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beau visage
En dehors du wahhabisme, la représentation du prophète n’a pas toujours été interdite.
Mahomet au beau visage
mardi 7 février 2006, par Nedim Gürsel
Libération
Par Nedim GÜRSEL
lundi 06 février 2006
Nedim GÜRSEL écrivain turc, directeur de recherche au CNRS (1).
La transcendance de Dieu est absolue selon la croyance islamique. Son essence demeure
imperceptible. Elle est au-delà de toute imagination, de toute comparaison. On ne peut la
représenter, ni la définir.
En revanche, Dieu se manifeste par ses attributs. Ainsi pourrait-on se faire une idée de son émanation et
se rassurer de son existence. Je crois qu’il en est de même dans le judaïsme. Ce n’est pas seulement la
Bible, le Coran aussi parle de Moïse qui désirait voir Dieu et qui fut frappé par la foudre sur le mont Sinaï.
Pourtant, la tradition veut que le prophète Mahomet ait une rencontre avec Dieu lors du Mirac, son
ascension vers le septième ciel. Dieu se serait manifesté à lui par l’un de ses nombreux attributs, cemal,
qui signifie « beauté du visage ». Depuis, dans la tradition populaire turque et peut-être ailleurs, on
attribue à Mahomet le qualificatif, cemal, prénom très répandu dans le monde musulman.
L’islam interdit l’image, c’est un fait. Mais elle ne fut pas pour autant complètement évacuée du champ
religieux dans le monde islamique ; en dehors du wahhabisme, la représentation du prophète est un
constat, notamment dans la tradition ottomane. Siyer’î Nebî, qui décrit la vie de Mahomet d’après les
sources arabes, est un livre illustré dont le manuscrit date du XIVe siècle. On peut y voir Mahomet avec le
visage recouvert d’un voile blanc ou vert. Mais dans un autre livre dont la rédaction date également du
XIVe siècle, Miraçnâme, que l’on peut consulter au musée de Topkapi à Istanbul, le prophète est dessiné à
visage découvert. C’est un bel homme barbu coiffé d’un turban blanc et habillé d’un magnifique cafetan
bleu qui rappelle le manteau de la Vierge, cher aux artistes de la Renaissance. Il est monté sur les épaules
de l’archange Cebrail qui le conduit vers le ciel.
Lors de mes fréquents voyages en Anatolie, il m’est arrivé souvent de voir les portraits d’Ali gendre du
prophète et quatrième calife accrochés au mur chez les Alevis. Cette communauté fort nombreuse (une
dizaine de millions de membres), proche d’une forme de chiisme qui vénère Ali beaucoup plus que
Mahomet, pratique un islam tolérant et constitue, par son esprit d’ouverture, une base solide de la laïcité
en Turquie.
Dans cette affaire des caricatures de Mahomet, ce n’est donc pas sa représentation qui est en cause, mais
la manière dont elle est réalisée. Pour les croyants et les autorités religieuses, il s’agit d’un blasphème. Et
le blasphème a coûté la vie à plus d’un artiste ou d’un penseur dans l’histoire de l’islam, à commencer par
Hallac-i Mansour exécuté pour avoir dit : « Enel Hak » (« Je suis la Vérité »), qui est un des attributs
d’Allah en passant par Nesimi, le grand poète soufi du XIVe siècle, écorché vif pour avoir fustigé les
mollahs d’Alep. Il faut admettre qu’en démocratie, le blasphème ne peut être considéré comme un délit.
Nous ne vivons pas sous un régime théocratique et la liberté d’expression est la condition sine qua non de
la création artistique.
Lors de la condamnation à mort de Salman Rushdie par une fatwa de l’ayatollah Khomeiny, j’étais l’un des
premiers écrivains d’origine musulmane à le soutenir. D’autant que les Versets sataniques étaient un
roman et que nous devions non seulement défendre à travers cette œuvre de fiction la liberté d’expression,
mais aussi revendiquer le droit à l’imagination. Nous devons faire de même aujourd’hui pour les
caricaturistes menacés, même si leur talent laisse à désirer.
(1) Dans les Turbans de Venise (Seuil, 2001), l’auteur évoque à travers le portrait de Mehmet II par le
peintre vénitien Gentile Bellini, l’interdiction de l’image dans l’islam
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