Guide d`évaluation Février 2010

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Guide de soutien
à la prise de décision clinique
da ns l e pr o c e s s us
d’évaluation psychologique adulte
Rédigé par
Louise Bellemare, M.Ps., psychologue
et Linda Wilson, M.Ps., psychologue
Avec la collaboration de
Carole Breau et Valérie Gentes, psychologues
Décembre 2009
Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher
Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009)
Nous tenons à remercier les personnes suivantes
pour avoir contribué à alimenter notre réflexion
dans les premières étapes de nos travaux :
Monsieur Pierre Desjardins, psychologue
Directeur de la qualité et du développement de la pratique (OPQ)
Madame Christine Roy, psychologue
Répondante des psychologues au CSSS Pierre-Boucher
Monsieur Bruno Fortin, psychologue
Unité de Médecine Familiale de l'Hôpital Charles Lemoyne
Nous voulons également remercier
le Conseil et la Direction des services Multidisciplinaires
pour avoir supporté la réalisation de ce projet.
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Table des matières
Page
Introduction................................................................................................................................................... 3
I.
Définition du processus de l’évaluation psychologique
Définition de l’acte................................................................................................................................. 3
Marque distinctive de la profession........................................................................................................ 4
Une activité complexe ............................................................................................................................ 5
II. Élaboration des étapes de l’évaluation
La raison de l’examen ............................................................................................................................ 6
Les données brutes ................................................................................................................................. 6
Le cadre de référence.............................................................................................................................. 8
L’interprétation des données .................................................................................................................. 8
La communication des impressions cliniques ........................................................................................ 8
III. Arbre décisionnel
Tableau I : arbre décisionnel pour la cueillette des données .............................................................9-11
IV. Vignettes cliniques ............................................................................................................................... 11
V. Recommandations et pistes de réflexion .............................................................................................. 13
VI. Références ............................................................................................................................................ 14
Annexe I : Énoncé de politique sur la pratique fondée sur les données probantes en psychologie ............ 16
Regroupement des psychologues du CSSS Pierre-Boucher (Décembre 2009)
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Introduction
Suite à l’identification d’un besoin clinique, nous avons décidé d’entreprendre la rédaction d’un document
portant sur le processus d’évaluation psychologique. Ce processus d’évaluation mène le psychologue à
devoir réfléchir et décider des instruments et outils auxquels il aura recours et cela ne peut se faire sans
prise en considération du mandat, des besoins spécifiques des clientèles de chaque programme, des
caractéristiques du patient, des qualités variables des tests et des compétences particulières des
psychologues. Ainsi, nous nous adressons premièrement aux psychologues du CSSS Pierre-Boucher,
espérant nourrir la réflexion de chacun à l’aide de ce guide. Nous souhaitons également que ce texte soit
accessible à tous nos collègues de travail, puisqu’il permet une meilleure compréhension de notre mandat
d’évaluation psychologique. Même si ce document n’a pas la prétention d’être complet et exhaustif, il est
un jalon important dans la définition du rôle du psychologue au CSSS Pierre-Boucher.
Notez bien que ce document ne tient peut-être pas compte de toutes les réalités des psychologues œuvrant
au CSSS Pierre-Boucher. En effet, nos collègues travaillant auprès de la clientèle jeunesse, en neuropsychologie ou au centre de crise n’étaient pas représentés dans ce comité et donc, ces champs d’expertise ne
sont pas inclus. Cependant, nous croyons que plusieurs des éléments présentés dans ce texte convergent
pour l’ensemble des types d’évaluation.
Vous trouverez donc dans ce texte une définition du processus d’évaluation des troubles mentaux, les étapes nécessaires à l’évaluation, un arbre décisionnel permettant de choisir les méthodes pertinentes dans
les cas individuels, ainsi que des pistes de réflexion sur cet aspect de notre travail.
I. Définition du processus de l’évaluation psychologique
L’activité d’évaluation fait partie intégrante du rôle du psychologue. Le Code de déontologie des psychologues du Québec (2008) précise sous quelles conditions elle doit être exercée : « Le psychologue n’établit un diagnostic psychologique à l’égard de son client et ne donne des avis et conseils à ce dernier que
s’il possède l’information professionnelle et scientifique suffisante pour le faire ».
