Sensible à la justesse de cette analyse, le Ministre de la Culture et de la Communication, a
bien compris qu'il fallait réviser la réglementation actuelle, en confirmant que le compte de
soutien pouvait s'ouvrir, sous certaines conditions, aux sociétés extra-européennes.
Loin d’être une révolution choquante dans la politique publique de soutien, la décision du
Ministre s¹inscrit davantage dans la tendance générale et historique de l’aide au cinéma
français.
Rien n’eût été pire que l’immobilisme, l’indécision et le statu quo face aux paradoxes d’un tel
système.
Mais les adversaires de cette réforme viennent de faire glisser leurs réticences financières
contre cette évolution (les opposants à cette réforme craignent en effet que les compagnies
américaines, compte tenu de leur poids industriel, ne confisquent une partie non négligeable
de leur socle de financements nationaux) vers un argumentaire politique et culturel qui n’est
pas acceptable.
L'amalgame est certes bien malaxé. On nous sert dans la même soupe "l'exception
culturelle", "la diversité culturelle" et "l'exception française".
L'exception culturelle est un combat qui consiste à inventer les outils politiques et juridiques
afin que les œuvres ne soient pas assimilées à des marchandises ordinaires.
L'exception culturelle est un moyen.
La diversité culturelle est l'idée que nous nous faisons de la culture lorsque les pays
dominants n'imposent pas aux plus faibles leurs modes de penser, d'écrire ou de vivre.
La diversité culturelle est une finalité.
L'exception française est ce petit miracle qui a surgi chez nous après-guerre et qui a permis
à notre cinématographie de survivre, grâce à une politique de soutien adaptée et ambitieuse.
L'exception française est une intelligente réglementation.
Revisiter cette réglementation, l'encadrer et en surveiller les évolutions ne nous semble pas
pouvoir menacer ces moyens et cette finalité.
Nous qui signons ce texte, qui avons payé de nos personnes pour faire entendre nos voix et
à Bruxelles, à Genève ou à New York, nous qui nous nous sommes battus pour réaffirmer
l'idée de l’importance fondamentale de l'existence d’une diversité des cultures, nous savons
que ce combat, qui est loin d'être gagné, n'a pas pour vocation le repli sur soi.
Un système de soutien à la production qui fait prévaloir la nationalité des capitaux sur la
nature des œuvres, sera perçu comme un pur instrument de protectionnisme économique, et
dans la mesure où notre force a toujours été d'attaquer les barrières dressées contre la
circulation des œuvres, nous ne pouvons affaiblir notre discours en en excluant la production
des films.
C'est parce que nous savons que, pour exporter avec audace, il faut savoir accueillir avec
sagesse, que nous ne pouvons laisser le débat professionnel (que nous jugeons salutaire),
se transformer en une polémique grandiloquente et inappropriée sur des valeurs qui doivent
nous unir et non nous diviser.
Nous souhaitons que la passion et l’enthousiasme que les professionnels du cinéma ont une
nouvelle fois montré à l’occasion de ces débats soient désormais entièrement tournés vers
un objectif : renforcer le dynamisme de la création cinématographique française et défendre
les valeurs d’une diversité culturelle que nous avons tous en partage.
C’est à ce prix que, lorsqu’elle sera véritablement menacée, nous saurons monter un visage
uni, fort et solidaire.
Costa Gavras, réalisateur
Laurent Heynemann, réalisateur
Claude Lelouch, réalisateur
Jean-Paul Salomé, réalisateur
Bertrand Tavernier, réalisateur