4SCÈNES N°17 L’ARTISTE ET L’INSTITUTION, DÉCEMBRE 2006, ÉDITÉ PAR LA MAISON DU SPECTACLE-LA BELLONE
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y déposera le costume néces-
saire à la représentation treple-
vienne. Vérifi cation du bouquet
de fl eurs offert par Nina à Dorn,
et qui sera déchiqueté par Pau-
lina dans la minute. Malheureu-
sement la production a dû opter
pour des fl eurs en tissu et plasti-
que, beaucoup moins agréables
à manipuler ou à détruire (pour
ma partenaire) mais moins oné-
reuses sur la longueur. J’éva-
lue l’étendue des dégâts de la
veille. Bilan : ne plus investir
dans les hortensias. Je commu-
nique mon rapport à Yvan, notre
régisseur général, en lui indi-
quant quelles sont mes fausses
fl eurs préférées à racheter (les
petites roses en grappes, les la-
vandes, surtout pas de grosses
grandes fl eurs) pour la confec-
tion rapide de bouquets scéni-
ques. Cette motte, je la dépose
non composée, en désordre, en
masse, sous la chaise (sur la-
quelle repose mon bandeau de
colin-maillard) où j’attends de
faire mon entrée pour le deuxiè-
me acte, juste à côté d’un go-
belet d’eau. Très peu de temps
pour boire à ce moment, et très
peu de temps pour aller vider
ma vessie… La tasse contenant
les pois chiches n’a pas bougé
et le pendentif de l’acte trois
(« Si un jour tu as besoin de
ma vie, viens et prends-la »),
Alex l’a évidemment déjà remis
en place. Je démêle sa petite
chaîne si nécessaire. Je sur-
veille les boîtes de kleenex. En
redescendant vers ma loge, je
salue mes partenaires si je ne
les ai pas encore croisés ou s’ils
ne m’ont pas encore visitée à
domicile (c’est-à-dire dans ma
loge). Tous mes accessoires ont
été vérifi és, vient le moment de
me retrancher du groupe pour
protéger ma concentration et
l’amener au cœur de l’histoire
et du/des lien(s) que j’ai tissé(s)
avec elle. Je m’allonge sur ma
couchette, fais quelques étire-
ments, chandelle, dérouille mes
membres. Calme. Jacques nous
avait priés de nous munir, pour
ce projet, de photos d’êtres
aimés (famille ou autres), de do-
cuments d’êtres chers, de pho-
tos d’enfance. « Travailler sur
la photographie de ses parents,
de son enfant, de son premier
amour, ou de tout être cher. Pas
sur une idée de ces photos, el-
les doivent exister réellement,
on peut même les porter sur
soi, dans son costume comme
un talisman, une dédicace. Pho-
tos d’êtres chers disparus ou à
disparaître. Les regarder avant
de lire, de jouer. En particulier
les scènes gaies (et qu’elles
soient gaies !).10 » J’ai obéi de
manière zélée à la consigne et
ma loge s’est presque transfor-
mée en mausolée m’obligeant
(ou plutôt obligeant notre ado-
rable équipe technique) à trans-
porter tout ce brol en tournée,
partout où nous déposions no-
tre « ouvrage ». Pas une photo,
pas une carte dans laquelle
je ne plonge mon regard, mes
souvenirs, chaque soir pour en
saisir la moelle, l’indicible, m’y
connecter. « Nous allons tous
mourir un jour, restent les pho-
tos, c’est-à-dire quoi ? » répète
à nouveau Jacques. Associations
d’idées, d’images, de sons, cou-
leurs, voix, sensations. Surgis-
sement d’émotion. Une petite
porte s’ouvre. Les paroles du
metteur en scène, accoucheur
d’âmes, me reviennent, enco-
re, douces, profondes, amènes
et douloureuses à la fois… Le
travail d’une vie, la somme des
expériences dont il nous fait
bénéfi cier. Sois béni, porteur
d’êtres en souffrance, homme,
humain entre tous. Ses phrases,
ses mots et le regard qui leur
donne sens et force, voyagent
devant mes yeux ouverts qui
déjà ne m’appartiennent plus
entièrement. « Tout doit être
doux. C’est un spectacle doux.
Eux aussi sont doux, dans le re-
gret, sincère, d’avoir été bles-
sants, égoïstes, méchants dans
leur vie et de ne pouvoir rattra-
per ces instants… Ils ne sont pas
doux d’une manière appropriée.
Pas au bon moment, pas avec la
bonne personne, pas de la fa-
çon qui conviendrait. Ou rare-
ment. Ils souffrent de façon ru-
gueuse, agressive, désespérée,
pas devant la bonne personne,
pas au moment où elle pourrait
compatir, pas de la façon qui
pourrait la toucher. Leur pro-
pre souffrance les rend sourds
à la souffrance, la détresse de
l’autre les blesse comme une
insulte personnelle. Ils peu-
vent fi nir par s’étreindre alors,
comme des animaux affolés et,
un bref instant, ils se donnent
chaud. Mais ils n’ont rien en-
tendu. Et cependant tout est
doux. Personne, personne n’est
méchant, mauvais. Personne
n’est puissant. Personne ne
prend plaisir au mal. »11 Ou en-
core : « “ LITTLE WING ”, ce n’est
pas qu’une chanson hippie des
années 60 par le plus grand gui-
tariste de tous les temps. C’est
aussi une indication de jeu pour
tous. Tendresse, fi erté, techni-
que maîtrisée au bord de la per-
te de contrôle, désir d’amour et
désir de se perdre, une énergie
qui pourrait durer des heures
pour quelques minutes de per-
fection seulement12. » Ou : « Un
sourire, un vrai sourire, inat-
tendu, chacun, une fois13» et
« Treplev se tue, Nina “ porte
sa croix ”. Certains personnages
ont une attitude explicitement
défi nie envers la vieillesse et
la mort. Arkadina : ne jamais y
penser (dit-elle… ). Sorine : la
repousser en se soignant, vou-
loir vivre intensément dans ses
vieux jours ce qu’on n’a pas
vécu plus jeune. Dorn : s’y pré-
parer avec sérieux, l’accepter
avec stoïcisme. Et les autres ?
Et les acteurs à travers les per-
10 Note aux acteurs de LA MOUETTE, Jacques Delcuvellerie.
11-15 Idem.
16 Mathilde Lefèvre.
17 Medvedenko, Olindo Bolzan.
18 Maurice Sévenant.
19 Julien Roy.
20 Christian Léonard.
21 Alfredo Canavate.
22 Musicien modulateur magicien (ça c’est moi qui rajoute).
Itinéraire bis