« La société de l’information » est une expression qui possède une existence sociale
évidente à certains égards, floue à de nombreux autres. Evidente, car elle a acquis
une reconnaissance et une consécration internationales lors des deux récents
Sommets Mondiaux de la Société de l’Information, dits SMSI, qui se sont
successivement tenus à Genève en 2003 et à Tunis en 2005. Floue, car il est difficile
de lui assigner une définition stable alors qu’elle oscille constamment entre
affirmation de l’avènement d’une société nouvelle, fondée sur l’usage généralisé de
l’informatique, et exhortation à construire une telle société comme si sa réalité était
encore incertaine. Au-delà de ce paradoxe, l’expression circule et se matérialise
dans l’espace public contemporain sous de nombreuses formes : discours, sites
web, événements se réalisent sous l’égide de « la société de l’information ». cette
dernière agit comme un signe essentiel à leur tenue et à leur validité. Un tel
phénomène est rendu possible par sa qualité de présupposition ontologique : elle
fournit en effet un présupposé commun qui offre une validité et une « condition de
cohérence » (Ducrot, 1972) à des discours et à des réalisations hétérogènes et elle
fonctionne sur un mode existentiel par l’affirmation d’une représentation partagée et
triviale qui paraît prouver à elle seule son effectivité. Face à ce constat, il est
intéressant pour un chercheur en communication de mieux comprendre le mode
d’existence sémiotique de l’expression et la façon dont elle se charge d’un important
pouvoir de dissémination.
En effet, « la société de l’information » renvoie nécessairement à une pratique
observable et désigne quelque chose qui connaît une certaine légitimité sociale et
politique. Sans se résumer à des propriétés techniques, elle produit un cadre d’action
qui se définit dans l’espace entre ce qu’il est possible de faire et ce qui doit être
réalisé. Différente d’un projet qui impliquerait que l’action relève d’une intentionnalité
et de stratégies, elle suppose que les acteurs soient sans cesse capables de situer
leur action et de se mobiliser dans son cadre (pour exemple, lors du SMSI, les
participants étaient invités à nourrir la réflexion collective en soumettant et en
produisant textes et documents au sein d’un puissant dispositif d’écriture qui
conduisait à leur normalisation et à leur intégration). Sa teneur lui confère une force
décuplée qui précipite les actions au sein d’un régime qui ne cesse de se redéfinir.
« La société de l’information » constitue en somme une véritable panoplie, c’est-à-
dire un ensemble de dispositifs à la fois hétérogènes et convergents. Sa qualification
en panoplie renvoie à la dimension polychrésique de « la société de l’information » :
autrement dit, elle traduit la multiplicité des enjeux qu’elle soulève, la capacité qu’elle
a de s’adapter à différentes fonctions et à divers espaces et sa force de propagation.
Désigner « la société de l’information » comme une panoplie contient un double
enjeu critique : d’une part, cette qualification permet de convoquer la force du
dispositif, de marquer sa présence permanente ; d’autre part, elle évite de recourir à