La biographie du Prophète Mahomet
La biographie du Prophète Mahomet de Ibn Hichâm. Texte traduit et annoté par Wahib
Attalah. Fayard, 2004, 432 pages, 25 Euros
« Encore une vie de Mahomet » s'exclame en introduction de son « Mahomet » le professeur Wahib Attalah. Oui, «
encore une » ! Mais elle manquait ! Et elle est le fruit d'une démarche inédite et fort à propos, puisqu'elle va puiser «
presque à la source ». En effet, c'est une double démarche scientifique qui préside à la rédaction de cet ouvrage :
une démarche de traduction et une démarche de connaissance historique. Cette double démarche fait la force de cet
ouvrage d'autre part assez aride. Parce qu'il n'est pas question là d'une simple « bio » compilant des données
connues et étudiées. La démarche invite la philologique et l'histoire à se rencontrer.
Ibn Hichâm (IX ème siècle), a trouvé que la biographie du prophète, rédigée par Ibn Ishâkun demi siècle plus tôt, à la
demande du Calife Abbasside Al Mançur, était trop longue. Il s'est donc attelé à une dure tâche : résumer le texte de
son illustre prédécesseur sans rien lui ôter de ses précisions historiques qui en faisait la richesse. Un abrégé donc,
mais de l'arabe à l'arabe. Et dans le même siècle avec donc des mots utilisés par le premier ayant la même valeur
sociale pour le second.
Wahib Attalah, professeur honoraire à l'Université de Nancy, arabisant, helléniste et historien, a eu la même
démarche. Trouvant que le texte de Ibn Hichâm (As Sira-n-abbawiya) riche de 1600 pages in-quarto était encore trop
long, il a voulu en présenter une édition abrégée. C'est louable. Mais il nous offre, en plus de l'abrégé, une traduction
remarquable. Parce que sans se limiter à traduire le mot dans son sens d'aujourd'hui, il le replace systématiquement
dans le contexte de l'apparition de l'Islam. Il ajoute à la traduction, de la sociologie historique. C'est ce qui manque le
plus aujourd'hui à la compréhension de l'Islam. Car comment comprendre les choix du Prophète sans les replacer
dans un contexte historique qui les explique et qui incite, forcément, à en avoir une lecture différente aujourd'hui que
le contexte social est différent.
Le texte de Ibn Hichâm, par rapport à celui de Ibn Ishâk, s'allège de tout ce qui ne concerne pas directement le
Prophète. Il écrit d'ailleurs lui même : j'allégerai le récit (...) de tout ce qui ne touche pas directement le prophète, n'a
pas de rapport avec la révélation du Coran et n'apporte aucun éclairage nouveau sur ces questions ». C'est une
démarche bien connue des scientifiques, sociologues, juristes etc. aujourd'hui : le sujet, tout le sujet, mais rien que le
sujet. Notre « traducteur » nous offre des commentaires propres à éclairer le lecteur. Il restitue une « vie du Prophète
» accessible aujourd'hui par les curieux d'Histoire et propre à répondre aux questions de ceux qui lisent par quête
spirituelle ou religieuse. D'une certaine manière, en privilégiant les texte proches de la source aux interprétations
successives et biographies lointaines et engagées, Wahib Attalah fait oeuvre utile contre les obscurantistes qui
veulent accaparer l'Histoire et le Texte pour n'en délivrer qu'un message déformé, adapté à leurs morbides nécessité
politiques.
Mais qu'est-ce que la vie d'un homme lorsqu'elle est racontée sinon un formidable livre d'histoire... ? La traduction
qui nous est livrée aujourd'hui de la Sira-n-abbawiya nous plonge autant dans l'intimité du Prophète de l'Islam que
dans celle de l'Histoire riches de tant et tant d'histoires. Le professeur Wahib Attalah s'inscrit, par son remarquable
travail de traduction commentée ajouté d'un index raisonné, dans la filiation de Paul Ricoeur qui disait : « amener le
lecteur à l'auteur, amener l'auteur au lecteur, au risque de servir et de trahir deux maîtres, c'est pratiquer ce que
j'aime appeler l'hospitalité langagière ».
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