Définitions
Selon le projet de loi 90, la définition de l’évaluation s’énonce comme suit :
« La notion d’évaluation implique de porter un jugement clinique sur la situation d’une
personne à partir des informations dont le professionnel dispose et de communiquer les
conclusions de ce jugement. Les professionnels procèdent à des évaluations dans le cadre
de leur champ d’exercice respectif. »1
Dans cette définition, il serait avantageux sans doute de préciser le sens des termes que nous avons soulignés. Lorsque nous parlons de jugement clinique, il s’agit de la capacité, développée chez le psychologue
1
Lorquet (2009).
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dans le cadre de sa formation, d’apprécier et de formuler une opinion raisonnée sur la santé mentale d’un
individu. Les conclusions de ce jugement, dans le cas des psychologues, font référence aux impressions
cliniques ou au diagnostic psychologique (Lorquet, 2009).2 De plus, la loi 21, décrit le champ d’exercice
du psychologue comme : « évaluer le fonctionnement psychologique et mental ainsi que déterminer,
recommander et effectuer des interventions et des traitements dans le but de favoriser la santé psychologique et de rétablir la santé mentale de l’être humain en interaction avec son environnement ». 3
Puisque l’objectif ultime de toute évaluation faite par un psychologue est de poser un diagnostic
psychologique (ou impression clinique), nous retenons la définition de Sultan :
Le diagnostic psychologique « est fondé sur une exigence dans l’intégration des informations, provenant le plus souvent de sources diverses, les interprétations s’effectuant en référence à l’histoire singulière de l’individu. L’objectif ultime du diagnostic psychologique est de comprendre une personne et non seulement un dysfonctionnement. Le psychologue se livre à une construction, qui met en œuvre sa subjectivité, sa rigueur de raisonnement, ses connaissances et savoir-faire de scientifique. » (Sultan, 2004)
Ainsi, le psychologue clinicien décrit la dynamique du fonctionnement individuel qui explique le comportement actuel et son évolution. En ce sens, le diagnostic psychologique complète le diagnostic psychiatrique et il est fort possible que le premier englobe le second (Sultan, 2004).
Dans la plupart des situations cliniques, le psychologue est rarement en situation d’évaluer sans prise en
charge thérapeutique. L’évaluation n’est qu’une étape dans la prise en charge des patients et cette prise en
charge peut être d’autant pertinente qu’on en connaît davantage sur la singularité des patients, sur d’autres
dimensions de la personne que ses seules manifestations symptomatiques. En fait, Antony et Barlow
(2002) donnent en exemple une étude portant sur le diagnostic du Trouble anxieux généralisé (TAG)
auprès d’une population de 8,000 individus pour illustrer l’importance de procéder à une évaluation
autant de l’axe I que de l’axe II. Dans cette étude, il a été observé que seulement 21% des personnes
présentaient le simple diagnostic de TAG comparativement à 49% qui rencontraient également les critères
d’un trouble de la personnalité. Sans une évaluation davantage approfondie, plusieurs de ces troubles
connexes sont mal identifiés et donc, l’orientation et le traitement risquent par le fait même d’être erronés,
insuffisants ou inefficaces.
Marque distinctive de la profession
Parmi l’éventail des compétences offertes par les professionnels du secteur de la santé mentale et des relations humaines, le psychologue se distingue par sa capacité d’évaluer le fonctionnement psychologique et
le fonctionnement mental, d’intervenir et de traiter dans le but de favoriser la santé psychologique et de
rétablir la santé mentale (Sultan, 2004). Meyer et coll. (2001), en s’appuyant sur trois recherches différentes, rapportent que les psychologues, notamment les cliniciens, accordent à la psychothérapie et à l’éva2
Me Édith Lorquet ( 2009), conseillère juridique et secrétaire du comité de discipline à l’Ordre des Psychologues, écrit que les
expressions évaluation des troubles mentaux et diagnostic psychologique s’équivalent.
3
Projet de loi 21, sanctionnée le 19 juin 2009, éditeur officiel du Québec.
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luation psychologique, dans l’ordre, la première et la deuxième place en importance dans leur pratique
professionnelle. Ces deux activités sont au cœur de la pratique du psychologue. Cette position donne au
psychologue la responsabilité de formuler des opinions sur le fonctionnement d’une personne, opinions
basées sur une activité complexe de prise de décisions dans ce processus d’élaboration du jugement
clinique.
