1 Guide de soutien à la prise de décision clinique da ns l e pr o c e s s us d’évaluation psychologique adulte Rédigé par Louise Bellemare, M.Ps., psychologue et Linda Wilson, M.Ps., psychologue Avec la collaboration de Carole Breau et Valérie Gentes, psychologues Décembre 2009 Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) Nous tenons à remercier les personnes suivantes pour avoir contribué à alimenter notre réflexion dans les premières étapes de nos travaux : Monsieur Pierre Desjardins, psychologue Directeur de la qualité et du développement de la pratique (OPQ) Madame Christine Roy, psychologue Répondante des psychologues au CSSS Pierre-Boucher Monsieur Bruno Fortin, psychologue Unité de Médecine Familiale de l'Hôpital Charles Lemoyne Nous voulons également remercier le Conseil et la Direction des services Multidisciplinaires pour avoir supporté la réalisation de ce projet. 2 2 Table des matières Page Introduction................................................................................................................................................... 3 I. Définition du processus de l’évaluation psychologique Définition de l’acte................................................................................................................................. 3 Marque distinctive de la profession........................................................................................................ 4 Une activité complexe ............................................................................................................................ 5 II. Élaboration des étapes de l’évaluation La raison de l’examen ............................................................................................................................ 6 Les données brutes ................................................................................................................................. 6 Le cadre de référence.............................................................................................................................. 8 L’interprétation des données .................................................................................................................. 8 La communication des impressions cliniques ........................................................................................ 8 III. Arbre décisionnel Tableau I : arbre décisionnel pour la cueillette des données .............................................................9-11 IV. Vignettes cliniques ............................................................................................................................... 11 V. Recommandations et pistes de réflexion .............................................................................................. 13 VI. Références ............................................................................................................................................ 14 Annexe I : Énoncé de politique sur la pratique fondée sur les données probantes en psychologie ............ 16 Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 3 Introduction Suite à l’identification d’un besoin clinique, nous avons décidé d’entreprendre la rédaction d’un document portant sur le processus d’évaluation psychologique. Ce processus d’évaluation mène le psychologue à devoir réfléchir et décider des instruments et outils auxquels il aura recours et cela ne peut se faire sans prise en considération du mandat, des besoins spécifiques des clientèles de chaque programme, des caractéristiques du patient, des qualités variables des tests et des compétences particulières des psychologues. Ainsi, nous nous adressons premièrement aux psychologues du CSSS Pierre-Boucher, espérant nourrir la réflexion de chacun à l’aide de ce guide. Nous souhaitons également que ce texte soit accessible à tous nos collègues de travail, puisqu’il permet une meilleure compréhension de notre mandat d’évaluation psychologique. Même si ce document n’a pas la prétention d’être complet et exhaustif, il est un jalon important dans la définition du rôle du psychologue au CSSS Pierre-Boucher. Notez bien que ce document ne tient peut-être pas compte de toutes les réalités des psychologues œuvrant au CSSS Pierre-Boucher. En effet, nos collègues travaillant auprès de la clientèle jeunesse, en neuropsychologie ou au centre de crise n’étaient pas représentés dans ce comité et donc, ces champs d’expertise ne sont pas inclus. Cependant, nous croyons que plusieurs des éléments présentés dans ce texte convergent pour