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Par Laurent Mayet
Adjoint de l’ambassadeur pour les zones
polaires au ministère des Affaires étrangères
et du Développement international (MAEDI)
Président du groupe Alidade sur l’Arctique
au Centre d’études stratégiques de la Marine
(CESM).
À
l’ère du changement global, l’Arctique
caracole tristement en tête de liste des
zones géographiques les plus affectées par
l’augmentation moyenne des températures
à la surface du globe alors qu’elle représente
l’une des dernières zones naturelles vierges
de notre planète où les activités humaines
sont très réduites, voire en bien des endroits
inexistantes.
Vers un océan Arctique sans
glace en été
Depuis une ou deux décennies, l’océan
glacial Arctique enregistre pendant l’été
un recul de l’étendue de son couvercle
de glace, libérant chaque année un peu
plus – et certaines années beaucoup plus
que d’autres – des pans entiers de surface
marine jusque – là recouverts par les plaques
de banquise. Au cœur de l’hiver, les glaces
de mer flottantes recouvrent la totalité
du bassin arctique, à savoir environ 14
millions de km2 ainsi que le Pacifique
Nord autour du détroit de Bering et une
partie de l’Atlantique Nord-Ouest. À noter
deux particularités régionales, à savoir que
les côtes nord-scandinaves (~ 69° Nord)
demeurent libres de glaces sous l’influence
d’un courant chaud issu du Gulf Stream
tandis que des zones marines subarctiques
comme la mer d’Okhotsk (~ 53° Nord),
qui borde la péninsule du Kamtchatka en
Sibérie orientale voire de moyenne latitude
comme l’estuaire du golfe du Saint-Laurent
(~ 48° Nord) sur la côte est du Canada, sont
englacées en hiver. La zone marine boréale
dont le tracé moyen est donc non réductible,
même en première approximation, à celui
d’un simple parallèle, ressemble alors à
un immense patchwork de plaques de
glace enchevêtrées les unes aux autres
qui dérivent au gré des courants marins et
des tempêtes.
Il y a encore une vingtaine d’années, au
moins la moitié de la surface de glace
hivernale résistait à la fonte estivale et
à la fin de l’été, vers la mi-septembre, la
banquise résiduelle couvrait encore près de
7 millions de km2 de la superficie de l’océan
Arctique. Depuis la fin des années 1970,
La banquise arctique, sentinelle
du changement global
L’ouverture de nouvelles
perspectives économiques
et commerciales dans
la zone Arctique (routes
maritimes polaires,
réserves énergétiques
off-shore, tourisme de
croisière, nouvelles
pêches…) est étroitement
liée à un changement
environnemental majeur
que les spécialistes
décrivent comme le
premier exemple à grande
échelle d’une évolution
en cours du système
climatique planétaire.
La zone Arctique (carte de l’Arctique en projection dite polaire)
La zone arctique a une superficie d’environ 21 millions de km2 dont les 2/3 sont
représentés par l’océan Glacial Arctique. La population dans la zone Arctique est
estimée à environ 4 millions de résidents dont 10% de communautés autochtones.
A défaut d’être une région (activité
économique et commerciale intra-régionale),
la zone Arctique se laisse décrire comme
la juxtaposition longitudinale des parties
septentrionales très peu peuplées, très
peu industrialisés et réputées riches en
ressources naturelles des territoires de
5 États riverains (États-Unis d’Amérique,
Canada, Groenland/Danemark, Norvège et
Fédération de Russie), dont l’essentiel de leur
activité économique, de leur population, de
leur PNB et de leurs centres administratifs et
de décision politique sont situés beaucoup
plus au sud, aux latitudes moyennes.