La recherche démontre que la valeur des résultats de plusieurs tests psychologiques est équivalente, sur le
plan de la validité, à plusieurs tests médicaux (Meyer et al., 2001). En fait, l’élaboration et la validation
des tests psychologiques reposent sur une méthode scientifique rigoureuse qui est à la base de notre profession. En ce sens, l’utilisation de ces tests permet de recueillir des informations pertinentes et précieuses, parfois impossibles à obtenir autrement. D’autant plus qu’il a été démontré dans de nombreuses recherches que l’intuition personnelle du psychologue, si elle est très utile, est largement moins efficace que
des procédures plus rigoureuses (Sultan, 2004).
Une activité complexe
L’évaluation est donc une activité complexe qui demande au psychologue une réflexion approfondie tout
au long du processus. En fait, il doit choisir les meilleures procédures afin d’obtenir les informations pertinentes à l’élaboration d’un diagnostic. Les méthodes mises à sa disposition sont les entretiens cliniques,
l’observation comportementale et les tests psychologiques. Par exemple, suite aux observations faites lors
de l’entretien, le clinicien commence à formuler des hypothèses qu’il vérifie à l’aide de tests. En ce sens,
« l’instrument de mesure le plus important n’est pas le test mais l’examinateur, la capacité à intégrer différentes sources d’information et à formuler des opinions » (Sultan, 2004).
Il existe deux approches dans l’élaboration d’un diagnostic psychologique : l’approche idiographique et
l’approche nomothétique (Brunet, 2008). La première s’intéresse à comprendre ce qui est spécifique à un
individu. Elle vise à expliquer le sens de la psychopathologie présentée, à expliquer son monde subjectif
conscient et inconscient (ce que permet de faire par exemple, l’entretien clinique ou semi-structuré, les
tests projectifs). Cette approche se fonde sur une connaissance approfondie d’une théorie de la personnalité. Elle trouve ses limites dans sa difficulté à situer un individu par rapport à une norme. L’approche
nomothétique utilise des instruments mesurant des comportements observables et des signes visibles qui
permettent, par exemple, au clinicien de dire qu’un individu présente les caractéristiques que l’on retrouve
chez des gens présentant telle pathologie (par ex., la dépression). Une des limites de cette approche est
qu’elle ne décrit pas la spécificité de l’individu et n’explique pas le sens d’un état psychologique et ainsi
ne permet pas de personnaliser le traitement. Nous pensons que l’équilibre entre ces deux perspectives
permet d’offrir une opinion plus globale du client, puisque cela nous renseigne autant sur la nature du
trouble que sur les ressources dont il dispose pour y faire face.
Il est important de se rappeler les fonctions principales de toute évaluation psychologique (Sultan, 2004) :
1. La description fidèle du fonctionnement de la personne (individu, groupe ou institution), sa
situation, sa façon de se comporter et ses problèmes.
2. L’explication comporte l’analyse du développement et des causes du problème (pathogénèse et
étiologie). L’étude cherche à en situer le début, le développement et les conditions dans lesquelles
ils s’expriment, menant à des hypothèses explicatives.
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3. Le trouble est éventuellement situé au sein d’un système de classification (par exemple, le DSMIV).
4. Le pronostic concerne l’évolution du trouble : quelle sera son évolution spontanée, justifie-t-elle
une intervention et surtout laquelle ? Les recommandations thérapeutiques entre donc dans cette
catégorie.
5. L’évaluation des interventions qui avaient été recommandées porte soit sur le processus
thérapeutique en cours, soit sur le résultat de l’intervention à la fin de celle-ci ou après un certain
laps de temps. Elle permet ainsi de mettre en évidence les changements survenus, le maintien,
l’augmentation ou la diminution des difficultés.
En résumé, l’évaluation est une activité complexe qui s’appuie sur plusieurs compétences (Meyer et coll.,
2001) :
• une compréhension du fonctionnement de la personnalité et de la psychopathologie
• une connaissance des méthodes de recherche, des instruments de mesure, des statistiques
• une capacité de discriminer les différents outils d’évaluation en fonction de leurs caractéristiques
et les données qu’ils peuvent fournir, ainsi que l’adéquation à la situation clinique donnée.
• une compréhension des différentes forces et limites de chaque méthode
• la capacité de former une opinion clinique à partir de l’information obtenue
• l’habileté et la sensibilité à communiquer les résultats aux patients et aux référents.
