Remplacement des dents par implants chez un patient souffrant de

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Pratique quotidienne · formation complémentaire
Remplacement
des dents par
implants chez un
patient souffrant
de dépression –
une étude de cas
Bien que les implants ostéointégrés couvrent des
domaines d’indications de
plus en plus larges dans la
médecine dentaire reconstructrice, les maladies psychiques font toujours partie
des contre-indications relatives des reconstructions
prothétiques; or, c’est justement ce groupe de patients
qui bénéficie de façon décisive d’une meilleure acceptation sociale et d’un gain
de confiance en soi lors
d’un traitement dentaire
optimal. Cet article décrit,
illustré par un exemple de
cas, un traitement uniquement par prothèses implanto-portées dans les mâchoires inférieure et supérieure d’un patient souffrant
de dépression.
Daniel Tinner, Dr méd. dent. et
Carlo P. Marinello1, Prof. Dr méd. dent., MS
Klinik für Prothetik und Kaufunktionslehre
Zentrum für Zahnmedizin, Universität Basel
1 Chef de clinique
Mots clés: soins par implants, patient avec risques
psychiques, synopsis du traitement
Adresse pour la correspondance:
Daniel Tinner, Dr méd. dent.
Klinik für Prothetik und Kaufunktionslehre
Zentrum für Zahnmedizin Basel
Hebelstr. 3, CH-4056 Bâle
Tél. ++41 61 267 26 36, fax: ++41 61 267 26 60
E-mail: [email protected]
Adapté par A. Kieser et M.-H. Lafitte
(Illustrations et bibliographie voir texte allemand, page 495)
Introduction
Etant donné l’expérience positive acquise au cours de longues
années, (ADELL et al. 1981, ADELL et al. 1990, ALBREKTSSON et al.
1988, BUSER et al. 1997, JEMT & LEKHOLM 1993, MERICSKE-STERN
1992), l’étendue des indications pour des prothèses implantoportées sur des mâchoires totalement ou partiellement édentées augmente de plus en plus. Parmi les contre-indications relatives, on compte comme auparavant des maladies psychiatriques telles que les dépressions de même que le manque de collaboration des patients (KIYAK et al. 1990). Une des tâches du
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médecin-dentiste est d’amener les patients vivant dans un isolement psychosocial à une réadaptation fonctionnelle à l’aide
d’une réhabilitation prothétique, de rendre ainsi possible leur
intégration sociale ou de leur permettre de retrouver une bonne
sociabilité. Un soin dentaire adapté aux besoins du patient peut
avoir une influence positive sur l’acceptation sociale et sur la
confiance en soi, les prothèses implanto-portées peuvent en
outre constituer une aide idéale (ALBREKTSSON et al. 1980, BLOMBERG & LINDQUIST 1983, BLOMBERG 1985, HOGENIUS et al. 1992).
Il est toutefois nécessaire, avant de poser des implants, d’effectuer dans le cadre de la thérapie initiale un prétraitement provi-
Remplacement des dents par implants chez un patient souffrant de dépression – une étude de cas
soire à des fins de diagnostic, suivi d’une réévaluation. Ceci permet non seulement de vérifier l’objectif souhaité mais aussi
d’apprendre à connaître le patient sur une plus longue durée et
d’évaluer ainsi sa collaboration.
Présentation de cas
Le patient (fig. 1) s’est présenté pour la première fois à la clinique à l’âge de 46 ans. A ce moment-là, il avait décidé de changer certains aspects de sa vie: il s’était négligé pendant plus de
12 ans, il ne prenait aucun soin de sa personne et ne pratiquait
aucune hygiène buccale. Malgré la perte d’un grand nombre de
dents, le patient ne portait aucune prothèse. En raison de son
apparence négligée, il n’entretenait pratiquement plus de contacts sociaux. Ses collègues professionnels étaient gênés par son
apparence. Ce sont surtout ces points et non la fonction limitée
de mastication ou les douleurs qui ont décidé le patient à commencer un traitement dentaire. Il exprima le souhait d’une prothèse implanto-portée. Les figures 2 et 3 montrent la situation
clinique au moment du premier examen.
Anamnèse
Anamnèse médicale
Le patient souffre d’une légère hypertonie, régulièrement
contrôlée par le médecin traitant. Un strabisme unilatéral divergent de l’œil droit est présent depuis l’enfance. Le patient
souffre de plus d’une dépression endogène: depuis trois ans, il
ne peut en conséquence remplir que 50% de ses tâches professionnelles (employé de bureau). Le patient ne fume pas et ne
prend actuellement aucun médicament.
