RPS: le droit social Européen et français. Nina Tarhouny / Patrick Cahez 1 – LA HIERARCHIE DES NORMES Nina Tarhouny : Bonjour à tous, je suis Nina Tarhouny, doctorante en droit spécialisée dans les risques psychosociaux. J'ai travaillé sur cet atelier en collaboration avec Patrick Cahez qui n'est malheureusement pas là aujourd'hui. Je vais vous présenter plusieurs points. Je vais commencer par la hiérarchie des normes juridiques. A chaque point, on va faire une petite pause question. Je prendrai les questions rapides et, à la fin, on pourra prendre les questions un peu plus longues et vos commentaires. Dans la hiérarchie des normes juridiques, vous avez d'abord la hiérarchie juridique en droit international. Je vais vous expliquer tout ça parce qu'après, sur les points suivants, vous allez voir pourquoi est-ce que les entreprises, le droit français doivent respecter cette hiérarchie des normes juridiques. En droit international, vous avez en fait La hiérarchie des normes On appelle hiérarchie des normes l'ordonnancement juridique selon lequel chaque norme appartenant à une catégorie doit se conformer aux principes posés par la catégorie qui lui est supérieure. Une norme inférieure ne peut pas porter atteinte au minimum des garanties posées par la norme supérieure. La norme inférieure peut en revanche prévoir des garanties plus importantes. La norme supérieure pose un standard, un minimum. Cela signifie qu'une norme ne peut pas déroger au standard de la règle qui lui est supérieure et qu'une telle contravention frappe de nullité la norme inférieure. En droit français la hiérarchie normative se compose de la sorte : Traités de droit international signés et ratifiés par la France On appelle « instruments internationaux » les traités. Parmi les plus importants et pertinents il faut se référer à : Charte des Nations Unies Pacte international relatifs aux droits civils et politiques Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels Convention internationale des droits de l'enfant 1/5 Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales Charte sociale européenne Les Conventions de l'organisation internationale du travail Une liste bien plus importante existe touchant tous les domaines. A chacun de ces instruments internationaux correspond un organisme de contrôle chargé de veiller au respect des traités et en sanctionner les violations. La Cour de Strasbourg veille ainsi au respect de la Convention européenne des droits de l'homme, le Comité européen des droits économiques et sociaux à la Charte européenne des droits sociaux, le Comité des droits de l'homme à Genève au pacte international des droits civils et politiques etc. Chacun des organismes de contrôle prévoit ou pas un mode de saisine individuel ou collectif et rend des décisions ou des observations qui peuvent être invoquées et s'imposent au juge national. L'émergence d'un « ordre public international » fondé sur les droits de l'homme s'impose progressivement. Droit coutumier international Le Conseil d’État juge que les règles coutumières de droit international s'appliquent en droit français. La Déclaration universelle des droits de l'homme – qui est une règle coutumière – peut être invoquée. L'effet du droit international Tout comportement ou texte faisant échec à une disposition de droit international ratifiée par la France est inconventionnel, c'est-à-dire qu'il est illégal. Le plaideur peut soulever cette contravention au droit international devant le juge national au moyen de « l’exception d'inconventionnalité ». Celle-ci donne le pouvoir au juge national d'écarter la loi nationale inconventionnelle et d'appliquer les principes du droit international. Droit de l'Union européenne Les principes qui fondent l'Union européenne sont la démocratie, les droits de l'homme et le respect de la dignité humaine (art. 1° de la Charte des droits fondamentaux). Son but est d'assurer une société de progrès et de justice sociale selon la Cour de Luxembourg. Ces principes posent l'ordre public européen. L'article 6 du traité de fonctionnement de l'union européenne incorpore les principes de la Convention européenne des droits de l'Homme au droit de l'Union. « Le droit de l'Union européenne est composée du droit primaire et du droit dérivé : » Droit primaire : Le droit primaire est constitué des traités signés entre les États qui fixent les compétences, les institutions et le fonctionnement de l'Union européenne, à savoir : • le Traité consolidé de l'Union européenne • le Traité de fonctionnement de l'Union européenne • la Charte des droits fondamentaux Droit dérivé : Le droit dérivé est le droit de l'Union qui est créé dans le cadre et pour la mise en œuvre du droit primaire. Il s'agit : • les Directives • les Règlements • les Accords européens Le droit primaire et le droit dérivé sont complétés par la jurisprudence de la Cour de Luxembourg qui s'impose au législateur, à l'exécutif et au juge national. Si l'un d'eux prend une décision faisant 2/5 échec au droit de l'Union, il y a dès lors violation du droit de l'Union qui peut faire l'objet d'une plainte auprès de la Commission européenne. Il n'existe aucune immunité : 51% des condamnations des États par la Cour de Luxembourg ont pour origine des plaintes individuelles. En droit interne français 1. La Constitution de 1958 2. le Préambule de la Constitution de 1946 3. la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 4. le droit de l'Union européenne selon l'article 88-1 de la Constitution La loi a certes prévu la question prioritaire de constitutionnalité. Cependant, le Conseil constitutionnel n'est pas une juridiction mais une institution politique. Ses membres sont nommés par le pouvoir et ne sont pas des magistrats. Il faut préférer l'exception d'inconventionnalité à la question prioritaire de constitutionnalité. La Loi La loi sont les textes votés par l'Assemblée nationale et le Sénat. Le Règlement Les règlements sont les textes pris par l'autorité administrative ou le pouvoir exécutif. Ils vont du décret à la circulaire. Un règlement doit donc être en conformité avec la loi, la