II. Élaboration des étapes de l’évaluation
Selon Sultan (2004) « l’examen psychologique n’est pas un événement linéaire. C’est ainsi que l’on peut
comprendre le processus lui-même comme une interaction complexe entre le psychologue et 4 catégories
d’information : (1) la raison de l’examen; (2) les données brutes; (3) les cadres de référence théorique; (4)
le rapport du psychologue. »
Reprenons chacun de ces éléments plus en détails.
La raison de l’examen
Il est souvent nécessaire de s’entretenir avec le référant afin de préciser le motif de la demande. Que cherche-t-il ? Quelles questions se pose-t-il? Comment en est-il arrivé à ce questionnement? Dans quel contexte est faite cette demande? Est-ce pour une précision de diagnostic différentiel? Est-ce pour aider au
choix d’un traitement médicamenteux? Est ce pour aider à établir un plan de traitement? Est-ce pour
effectuer une référence vers une autre ressource? Le clinicien est censé répondre à des questions spécifiques et aider à la prise de décisions appropriées.
Les données brutes
Une fois la question précisée, il s’agit de recueillir toutes les informations pertinentes qui permettront d’y
répondre. On considérera que le recours à diverses méthodes, et pas seulement les tests, permet de recueillir ces informations. Il peut être question de rapports précédents, d’entrevues avec le client, de rencontres avec la famille ou l’entourage du sujet, etc. Il peut arriver que l’information obtenue par ces
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moyens soit suffisante pour répondre au mandat. Si des questions demeurent, le clinicien peut alors vérifier s’il existe des outils pertinents dans ce contexte qui aideraient à valider ou infirmer les hypothèses
formulées en cours d’évaluation.
Ce document soutient la pertinence de laisser au psychologue la possibilité de choisir un ensemble d’instruments suffisamment souple pour pouvoir s’adresser aux problèmes spécifiques du sujet. Afin de choisir
quel test utiliser, le clinicien évalue les composantes que le test mesure et si les informations recueillies à
partir de cet outil sont utiles pour prendre des décisions adéquates. De plus, il faut s’assurer que l’outil
convienne vraiment à l’usage que l’on veut en faire. Ceci repose sur le fait que tous les tests ne sont pas
équivalents et que, selon ce qu’il s’agit d’évaluer, certains instruments, certains tests, sont meilleurs que
d’autres. Le critère le plus important dans la sélection des instruments est l’adéquation de l’instrument à
la question posée par le correspondant. Un deuxième critère est la capacité de l’instrument à être relié
conceptuellement et pratiquement aux choix thérapeutiques, aux manuels diagnostiques. Les instruments
sont également là pour aider à la décision thérapeutique et permettre de générer ce qu’on peut appeler une
planification du traitement. Il est important également de tenir compte des caractéristiques du client et de
sa réaction au matériel envisagé.
Il est important par ailleurs de rapporter ici que plusieurs auteurs soulignent l’inefficacité d’établir une
batterie de tests standards pour tous les clients (Meyer, 2001). Le recours aux tests doit être approprié au
mandat confié, à la clientèle visée et aux objectifs poursuivis, en exerçant cas par cas son jugement professionnel. Conforme à la position de l’ordre et de L’APA4 sur les données probantes en psychothérapie,
le psychologue a à apprécier les forces et les limites des outils utilisés et d’en faire le choix le plus
judicieux.
Nous tenons également à définir notre compréhension du terme test, définition empruntée à Stéphanie
Noci (2005) :
« On appelle un test mental une situation expérimentale standardisée servant de stimulus à un
comportement. Ce comportement est évalué par une comparaison statistique avec celui d’autres
individus placés dans la même situation, permettant ainsi de classer le sujet examiné soit quantitativement, soit typologiquement. »
Il ne faut pas oublier qu’un test n’est pas une fin en soi, c’est un outil qui étaye, complète, objective,
éclaire nombre de données recueillies sur la personne (Noci, 2005) auprès de différentes sources : dossier,
entrevue, tiers, évaluations précédentes, etc.
Par exemple :
Tous les tests ne font pas appel aux mêmes dimensions de la psyché.
4
Certains tests psychométriques font appel à la dimension consciente, d’autres à mesurer la performance de l’individu. Les questions portent sur des variables précises de la personnalité. Il recueille
Document que vous trouverez à annexe I.
