2
fait tout ce que la critique de l’économie politique pouvait faire en
restant dans la perspective de l’économie politique ».
Selon Georges Gurvitch, Marx attribue à Proudhon « un rôle
identique à celui que joua Sieyès dans la préparation de la
Révolution française. D’après lui, ce que Sieyès a dit du tiers état,
Proudhon l’a exprimé pour le prolétariat : “Qu’est-ce que le
prolétariat ? Rien. Que veut-il devenir ? Tout”. Marx a-t-il raison ?
Disons-le sans ambages : oui, et plus encore qu’il ne le pensait
2
. »
On ne peut être plus clair : c’est Proudhon qui pose les bases
scientifiques d’une analyse critique du capitalisme. Venant de Marx,
le constat doit être mesuré à sa juste valeur. D’ailleurs, ce n’est pas
Marx qui est l’inventeur du terme « socialisme scientifique » mais
Proudhon, dans Qu’est-ce que la propriété ?
3
. C’est lui qui, le
premier, a fait l’opposition entre socialisme scientifique et socialisme
utopique. Le Système des contradictions économiques, s’efforçant
précisément de dissocier la connaissance de la réalité de l’aspiration
vers l’avenir, est parcouru de critiques violentes contre les
conceptions utopiques en matière sociale.
Mais les louanges de Marx et d’Engels envers Proudhon cessent
brusquement en 1846 après la publication du Système des
contradictions économiques. Rien ne va plus.
On avait déjà vu poindre, dans la Sainte Famille, une réserve
critique quant à la démarche de Proudhon, qui, selon Marx, reste sur
le terrain de l’économie politique. Il faut entendre ce terme
d’« économie politique », dans le langage de l’époque, comme
théorie économique de la bourgeoisie. La « première critique de
toute science, dit en effet Marx, est encore forcément entachée des
présupposés de la science qu’elle combat ». C’est en ce sens que
l’ouvrage de Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ?, est « la critique
de l’économie politique dans la perspective de l’économie
politique »
4
. C’est pourquoi ce livre est « dépassé scientifiquement
2
« Proudhon et Marx », in : L’actualité de Proudhon, colloque de novembre
1965, éditions de l’institut de sociologie, université libre de Bruxelles.
3
« Et de même que le droit de la force et le droit de la ruse se restreignent
devant la détermination de plus en plus large de la justice, et doivent finir par
s’éteindre dans l’égalité ; de même la souveraineté de la volonté cède devant la
souveraineté de la raison, et finira par s’anéantir dans un socialisme scientifique. »
4
Ibid., 453.