Agir contre le changement climatique
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la banquise arctique estivale connaît un
déclin moyen annuel aggravé par des
épisodes de régression brutale. Ce repère
chronologique ne marque pas l’amorce du
déclin de la banquise mais l’avènement
des satellites qui ont permis les premières
observations globales de l’extension de la
couverture de glace boréale. De 7 millions
de km2 dans les années 1979-1983,
l’extension minimale des glaces de mer
estivales est passée à 6 millions de km2
dans les années 2002-2006 pour chuter
à 4,17 millions de km2 à la fin de l’été
2007. On voulait croire à un événement
exceptionnel mais l’été 2008 a confirmé
cette tendance au retrait avec un minimum
d’englacement de 4,5 millions de km2. L’été
2009 est venu entériner cette situation
de non-retour à la normale saisonnière
avec une étendue minimale de glace de
mer de 5,1 millions de km2. Et, à la fin de
l’été 2011, le minimum d’englacement
avoisinait le record de l’été 2007 avec 4,3
millions de km2. Bref, l’écart se consolide
et se creuse d’année en année et l’on ne
saurait raisonnablement attribuer ces
variations aux caprices de Dame Nature.
Certes, l’océan boréal est un environnement
à forte variabilité interannuelle et cette
variabilité joue dans les deux sens, avec
des fluctuations d’étendue de banquise
positives ou négatives comprises entre 1 et
2 millions de km2. Mais le bruit interannuel
est écrasé dans la moyenne arithmétique
et l’identification d’une tendance sur une
période de temps suffisamment longue n’est
pas gênée par la présence de fluctuations.
Chaque été apporte son lot de surprises et
l’escalade dans la surenchère des records
de minima d’englacement n’en finit pas
de se confirmer. Citons pour mémoire le
record de l’été 2012 où la surface d’océan
englacé dans l’hémisphère Nord a atteint
la valeur de 3,41 millions de km2, soit
700 000 km2 de banquise de moins
relativement au précédent record de l’été
2007. L’hiver 2013-2014 s’est soldé lui,
par un maximum d’englacement parmi
les plus faibles enregistrés depuis 30 ans.
Cette succession de records créant à chaque
fois la surprise traduit une tendance, au
sens statistique du terme : au cours des
années 2005-2012, l’extension minimale
de la banquise boréale a connu les sept
valeurs les plus basses jamais enregistrées
depuis les premières observations satellite.
Au total, sur la période 2001-2011, la
moyenne des minima d’extension de la
banquise (5,49 millions de km2) a été
de 22 % inférieure à la celle des minima
d’extension de la période 1979-2000
(7 millions de km2). On arrive ainsi à
l’estimation que sur la période 2001-
2011, la tendance au recul des glaces de
mer flottantes estivales de l’hémisphère
Nord a été de -191 000 km2 par an soit
-27 % par décennie. Gardons à l’esprit cette
dimension essentielle de la nouvelle donne
hyperboréale à savoir que l’environnement
arctique évolue rapidement. Il ne s’agit pas
ici de spéculer sur le changement global à
l’échelle des générations futures. À l’horizon
d’une vie humaine, notre génération assiste
à la transformation d’un pan entier de notre
environnement planétaire.
L’Arctique, sentinelle du
changement climatique
Tous les modèles de climat mis en
œuvre dans le cadre des simulations du
Groupe intergouvernemental d’experts
sur l’évolution du climat (Giec) prédisent
une diminution abrupte de l’étendue de
la banquise estivale arctique dans les
prochaines décennies, conduisant à son
éventuelle disparition. L’échéance de
cette disparition est bien sûr fonction du
scénario envisagé pour l’augmentation du
CO2 atmosphérique ou du modèle utilisé,
mais pour certains, elle est de l’ordre de
20 à 30 ans. Ce déclin du couvercle de
glace de l’océan Arctique est imputable
à l’augmentation de la température de
l’air qui est beaucoup plus rapide dans
cette région qu’à l’échelle globale. Selon
le rapport du Giec de 2001, alors que le
climat de la planète s’est réchauffé de 0,6°C
au cours du XXe siècle, les tendances au
réchauffement observées depuis le milieu
des années 1970 sur une partie de la
Sibérie, le nord du Canada et l’Alaska
atteignent 1°C par décennie. En moyenne,
le réchauffement sur l’Arctique est 1,5 à
4,5 fois plus intense qu’à l’échelle globale.