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une information factuelle et rien n’assure la véracité des réponses. En effet, ils sont limités par la motivation de l’usager à être franc et à leur capacité d’avoir un jugement adéquat. Nous retrouvons ces
mêmes observations pour les entrevues structurées et non structurées, les auto-évaluations et les tests
de personnalité. (Meyer et al., 2001)
•
Les tests projectifs permettent d’entendre autre chose que ce qui est contrôlé rationnellement par
l’individu. Ces tests permettent de déjouer l’effet de la désirabilité sociale, c’est-à-dire la tendance de
certains clients à vouloir bien paraître devant le psychologue. Ces clients seraient portés à « cacher »
les aspects moins reluisants de leur personnalité, par exemple, les clients défensifs se montrent souvent plus fonctionnels qu’ils ne le sont réellement. Ils peuvent minimiser, ne pas parler de leurs symptômes par timidité ou par honte à l’inverse de ceux qui amplifient leur détresse. Ils sont d’autant plus
utiles lorsque nous avons affaire à des situations plus complexes telles que différencier la psychose du
trouble de la personnalité.
Le cadre de référence
Ce point fait appel à la théorie de la personnalité et à la perspective adoptée par le psychologue sur la psychopathologie (Sultan, 2004). Ce cadre va influencer le type de données que le psychologue recueille
ainsi que les choix méthodologiques pour mettre ces données en évidence. Le cadre de référence influence aussi la structuration et le contenu de la réponse donnée à la demande d’examen et le type d’hypothèses émises.
L’interprétation des données
Cette étape est essentielle au travail d’évaluation. Le clinicien fait ici un travail d’intégration de toute l’information apportée par les différentes sources de données. En effet, il s’agit de traduire ces données en
formulations vis-à-vis de la demande d’examen et du cadre de référence du praticien (Sultan, 2004). C’est
ici que nous expliquons pourquoi la personne vit telle ou telle difficulté, les antécédents contributifs ainsi
que les suggestions d’une approche pour soutenir un changement chez le sujet. Il est important de retenir
que l’interprétation est le résultat d’une relation entre les propos du client et les conclusions tirées par le
psychologue. C’est tout l’art du psychologue qui est mis à contribution dans l’interprétation.
La communication des impressions cliniques
À cette dernière étape, il s’agit de partager avec le client, en premier, notre compréhension de ses difficultés et les ressources personnelles et thérapeutiques disponibles pour retrouver un mieux-être. La restitution du résultat est incontournable au plan de l’éthique professionnelle (Noci, 2005). Il est suggéré par
Finn (2007) que la rencontre d’information soit comprise comme une étape importante dans le processus
thérapeutique et non seulement une série de termes et de conclusions abstraites pour le client.
Dans le même ordre d’idée, la partie du rapport comportant la compréhension clinique du psychologue se
doit d’être claire et sans équivoques quant à ce qui permet d’arriver à telle ou telle conclusion, c’est-à-dire
de bien communiquer comment celui-ci en arrive à poser le diagnostic, ainsi que des recommandations
claires pour le traitement et si possible, le pronostic du client (avec et sans interventions psychologiques).
Le rapport permet la communication de la réponse du psychologue à la demande qui lui a été adressée.
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III. Arbre décisionnel
Nous désirons dans ce chapitre suggérer un guide de soutien à la prise de décision clinique dans le processus d’évaluation psychologique. Il est présenté sous la forme d’ « un arbre décisionnel dans la cueillette des données », élaboré dans les pages qui suivent.
Afin de guider la réflexion nécessaire lors de la sélection d’un test, nous nous appuyons sur les critères
suggérés par Sultan (2004). Selon lui, le critère le plus important est l’adéquation entre l’instrument et la
question posée. Le second critère est la familiarité de l’examinateur avec les méthodes envisagées, en lien
avec sa formation et son expertise. Un troisième critère concerne l’économie des instruments selon son
efficience spécifique en termes de temps nécessaire à son exploitation. Un quatrième critère est la
capacité du test à aider à la planification d’un traitement. Un autre critère tient de l’interaction entre les
tests envisagés et les caractéristiques du patient; ce matériel nous ferait voir des dimensions différentes du
sujet selon (1) qu’il soit structuré ou ambigu ou (2) qu’il s’adresse à l’expérience subjective ou à son
comportement ou (3) qu’il stresse le sujet ou non.
