Innovations technologiques et organisation du travail:
évolution ou révolution ?
Un pas en avant, un pas en arrière...
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Dans le cadre de sa conférence, l’ASDEQ (Association des économistes du Québec)
souhaitait aborder la question du changement technologique, et posait notamment la
question de savoir si les changements technologiques étaient positifs ou négatifs sur le plan
des conditions de travail et de l’emploi. Il y a bien sûr différentes façons de répondre à cette
question. Sur le plan de l’emploi, en particulier de la destruction et de la création d’emplois,
on aura plus souvent recours aux statistiques nationales, bien qu’il soit souvent difficile de
rattacher les évolutions de l’emploi à un seul facteur précis, celui des changements
technologiques dans ce cas-ci (cf Tremblay, 1989, 1994). En ce qui concerne les conditions
de travail, les statistiques nationales sont moins pertinentes, du moins celles que nous
avons eues jusqu’ici au Québec, ou au Canada. Si elles fournissent des informations sur
certains aspects, les salaires, les horaires et heurs de travail notamment, les conditions
concrètes d’organisation et de division du travail, incluant des aspects comme l’autonomie,
la responsabilité, la monotonie ou la répétivité des tâches notamment, sont des thèmes
moins abordés. Des enquêtes sur les conditions de travail sont régulièrement menées sur
ce type de thème par le ministère français du travail, mais à notre connaissance, il n’existe
pas d’enquête comparable au Canada et au Québec.
C’est pourquoi nous nous sommes intéressée à cette dimension de l’organisation du
travail et des conditions concrètes de travail, ainsi qu’à la formation dispensée par suite de
changements technologiques, dans le cadre d’une enquête de nature plus micro-
économique (10 entreprises observées, mais quelque 180 salariés interrogés), ayant pour
but de répondre à quelques questions précises concernant les promesses des “ nouveaux
modèles productifs ”, étant entendu que ces nouveaux modèles reposent généralement sur
des changements technologiques et organisationnels (voir Kern et Schumann notamment).
Nous nous sommes aussi intéressée plus particulièrement à la main-d’oeuvre féminine, car
notre recension des recherches réalisées nous a permis de constater que les écrits sur les
nouveaux modèles productifs et les promesses d’autonomie et de responsabilités accrues
qui y étaient associés avaient généralement pour base l’observation de milieux de travail
masculins.
Bien que nous ayons retenu des entreprises ayant connu des changements
technologiques, nous n'aurons tout de même pas la prétention de pouvoir établir, à partir de
cette seule recherche, en quelque sorte exploratoire, un lien direct entre le phénomène
complexe de l’innovation technologique que nous avons étudié par ailleurs (Tremblay,
1989, 1992) et des situations spécifiques concernant l’organisation du travail. Le problème
majeur bien sûr, c’est qu’une multitude de facteurs influent simultanément sur les conditions
de travail, et qu'il serait difficile d'isoler ces autres facteurs de la seule dimension
technologique. À l’instar des répondants à l’enquête, nous postulons ainsi qu’il existe des
liens entre ces phénomènes, mais sans pouvoir quantifier les pourcentages précis de
variations qui seraient à rattacher à l’innovation technologique par opposition à d’autres
facteurs. Notre objectif sera plus modeste. Il consiste à montrer la variabilité des effets selon
les milieux de travail et le sexe, mais surtout à montrer que les thèses de la “ fin de la
division du travail ” souvent évoquées dans le contexte de “ progrès technologiques ”
incessants, ne se vérifient pas pour tous les milieux de travail, ni pour les deux sexes
également.
Ces mises en garde étant faites, nous tenterons de présenter quelques éléments qui
permettent de tracer les contours de ce qui pourrait constituer les axes majeurs de
l’évolution des conditions de travail dans un contexte de changements technologiques.