L’existence d’une corrélation forte entre la
température dans les régions polaires et
la température moyenne du globe a été
récemment confirmée par les simulations
numériques des climats préindustriels
des XXe et XXIe siècles publiées dans le
4e rapport du Giec en 2007.
C’est à la lumière de cette corrélation
qu’il convient d’entendre l’expression
popularisée par les glaciologues : « Les
pôles, sentinelles de l’environnement et du
climat planétaires ». Outre un changement
environnemental majeur dans l’océan
Arctique, le déclin de la banquise boréale
est un signal de l’évolution du climat de
notre planète. Les Anglo-Saxons parlent
de « canari dans la mine de charbon »
(« canari in the coal mine ») en référence à
Evolution récente des glaces de mer arctiques.
(source : NSIDC)
Evolution interannuelle de l’étendue (en millions de km2) des glaces de mer arctiques
depuis la fin de l’été boréal
(septembre) jusqu’au
mois de janvier pendant
la période 2014-2015 (en
bleu), 2013-2014 (en vert),
2012-2013 (en orange),
2011-2012 (en marron),
2010-2011 (en violet).
La moyenne sur la période
1981-2010 apparaît en
gris. Le minimum annuel
d’étendue de la banquise
est atteint en moyenne le 17
septembre et le maximum
au tout début du mois de
mars.
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la pratique des mineurs qui utilisaient cet
oiseau chanteur pour déceler les faibles
émanations de méthane insensibles à
l’olfaction humaine et pouvant conduire
aux fameux « coups de grisou ». Ces
métaphores rivalisent de virtuosité
pour tenter de rendre sensible une
dimension obscure au non-spécialiste
mais néanmoins fondamentale de
l’environnement et du climat planétaires,
à savoir leur dimension systémique :
« Il n’y a qu’un océan ; il n’y a qu’une seule
atmosphère ». Vu depuis nos latitudes,
le changement environnemental qui se
joue dans les hautes sphères de l’océan
Arctique peut paraître lointain. Il s’agit
cependant, selon la terminologie d’Achim
Steiner, directeur du Programme des
Nations-Unies pour l’Environnement, d’un
« Distant Early Warning » qui manifeste
de manière amplifiée un changement
climatique et environnemental à l’échelle
globale.
L’Arctique, acteur du
changement climatique
L’amplification du réchauffement
atmosphérique sur l’Arctique s’explique
pour l’essentiel par le rôle que la glace joue
dans les échanges d’énergie entre l’océan
et l’atmosphère. La banquise possède un
fort pouvoir réfléchissant (ou « albedo »)
qui renvoie vers l’atmosphère jusqu’à
90 % du rayonnement solaire incident. À
la différence de l’océan qui lui, absorbe
beaucoup plus d’énergie solaire qu’il
n’en réfléchit. L’albedo de la surface
océanique est en moyenne 4 à 5 fois
plus faible que celui de la glace. Cette
propriété de la glace de mer est impliquée
dans des mécanismes d’amplification
que les spécialistes appellent des
« boucles de rétroaction » positives. Le
principe est simple : l’augmentation des
températures de l’air et l’allongement de
la période de fonte pendant l’été boréal
induisent une diminution de l’étendue et
de l’épaisseur de la banquise. L’albedo
moyen à la surface de l’océan diminue et
la surface de la mer absorbe davantage
de rayonnement solaire, d’où une
augmentation des températures qui vient
renforcer la fonte latérale des plaques de
banquise.