N’oublions pas que l’évaluation doit être continue et évolutive dans le temps permettant ainsi de valider
ou de circonscrire le diagnostic posé et, s’il y a lieu, d’apporter les ajustements dans les interventions. La
nature et la valeur du traitement, qu’il s’agisse de psychothérapie, de pharmacothérapie ou d’aide et de
soutien, dépendent de l’exactitude de l’évaluation conduite (Vermette, 2002).
Tableau I : Arbre décisionnel dans la cueillette de données
1. Préciser la nature de la demande d’évaluation
Suivi en psychothérapie
Précision du trouble mental
Évaluation du fonctionnement intellectuel
Évaluation du fonctionnement cognitif
Poursuivre à la 2e étape
Si les informations obtenues sont suffisantes,
répondre à la demande. Sinon, poursuivre à
la 3e étape
Évaluation du fonctionnement de la
personnalité
Autres
2. Révision du dossier
Étude du dossier (évaluations, rapports, etc.),
informations des tiers
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3. La personne peut-elle être évaluée
Présence de symptômes physiques importants
Exploration médicale pour éliminer ou identifier
cause organique et poursuivre à 4e étape
Non disponibilité (délire, hallucinations,
déficience intellectuelle, difficultés
neurologiques etc.)
Référence vers une ressource spécialisée et
poursuivre à 4e étape
Sous l’effet d’une substance
Attendre un autre moment
Poursuivre à la 4e étape
La personne semble disposée à collaborer à
un entretien
4. Le premier entretien clinique en lien avec la demande
Explorer l’histoire de la problématique,
l’histoire personnelle, les motivations à
consulter, la capacité relationnelle, la
mentalisation, le degré de responsabilisation,
la capacité d’autocritique
Si les informations obtenues sont suffisantes
pour répondre à la demande, rédiger un
rapport. Sinon, poursuivre à la 5e étape.
Évaluation des ressources de la personne
5. Étape initiale d’approfondissement : sélection du ou des tests appropriés5
Évaluation des pathologies en fonction des
critères du DSM-IV-TR, par ex. :
Questionnaires auto-rapportés
Entrevues structurées ou semi-structurées
Protocoles
Échelles d’évaluation
Évaluation du fonctionnement intellectuel
5
Si les informations obtenues sont suffisantes
pour répondre à la demande, rédiger un
rapport. Sinon, poursuivre à l’étape 6.
Voir des auteurs tels Anthony & Barlow (2002) pour une revue systématique des forces et faiblesses des tests envisagés.
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6. Approfondir l’investigation6 ce qui peut signifier une référence à un collègue qui maîtrise mieux
le test en question.
Tests objectifs : permettent d’évaluer certains
traits de personnalité, le fonctionnement
social, la consommation, etc.
Tests projectifs : permettent d’approfondir
l’évaluation lorsqu’il y a une présentation
atypique de symptômes selon les critères du
DSM, un manque d’autocritique, un besoin
d’établir un diagnostic différentiel. Permet
aussi la compréhension psychodynamique de
l’individu
Évaluation du fonctionnement cognitif
lorsqu’on soupçonne une dysfonction du
cerveau:
Causes organiques
Profil inhabituel et évolutif avec
symptômes cognitifs ou
comportementaux (suspicion d’atteinte
cérébrale)
Opinion quant au diagnostic différentiel
des démences
Préciser les séquelles d’une atteinte
cérébrale connue
Besoin d’une évaluation cognitive
approfondie pour préciser l’orientation du
patient (ex : type d’hébergement), ses
aptitudes scolaires ou ses capacités à
occuper un emploi
Personne chez qui on soupçonne de la
simulation ou un trouble factice sur le
plan cognitif
Cas complexes de TDAH pour lesquels
on a besoin d’évaluer le fonctionnement
dans l’ensemble des sphères cognitives
Détérioration cognitive majeure lié à
l’axe I et inexpliquée
Autres
6
Si les informations obtenues sont suffisantes
pour répondre à la demande, rédiger un
rapport.
