Centre social de Montbrison - 2015
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Pourquoi la Grèce doit-elle continuer à payer sa dette alors qu’elle paie le prix fort
socialement et économiquement ?
David Graeber explique que « la dette a un pouvoir moral sur nous. C’est comme si elle
justifiait presque tout. Une dette est promesse perverse, imprégnée par un mélange de
mathématiques et de violence. Le fait qu’il s’agisse d’une promesse semble sacré alors qu’il
s’agit d’extorsion. C’est le moyen le plus efficace jamais créé pour perpétrer de violents
actes d’extorsion et pour les justifier moralement. De plus, elle induit que c’est la victime qui
est moralement condamnable. La dette est toujours négociable si elle est contractée entre
personnes égales : un groupe bancaire américain peut voir sa dette effacée mais la Grèce
n’y arrive pas parce que les Américains s’identifient aux assurances américaines. Dans
l’histoire mondiale, la dette entre des gens de même niveau a toujours été fondamentalement
différente de la dette entre forts et faibles. »
Quand l’économie a-t-elle pris le pas sur les relations sociales ?
D’après Karl Polanyi, ce serait au cours de la réorganisation de la société lors de la
Révolution industrielle du 19ème siècle. Pour la 1ère fois dans l’histoire, le travail, la terre et
l’argent ont été transformés en marchandises. Pourtant, le travail, la terre et l’argent ne
sont pas des marchandises.
Le travail n’est qu’un autre nom pour désigner les activités humaines qui font la vie elle-
même. La société entre en risque lorsque le travail lui-même devient une marchandise. Si on
transforme totalement le travail en marchandise, la société risque de s’effondrer sur elle-
même.
La monnaie est simplement un signe de pouvoir d’achat et un outil d’échange. Le régime
monétaire doit être garanti contre le comportement opportuniste des acteurs privés.
La nature n’est pas un acteur comme les autres : la terre n’est qu’un autre nom pour la
nature qui n’est pas un produit de l’homme. L’illusion est de croire qu’on peut gouverner la
nature avec des mécanismes de marché, alors que si des processus irréversibles comme le
réchauffement climatique se produisent, le système de prix sera incapable de les gérer.
C’est la troisième marchandise fictive de Polanyi.
Karl Polanyi devrait être le personnage du 21ème siècle puisqu’il s’agit de réinsérer ces trois
marchandises dans la société.
Grèce
La dette de la Grèce peut illustrer l’argent comme marchandise fictive. Les banquiers,
principalement allemands et français, ont prêté de l’argent au gouvernement grec et veulent
le récupérer. Pour permettre à la Grèce de rembourser les premiers prêts, on lui propose
d’autres prêts en échange de mesures d’austérité et de privatisation de ses actifs publics.
Yanis Varoufakis : « Il n’y a pas eu de sauvetage de la Grèce mais une tentative de
transférer les pertes des banques allemandes sur les épaules des contribuables allemands.
Les pays du Nord voulaient protéger leurs banques des pertes dévastatrices qu’ils subiraient
si la Grèce ne parvenait pas à payer sa dette. En mai 2012, l’Etat grec a emprunté au fonds
de sauvetage qui était soutenu par les contribuables allemands. Cet argent a servi
uniquement à rembourser la Banque centrale européenne qui avait acheté ces obligations à
prix réduit mais qui a demandé à la Grèce de les rembourser à leur pleine valeur
nominale ! »
Joschka Fischer : « On peut dire que les banques ont inventé l’application du communisme
à elles-mêmes : tant que les affaires vont bien, elles font de gros bénéfices. Mais quand les
affaires vont mal, elles sont « too big to fail », trop grandes pour échouer. Donc quoi qu’elles
fassent, elles gagnent. Le capitalisme en tant que mode de production va bien plus loin : on
avait à faire à une crise qui, si on avait assisté à un effondrement des banques, aurait mené
à une faillite massive des banques et de l’économie mondiale. Et ces conséquences-là,
personne ne pouvait les souhaiter ».