Une autre boucle de rétroaction met
en jeu les propriétés mécaniques de la
glace : l’amincissement de la banquise
arctique sous l’effet du réchauffement
atmosphérique diminue sa résistance
mécanique et favorise son démantèlement
sous l’effet des tempêtes et des
courants marins. En se fragmentant,
la banquise libère des chenaux d’eaux
libres et l’albedo moyen à la surface de
l’océan diminue localement, provoquant
une augmentation de l’absorption du
rayonnement solaire par les surfaces
d’eau libre qui réchauffent à leur tour l’air
ambiant. Ces mécanismes d’amplification
sont d’une telle importance que lorsque
les experts simulent l’évolution de la
banquise arctique sans les prendre en
considération, les modèles prédisent
une disparition de la banquise estivale
vers 2080, alors que lorsqu’ils sont pris
en compte, l’échéance de la disparition
est ramenée à 2020-2030. La banquise
arctique n’est donc pas seulement un
témoin du changement climatique. Elle
en est un acteur essentiel.
Agir contre le changement climatique
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30 / janvier - février 2015 / n°448
L’Arctique, une zone clé dans les
équilibres océaniques mondiaux
L’« Arctique bleu » est le nom évocateur que
les spécialistes donnent à cette perspective
d’un océan boréal libre de glace pendant l’été
qui, dans l’état actuel des connaissances,
apparaît comme l’aboutissement inéluctable
de la tendance au retrait des glaces de mer
estivales observé depuis une vingtaine
d’années. Cette projection reviendrait à
remplacer pendant quelques mois une
surface réfléchissante grande comme la
moitié du Canada (environ 4,5 millions
de km2) par une surface de même taille
4 à 5 fois plus absorbante. La disparition
de cette surface isolante, qui bloque les
échanges de chaleur entre l’eau de mer en
équilibre avec la glace autour de -1,8°C
et une atmosphère froide en hiver (-33°C
en moyenne) et chaude en été (6°C en
moyenne), aura des conséquences sur
l’équilibre du climat global et notamment la
circulation atmosphérique et la circulation
océanique. Les glaces de mer ne sont pas
seulement des régulateurs du climat boréal.
Elles jouent un rôle clé dans les équilibres
océaniques et atmosphériques mondiaux.
Bien au-delà des limites de la zone arctique,
le réchauffement du climat boréal et le
retrait de la banquise sont susceptibles
d’avoir des conséquences sur la circulation
océanique mondiale et notamment sur le
climat des latitudes tempérées.
Du point de vue environnemental et
climatique, l’évolution rapide de la zone
Arctique s’impose ainsi comme un défi
mondial auquel seule une solution globale
peut répondre; « The Arctic, a global hot
topic » aime à répéter M. Ólafur Ragnar
Grímsson, président de la République
d’Islande qui, à l’instar des autres dirigeants
des États de la zone « arctique », réunit
au sein du Forum intergouvernemental du
Conseil de l’Arctique, promeuvent le principe
d’un développement économique durable et
responsable de la zone boréale, notamment
pour ce qui concerne les hydrocarbures
off-shore, dont le potentiel est estimé à
25 % des réserves mondiales de gaz et
de pétrole non encore découvertes, selon
une approximation de l’agence géologique
américaine.
Force est de reconnaître que les efforts
louables et nécessaires des États de la
zone arctique pour assurer un régime de
développement durable de la zone boréale
promettent d’être débordés par les effets
(amplifiés) du changement climatique,
lesquels sont à l’origine même de
l’accessibilité et de l’attractivité économique
accrues du Nord circumpolaire. Plus
que pour toute autre zone de la planète,
l’évolution et l’équilibre environnementale
de la zone boréale dépendra de l’accord
international sur le climat qui sera passé à
Paris en décembre prochain à la Cop 21.
Au final, la perspective de la Cop21
conduit à rouvrir avec force la question
de l’opportunité d’une exploitation des
hydrocarbures off-shore arctiques. En
juillet dernier, l’ancien ministre des Affaires
étrangères et nouveau patron du parti
travailliste norvégien, Jonas Gahr Støre,
avait déclaré qu’une partie des réserves de
pétrole arctiques devrait être abandonné
dans les sous-sols du plateau continental
norvégien.
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