Évaluation neuropsychologique
Lorsque les tests utilisés n’ont pu répondre à la question, p. ex. la gravité du trouble, le diagnostic est difficile à préciser (ex.
trouble de personnalité sévère versus trouble psychotique), la symptomatologie ne répond pas aux critères du DSM, ou pour aider
à la compréhension du fonctionnement mental chez un cas complexe où les évaluations antérieures n’ont pu répondre à ces
questions, ou encore que les traitements ne donnent pas des résultats suffisants.
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IV. Vignettes cliniques
Afin de rendre le tableau ci-dessus et les notions avancées dans ce document plus claires, nous vous présentons quelques vignettes cliniques illustrant la complexité de l’évaluation, du choix des méthodes et de
l’importance de la question initiale.
Vignette 1
Madame Y est âgée de 21 ans. La cliente nous est référée à la suite d’une première décompensation psychotique (elle était convaincue que les gens complotaient contre elle) d’une durée d’une semaine suite à
une période où elle fut désorganisée durant quelques jours. Lors d’une première hospitalisation, Madame
disait qu’à l’époque elle se sentait bien, elle ne se sentait pas dépressive, elle ne se sentait pas méfiante et
n’identifiait pas de stresseurs en lien avec cette décompensation. Lors de son congé, elle n’a pas voulu
prendre de médication. Elle a eu une autre décompensation psychotique quelques mois plus tard. Dans les
entrevues cliniques, Madame disait ne pas se sentir souffrante dans aucun secteur de sa vie et pourtant,
elle avait vécu deux décompensations psychotiques très rapprochées! Étape 1 : La question soulevée par
son médecin traitant face au diagnostic était : est-ce un début insidieux de schizophrénie? Est-ce une
dépression psychotique? Est-ce une organisation maniaco-dépressive? Est-ce liée à une tumeur? Étape 2 :
L’étude du dossier ne permettait pas de préciser le diagnostic. Étape 3 : Suite à une investigation
médicale, la dernière hypothèse fut éliminée. Étape 4 et 5 : Les discussions cliniques et les investigations
faites par différents professionnels n’ont pu répondre aux questions quant à la maladie mentale ou au
trouble mental dont souffrait la cliente. Étape 6 : Une évaluation projective fut alors proposée tenant
compte de la problématique et de la présence de défenses très primitives (déni, minimisation et du clivage
face à la gravité de ses symptômes). Les résultats ont permis plus rapidement de mettre en lumière la
présence de défenses de la lignée maniaque (madame nous disant suite à la discussion des résultats « ne
pas avoir pris conscience de ces symptômes »), la présence d’une angoisse de registre persecutoire (que
madame réussissait à bien dissimuler) et d’éléments dépressifs. Ils ont confirmé aussi que la détérioration
n’était pas d’allure schizophrénique et qu’elle s’inscrivait plutôt dans une organisation maniaco-dépressive. Cette épreuve a permis d’évaluer les troubles cognitifs, de comprendre le sens des symptômes présents, de préciser le diagnostic et conséquemment à mieux réorienter vers un plan de traitement (médication et thérapie) adapté à la problématique.
Vignette 2
Un homme dans le début de la cinquantaine, connu pour un épisode de dépression psychotique, fait une
demande d’aide en CLSC car il doit quitter sous peu son logement, à la suite de représailles de ses voisins. Étape 1 : Il est demandé au psychologue d’aider le client dans cette situation et donc, d’évaluer ce
qui contribue à ses difficultés. Étape 2 : Peu d’informations ayant pu être obtenues à la lecture du dossier,
il fallait donc poursuivre la démarche. Étape 3 : Il se montre méfiant et présente des symptômes paranoïaques lors de l’entrevue initiale. Étape 4 : le choix d’approfondir l’examen est donc effectué compte
tenu des éléments de sévérité présentés et de la récurrence de la problématique. Étape 5 : Toutefois, les
données obtenues sur le MMPI-II ne peuvent pas être interprétées, le client ayant camouflé les symptômes
et celui-ci démontrant des signes d’intelligence supérieure. Étape 6 : L’utilisation d’un test projectif fut
alors mise de l’avant afin de clarifier la nature des symptômes et en situer la gravité, tenant compte de la
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nature de ces symptômes, de la personnalité du client et des conflits. Cette élaboration complexe et nuancée a permis une orientation plus adéquate vers des services spécialisés.