l’ensemble des types d’évaluation. Vous trouverez donc dans ce texte une définition du processus d’évaluation des troubles mentaux, les étapes nécessaires à l’évaluation, un arbre décisionnel permettant de choisir les méthodes pertinentes dans les cas individuels, ainsi que des pistes de réflexion sur cet aspect de notre travail. I. Définition du processus de l’évaluation psychologique L’activité d’évaluation fait partie intégrante du rôle du psychologue. Le Code de déontologie des psychologues du Québec (2008) précise sous quelles conditions elle doit être exercée : « Le psychologue n’établit un diagnostic psychologique à l’égard de son client et ne donne des avis et conseils à ce dernier que s’il possède l’information professionnelle et scientifique suffisante pour le faire ». Définitions Selon le projet de loi 90, la définition de l’évaluation s’énonce comme suit : « La notion d’évaluation implique de porter un jugement clinique sur la situation d’une personne à partir des informations dont le professionnel dispose et de communiquer les conclusions de ce jugement. Les professionnels procèdent à des évaluations dans le cadre de leur champ d’exercice respectif. »1 Dans cette définition, il serait avantageux sans doute de préciser le sens des termes que nous avons soulignés. Lorsque nous parlons de jugement clinique, il s’agit de la capacité, développée chez le psychologue 1 Lorquet (2009). Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 4 dans le cadre de sa formation, d’apprécier et de formuler une opinion raisonnée sur la santé mentale d’un individu. Les conclusions de ce jugement, dans le cas des psychologues, font référence aux impressions cliniques ou au diagnostic psychologique (Lorquet, 2009).2 De plus, la loi 21, décrit le champ d’exercice du psychologue comme : « évaluer le fonctionnement psychologique et mental ainsi que déterminer, recommander et effectuer des interventions et des traitements dans le but de favoriser la santé psychologique et de rétablir la santé mentale de l’être humain en interaction avec son environnement ». 3 Puisque l’objectif ultime de toute évaluation faite par un psychologue est de poser un diagnostic psychologique (ou impression clinique), nous retenons la définition de Sultan : Le diagnostic psychologique « est fondé sur une exigence dans l’intégration des informations, provenant le plus souvent de sources diverses, les interprétations s’effectuant en référence à l’histoire singulière de l’individu. L’objectif ultime du diagnostic psychologique est de comprendre une personne et non seulement un dysfonctionnement. Le psychologue se livre à une construction, qui met en œuvre sa subjectivité, sa rigueur de raisonnement, ses connaissances et savoir-faire de scientifique. » (Sultan, 2004) Ainsi, le psychologue clinicien décrit la dynamique du fonctionnement individuel qui explique le comportement actuel et son évolution. En ce sens, le diagnostic psychologique complète le diagnostic psychiatrique et il est fort possible que le premier englobe le second (Sultan, 2004). Dans la plupart des situations cliniques, le psychologue est rarement en situation d’évaluer sans prise en charge thérapeutique. L’évaluation n’est qu’une étape dans la prise en charge des patients et cette prise en charge peut être d’autant pertinente qu’on en connaît davantage sur la singularité des patients, sur d’autres dimensions de la personne que ses seules manifestations symptomatiques. En fait, Antony et Barlow (2002) donnent en exemple une étude portant sur le diagnostic du Trouble anxieux généralisé (TAG) auprès d’une population de 8,000 individus pour illustrer l’importance de procéder à une évaluation autant de l’axe I que de l’axe II. Dans cette étude, il a été observé que seulement 21% des personnes présentaient le simple diagnostic de TAG comparativement à 49% qui rencontraient également les critères d’un trouble de la personnalité. Sans une évaluation davantage approfondie, plusieurs de ces troubles connexes sont mal identifiés et donc, l’orientation et le traitement risquent par le fait même d’être erronés, insuffisants ou inefficaces. Marque distinctive de la profession Parmi l’éventail des compétences offertes par les professionnels du secteur de la santé mentale et des relations humaines, le psychologue se distingue par sa capacité d’évaluer le fonctionnement psychologique et le fonctionnement mental, d’intervenir et de traiter dans le but de favoriser la santé psychologique et de rétablir la santé mentale (Sultan, 2004). Meyer et coll. (2001), en s’appuyant sur trois recherches différentes, rapportent que les psychologues, notamment les cliniciens, accordent à la psychothérapie et à l’éva2 Me Édith Lorquet ( 2009), conseillère juridique et secrétaire du comité de discipline à l’Ordre des Psychologues, écrit que les expressions évaluation des troubles mentaux et diagnostic psychologique s’équivalent. 