UNIVERSITE DE PARIS IV – SORBONNE
CELSA
Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information et de la Communication
Ecole doctorale « Concepts et langages »
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{
P
OSITION DE THESE
}
THESE
Pour l'obtention du grade de
DOCTEUR DE L'UNIVERSITE PARIS IV
Discipline : Sciences de l'Information et de la Communication
______________
Présentée et soutenue publiquement par
Sarah LABELLE
Le 7 décembre 2007
L
A VILLE INSCRITE DANS
«
LA SOCIETE DE L
INFORMATION
» :
FORMES D
INVESTISSEMENT D
UN OBJET SYMBOLIQUE
.
Sous la direction d’Yves JEANNERET
______________
J
URY
:
M
ME
V
IVIANE
COUZINET
M. Y
VES
JEANNERET
M. B
ERNARD
LAMIZET
M. B
RUNO
OLLIVIER
M
ME
I
SABELLE
PAILLIART
« La sociéde l’information » est une expression qui possède une existence sociale
évidente à certains égards, floue à de nombreux autres. Evidente, car elle a acquis
une reconnaissance et une consécration internationales lors des deux récents
Sommets Mondiaux de la Société de l’Information, dits SMSI, qui se sont
successivement tenus à Genève en 2003 et à Tunis en 2005. Floue, car il est difficile
de lui assigner une finition stable alors qu’elle oscille constamment entre
affirmation de l’avènement d’une société nouvelle, fondée sur l’usage généralisé de
l’informatique, et exhortation à construire une telle sociécomme si sa réalité était
encore incertaine. Au-delà de ce paradoxe, l’expression circule et se matérialise
dans l’espace public contemporain sous de nombreuses formes : discours, sites
web, événements se réalisent sous l’égide de « la société de l’information ». cette
dernière agit comme un signe essentiel à leur tenue et à leur validité. Un tel
phénomène est rendu possible par sa qualité de présupposition ontologique : elle
fournit en effet un présupposé commun qui offre une validité et une « condition de
cohérence » (Ducrot, 1972) à des discours et à des réalisations térogènes et elle
fonctionne sur un mode existentiel par l’affirmation d’une représentation partagée et
triviale qui paraît prouver à elle seule son effectivité. Face à ce constat, il est
intéressant pour un chercheur en communication de mieux comprendre le mode
d’existence sémiotique de l’expression et la façon dont elle se charge d’un important
pouvoir de dissémination.
En effet, « la société de l’information » renvoie nécessairement à une pratique
observable et désigne quelque chose qui connaît une certaine légitimité sociale et
politique. Sans se résumer à des propriétés techniques, elle produit un cadre d’action
qui se définit dans l’espace entre ce qu’il est possible de faire et ce qui doit être
réalisé. Différente d’un projet qui impliquerait que l’action relève d’une intentionnalité
et de stratégies, elle suppose que les acteurs soient sans cesse capables de situer
leur action et de se mobiliser dans son cadre (pour exemple, lors du SMSI, les
participants étaient invités à nourrir la réflexion collective en soumettant et en
produisant textes et documents au sein d’un puissant dispositif d’écriture qui
conduisait à leur normalisation et à leur intégration). Sa teneur lui confère une force
décuplée qui précipite les actions au sein d’un régime qui ne cesse de se redéfinir.
« La société de l’information » constitue en somme une véritable panoplie, c’est-à-
dire un ensemble de dispositifs à la fois hétérogènes et convergents. Sa qualification
en panoplie renvoie à la dimension polychrésique de « la société de l’information » :
autrement dit, elle traduit la multiplicité des enjeux qu’elle soulève, la capacité qu’elle
a de s’adapter à différentes fonctions et à divers espaces et sa force de propagation.
Désigner « la société de l’information » comme une panoplie contient un double
enjeu critique : d’une part, cette qualification permet de convoquer la force du
dispositif, de marquer sa présence permanente ; d’autre part, elle évite de recourir à
une intentionnalité qui transcenderait l’hétérogénéité des pratiques et équivaudrait à
reconduire la présupposition ontologique à l’intérieur de la démarche de recherche.