Vignette 3
Une jeune femme de 22 ans se présente à l’accueil du CLSC pour donner suite à la recommandation de
son médecin de consulter en psychologie. Étape 1 : Il est demandé au psychologue d’évaluer ce qui contribue à ses difficultés afin d’établir le plan de traitement adéquat. Étape 2 : Étant une cliente qui n’avait
jamais consulté auparavant, peu d’information sont obtenues à la lecture du dossier. Étape 3 et 4 : Pendant la première entrevue d’évaluation, la cliente se confie assez facilement et décrit des difficultés pouvant être reliées à un trouble de la personnalité limite. Étape 5 : Lors de la seconde entrevue, le psychologue fait la passation du DIB-R (entrevue diagnostique pour troubles de personnalité limite) afin de valider
ses impressions cliniques. Les résultats convergent dans le sens de ce diagnostic. Aucune autre détresse
ou symptôme ne laissent entendre que la cliente souffre d’un problème à l’axe I. Il n’était donc pas nécessaire dans cette situation de pousser davantage l’évaluation, le tout étant bien défini.
V. Pistes de réflexion et recommandations
Le processus d’évaluation est complexe et exige de la rigueur. Le psychologue, tenant compte de son
Code de déontologie et ayant la pleine responsabilité d’établir un diagnostic psychologique à l’égard de
son client, se doit de posséder toute l’information professionnelle et scientifique pour le faire. Ce processus est une étape très importante de notre travail puisque de celui-ci découle les informations qui nous
guideront dans la compréhension du client et dans l’élaboration du traitement.
Nous croyons que plus on arrivera à préciser rapidement un diagnostic, plus on réduira les références
inappropriées à d’autres services, les abandons prématurés, la stagnation du traitement et plus on arrivera
à éviter une détérioration voire une chronicisation chez l’usager, particulièrement dans les diagnostics
différentiels complexes. Cette démarche ne peut qu’aider à diminuer les coûts de soin de santé de notre
CSSS, et répondre à ses orientations cliniques et administratives (Ambrose, 1997) à savoir : « donner le
bon service, au bon moment, à la bonne personne ».
De l’avis de Hunsley et Mash (2005), il n’existe aucune méthode d’évaluation intégrée qui peut être
considérée comme une donnée probante. Par contre, l’expérience et la littérature clinique appuient un
arrimage entre les motifs et la modalité d’évaluation, qui incluent le dépistage, le diagnostic, le pronostic,
la planification du traitement, le suivi et l’évaluation du traitement.
Afin de mieux répondre aux objectifs liés à notre mandat d’évaluation du service de première et de
deuxième ligne, à savoir offrir une évaluation rigoureuse des troubles mentaux, il est préférable, tel que le
soutient Sultan (2004) de disposer d’un éventail suffisamment large d’instruments adaptés aux problématiques des clients et aux questions posées par les professionnels, plutôt que de ne reposer que sur une batterie de tests standards.
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À cet effet, un test qui est trop long ou coûteux pour un usage général peut être essentiel pour clarifier le
fonctionnement psychologique dans des situations précises alors que d’autres tests ou moyens ne peuvent
répondre à la question. Nous avons présenté dans ce document un arbre décisionnel sur lequel nous nous
appuyons pour juger de la pertinence de l’utilisation d’un moyen d’évaluation en indiquant que chaque
test est différent et a un but spécifique dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de choisir celui qui
convient le mieux.
Comme nous l’avons décrit dans ce document, le recours aux tests psychologiques constitue un apport
important à l’évaluation psychologique. La recherche affirme qu’un clinicien, appuyant son évaluation sur
des sources d’information diverses et nombreuses, utilise les meilleurs moyens afin de maximiser la
validité de son jugement et d’aider à améliorer le traitement (Meyer et coll., 2002).
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VI. Références
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www.capap.com/lettrepsy5, consulté le 12 juin 2009
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psychologues du Québec.
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Sultan, S. (2004) Diagnostic psychologique, théorie, éthique, pratique. Éditions Frison-Roche, Paris, 300
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Assemblée nationale, projet de loi no 21 (2009 chapitre 28), Loi modifiant le Code des professions et
autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines,
présentée le 24 mars 2009, principe adopté le 12 juin 2009, adopté le 18 juin 2009, sanctionné le
19 juin 2009, éditeur officiel du Québec 2009
Annexe I
Voir pages suivantes pour le document : « Énoncé de politique sur la pratique fondée sur les données
probantes en psychologie ».
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