3 Projet de loi 21, sanctionnée le 19 juin 2009, éditeur officiel du Québec. Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 5 luation psychologique, dans l’ordre, la première et la deuxième place en importance dans leur pratique professionnelle. Ces deux activités sont au cœur de la pratique du psychologue. Cette position donne au psychologue la responsabilité de formuler des opinions sur le fonctionnement d’une personne, opinions basées sur une activité complexe de prise de décisions dans ce processus d’élaboration du jugement clinique. La recherche démontre que la valeur des résultats de plusieurs tests psychologiques est équivalente, sur le plan de la validité, à plusieurs tests médicaux (Meyer et al., 2001). En fait, l’élaboration et la validation des tests psychologiques reposent sur une méthode scientifique rigoureuse qui est à la base de notre profession. En ce sens, l’utilisation de ces tests permet de recueillir des informations pertinentes et précieuses, parfois impossibles à obtenir autrement. D’autant plus qu’il a été démontré dans de nombreuses recherches que l’intuition personnelle du psychologue, si elle est très utile, est largement moins efficace que des procédures plus rigoureuses (Sultan, 2004). Une activité complexe L’évaluation est donc une activité complexe qui demande au psychologue une réflexion approfondie tout au long du processus. En fait, il doit choisir les meilleures procédures afin d’obtenir les informations pertinentes à l’élaboration d’un diagnostic. Les méthodes mises à sa disposition sont les entretiens cliniques, l’observation comportementale et les tests psychologiques. Par exemple, suite aux observations faites lors de l’entretien, le clinicien commence à formuler des hypothèses qu’il vérifie à l’aide de tests. En ce sens, « l’instrument de mesure le plus important n’est pas le test mais l’examinateur, la capacité à intégrer différentes sources d’information et à formuler des opinions » (Sultan, 2004). Il existe deux approches dans l’élaboration d’un diagnostic psychologique : l’approche idiographique et l’approche nomothétique (Brunet, 2008). La première s’intéresse à comprendre ce qui est spécifique à un individu. Elle vise à expliquer le sens de la psychopathologie présentée, à expliquer son monde subjectif conscient et inconscient (ce que permet de faire par exemple, l’entretien clinique ou semi-structuré, les tests projectifs). Cette approche se fonde sur une connaissance approfondie d’une théorie de la personnalité. Elle trouve ses limites dans sa difficulté à situer un individu par rapport à une norme. L’approche nomothétique utilise des instruments mesurant des comportements observables et des signes visibles qui permettent, par exemple, au clinicien de dire qu’un individu présente les caractéristiques que l’on retrouve chez des gens présentant telle pathologie (par ex., la dépression). Une des limites de cette approche est qu’elle ne décrit pas la spécificité de l’individu et n’explique pas le sens d’un état psychologique et ainsi ne permet pas de personnaliser le traitement. Nous pensons que l’équilibre entre ces deux perspectives permet d’offrir une opinion plus globale du client, puisque cela nous renseigne autant sur la nature du trouble que sur les ressources dont il dispose pour y faire face. Il est important de se rappeler les fonctions principales de toute évaluation psychologique (Sultan, 2004) : 1. La description fidèle du fonctionnement de la personne (individu, groupe ou institution), sa situation, sa façon de se comporter et ses problèmes. 2. L’explication comporte l’analyse du développement et des causes du problème (pathogénèse et étiologie). L’étude cherche à en situer le début, le développement et les conditions dans lesquelles ils s’expriment, menant à des hypothèses explicatives. Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 6 3. Le trouble est éventuellement situé au sein d’un système de classification (par exemple, le DSMIV). 4. Le pronostic concerne l’évolution du trouble : quelle sera son évolution spontanée, justifie-t-elle une intervention et surtout laquelle ? Les recommandations thérapeutiques entre donc dans cette catégorie. 