Anamnèse dentaire
Le patient a régulièrement consulté un médecin-dentiste jusqu’à
l’âge de 35 ans. Un grand nombre d’obturations et des prothèses
«bridges-couronnes» ont été réalisées dans la mâchoire supérieure au cours des années. La dernière visite chez le médecindentiste remonte à 12 ans. Sous la pression de connaissances, le
patient s’est présenté chez un médecin-dentiste privé. Ce dernier
l’a envoyé à notre clinique. Le patient indique qu’une certaine
mobilité des dents est apparue au cours de ces dernières années,
il en est résulté la perte d’un grand nombre de dents. L’hygiène
buccale était pour lui sans importance. Il n’employait aucun autre
moyen d’hygiène que la brosse à dents et le dentifrice.
Examen clinique
l’exception de la dent 24, toutes les dents réagissent positivement à la neige carbonique.
Examen parodontal (clinique et radiologique)
La gencive est nettement enflammée sous toutes les dents restantes. Outre la présence de rougeurs et de tuméfactions, d’importants saignements sont générés par le sondage (voir fig. 5,
indice BOP). Les faces lisses des dents présentent des dépôts et
du tartre circulaires. L’examen radiologique (fig. 4) révèle une
perte osseuse horizontale généralisée, avec des fractures verticales des dents 24, 44, 45. Les dents 16 et 24 présentent des valeurs de sondage élevées, avec furcation.
Analyse fonctionnelle
L’ouverture buccale du patient est de 79 mm (distance entre les
collets alvéolaires, dents 11/41). Les mouvements latéraux et en
protusion sont libres. Aucun trouble fonctionnel subjectif ni objectif n’est présent. Aucun bruit articulaire ne se fait entendre lors
des mouvements d’ouverture et de fermeture de la bouche. Une
légère douleur bilatérale des muscles ptérygoïdiens médiaux et
des muscles hyoïdiens est ressentie à la pression. Les contacts
occlusaux ne sont centraux qu’aux prémolaires 24 et 25. Des
signes de frottement sont visibles sur les dents 14, 25, 44 et 45.
Diagnostic
Le patient de 46 ans souffre du point de vue général d’une légère
hypotonie et d’une dépression endogène manifeste depuis 12 ans.
Ses mâchoires inférieure et supérieure sont partiellement édentées.
A l’exception de la dent 45, toutes les dents restantes présentent
des lésions carieuses. L’examen radiologique révèle la présence
d’une parodontite périapicale à la dent 24. Malgré la perte multiple
et fortement avancée de dents et d’attaches, les examens cliniques
et radiologiques permettent de conclure une parodontite chronique généralisée du type II, avec furcation. Les principales causes
de l’affection parodontale sont surtout la mauvaise hygiène buccale et le manque de contrôles réguliers chez le médecin-dentiste.
Pronostic
Etant donné la parodontite très avancée, on considère qu’il n’est
pas salutaire de conserver les dents 16, 24, 28, 44 et qu’elles doivent donc être extraites. Le pronostic sur les dents 35, 43 et 45
est incertain. Selon le traitement envisagé, ces dents peuvent
tout au plus être utilisées pour la stabilisation d’une prothèse
amovible temporaire.
Examen extra-buccal
– Les ganglions du cou sont palpables, légèrement gonflés mais
non douloureux à la pression.
– Un fort Foetor ex ore est présent.
Examen buccal
– Le jour de l’examen, une alvéole d’extraction de la dent 33 est
incomplètement cicatrisée.
– La muqueuse alvéolaire, très rouge dans la région 42, est bien
humidifiée par de la salive séreuse.
Examen dentaire (clinique et radiologique)
La mâchoire supérieure comprend les dents 16, 24, 28, et la mâchoire inférieure les dents 35, 43, 44, 45 (fig. 4). Les dents 16, 24,
28, 43, 44 et 45 présentent des lésions carieuses. La dent 24 est
douloureuse au choc et présente une parodontite périapicale. A
Récapitulatif des problèmes
Les problèmes se résument de la façon suivante:
– Dentition partielle des mâchoires supérieure et inférieure
– Mastication et esthétique non satisfaisantes
– Parodontite très avancée
– Résorption marquée des collets alvéolaires sur les sites édentés de la mâchoire inférieure
– En raison de l’état initial pitoyable et négligé, la motivation et
la coopération du patient ne sont pas assurées
– Dépression manifeste, doute sur la résistance du patient
Objectif du traitement
Le prétraitement consiste à extraire les dents pour lesquelles le
pronostic est négatif et à établir un état non inflammatoire sur
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les autres dents et la muqueuse. Le pouvoir de mastication doit
de plus être rétabli par une prothèse immédiate dans les mâchoires inférieure et supérieure. Le traitement prothétique définitif souhaité par le patient est une reconstruction implantoportée. Une prothèse implanto-portée avec barre de stabilisation dans la mâchoire supérieure et un bridge implanto-porté,
vissé dans la mâchoire inférieure sont envisagés (DEBOER 1993,
MERICSKE-STERN 1998, RICHTER & SPIEKERMANN 1993, ZITZMANN
& MARINELLO 1999, 2000). La phase de prétraitement doit permettre d’évaluer dans quelle mesure cette solution est judicieuse (facteurs de risque, coopération du patient).
