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Événement
RÉFORME NO 3578 • 2 OCTOBRE 2014
la mobilisation est préférable à l’absence
de mobilisation: « Les protestants, mieux
que d’autres, savent que la diversité peut
être une chance. Une grande partie des
musulmans ne se rendent à la mosquée
que dans les grandes occasions. Mais la
sécularisation implique aussi la recom-
position du rapport à la croyance, une
interrogation du rapport que chacun
peut entretenir avec le texte. Et là, c’est
plus compliqué pour eux.»
La place et le rôle du Coran sont par-
fois mal compris. Bien entendu, le psy-
chanalyste Malek Chebel exprime un
point de vue largement partagé quand
il arme que le Coran appelle à l’amour
de l’autre. L’impression perdure pour-
tant, chez nos concitoyens, que ce livre
contient des paroles violentes autorisant
les dérives du fondamentalisme. «On
ne peut pas nier qu’il existe des versets
coraniques qui incitent à la haine, admet
Mohammed Azizi, imam aumônier
des hôpitaux d’Ile-de-France. Pour en
prendre la mesure, il faut se rappeler
qu’ils ont été révélés voici quinze siècles
et qu’ils doivent être replacés dans leur
contexte historique.»
L’impact du Coran
Le problème réside dans le fait que le
Coran est supposé contenir in extenso
la parole de Dieu, ce qui n’est pas le cas
de la Torah ou de la Bible. «Il se pré-
sente comme un texte immuable, non
modiable, précise Mohammed Azizi.
Nul ne peut donc en privilégier des pas-
sages, en retrancher des paragraphes.»
De surcroît, par sa structure, il imbrique
les grands principes et des recomman-
dations de vie pratique ; cela renforce
l’idée qu’être musulman ne signie pas
seulement une appartenance religieuse,
mais une identité globale.
« Cette façon d’aborder la religion
conduit certains musulmans à croire
que le Coran a réponse à tout, conrme
Franck Fregosi. Cette analyse, indiérente
aux évolutions de notre temps, provoque
les malentendus et les tensions que nous
connaissons dans notre pays.» La for-
mation des imams joue son rôle aussi:
nancée et soutenue par des pays qui
ne suivent pas le même modèle que les
sociétés occidentales, elle peut encoura-
ger une interprétation littérale du Coran.
«Parfois, nous sommes pris à partie,
surtout par les jeunes, qui formulent des
questions n’ayant aucun sens, déplore
Mohammed Azizi. Ainsi, certains m’ont-
ils armé que Moïse était musulman.
Pour eux, toute élucidation du mystère
du texte ou de la foi est considérée comme
une menace et non comme une source de
richesse. L’ignorance les conforte dans
l’idée qu’ils n’ont d’autre choix que se
soumettre au Texte.»
Un point de vue partagé par Franck
Fregosi, pour qui les jeunes subissent
une transmission des savoirs beaucoup
trop lacunaire: «Si l’on ajoute à cette
inculture une marginalisation sociale
et économique, on comprend pourquoi
certains campent sur une posture de
rupture. Dans un tel environnement,
les extrémistes n’ont plus qu’à orienter la
détresse des plus faibles vers des positions
oensives et le tour est joué.»
Pour sortir de l’impasse, un débat intra-
islamique paraît inévitable. Malek Chebel
estime qu’il faudrait poser une limite entre
les préceptes immuables- qui touchent
à la transcendance, à la question de la
divinité- et les textes qui parlent de liens
interpersonnels. Une telle solution se
trouverait justifiée par les conditions
dans lesquelles le Coran fut révélé. «Ces
textes correspondent à deux moments
clés de l’histoire du Prophète, rappelle
Franck Fregosi: ceux qui ont été révélés
à La Mecque, plutôt théologiques, et ceux
de Médine, qui traduisent la volonté des
croyants de répondre aux exigences de la
vie quotidienne.» Les experts préconisent
alors le rassemblement d’érudits musul-
mans à la compétence incontestable. Une
lueur d’espérance.•
É. BERNIND, A. MENDEL, F. CASADESUS
rejet du fondamentalisme. «On nous
demande de condamner l’assassinat
d’Hervé Gourdel… Mais ils sont où, les
chrétiens pour condamner les meurtres
de musulmans en Centrafrique ? Est-ce
que les juifs se rassemblent devant les
synagogues pour condamner les bom-
bardements de nos frères à Gaza ?»,
s’est ainsi écrié un jeune musulman à
l’adresse de Farid Darouf, visiblement
gêné. Tandis que d’autres se mon-
traient convaincus que derrière Daesh
«se cachent la CIA et le Mossad». À ces
déclarations, l’imam a répondu ferme-
ment: « Nous ne sommes pas là pour
ça. Ces assassins se réclament de l’islam.