5. L’évaluation des interventions qui avaient été recommandées porte soit sur le processus thérapeutique en cours, soit sur le résultat de l’intervention à la fin de celle-ci ou après un certain laps de temps. Elle permet ainsi de mettre en évidence les changements survenus, le maintien, l’augmentation ou la diminution des difficultés. En résumé, l’évaluation est une activité complexe qui s’appuie sur plusieurs compétences (Meyer et coll., 2001) : • une compréhension du fonctionnement de la personnalité et de la psychopathologie • une connaissance des méthodes de recherche, des instruments de mesure, des statistiques • une capacité de discriminer les différents outils d’évaluation en fonction de leurs caractéristiques et les données qu’ils peuvent fournir, ainsi que l’adéquation à la situation clinique donnée. • une compréhension des différentes forces et limites de chaque méthode • la capacité de former une opinion clinique à partir de l’information obtenue • l’habileté et la sensibilité à communiquer les résultats aux patients et aux référents. II. Élaboration des étapes de l’évaluation Selon Sultan (2004) « l’examen psychologique n’est pas un événement linéaire. C’est ainsi que l’on peut comprendre le processus lui-même comme une interaction complexe entre le psychologue et 4 catégories d’information : (1) la raison de l’examen; (2) les données brutes; (3) les cadres de référence théorique; (4) le rapport du psychologue. » Reprenons chacun de ces éléments plus en détails. La raison de l’examen Il est souvent nécessaire de s’entretenir avec le référant afin de préciser le motif de la demande. Que cherche-t-il ? Quelles questions se pose-t-il? Comment en est-il arrivé à ce questionnement? Dans quel contexte est faite cette demande? Est-ce pour une précision de diagnostic différentiel? Est-ce pour aider au choix d’un traitement médicamenteux? Est ce pour aider à établir un plan de traitement? Est-ce pour effectuer une référence vers une autre ressource? Le clinicien est censé répondre à des questions spécifiques et aider à la prise de décisions appropriées. Les données brutes Une fois la question précisée, il s’agit de recueillir toutes les informations pertinentes qui permettront d’y répondre. On considérera que le recours à diverses méthodes, et pas seulement les tests, permet de recueillir ces informations. Il peut être question de rapports précédents, d’entrevues avec le client, de rencontres avec la famille ou l’entourage du sujet, etc. Il peut arriver que l’information obtenue par ces Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 7 moyens soit suffisante pour répondre au mandat. Si des questions demeurent, le clinicien peut alors vérifier s’il existe des outils pertinents dans ce contexte qui aideraient à valider ou infirmer les hypothèses formulées en cours d’évaluation. Ce document soutient la pertinence de laisser au psychologue la possibilité de choisir un ensemble d’instruments suffisamment souple pour pouvoir s’adresser aux problèmes spécifiques du sujet. Afin de choisir quel test utiliser, le clinicien évalue les composantes que le test mesure et si les informations recueillies à partir de cet outil sont utiles pour prendre des décisions adéquates. De plus, il faut s’assurer que l’outil convienne vraiment à l’usage que l’on veut en faire. Ceci repose sur le fait que tous les tests ne sont pas équivalents et que, selon ce qu’il s’agit d’évaluer, certains instruments, certains tests, sont meilleurs que d’autres. Le critère le plus important dans la sélection des instruments est l’adéquation de l’instrument à la question posée par le correspondant. Un deuxième critère est la capacité de l’instrument à être relié conceptuellement et pratiquement aux choix thérapeutiques, aux manuels diagnostiques. Les instruments sont également là pour aider à la décision thérapeutique et permettre de générer ce qu’on peut appeler une planification du traitement. Il est important également de tenir compte des caractéristiques du client et de sa réaction au matériel envisagé. Il est important par ailleurs de rapporter ici que plusieurs auteurs soulignent l’inefficacité d’établir une batterie de tests standards pour tous les clients (Meyer, 2001). Le recours aux tests doit être approprié au mandat confié, à la clientèle visée et aux objectifs poursuivis, en exerçant cas par cas son jugement professionnel. Conforme à la position de l’ordre et de L’APA4 sur les données probantes en psychothérapie, le psychologue a à apprécier les forces et les limites des outils utilisés et d’en faire le choix le plus judicieux. Nous tenons également à définir notre compréhension