Déroulement du traitement
Prétraitement
La première étape du prétraitement comprend la réalisation des
prothèses immédiates dans les mâchoires supérieure et inférieure (fig. 6). Les dents 16, 24, 28, 43 et 44, ne pouvant pas être
conservées pour des raisons parodontales, seront tout d’abord
extraites (fig. 7, 8). Les prémolaires 35 et 45, avec parodonte endommagé, sont soumises à un débridement supra et sous-gingival puis réduites après un traitement endodontique. L’introduction d’un tenon sphérique (Dalbo®-Rotex®, BRUNNER 1987)
permet l’ancrage temporaire et le soutien de la prothèse immédiate dans la mâchoire inférieure (fig. 8). Bien que la dent 43
possède légèrement plus d’attaches parodontales résiduelles
que la dent 45, l’ancrage provisoire est recherché dans la région
de la prémolaire afin que la région interforamen puisse être utilisée pour un positionnement optimal de l’implant. Le traitement provisoire permet à court terme d’éliminer la douleur et
l’état inflammatoire d’une part, et de rétablir le pouvoir de mastication et l’esthétique d’autre part.
Réévaluation
Le patient s’est montré extrêmement coopératif pendant la
phase provisoire. Les prothèses immédiates de même que les
dents piliers réduites 35 et 45 sont bien entretenues et impressionnent par l’absence de plaque. Le bon pouvoir de mastication ainsi que la meilleure physionomie ont augmenté la motivation du patient pour un soin prothétique optimal. Le médecin-dentiste peut à présent envisager le traitement prévu par
implants.
Phase chirurgicale
Des tomographes CT sont réalisés comme moyen auxiliaire de
diagnostic pour la planification des implants (ZITZMANN &
SCHÄRER, 1998) (fig. 9). Le positionnement des dents correspond à celui des prothèses immédiates et convient exactement
aux principes de prothèse totale (GEERING & KUNDERT 1986).
Des piliers en titane de 5 mm de long sont introduits selon
l’axe de la dent, ils servent également de guides sur le CT
(fig. 10). Après la réalisation des CT (Dentascan®), les modèles
radiographiques sont transformés en modèles d’implantation.
5 implants Brånemark (MK II, RP, 18 mm) sont posés dans la
région interforamen (région 34, 33, 31, 43 und 44) à l’aide du
modèle en matériau synthétique (fig. 11). L’intervention chirurgicale dans la mâchoire inférieure s’est déroulée sans problème et sans grandes contraintes pour le patient de sorte que
les implants ont pu être posés dans la mâchoire supérieure au
cours d’une séance suivante (fig. 12). Dans ce cas également,
5 implants Brånemark (MK II, RP) ont été placés selon le plan
CT. Les longueurs des implants sont de 13 mm aux dents 14,
13, 11, 23, de 15 mm à la 24. La prothèse provisoire est locale-
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ment polie pendant la phase de guérison et doublée d’un appui souple.
Les contrôles sont rapprochés pour s’assurer d’un bon pouvoir
de mastication et d’une bonne hygiène buccale et prothétique.