Partant de ces constats et contraintes, nous avons cherché à observer comment la
ville devenait un objet inscriptible par cette panoplie. Nous avons choisi l’objet ville
dans la mesure où, au fil de notre enquête, il nous est apparu que « la société de
l’information » nécessitait d’investir un espace, de prendre place dans la réalité
contemporaine et qu’elle pouvait acquérir une visibilité particulière dans la ville. Une
première analyse montrait l’importance d’un entrelacement permanent entre les
imaginaires politico-techniques de la ville et de « la société de l’information » qui
avait pour effet de conférer une teneur particulière à tout ce qui s’y réalisait. Une
analyse ultérieure a confirmé cette hypothèse initiale en mettant en évidence la
volonté de générer un imaginaire de la ville de demain, pensée comme une ville
« numérique ».
La ville est en effet un objet chargé symboliquement et culturellement. Urbanistes et
anthropologues, géographes et politologues y développent leur recherche, la
constituant tantôt en objet scientifique, tantôt en terrain d’investigation. Délimitée
territorialement et traversée de multiples réseaux (économiques, sociaux,
techniques), la ville est une entité politique et symbolique, un espace de médiation
circulent des représentations collectives (Lamizet, 1992). Elle a cette particularité
constitutive de ne pas appartenir à un type d’acteurs particuliers ; elle est sans cesse
investie et réinvestie par une foule hétérogène d’acteurs. C’est ce qui fait d’elle une
entité symbolique et métamorphique par excellence. Tout cela contribue à la
constituer en un objet dense qui peut permettre l’identification de modes d’existence
particuliers de « la société de l’information ».
L’objet de cette thèse est en effet d’étudier les formes d’investissement de la ville, la
façon discrète dont la panoplie s’empare d’un espace trivial par excellence. Nous
cherchons à comprendre les processus qui instituent la ville comme un espace
privilégié d'inscription de « la société de l’information ». Pour cela, la recherche tente
d'appréhender les difrents modes d'institution du sens et de la valeur en travaillant
sur les nombreux processus de diation qui sont aménagés dans et par la ville
pour concrétiser cette panoplie politique. Elle consiste à aborder les multiples
surgissements de « la société de l’information » en les regardant comme des objets
qui, par leur propre existence, énoncent quelque chose de sa dimension politique et
qui mettent en évidence la conquête du trivial par une panoplie. Nous nous attachons
ainsi à décrire des faits et des espaces triviaux, des objets culturels et politiques.
Nous les abordons comme différentes formes prises qui rendent présente la panoplie
dans le champ du social et du politique. Car « la société de l’information » est un
cadre puissant dans lequel les acteurs opèrent et prennent une place, dont ils
disposent à certains égards, mais qui les dispose à bien d’autres. Nous ne tentons
pas de dénouer leurs stratégies, mais d’observer la diversité des pratiques et des
espaces se croisent toutes ces logiques. En d’autres termes, la recherche
entreprise est une quête des dimensions du faire et du pouvoir transformer au sein
d’un objet culturel fort : la ville.
Pour répondre à cette problématique du rôle des formes d’investissement de la ville
et de la transformation de la représentation de cet objet symbolique, nous avons opté
pour une démarche communicationnelle et une approche techno-sémiotique qui
prennent appui sur le temps long de la collecte empirique. Nous avons observé
plusieurs espaces de sens afin d'étudier à la fois le déploiement matériel de l’objet de
recherche, c'est-à-dire sa façon de se concrétiser dans l'espace social, et sa
dimension symbolique, c'est-à-dire ses modalités de circulation et d'appropriation
sociales. Cette approche a permis de mettre en évidence la présence simultanée de
médiations distinctes et a offert l'opportunité de scruter la multiplicité des formes
observables qui circulent au sein de la dynamique sociale. Nous avons donc pris le
parti de travailler sur des objets fragmentaires et flottants qui apparaissent dans des
espaces triviaux, qui y circulent : la pratique d’une analyse sémiotique attentive de
ces objets permet à la fois de qualifier les processus de communication dont ils sont
issus et de discerner ce qu’ils laissent entendre de leur réalité sociale et de leur
environnement symbolique. C’est dans le détail des modalités, dans les spécificités
des formes de médiatisation que l’analyse ne réduira pas les logiques propres à
chaque acteur. La recherche prend pour cela en compte la non-réductibilité des
relations entre méta-discours programmatiques, projets locaux, dispositifs techniques
et pratiques individuelles.