du terme test, définition empruntée à Stéphanie Noci (2005) : « On appelle un test mental une situation expérimentale standardisée servant de stimulus à un comportement. Ce comportement est évalué par une comparaison statistique avec celui d’autres individus placés dans la même situation, permettant ainsi de classer le sujet examiné soit quantitativement, soit typologiquement. » Il ne faut pas oublier qu’un test n’est pas une fin en soi, c’est un outil qui étaye, complète, objective, éclaire nombre de données recueillies sur la personne (Noci, 2005) auprès de différentes sources : dossier, entrevue, tiers, évaluations précédentes, etc. Par exemple : Tous les tests ne font pas appel aux mêmes dimensions de la psyché. 4 Certains tests psychométriques font appel à la dimension consciente, d’autres à mesurer la performance de l’individu. Les questions portent sur des variables précises de la personnalité. Il recueille Document que vous trouverez à annexe I. Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 8 une information factuelle et rien n’assure la véracité des réponses. En effet, ils sont limités par la motivation de l’usager à être franc et à leur capacité d’avoir un jugement adéquat. Nous retrouvons ces mêmes observations pour les entrevues structurées et non structurées, les auto-évaluations et les tests de personnalité. (Meyer et al., 2001) • Les tests projectifs permettent d’entendre autre chose que ce qui est contrôlé rationnellement par l’individu. Ces tests permettent de déjouer l’effet de la désirabilité sociale, c’est-à-dire la tendance de certains clients à vouloir bien paraître devant le psychologue. Ces clients seraient portés à « cacher » les aspects moins reluisants de leur personnalité, par exemple, les clients défensifs se montrent souvent plus fonctionnels qu’ils ne le sont réellement. Ils peuvent minimiser, ne pas parler de leurs symptômes par timidité ou par honte à l’inverse de ceux qui amplifient leur détresse. Ils sont d’autant plus utiles lorsque nous avons affaire à des situations plus complexes telles que différencier la psychose du trouble de la personnalité. Le cadre de référence Ce point fait appel à la théorie de la personnalité et à la perspective adoptée par le psychologue sur la psychopathologie (Sultan, 2004). Ce cadre va influencer le type de données que le psychologue recueille ainsi que les choix méthodologiques pour mettre ces données en évidence. Le cadre de référence influence aussi la structuration et le contenu de la réponse donnée à la demande d’examen et le type d’hypothèses émises. L’interprétation des données Cette étape est essentielle au travail d’évaluation. Le clinicien fait ici un travail d’intégration de toute l’information apportée par les différentes sources de données. En effet, il s’agit de traduire ces données en formulations vis-à-vis de la demande d’examen et du cadre de référence du praticien (Sultan, 2004). C’est ici que nous expliquons pourquoi la personne vit telle ou telle difficulté, les antécédents contributifs ainsi que les suggestions d’une approche pour soutenir un changement chez le sujet. Il est important de retenir que l’interprétation est le résultat d’une relation entre les propos du client et les conclusions tirées par le psychologue. C’est tout l’art du psychologue qui est mis à contribution dans l’interprétation. La communication des impressions cliniques À cette dernière étape, il s’agit de partager avec le client, en premier, notre compréhension de ses difficultés et les ressources personnelles et thérapeutiques disponibles pour retrouver un mieux-être. La restitution du résultat est incontournable au plan de l’éthique professionnelle (Noci, 2005). Il est suggéré par Finn (2007) que la rencontre d’information soit comprise comme une étape importante dans le processus thérapeutique et non seulement une série de termes et de conclusions abstraites pour le client. Dans le même ordre d’idée, la partie du rapport comportant la compréhension clinique du psychologue se doit d’être claire et sans équivoques quant à ce qui permet d’arriver à telle ou telle conclusion, c’est-à-dire de bien communiquer comment celui-ci en arrive à poser le diagnostic, ainsi que des recommandations claires pour le traitement et si possible, le pronostic du client (avec et sans interventions psychologiques). Le rapport permet la communication de la réponse du psychologue à la demande qui lui a été adressée. Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 9 III. Arbre décisionnel Nous désirons dans ce chapitre suggérer un guide de soutien à la prise de décision clinique dans le processus d’évaluation psychologique. Il est présenté sous la forme d’ « un arbre décisionnel dans la cueillette des données », élaboré dans les pages qui suivent. Afin de guider la réflexion nécessaire lors de la sélection d’un test, nous nous appuyons sur les critères suggérés par Sultan (2004). Selon lui, le critère le plus important est l’adéquation entre l’instrument et la question posée. Le second critère est la familiarité de l’examinateur avec les méthodes envisagées, en lien avec sa formation et son expertise. Un troisième critère concerne l’économie des instruments selon son efficience spécifique en termes de temps nécessaire à son exploitation. Un quatrième critère est la capacité du test à aider à la planification d’un traitement. Un autre critère tient de l’interaction entre les tests envisagés et les caractéristiques du patient; ce matériel nous ferait voir des dimensions différentes du sujet selon (1) qu’il soit structuré ou ambigu ou (2) qu’il s’adresse à l’expérience subjective ou à son comportement ou (3) qu’il stresse le sujet ou non. N’oublions pas que l’évaluation doit être continue et évolutive dans le temps permettant ainsi de valider ou de circonscrire le diagnostic posé et, s’il y a lieu, d’apporter les ajustements dans les interventions. La nature et la valeur du traitement, qu’il s’agisse de psychothérapie, de pharmacothérapie ou d’aide et de soutien, dépendent de l’exactitude de l’évaluation conduite (Vermette, 2002). Tableau I : Arbre décisionnel dans la cueillette de données 1. Préciser la nature de la demande d’évaluation Suivi en psychothérapie Précision du trouble mental Évaluation du fonctionnement intellectuel Évaluation du fonctionnement cognitif Poursuivre à la 2e étape Si les informations obtenues sont suffisantes, répondre à la demande. Sinon, poursuivre à la 3e étape Évaluation du fonctionnement de la personnalité Autres 2. Révision du dossier Étude du dossier (évaluations, rapports, etc.), informations des tiers Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 10 3. La personne peut-elle être évaluée Présence de symptômes physiques importants Exploration médicale pour éliminer ou identifier cause organique et poursuivre à 4e étape Non disponibilité (délire, hallucinations, déficience intellectuelle, difficultés neurologiques etc.) Référence vers une ressource spécialisée et poursuivre à 4e étape Sous l’effet d’une substance Attendre un autre moment Poursuivre à la 4e étape La personne semble disposée à collaborer à un entretien 4. Le premier entretien clinique en lien avec la demande Explorer l’histoire de la problématique, l’histoire personnelle, les motivations à consulter, la capacité relationnelle, la mentalisation, le degré de responsabilisation, la capacité d’autocritique Si les informations obtenues sont suffisantes pour répondre à la demande, rédiger un rapport. Sinon, poursuivre à la 5e étape. Évaluation des ressources de la personne 5. Étape initiale d’approfondissement : sélection du ou des tests appropriés5 Évaluation des pathologies en fonction des critères du DSM-IV-TR, par ex. : Questionnaires auto-rapportés Entrevues structurées ou semi-structurées Protocoles Échelles d’évaluation Évaluation du fonctionnement intellectuel 5 Si les informations obtenues sont suffisantes pour répondre à la demande, rédiger un rapport. Sinon, poursuivre à l’étape 6. Voir des auteurs tels Anthony & Barlow (2002) pour une revue systématique des forces et faiblesses des tests envisagés. Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 11 6. Approfondir l’investigation6 ce qui peut signifier une référence à un collègue qui maîtrise mieux le test en question. Tests objectifs : permettent d’évaluer certains traits de personnalité, le fonctionnement social, la consommation, etc. Tests projectifs : permettent d’approfondir l’évaluation lorsqu’il y a une présentation atypique de symptômes selon les critères du DSM, un manque d’autocritique, un besoin d’établir un diagnostic différentiel. Permet aussi la compréhension psychodynamique de l’individu Évaluation du fonctionnement cognitif lorsqu’on soupçonne une dysfonction du cerveau: Causes organiques Profil inhabituel et évolutif avec symptômes cognitifs ou comportementaux (suspicion d’atteinte cérébrale) Opinion quant au diagnostic différentiel des démences Préciser les séquelles d’une atteinte cérébrale connue Besoin d’une évaluation cognitive approfondie pour préciser l’orientation du patient (ex : type d’hébergement), ses aptitudes scolaires ou ses capacités à occuper un