication
interactive entre eux, puis communication entre ordres de grandeur et
stabilisation. En même temps qu’une énergie potentielle (condition d’ordre de
grandeur supérieur) s’actualise, une matière s’ordonne et se répartit (condition
d’ordre de grandeur inférieur) en individus structurés à un ordre de grandeur
moyen, se développant par un processus médiat d’amplification » (p. 27)
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