Aujourd’hui, nous sommes là pour dire
que l’islam, ce n’est pas ça.»
Vivre la diversité
Il a bien fallu une quinzaine de minutes
pour que l’imam puisse enn prendre la
parole devant la centaine de personnes
restées présentes après la prière. Il a pu
compter sur le soutien de modérés, très
critiques à l’égard de l’attitude de ces
contestataires. «Ces jeunes, ce sont des
paumés ! Ils ont la haine de l’Occident
et des juifs, réagissait Rachid Lmrini, un
ouvrier de 46 ans. Pour moi, ceux qui
ne condamnent pas jettent le doute sur
l’islam. Nous, les musulmans, on soure
terriblement de ce genre d’attitude.»
Les musulmans de France, on le
voit bien, n’appréhendent pas tous de
la même façon les conséquences du
drame. Pour Franck Fregosi, directeur
de recherche au CNRS et professeur à
l’IEP d’Aix-en-Provence, la pluralité de
L’imam Farid
Darouf a été
vivement pris
à partie par des
jeunes à la fin
de son prêche
vendredi, à
Monpellier
© ALEXANDRE MENDEL
Au Royaume-Uni, la prise de parole des mu-
sulmans est active et s’est concrétisée par la
campagne « #NotInMyName ».
Dès l’assassinat du journaliste américain James Foley, les
musulmans britanniques ont pris la parole pour condam-
ner les actions de l’État islamique. Nombre d’imams ou de
représentants religieux se sont sentis obligés de parler, parce
que celui qu’on appelle «John le Djihadiste» est peut-être
originaire de Londres. Après la mort du troisième otage, le
Britannique David Haines, les condamnations se sont orga-
nisées. L’associationActive Change Fondation a lancé une
campagne sur les réseaux sociaux.
#NotInMyName, «Pas en mon nom», est devenu un hashtag
populaire. Le 24 septembre il avait déjà été retweeté 170 000 fois
dans le monde entier. En moins de 140 signes, les jeunes musul-
mans crient leur opinion: «Nous condamnons les horribles
actions de l’État islamique»; «Ces terroristes ne représentent
pas l’islam ni ma communauté. » Mi-septembre, une vidéo a
été diusée sur les réseaux sociaux. Des jeunes y prennent la
parole : «Nous devons nous unir et essayer d’empêcher ce groupe
de nuire à l’islam et auxmusulmans», dit une jeune femme.
«Parce que votre califat ne représente pas l’oumma», ajoute
une autre. Tous ces musulmans veulent rappeler le véritable
message de l’islam alors que l’islamophobie est déjà latente
au Royaume-Uni. À l’Assemblée générale des Nations unies,
Barack Obama a salué l’action de l’Active Change Fondation:
«Regardez ces jeunesmusulmansbritanniquesqui répondent à
la propagande terroriste en lançant une campagne et en décla-
rant que l’État islamique se cache derrière un faux islam.»
L’association fait partie du Réseau européen pour la déradi-
calisation et a été fondée en 2003 par Hanif Qadir, un an après
son départ pour l’Afghanistan an d’y rejoindre un groupe lié
à Oussama Ben Laden. Il est rapidement rentré, se disant déçu
et choqué: «Je voulais aider à atténuer les sourances, je ne
voulais pas y contribuer. » Il a donc créé cette association, et n’a
pas choisi Twitter par hasard : «Les jeunes musulmans en ont
assez de la propagande de haine que les terroristes répandent
sur les réseaux sociaux.»
Mais certains musulmans s’interrogent sur cette initiative.
«L’idée que tous les musulmans doivent condamner ouvertement
des actes aussi répréhensibles est absurde, a écrit l’éditorialiste
musulmane Mehreen Khan dans e Daily Telegraph. Elle peut
même être dangereuse. Et pourtant, étant donné les événements en
Irak et en Syrie, nous, les musulmans, nous n’avons pas le choix.
Il nous faut réagir face aux actes de l’État islamique, de crainte
que notre “silence” ne soit perçu comme un blanc-seing.» Hanif
Qadir, lui, estime qu’il est de «notre responsabilité, en tant que
britanniques et musulmans, de rejeter l’État islamique et de faire
tout ce qui est en notre pouvoir pour étouer ces voix de haine et
de violence, et de les empêcher de faire du mal à l’islam».•
MARIE BILLON, CORRESPONDANCE DE LONDRES
Les musulmans anglais rassemblés