emploi Personne chez qui on soupçonne de la simulation ou un trouble factice sur le plan cognitif Cas complexes de TDAH pour lesquels on a besoin d’évaluer le fonctionnement dans l’ensemble des sphères cognitives Détérioration cognitive majeure lié à l’axe I et inexpliquée Autres 6 Si les informations obtenues sont suffisantes pour répondre à la demande, rédiger un rapport. Évaluation neuropsychologique Lorsque les tests utilisés n’ont pu répondre à la question, p. ex. la gravité du trouble, le diagnostic est difficile à préciser (ex. trouble de personnalité sévère versus trouble psychotique), la symptomatologie ne répond pas aux critères du DSM, ou pour aider à la compréhension du fonctionnement mental chez un cas complexe où les évaluations antérieures n’ont pu répondre à ces questions, ou encore que les traitements ne donnent pas des résultats suffisants. Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 12 IV. Vignettes cliniques Afin de rendre le tableau ci-dessus et les notions avancées dans ce document plus claires, nous vous présentons quelques vignettes cliniques illustrant la complexité de l’évaluation, du choix des méthodes et de l’importance de la question initiale. Vignette 1 Madame Y est âgée de 21 ans. La cliente nous est référée à la suite d’une première décompensation psychotique (elle était convaincue que les gens complotaient contre elle) d’une durée d’une semaine suite à une période où elle fut désorganisée durant quelques jours. Lors d’une première hospitalisation, Madame disait qu’à l’époque elle se sentait bien, elle ne se sentait pas dépressive, elle ne se sentait pas méfiante et n’identifiait pas de stresseurs en lien avec cette décompensation. Lors de son congé, elle n’a pas voulu prendre de médication. Elle a eu une autre décompensation psychotique quelques mois plus tard. Dans les entrevues cliniques, Madame disait ne pas se sentir souffrante dans aucun secteur de sa vie et pourtant, elle avait vécu deux décompensations psychotiques très rapprochées! Étape 1 : La question soulevée par son médecin traitant face au diagnostic était : est-ce un début insidieux de schizophrénie? Est-ce une dépression psychotique? Est-ce une organisation maniaco-dépressive? Est-ce liée à une tumeur? Étape 2 : L’étude du dossier ne permettait pas de préciser le diagnostic. Étape 3 : Suite à une investigation médicale, la dernière hypothèse fut éliminée. Étape 4 et 5 : Les discussions cliniques et les investigations faites par différents professionnels n’ont pu répondre aux questions quant à la maladie mentale ou au trouble mental dont souffrait la cliente. Étape 6 : Une évaluation projective fut alors proposée tenant compte de la problématique et de la présence de défenses très primitives (déni, minimisation et du clivage face à la gravité de ses symptômes). Les résultats ont permis plus rapidement de mettre en lumière la présence de défenses de la lignée maniaque (madame nous disant suite à la discussion des résultats « ne pas avoir pris conscience de ces symptômes »), la présence d’une angoisse de registre persecutoire (que madame réussissait à bien dissimuler) et d’éléments dépressifs. Ils ont confirmé aussi que la détérioration n’était pas d’allure schizophrénique et qu’elle s’inscrivait plutôt dans une organisation maniaco-dépressive. Cette épreuve a permis d’évaluer les troubles cognitifs, de comprendre le sens des symptômes présents, de préciser le diagnostic et conséquemment à mieux réorienter vers un plan de traitement (médication et thérapie) adapté à la problématique. Vignette 2 Un homme dans le début de la cinquantaine, connu pour un épisode de dépression psychotique, fait une demande d’aide en CLSC car il doit quitter sous peu son logement, à la suite de représailles de ses voisins. Étape 1 : Il est demandé au psychologue d’aider le client dans cette situation et donc, d’évaluer ce qui contribue à ses difficultés. Étape 2 : Peu d’informations ayant pu être obtenues à la lecture du dossier, il fallait donc poursuivre la démarche. Étape 3 : Il se montre méfiant et présente des symptômes paranoïaques lors de l’entrevue initiale. Étape 4 : le choix d’approfondir l’examen est donc effectué compte tenu des éléments de sévérité présentés et de la récurrence de la problématique. Étape 5 : Toutefois, les données obtenues sur le MMPI-II ne peuvent pas être interprétées, le client ayant camouflé les symptômes et celui-ci démontrant des signes d’intelligence supérieure. Étape 6 : L’utilisation d’un test projectif fut alors mise de l’avant afin de clarifier la nature des symptômes et en situer