constitution, le droit de l'Union européenne et le droit international. La contravention à l'une des normes supérieures le rend inapplicable et entraîne la responsabilité de son auteur à en réparer les dommages. Le cas particulier des contrats et des accords Le Code civil pose le principe que le contrat est la loi des parties. Cependant, la liberté contractuelle n'est pas absolue. Elle doit se conformer à la loi, à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Cela signifie qu'un accord d'entreprise ne peut pas faire échec à des standards posés par la loi, la constitution, le droit de l'Union ou le droit international. Un accord entre employeur et travailleurs ne saurait pas réduire les droits aux travailleurs garanti par une norme supérieure. C' est illégal. Commentaire de Patrick Cahez : Les représentants du personnels doivent interpeller la direction juridique de l'entreprise pour vérifier et garantir au personnel la conformité des accords aux dispositions de ces droits. La direction juridique, et son directeur, ont, en tant que spécialistes du droit, une obligation de résultat. Il a également une obligation de conseil, et de vigilance, notamment quand les accords sont susceptibles de faire échec à l'ordre public, qu'ils soient nationaux, européens ou internationaux (santé et sécurité au travail, droit syndical, liberté d'expression, droit d'alerte). De même dans la fonction publique où le chef de service est pareillement responsable. Il peut interroger la DGAFP en cas de doute. La DGAFP remplit trois grandes missions : le pilotage de la cohérence statutaire : évolution de la place respective du grade et de l’emploi, recomposition de la GRH pour maintenir et renforcer l’attractivité de la fonction publique, reconnaître les compétences, simplifier les règles de gestion pour mieux piloter par objectifs ; la préparation et la conduite du dialogue social dans la fonction publique, y compris pour mieux aider les ministères sur les discussions indispensables en vue des évolutions de la 3/5 gestion des personnels ; la définition et le pilotage de la nouvelle politique des ressources humaines et de ses grands chantiers : nouvelles modalités de gestion, gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences, systèmes d’information, passerelles entre fonctions publiques, gestion de l’encadrement supérieur, formation... Intervention du public : Je n'ai pas bien compris la notion de droit subsidiaire. Nina Tarhouny : En fait, pour certaines matières de droit de chaque état de l'Union européenne, on considère que ces matières sont plus facilement gérées au niveau de l'Union européenne. On va déléguer certains droits à l'Union européenne pour qu'elles donnent des directives aux états qui vont ensuite réintégrer la matière dans leur droit interne. C'est ce que l'on appelle le droit subsidiaire. Une autre question ? Intervention du public : Si j'ai bien compris, le droit européen s'impose au droit français ? Nina Tarhouny : Absolument, par exemple, les principes de prévention viennent de la directive de 1989 qui posent 9 principes de prévention qui sont repris dans le code du travail. Intervention du public : La grande question, c'est pourquoi quand on pousse les dossiers au niveau européen (la CFE-CGC a poussé le dossier sur le cas du respect du droit social européen par rapport au forfait jours de France Télécom), pourquoi n'arrive t-on pas à faire en sorte que la loi française soit adaptée alors qu'on a 4 jugements déjà ? Nina Tarhouny : Oui la France a eu des condamnations. Après, c'est une volonté politique de modifier la loi mais quoiqu'il en soit la France a été condamnée sur ce point. Intervention du public : C'est la loi mais visiblement on n'est pas si obligé que ça de la respecter. Nina Tarhouny : Absolument, il faut toujours aller devant les tribunaux pour faire respecter la loi. Comme disait quelqu'un hier, il faut intervenir effectivement. Peut-être que de nouvelles évolutions législatives vont arriver mais c'est une volonté politique. Le parlement doit poser en projet de loi la modification puis la valider. Ce n'est pas une jurisprudence qui va modifier l'ordre interne français. Il faut que ce soit repris mais de toute façon, la jurisprudence européenne s'impose à la jurisprudence française. Intervention du public : À France Télécom, on a des accords internes à l'entreprise. Il y a des accords de branche et il y a aussi la loi. Moi j'ai une question d'égalité professionnelle. On avait un accord à France Télécom. La loi de 2006 sur l'égalité salariale. Je voulais savoir la vitesse, comment ça s'implémente dans l'entreprise parce que moi ça fait cinq ans que je négocie avec ma boite parce que j'ai eu 0% 4/5 d'augmentation en 2006 alors que la loi est passée en mars 2006, applicable immédiatement. Ça fait cinq ans que je négocie et je n'y arrive pas. Vous en pensez quoi ? Nina Tarhouny : Tribunaux. Normalement les accords internes à l'entreprise sont obligés d'appliquer les droits, qu'ils soient français ou européens. A partir du moment où il n'est pas appliqué, l'entreprise se trouve dans l'illégalité. Intervention du public : Moi j'ai l'impression qu'ils ne comprennent pas. J'ai interpellé ma RH qui m'a donné son interprétation. Nina Tarhouny : Ils interprètent comme ils veulent. En définitive, il revient au juge et a-fortiori à la Cour de cassation de donner le véritable sens de la loi. C'est vrai que parfois le seul moyen est de recourir à la justice. Intervention du public : Tout cela c'est bien joli mais cela ne s'applique qu'aux pays qui ont signé. L'autre jour, je regardais : la France est signataire globalement mais il faut qu'elle signe chacune des conventions. Nina Tarhouny : Il y a 4 conventions qu'elle n'a pas signé mais vous verrez dans la suite de ce que je vais vous présenter, tout ce qu'a signé la France est suffisant pour garantir la sécurité et la santé des travailleurs. Normalement, ça doit pouvoir répondre au besoin de protection des salariés. Elle a quand même signé et ratifié nombre de traités, que ce soit en droit international ou en droit communautaire. 5/5