Phase prothétique
Le dégagement des implants dans les mâchoires inférieure et
supérieure ayant été effectué et les prémolaires de la mâchoire
inférieure extraites, le moulage définitif a été réalisé après la cicatrisation des tissus mous périimplantaires (fig. 13). Des radios
de contrôle des implants ont été effectuées. Les maîtres modèles réalisés sont montés sur un articulateur SAM. Les éléments
implantaires prothétiques sont choisis après l’essayage de positionnement des dents dans la cire (fig. 14). Le critère de décision
est la place disponible dans les trois dimensions, qui a été déterminée à l’aide d’une clé silicone. Une barre personnelle a été
fraisée pour la mâchoire supérieure (fig. 16). Un essayage de la
barre a été effectué dans la mâchoire supérieure et une armature secondaire a été placée sur cette barre (fig. 17). Un bridge
synthétique avec renforcement par fil a tout d’abord été posé
dans la mâchoire inférieure comme prothèse provisoire à long
terme (fig. 18) afin d’évaluer le pouvoir de mastication avec une
rangée de dents fortement réduites (KÄYSER 1981). Afin que la
sollicitation des implants de la mâchoire inférieure soit maintenue aussi faible que possible, un seul élément supplémentaire a
été prévu de chaque côté. La prothèse provisoire à long terme
permet d’évaluer dans quelle mesure le patient pourra nettoyer
une future prothèse fixe. A la fin du travail, la précision d’adaptation et l’occlusion de cette prothèse sont contrôlées puis cette
dernière vissée (fig. 19–26). Une formation sur l’hygiène buccale termine le traitement. Le maniement de brossettes interdentaires (Curaprox®, LS 632) et de fils à dents de soie spéciaux
(Emoform®, Duofloss regular) en particulier a été expliqué au
patient (fig. 27). Un léger point de pression, détecté côté oral sur
la dent 15 lors du contrôle, a été éliminé par une retouche de la
prothèse.
Evaluation finale
Le patient est très satisfait de la stabilité de la reconstruction et
de l’esthétique agréable. Malgré la présence d’une rangée de
dents réduites dans la mâchoire inférieure (occlusion des prémolaires), le pouvoir de mastication est subjectivement assuré.
Après les premières difficultés manuelles, le patient peut à présent nettoyer sa prothèse de façon exemplaire. Un état non inflammatoire a été obtenu aussi bien du point de vue clinique
que du point de vue radiologique (fig. 28). Etant donné que le
patient est très satisfait du bridge synthétique et qu’il accueille
favorablement la charge financière réduite qui y est liée, les
soins sont terminés. Des rendez-vous de contrôle sont fixés tous
les trois mois.
Discussion
Le patient mentionné dans cet article s’est présenté à la clinique
avec le souhait d’un traitement prothétique. Le patient de
46 ans a décidé à cette époque de changer sa situation buccale.
Pendant plus de 12 ans, il s’était négligé en raison d’un état
dépressif, ne prenait plus soin de sa personne et ne pratiquait
aucune hygiène buccale. Bien que les affections psychiques
comptent parmi les contre-indications relatives de la médecine
générale, la demande d’implants du patient a été prise en
compte dans le cas présent, d’autant plus que l’ancrage supplémentaire de la reconstruction prothétique permettait d’envisa-
Remplacement des dents par implants chez un patient souffrant de dépression – une étude de cas
ger une amélioration de sa qualité de vie (ALBREKTSSON et al. 1980,
BLOMBERG & LINDQUIST 1983, BLOMBERG 1985, HOGENIUS et al.
1992). Le traitement provisoire du patient a permis entre autres,
d’estimer sa coopération sur une longue phase de traitement et
de définir dans quelle mesure le patient souhaitera encore une
stabilisation supplémentaire de la reconstruction au moment du
traitement provisoire. Lors de la phase chirurgicale, la priorité a
été donnée aux implants de la mâchoire inférieure. Si l’intervention chirurgicale représentait une contrainte trop importante
pour le patient, on aurait renoncé à d’autres implants dans la
mâchoire supérieure.
Non seulement l’aspect extérieur mais aussi l’état psychique du
patient a évolué au cours des soins, état auquel le traitement
dentaire a très certainement contribué. Le patient est aujourd’hui pratiquement méconnaissable. Il entretient des contacts
sociaux, il a augmenté son efficacité de travail à 90%, il a changé ses habitudes alimentaires, a perdu du poids et donne une
impression de vitalité, de satisfaction et de confiance en soi. Le
patient pratique une hygiène buccale exemplaire depuis deux
ans maintenant.
Le cas présent montre que, même pour les patients avec une
contre-indication relative de médecine générale, un traite-
ment par implants est possible selon une procédure conforme
aux souhaits du patient. Les différentes étapes du traitement
de la thérapie initiale permettent de faire un diagnostic préparatoire pour une prothèse implanto-portée tout en laissant
une option ouverte pour un traitement conventionnel sans
implants.
Matériaux
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Curaprox® LS 632 (X-fine), Curaden AG, Kriens
Emoform® Duofloss regular, Dr. Wild & CO AG, Basel
Dalbo®-Rotex® 15.41, Cendres & Métaux SA, Biel
Brånemark System®, Nobel Biocare AB, Göteborg, Sweden
SAM 2P, Artikulator Kit, SAM® Präzisionstechnik GMBH,
München
Remerciements
Les auteurs adressent tous leurs remerciements à Madame Ana
Suter (Cerana AG, Glattbrugg) pour la réalisation du travail
technique dentaire.
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