la gravité, tenant compte de la Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 13 nature de ces symptômes, de la personnalité du client et des conflits. Cette élaboration complexe et nuancée a permis une orientation plus adéquate vers des services spécialisés. Vignette 3 Une jeune femme de 22 ans se présente à l’accueil du CLSC pour donner suite à la recommandation de son médecin de consulter en psychologie. Étape 1 : Il est demandé au psychologue d’évaluer ce qui contribue à ses difficultés afin d’établir le plan de traitement adéquat. Étape 2 : Étant une cliente qui n’avait jamais consulté auparavant, peu d’information sont obtenues à la lecture du dossier. Étape 3 et 4 : Pendant la première entrevue d’évaluation, la cliente se confie assez facilement et décrit des difficultés pouvant être reliées à un trouble de la personnalité limite. Étape 5 : Lors de la seconde entrevue, le psychologue fait la passation du DIB-R (entrevue diagnostique pour troubles de personnalité limite) afin de valider ses impressions cliniques. Les résultats convergent dans le sens de ce diagnostic. Aucune autre détresse ou symptôme ne laissent entendre que la cliente souffre d’un problème à l’axe I. Il n’était donc pas nécessaire dans cette situation de pousser davantage l’évaluation, le tout étant bien défini. V. Pistes de réflexion et recommandations Le processus d’évaluation est complexe et exige de la rigueur. Le psychologue, tenant compte de son Code de déontologie et ayant la pleine responsabilité d’établir un diagnostic psychologique à l’égard de son client, se doit de posséder toute l’information professionnelle et scientifique pour le faire. Ce processus est une étape très importante de notre travail puisque de celui-ci découle les informations qui nous guideront dans la compréhension du client et dans l’élaboration du traitement. Nous croyons que plus on arrivera à préciser rapidement un diagnostic, plus on réduira les références inappropriées à d’autres services, les abandons prématurés, la stagnation du traitement et plus on arrivera à éviter une détérioration voire une chronicisation chez l’usager, particulièrement dans les diagnostics différentiels complexes. Cette démarche ne peut qu’aider à diminuer les coûts de soin de santé de notre CSSS, et répondre à ses orientations cliniques et administratives (Ambrose, 1997) à savoir : « donner le bon service, au bon moment, à la bonne personne ». De l’avis de Hunsley et Mash (2005), il n’existe aucune méthode d’évaluation intégrée qui peut être considérée comme une donnée probante. Par contre, l’expérience et la littérature clinique appuient un arrimage entre les motifs et la modalité d’évaluation, qui incluent le dépistage, le diagnostic, le pronostic, la planification du traitement, le suivi et l’évaluation du traitement. Afin de mieux répondre aux objectifs liés à notre mandat d’évaluation du service de première et de deuxième ligne, à savoir offrir une évaluation rigoureuse des troubles mentaux, il est préférable, tel que le soutient Sultan (2004) de disposer d’un éventail suffisamment large d’instruments adaptés aux problématiques des clients et aux questions posées par les professionnels, plutôt que de ne reposer que sur une batterie de tests standards. Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 14 À cet effet, un test qui est trop long ou coûteux pour un usage général peut être essentiel pour clarifier le fonctionnement psychologique dans des situations précises alors que d’autres tests ou moyens ne peuvent répondre à la question. Nous avons présenté dans ce document un arbre décisionnel sur lequel nous nous appuyons pour juger de la pertinence de l’utilisation d’un moyen d’évaluation en indiquant que chaque test est différent et a un but spécifique dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de choisir celui qui convient le mieux. Comme nous l’avons décrit dans ce document, le recours aux tests psychologiques constitue un apport important à l’évaluation psychologique. La recherche affirme qu’un clinicien, appuyant son évaluation sur des sources d’information diverses et nombreuses, utilise les meilleurs moyens afin de maximiser la validité de son jugement et d’aider à améliorer le traitement (Meyer et coll., 2002). Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009) 15 VI. Références Acklin, M. (1995). How to select personality tests for a test battery. In J.N Butcher (Ed.), Clinical personality assessment: practical approaches. New York: Oxford University Press, p.19-26. 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