A travers l’analyse de ces multiples objets, l’ambition est d'éclairer ce que les
injonctions flagrantes ou discrètes de « la société de l’information » font à la ville,
comment elles l'affectent, comment elles travaillent les poétiques de représentation
de l'urbain en pratiquant sans cesse un va-et-vient entre ce qui trouve à se
concrétiser dans des dispositifs et ce qui est de l'ordre de la projection politique ou
symbolique. Le travail est ainsi sous-tendu par la conscience que la ville qu’on
arpente est travaillée de façon incessante par la fabrique politique et qu’il est donc
indispensable d’analyser cette dernière dans le détail. Nous analysons la ville à la
fois en tant que « lieu où ça se passe », objet saisi par les pratiques et les
imaginaires et dispositif spatial de l’action. Ainsi, nous étudions ce qui façonne de
nouvelles figures de la ville en portant une attention particulière à la matérialité de
ces constructions, ce qui entraîne une analyse précise des faits et des effets de
pouvoir.
Pour remplir ce programme, la thèse s’attarde sur la description et l’analyse de
quatre figures de la ville. Ce sont celles qui nous sont apparues de façon
prépondérante, mais elles ne sont pas exclusives et il est sans nul doute possible
d’en ajouter d’autres. La première figure est celle de la ville postulée : il s’agit de voir
comment la ville est une dimension requise à la panoplie. La seconde figure est celle
de la ville programmée : différents processus de médiation instituent la ville comme
un espace pertinent et adéquat pour le développement de « la société de
l’information ». La troisième figure est composée par la ville fantasmée : actions et
réalisations cherchent à redéfinir la ville, à lui faire acquérir une dimension autre, qui
puise dans la refondation politique et la nouveauté. La dernière figure est constituée
par la ville configurée : les médiations identifiées soulignent cette propension à
récrire la ville médiatiquement, que ce soit sur les écrans d’ordinateur ou les façades
des monuments.
Nous avons pu effectuer ce travail de qualification grâce à l’analyse de quatre
espaces d’enquête. La production discursive est notre premier espace : rapports
publics d’information, allocutions d’ouverture et de clôture de diverses manifestations
officielles (etc.) jouent un rôle éminent en encadrant l’action. Les productions
scripturales sur les médias informatisés constituent le deuxième ensemble : sites
web municipaux, portails locaux, portails associatifs mettent en scène l’action.
Certains de ces textes informatisés sont des dispositifs documentaires qui organisent
discrètement une certaine représentation de l’action. Le troisième espace d’enquête
est une observation in situ réalisée dans la durée dans la ville de Saint-Pierre-lès-
Elbeuf (76) afin de voir les pratiques à l’œuvre dans un endroit spécifique. Les
scènes d’exposition ou lieux de rencontre des acteurs de différentes identités
confrontent publiquement leur conception des objets comme "la société de
l'information" ou les "villes numériques" sont le dernier espace concrètement étudié.
Il est important de préciser que nous avons pratiqué avec vigilance la multiplication
des focales empiriques pour éviter l’empilement des situations de communication.
De ce fait, la recherche se situe dans un espace scientifique précis – les sciences de
l’information et de la communication -, mais elle tente de proposer une approche
originale des phénomènes politiques en prêtant une attention particulière à la
dimension symbolique et culturelle des objets et en proposant une analyse
communicationnelle de leur circulation. Loin de partir de l’idée qu’il existerait une et
une seule politique publique en matière de « société de l’information », idée qui
clôturerait un objet, nous avons choisi d’aller à la rencontre des formes banales et
monumentales, des objets qui envahissent l’espace urbain et le redéfinissent. Ainsi,
s’échappant de l’hypothèse de diffusion mécanique par l’action aux niveaux
centralisé et décentralisé, l’analyse cherche à mettre en relation des faits et des
événements, des empreintes et des traces.
C’est ainsi que la thèse s’attache à montrer par quels mécanismes « la société de
l’information » pénètre et surgit dans le social, c’est-à-dire tant dans le réel que dans
l’imaginaire. Or, pour montrer la prégnance de la panoplie au sein des figures
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